Je retrouve un billet ancien, jamais publié :
Hier un journaliste
aimable et amical me téléphone pour m'inviter à un « débat »
qui serait consacré aux cas de désagréments alimentaires qui sont
récemment survenus après des repas chez Heston Blumenthal, à
Londres. Les services vétérinaires ont fait état d'intoxication par des huîtres, et non pas par des "additifs".
En effet, depuis
quelques jours, quelques journalistes idéologiquement opposés à la
cuisine moléculaire (pas le journaliste aimable dont je parlais ci dessus) ont publié des articles pour dire, comme une
litanie, que la cuisine moléculaire est dangereuse pour la santé.
En réalité, ces
journalistes idéologiques (et peu scrupuleux, donc) sont peu nombreux : un, deux, trois peut-être...
Guère plus, mais c'est assez pour que l'on puisse s'interroger,
d'autant que, rappelez-vous : une litanie.
Quant aux additifs
qui nous empoisonneraient, nos litanistes (une façon pour moi de
parler par euphémisme, et d'éviter des procès qu'ils ne
manqueraient pas de me faire si je disais la totalité de ma pensée)
omettent de dire que le caramel en est un, comme le glucose (qui est
dans tous les fruits et légumes, comme...
Bref, "les additifs", c'est une catégorie trop vaste pour qu'on puisse tous les fourrer dans le même sac, même s'ils relèvent tous d'une même réglementation, et s'ils ont tous été testés d'un point de vue toxicologique de la même façon.
Bref, "les additifs", c'est une catégorie trop vaste pour qu'on puisse tous les fourrer dans le même sac, même s'ils relèvent tous d'une même réglementation, et s'ils ont tous été testés d'un point de vue toxicologique de la même façon.
Passons, car là
n'est pas la question.
Il est sans doute inutile de discuter une fois de plus (cela fait des décennies que cette discussion a lieu) la question des additifs et d'une sorte de prétendu complot de l'industrie alimentaire. Si les additifs sont autorisés, c'est qu'ils ont fait l'objet de NOMBREUSES études de toxicologie.
Il est sans doute inutile de discuter une fois de plus (cela fait des décennies que cette discussion a lieu) la question des additifs et d'une sorte de prétendu complot de l'industrie alimentaire. Si les additifs sont autorisés, c'est qu'ils ont fait l'objet de NOMBREUSES études de toxicologie.
Donc oublions la
questions des additifs.
La question de la cuisine moléculaire, et de
désagréments ou d'intoxications alimentaires dans des
restaurants de cuisine moléculaire ? Dans un billet précédent, j'ai expliqué qu'une
hirondelle ne fait pas le printemps, que quelques cas dans un
restaurant ne peuvent être érigés en lois, mais seulement en cas.
J'ai dit aussi que le nombre d'intoxications alimentaires
consécutives à des repas dans des restaurants traditionnels est
bien supérieur au nombre de cas dans les restaurants qui servent de
la cuisine moléculaire. En réalité, la quasi totalité des toxi-infections alimentaires résulte du non lavage des mains par les cuisiniers !
mais, je discute
plutôt ici, du moins aujourd'hui, la question de cette invitation à
débattre d'un problème survenu dans un restaurant. Les
journalistes qui préparaient l'émission m'ont proposé de venir
« débattre » contre un de ces litanistes. Débattre contre des malhonnêtes ?
Je ne parle pas aux roquets qui aboient. Et puis, après tout, quand on y pense, est-ce bien utile ? La vraie
question est d'abord d'établir les faits. Or les faits sont :
quelques cas, dans un ou deux restaurants (et je répète qu'on ne
parle pas des cas dans les restaurants de cuisine traditionnelle),
plus des SOMMES d'articles qui étudient l'innocuité des additifs
(d'accord, ma formulation est tendancieuse, tout comme l'aurait été
celle qui aurait été « qui étudient la toxicité des
additifs »).
Pour les faits, rien
à débattre : il y a les faits.
Pour les articles, il faut quand même apprendre à les lire, et je maintiens que peu de personnes "savent" lire des articles scientifiques... parce qu'ils se limitent aux résultats.
Un bon scientifique, au contraire, est quelqu'un qui a appris à se préoccuper des « Matériels et méthodes », cette partie essentielle pour bien comprendre les résultats, et, a fortiori, les interprétations des résultats. Un bon scientifique, c'est quelqu'un qui sait manier les incertitudes (le calcul différentiel s'impose ; je rappelle que quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris). Un bon scientifique, c'est quelqu'un qui sait qu'une expérience doit être répétée, qui sait ne pas confondre modèle et réalité, qui sait que la science réfute et ne démontre pas, qui sait...
Tout cela s'apprend, et l'on ne s'improvise pas scientifique. On n'est donc que très exceptionnellement capable de lire une publication scientifique, quand on n'est pas scientifique. Pis : ayant travaillé à la
revue Pour la Science pendant 20 ans, je sais combien l'examen
des articles « de l'extérieur » est un exercice
périlleux. Tout tient dans les calculs qui sont faits, dans la
fiabilité de l'expérimentation, et c'est notamment pour cette raison que le travail de rapporteur est si long... Je ne dis pas que les
journalistes sont incapables, mais je constate que ce n'est pas leur
métier, et donc leur compétence, que de lire des publications
scientifiques, surtout quand ils sont chroniqueurs culinaires !
Donc débattre avec des incompétents ? Il ne peut y avoir que de la pédagogie, pas du débat !
Et, pis encore, il
ne peut rien en sortir, car nos litanistes, en réalité, ne veulent
pas entendre : ils veulent simplement vendre du papier, du
scandale. L'information est le cadet de leur souci. Je me souviens,
ainsi, d'un de ces litanistes qui, sur une grande radio, enchaînait
contre vérité sur contre vérité, complètement imperméable aux
réfutations qu'on lui faisait. Quel manque de dignité :
personnellement, j'ai honte quand on me reprend, si j'ai fait une
erreur... et je m'empresse de rectifier !
Mais il faut relire
Platon, qui montre bien que la rhétorique se pare impunément des
plumes du paon tout en délivrant des messages fallacieux. En face,
il est inutile d'essayer de proposer des faits, fondés sur des
études, scientifiques ou technologiques. On ne dit pas assez que de
telles études représentent des mois d'efforts pour obtenir des
résultats... qui, finalement, ne pèsent rien dans un débat, ou, du
moins, pas plus lourd que la parole bien dite.
Bref, débattre
contre des journalistes d'une presse poubelle ? Je ne fais pas
les poubelles !
Allons, soyons
positifs, parce que c'est la moindre des politesses.
D'une part, je suis heureux de signaler que, finalement, les journalistes aimables qui m'invitaient à débattre ont changé d'idée, preuve que ceux-là sont fréquentables. D'autre part, agent de l'Etat, je sais qu'il y a un devoir d'information du public, afin de répondre à des inquiétudes, injustifiées, certes, mais qui existent (à cause de nos litanistes : les « marchands de peur » sont des dangers publics, à ne pas confondre avec de véritables lanceurs d'alerte). Je vais donc dire des faits, en indiquant au préalable que je n'ai rien à vendre : ni article, ni produit, ni idéologie, même. Certes, je pense que la Raison doit être promue, au même titre que la Connaissance, qui nous fait humain. Certes, je propose de voir le verre bien plus qu'à moitié plein... mais il y a quand même les faits : jamais les êtres humains n'ont vécu aussi longtemps en bonne santé. Cela est le fruit de l'hygiène, des additifs (les conservateurs qui évitent le botulisme!), des cosmétiques, des médicaments, de la technologie.
Je n'échange pas ma
vie aujourd'hui contre celle d'il y a 100 ans. D'ailleurs, à l'âge
que j'ai, je serais sans doute déjà mort depuis longtemps
(n'oublions pas qu'il n'y avait pas d'antibiotiques, par exemple).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !