Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 21 septembre 2019
Pourquoi ne peut-on plus parler de réactions de Maillard ?
Mais si, bien sûr, on a le droit de parler de réactions de Maillard, mais quand même, il vaudrait mieux savoir de quoi on parle, non ? Et ne pas dire n'importe quoi !
Je suis un peu responsable - et fautif- du fait que le monde culinaire parle à tort et à travers de ces réactions, parce que, naguère, dans mon enthousiasme communicatif, avec ma volonté contagieuse de faire comprendre que la cuisine met en œuvre des réactions intermoléculaires (plutôt que "chimiques"), j'ai largement milité pour faire connaître la réaction de Maillard, que l'on devrait d'ailleurs nommer "les" réactions de Maillard.
De quoi s'agit-il ? De réactions qui ont lieu entre certains sucres et des protéines. Elles conduisent à des composés qui donnent de la couleur et du goût aux aliments, et il est exact qu'elles sont fréquentes en cuisine. Cela étant, dire que les réactions de Maillard font la croûte brune et savoureuse des viandes grillées est faux, et je crois avoir plutôt dit que les réactions de Maillard contribuent à la couleur et au goût des viandes grillées. Disons que j'espère avoir été ainsi prudent, car en réalité, mille réactions différentes se conjuguent pour faire la couleur brune et le goût des viandes.
D'ailleurs, dans les sciences et technologies des aliments, on parle de "brunissement non enzymatique", et les réactions de Maillard ne sont qu'une sorte de réactions parmi mille. D'ailleurs, tout composé "organique" (disons : provenant des êtres vivants, animaux ou végétaux) que l'on chauffe brunit !
Plus sur les réactions de Maillard : le chimiste français (né à Pont-à-Mousson) Louis Camille Maillard a découvert en 1912 que des sucres "réducteurs" (les plus fréquents, en cuisine, sont le glucose et le fructose) réagissent avec des protéines, pour faire des composés bruns, qui avaient d'ailleurs été nommés "mélanoïdines" avant qu'il fasse sa découverte. D'ailleurs, sa découverte est venue bien après que le chimiste allemand Emil Fischer avait découvert que ces sucres réducteurs réagissent avec les acides aminés, ces composés dont l'enchaînement fait les protéines : si l'on devait parler d'une réaction essentielle en cuisine, on devrait parler de réaction de Fischer !
Mais en réalité, j'y reviens : il y a mille réactions différentes qui font du brunissement en cuisine. Maintenant que Maillard est connu, passons à autre chose !
Je vous présente les celluloses
Aujourd'hui je vous présente les celluloses. Parmi les additifs, dans cette liste positive de composés tous testés et finalement approuvés par les autorités sanitaires des aliments, il y a diverses formes de la cellulose. Mais des dérivés de la cellulose ne sont pas de la cellulose.
Cellulose ? C'est d'abord un mot, comme "lipide", "protéine", "acide acétique"... Le plus souvent, dans les discussions publiques, les entités qui sont ainsi désignées sont singulièrement absentes de l’esprit de ceux qui en prononcent le nom ! Mais je ne suis pas ici pour dénoncer à nouveau l' "achimisme", mais, au contraire, pour expliquer.
Et rien de mieux que l'expérience pour bien fixer les idées : mettons des carottes dans un extracteur à jus, une "centrifugeuse" de cuisine. Les carottes broyées sont transformées en un jus orange et épais, et il reste dans la machine un résidu solide, légèrement orange.. que l'on jette le plus souvent (erreur, comme nous le verrons !). Conservons ce résidu et faisons le bouillir à grande eau. Même après un très long moment de "cuisson", il reste une matière solide, blanche que nous allons filtrer : dans le temps, j'aurais été fautif en disant que ce résidu était de la cellulose, mais on se souvient que je cherche à être de plus en plus précis, afin de ne pas laisser de place aux confusions dont le diable (les Tyrans, aurait dit Denis Diderot) s'empare.
Regardons ce résidu solide au microscope : on le voit constitué de fibres. Et avec un microscope qui montrerait les molécules, on verrait des molécules linéaires, plutôt d'ailleurs des chaînes que des fils, puisque l'oeil du chimiste reconnaît que les "maillons" ressemblent tous à la molécule de glucose. Ces enchaînements sont des molécules de cellulose. Et comme il y a des molécules plus ou moins longues, je propose de parler plutôt de celluloses au pluriel que de cellulose au singulier.
Or il y a ces molécules dans les végétaux, auxquels elle assure de la rigidité, avec ces autres composé que sont la lignine, les hémicelluloses, les pectines, etc. Beaucoup de ces derniers sont lessivés au cours de notre expérience, quand on fait bouillir dans l'eau, mais les molécules de cellulose, elles, sont très résistantes chimiquement, au point que nous puissions laver nos chemises en coton à l'eau bouillante des milliers de fois, sans qu'elle ne disparaissent dans les eaux de lavage. Le coton, c'est de la cellulose, en grande majorité, et le coton hydrophile est quasiment exclusivement fait de celluloses.
Comment les celluloses sont-elles fabriquées ? Dans les végétaux, la sève brute, faite essentiellement d'eau et de sels minéraux, monte vers les feuilles ; là, l'énergie de la lumière permet aux feuilles, à partir de l'eau et du dioxyde de carbone qui est dans l'air, de synthétiser -j'ai bien dit synthétiser- des sucres que sont le glucose, le fructose, le saccharose, mais aussi des tas d'autres composés comme les acides aminés. Ces composés fabriqués par la plante dans les feuilles sont alors redescendus par des canaux vers les autres organes des plantes : tige, racines, tubercules... Et notamment, le sucres sont utilisés par les plantes pour synthétiser les celluloses.
En cuisine, je crois qu'il faut surtout se souvenir que les celluloses dont des molécules qui donnent de la rigidité aux plantes. Ce qui signifient qu'elles peuvent aussi donner de la rigidité aux plats. Cela ne signifie pas nécessairement dureté, mais changement de consistance, et c'est ainsi que j'ai proposé, il y a plusieurs années, d'ajouter des celluloses dans des gelées ou des confitures, afin de faire plus intéressant que de mornes gelées.
Morne gelée, morne plaine : il nous faut des vallons, des collines, de montagnes, pour ce qui concerne la consistance de nos mets, et les celluloses sont des composés bien utiles pour ces travaux culinaires.
jeudi 19 septembre 2019
La question du risque pour la partie expérimentale de la chimie
Pour la partie expérimentale de la science nommée chimie (ce n'est ni une technique ni une technologie), la question principale me semble être de savoir quelle est la question à laquelle on pense pas. Je m'explique ici.
Lors des travaux de chimie, qui explorent une partie inconnue du monde moléculaire, la mise en œuvre de réactions moléculaires encore jamais pratiquées conduit parfois à synthétiser des produits instables, qui peuvent conduire à des accidents, ou à des produits toxiques. Et c'est ce que nous allons donc d'abord considérer, parce que, dans les deux cas, il y a des risques de catastrophes.
Commençons par les produits instables. Au début d'une réaction effectuée par un chimiste, il y a des composés que l'on désigne sous le nom de "réactifs". La chimie étant la "science du feu", elle chauffe ces réactifs. C'est ainsi que l'alchimie procédait, mais en réalité, c'est encore souvent ainsi que l'on procède aujourd'hui. C'est par une telle méthode, par exemple, que Hennig Brandt découvrit le phosphore en 1669, par calcination d'urine. C'est ainsi que l'on produit de la chaux vive à partir de carbonate de calcium (le calcaire)...
Les produits formés sont un peu comme des masses auxquelles on a donné de l'énergie pour les porter en haut d'une montagne. Pour peu qu'elles puissent retomber, elles peuvent faire des dégâts terribles. Bien sûr, il y a une différence entre puissance et énergie : on sait bien que la même masse ne fera pas les mêmes dégâts si elle tombe verticalement ou si elle roule lentement sur une pente douce, avec des frottements. Et oui, la rapidité d'une décomposition (les produits formés relâchant l'énergie que le feu leur a donnée) est un facteur important d'explosion, parce que des changements de volume peuvent créer une onde de choc, comme le bang d'un avion supersonique.
D'autre part, oui, le "feu" donné à des réactifs réorganise les atomes qui composent ces composés : les atomes sont liés par des forces que l'on peut casser, mais ils se réarrangent alors, et c'est ainsi que partant de bleu de Prusse, on a produit de l'acide cyanhydrique, qui est un produit mortel. Là, les exemples sont innombrables.
Bref, il y a donc du danger en chimie... et cela est inévitable pour qui explore le monde moléculaire. Mais la question est moins le danger que le risque. Un produit toxique est dangereux, donc, mais enfermé dans un coffre, il ne présente pas de risque. Encore un exemple : il y a du danger à traverser certaines routes, et le risque est grand si je ne regarde pas à gauche et à droite. Avec des routes de campagne peu fréquentées, le danger est moindre qu'avec des autoroutes, mais qu'importe : si je passe quand il n'y a pas de voiture, le risque est faible dans les deux cas.
La question, toutefois, c'est de savoir quand il y a du danger, pour minimiser les risques. Dans l'histoire de la chimie, on a rapidement su qu'il y avait du danger, au point même que, il y a seulement 50 ans, les chimistes se reconnaissaient dans la vie civile au fait qu'il leur manquait un œil ou une main. Aujourd'hui, les chimistes se sont dotés de méthodes pour essayer d'envisager les dangers, et, surtout, ils se fondent sur les expériences du passé... et sur des techniques progressivement mises au point pour éviter les accidents. L'une des plus essentielle est de réduire les quantités que l'on manipule
Mais la question demeure : pour une nouvelle expérience, quel est le danger ? Et c'est là où je retrouve ma question, posée naguère par le philosophe Alain : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? Sans informations particulières, j'ai bien du mal à imaginer les dangers.
Mais l'ignorance n'est pas notre seul handicap. Nous aurions également intérêt à ne pas oublier que nous sommes nous-mêmes causes de danger : si notre tête est troublée, alors nous risquons de faire mal. Et j'ai de nombreux cas en mémoire, sans qu'il y ait eu -heureusement- d'autres conséquences que matérielles. Par exemple, je me souviens d'un doctorant qui, troublé par des manifestations sous nos fenêtres, avait cassé de la verrerie, puis avait fait des erreurs dans ses calculs. Un calcul faux, on le refait, mais la vie humaine est précieuse, n'est-ce pas ?
Restons avec cette phrase : quelle est la question à laquelle je ne pense pas ? quel est le danger que je m'imagine pas ?
mercredi 18 septembre 2019
Pommes de terre soufflées
On me demande les liens pour les études de la pomme de terre soufflées, mais connaissez vous cette vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=gOI8KDk8mOg
https://www.youtube.com/watch?v=gOI8KDk8mOg
A propos des examens : et si nous faisions fausse route ?
À propos des examens, je me dis qu'un étudiant qui a bien travaillé, suffisamment, qui a bien étudié, ne doit avoir aucune difficulté à passer l'examen.
Bien sur, il aura fallu qu'il obtienne les connaissances nécessaires, et qu'ils transforme ensuite ses connaissances en compétences, par des exercices ou par des problèmes , mais cet étudiant qui aura fait ce travail n'aura aucune difficulté à passer l'examen, et il ne doit donc avoir aucun stress : après tout, il s'est déjà fait à lui-même son propre examen. Pourtant, on voit bien que, dans la très très grande majorité des cas, les étudiants craignent l'examen... et l'on en sait la raison : ils ne sont pas prêts. D'ailleurs, ne soyons pas naïf : il suffit de rester quelques minutes dans un groupe d'étudiants pour s'apercevoir que, effectivement, les impasses sont nombreuses, les "distractions" n'ayant pas laissé assez de temps pour l'étude.
Nous arrivons finalement à cette situation constante que le temps d'étude est insuffisant, et que l'examen reste toujours une sanction.
Or ce n'est pas l'objectif des examens : ces derniers sont simplement là pour vérifier un niveau. Il y a une barre à sauter, et le diplôme est accordé à un étudiant quand il parvient à franchir la barre. Mais, en corollaire, on comprend que la question est moins d'imposer des examens que de s'assurer que le niveau est atteint, ce qui conditionne l'attribution du diplôme (par l'institution de formation, d'ailleurs, et non par le professeur).
Dans cette perspective, qu'il y ait des examens ou un contrôle continu, peu importe. Il n'y a qu'une chose à vérifier, c'est que le niveau est atteint.
Et une fois de plus, on vérifie bien que c'est l'objectif -et non pas un chemin décidé un peu aléatoirement pour y conduire- qu'il faut considérer tout d'abord. Si l'on veut tester une compétence (parce qu'elle était affiché -contractuellement- dans un référentiel), alors cette compétence doit être présente et sa vérification doit se faire localement. Aucune raison que la vérification de cette compétence particulière se fasse en même temps que la vérification d'autres compétences.
Et l'on voit ainsi, surtout à l'heure du numérique, que nous aurions raison d'introduire des systèmes qui permettent à chacun le valider des connaissances, ou des compétences, ou des savoir-vivre, ou des savoir être, à un rythme qui lui est propre, à un moment où cela lui convient.
Dit autrement : si je me sens capable, moi étudiant, de déclarer à l'institution que j'ai une compétence particulière, alors je doit pouvoir "rencontrer" l'institution sur un site, afin de pouvoir montrer que j'ai effectivement cette compétence.
J'entends immédiatement des collègues me dire que ces examens à la carte sont difficiles à mettre en oeuvre, que cela demande plus de temps de professeur, que cela coûte cher, que cela prend du temps, et ainsi de suite. Je ne suis pas prêt à entendre ces arguments de ceux qui traînent les pieds. Plus exactement, e ne suis jamais prêt à entendre les arguments qui traînent les pieds surtout à l'heure où nous disposons d'un outil nouveau, merveilleux, le numérique, qui nous donne des possibilités extraordinaires. En réalité, je crains la paresse chez ceux qui ne veulent pas changer leurs pratiques, leurs habitudes... et qui, le plus souvent, se plaignent ensuite de la routine !
Ma proposition est de toujours tout changer pour le mieux. Renouvelons, testons, explorons, amusons-nous à faire des choses passionnantes !
Bien sur, il aura fallu qu'il obtienne les connaissances nécessaires, et qu'ils transforme ensuite ses connaissances en compétences, par des exercices ou par des problèmes , mais cet étudiant qui aura fait ce travail n'aura aucune difficulté à passer l'examen, et il ne doit donc avoir aucun stress : après tout, il s'est déjà fait à lui-même son propre examen. Pourtant, on voit bien que, dans la très très grande majorité des cas, les étudiants craignent l'examen... et l'on en sait la raison : ils ne sont pas prêts. D'ailleurs, ne soyons pas naïf : il suffit de rester quelques minutes dans un groupe d'étudiants pour s'apercevoir que, effectivement, les impasses sont nombreuses, les "distractions" n'ayant pas laissé assez de temps pour l'étude.
Nous arrivons finalement à cette situation constante que le temps d'étude est insuffisant, et que l'examen reste toujours une sanction.
Or ce n'est pas l'objectif des examens : ces derniers sont simplement là pour vérifier un niveau. Il y a une barre à sauter, et le diplôme est accordé à un étudiant quand il parvient à franchir la barre. Mais, en corollaire, on comprend que la question est moins d'imposer des examens que de s'assurer que le niveau est atteint, ce qui conditionne l'attribution du diplôme (par l'institution de formation, d'ailleurs, et non par le professeur).
Dans cette perspective, qu'il y ait des examens ou un contrôle continu, peu importe. Il n'y a qu'une chose à vérifier, c'est que le niveau est atteint.
Et une fois de plus, on vérifie bien que c'est l'objectif -et non pas un chemin décidé un peu aléatoirement pour y conduire- qu'il faut considérer tout d'abord. Si l'on veut tester une compétence (parce qu'elle était affiché -contractuellement- dans un référentiel), alors cette compétence doit être présente et sa vérification doit se faire localement. Aucune raison que la vérification de cette compétence particulière se fasse en même temps que la vérification d'autres compétences.
Et l'on voit ainsi, surtout à l'heure du numérique, que nous aurions raison d'introduire des systèmes qui permettent à chacun le valider des connaissances, ou des compétences, ou des savoir-vivre, ou des savoir être, à un rythme qui lui est propre, à un moment où cela lui convient.
Dit autrement : si je me sens capable, moi étudiant, de déclarer à l'institution que j'ai une compétence particulière, alors je doit pouvoir "rencontrer" l'institution sur un site, afin de pouvoir montrer que j'ai effectivement cette compétence.
J'entends immédiatement des collègues me dire que ces examens à la carte sont difficiles à mettre en oeuvre, que cela demande plus de temps de professeur, que cela coûte cher, que cela prend du temps, et ainsi de suite. Je ne suis pas prêt à entendre ces arguments de ceux qui traînent les pieds. Plus exactement, e ne suis jamais prêt à entendre les arguments qui traînent les pieds surtout à l'heure où nous disposons d'un outil nouveau, merveilleux, le numérique, qui nous donne des possibilités extraordinaires. En réalité, je crains la paresse chez ceux qui ne veulent pas changer leurs pratiques, leurs habitudes... et qui, le plus souvent, se plaignent ensuite de la routine !
Ma proposition est de toujours tout changer pour le mieux. Renouvelons, testons, explorons, amusons-nous à faire des choses passionnantes !
mardi 17 septembre 2019
La question des questions : étincelle ou pas ?
Un collègue qui prépare ses enseignements imagine, sur mes conseils, d'attirer ses élèves par des expériences qui leur donneront ensuite l'envie d'aller plus loin dans sa discipline. Les expériences sont déterminées, sur la base de la surprise, de la gourmandise, que sais-je, et la question est donc maintenant, par des questions, de les inciter à aller plus loin, à partir du tremplin expérimental/culinaire initial.
Je le vois qui cherche des séries de questions pour conduire les élèves dans des directions qu'il souhaite, et l'on comprend que son questionnement vaut pour toutes les sciences de la nature que sont la chimie, la physique, la biologie...
Bref, la question se pose donc de savoir quelles questions poser.
Bien sûr, on peut décrire les phénomènes que l'on observe quand on fait les expériences et s'interroger sur tous les termes qui apparaissent lors de ces description : cela correspond environ à ce que j'avais proposé dans la "méthode du soliloque".
Mais je me souviens aussi avoir proposé une classification des questions en questions étouffoir et questions étincelle, les noms de ces deux types de questions étant choisis évidemment pour montrer que certaines questions sont plus fructueuse que d'autres. Des questions étouffoir : on étouffe l'intérêt. Des questions étincelles : on allume un brasier de connaissance !
Et c'est ainsi que j'ai les deux exemples suivants. Si je demande à quelqu'un l'heure qu'il est et qu'il me répond, la discussion s'arrête ; c'était là une question étouffoir. En revanche, si je fais observer que l'estomac, fait de viande, digère la viande, et si je demande alors pourquoi l'estomac ne se digère pas lui-même, alors j'ai posé une question qui ouvre la discussion, une question étincelle.
La question que je pose maintenant est de savoir comment produire de telles questions fructueuses.
Observons que les paradoxes ont un rapport avec les questions étincelles. D'ailleurs, l'exemple de l'estomac était paradoxal. Tout comme le paradoxe d'Olbers, à propos de l'obscurité du ciel nocturne. Toutefois la vie ne se réduit pas aux paradoxes, et il y a mille questions intéressantes sans être paradoxales : pourquoi le ciel est-il bleu ? Pourquoi les pommes tombent-elles, au lieu de quitter l'arbre vers le haut ?
Mon problème, avec cette question que je me pose sur les questions étincelles, c'est que je vois des questions merveilleuses partout. Par exemple, à la fin de l'été, les feuilles qui étaient vertes jaunissent ; pourquoi ? Je vois le soleil se lever chaque matin du même côté de ma maison ; pourquoi ? Et pourquoi de ce côté-là ? Je vois des trous dans les feuilles de mes plantes ; pourquoi ?
On a compris que les phénomènes naturels sont une source inépuisable de questions, qui, toutes, peuvent me conduire vers les études scientifiques. Bien sûr, on peut discuter de savoir si la science est dans le pourquoi ou dans le comment, mais c'est là une subtilité qui m'intéresse moins que d'observer l'enfant interagir avec l'adulte, à ce jeu des questions qui s'enchaînent à l'infini: "Et pourquoi... Et pourquoi... Et pourquoi...". Ici, l'art de l'adulte consiste à aider l'enfant à se lancer lui-même dans des explorations... ce qui est difficile, car précisément, la question n'est pas le pourquoi, mais l'interaction avec l'adulte.
Oui, il y a une difficulté à savoir ne pas tuer la curiosité, mais se préserver un peu, et, si possible, conduire l'enfant à de l'autonomie, à l'apprentissage de l'activité solitaire de l'étude.
Cette analyse peut nous être utiles, pour notre réflexion sur les questions étincelles : et si la question était moins la question, étincelle ou étouffoir, que la question des relations entre le professeur et les élèves ? On l'a vu, toute question est rapidement étincelle... même jusqu'à la question que je prenais comme exemple pour les questions étouffoir. Car quelle heure est-il ? Midi. Oui, mais midi exactement ? Et puis, un midi légal ou un midi solaire ? Et puis, avec quelle certitude sait-on qu'il serait midi ? Et ainsi de suite. Il n'y a de question étouffoir que si l'un des deux protagonistes refuse la relation, et l'on en arrive à conclure que c'est la relation qui est à construire, avec les questions !
Une fois de plus, je suis heureux de voir un symptôme me conduire à la maladie. Le symptôme n'a pas d'autre intérêt que d'être un symptôme, et c'est à moi de m'en saisir pour arriver à mieux. Au fond, la question des études est celle-là : ne pas étudier avec désinvolture, mais, au contraire, avec l'envie d'étudier. Sans cette envie, les études sont du gaspillage de temps et d'énergie, pris à des relations de qualités.
Chérissons ces dernières.
Je le vois qui cherche des séries de questions pour conduire les élèves dans des directions qu'il souhaite, et l'on comprend que son questionnement vaut pour toutes les sciences de la nature que sont la chimie, la physique, la biologie...
Bref, la question se pose donc de savoir quelles questions poser.
Bien sûr, on peut décrire les phénomènes que l'on observe quand on fait les expériences et s'interroger sur tous les termes qui apparaissent lors de ces description : cela correspond environ à ce que j'avais proposé dans la "méthode du soliloque".
Mais je me souviens aussi avoir proposé une classification des questions en questions étouffoir et questions étincelle, les noms de ces deux types de questions étant choisis évidemment pour montrer que certaines questions sont plus fructueuse que d'autres. Des questions étouffoir : on étouffe l'intérêt. Des questions étincelles : on allume un brasier de connaissance !
Et c'est ainsi que j'ai les deux exemples suivants. Si je demande à quelqu'un l'heure qu'il est et qu'il me répond, la discussion s'arrête ; c'était là une question étouffoir. En revanche, si je fais observer que l'estomac, fait de viande, digère la viande, et si je demande alors pourquoi l'estomac ne se digère pas lui-même, alors j'ai posé une question qui ouvre la discussion, une question étincelle.
La question que je pose maintenant est de savoir comment produire de telles questions fructueuses.
Observons que les paradoxes ont un rapport avec les questions étincelles. D'ailleurs, l'exemple de l'estomac était paradoxal. Tout comme le paradoxe d'Olbers, à propos de l'obscurité du ciel nocturne. Toutefois la vie ne se réduit pas aux paradoxes, et il y a mille questions intéressantes sans être paradoxales : pourquoi le ciel est-il bleu ? Pourquoi les pommes tombent-elles, au lieu de quitter l'arbre vers le haut ?
Mon problème, avec cette question que je me pose sur les questions étincelles, c'est que je vois des questions merveilleuses partout. Par exemple, à la fin de l'été, les feuilles qui étaient vertes jaunissent ; pourquoi ? Je vois le soleil se lever chaque matin du même côté de ma maison ; pourquoi ? Et pourquoi de ce côté-là ? Je vois des trous dans les feuilles de mes plantes ; pourquoi ?
On a compris que les phénomènes naturels sont une source inépuisable de questions, qui, toutes, peuvent me conduire vers les études scientifiques. Bien sûr, on peut discuter de savoir si la science est dans le pourquoi ou dans le comment, mais c'est là une subtilité qui m'intéresse moins que d'observer l'enfant interagir avec l'adulte, à ce jeu des questions qui s'enchaînent à l'infini: "Et pourquoi... Et pourquoi... Et pourquoi...". Ici, l'art de l'adulte consiste à aider l'enfant à se lancer lui-même dans des explorations... ce qui est difficile, car précisément, la question n'est pas le pourquoi, mais l'interaction avec l'adulte.
Oui, il y a une difficulté à savoir ne pas tuer la curiosité, mais se préserver un peu, et, si possible, conduire l'enfant à de l'autonomie, à l'apprentissage de l'activité solitaire de l'étude.
Cette analyse peut nous être utiles, pour notre réflexion sur les questions étincelles : et si la question était moins la question, étincelle ou étouffoir, que la question des relations entre le professeur et les élèves ? On l'a vu, toute question est rapidement étincelle... même jusqu'à la question que je prenais comme exemple pour les questions étouffoir. Car quelle heure est-il ? Midi. Oui, mais midi exactement ? Et puis, un midi légal ou un midi solaire ? Et puis, avec quelle certitude sait-on qu'il serait midi ? Et ainsi de suite. Il n'y a de question étouffoir que si l'un des deux protagonistes refuse la relation, et l'on en arrive à conclure que c'est la relation qui est à construire, avec les questions !
Une fois de plus, je suis heureux de voir un symptôme me conduire à la maladie. Le symptôme n'a pas d'autre intérêt que d'être un symptôme, et c'est à moi de m'en saisir pour arriver à mieux. Au fond, la question des études est celle-là : ne pas étudier avec désinvolture, mais, au contraire, avec l'envie d'étudier. Sans cette envie, les études sont du gaspillage de temps et d'énergie, pris à des relations de qualités.
Chérissons ces dernières.
lundi 16 septembre 2019
A propos de pommes dauphine
A propos de pommes dauphine
Ce matin, je reçois la question suivante :
Mon entreprise produit des pommes dauphines et la mission qui m’a été donnée est en partie de comprendre le rôle de chacun des ingrédients et les mécanismes chimiques de la pâte à choux.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt une partie de vos écrits, notamment sur le soufflé, qui m’ont bien aidé à comprendre le rôle de la vapeur d’eau dans le gonflement des choux. Cependant, j’ai encore du mal à saisir ce qu’il se passe chimiquement lors de la fabrication du roux puis de l’incorporation des œufs dans la pâte : y a-t-il une dextrinisation de l’amidon ? Y a-t-il la formation d’un gel ? D’une émulsion ?
J'ai répondu que soit l'entreprise payait le laboratoire pour disposer spécifiquement d'une expertise, soit je donnais publiquement la réponse à la question... ce que je fais maintenant.
Commençons par les "pommes dauphine" : dans notre Glossaire des métiers du goût (http://www2.agroparistech.fr/Glossaire-Lettre-P.html), je vois la définition suivante, tirée de ce merveilleux dictionnaire (public, gratuit, en ligne) qu'est le Trésor de la langue française informatisé : "Appareil de pommes duchesse (...) mêlé de pâte à chou et façonné en boules, que l'on cuit à grande friture".
Quant au Guide culinaire, il indique, pour des pommes de terre à la dauphine, que "l'appareil de croquettes de pommes de terre est additionné, au kilo, de 300 grammes de pâte à choux commune et ferme, sans sucre. Forme bouchon du poids de 50 grammes, et panage à l'anglaise".
Les croquettes, elles, sont obtenues ainsi : "Pommes pelées, coupées en quartiers, cuites vivement à l'eau salée, et tenues un peu fermes. Egoutter, sécher à l'entrée du four, et passer au tamis. Dessécher la purée avec 100 grammes de beurre, assaisonner et ajouter, hors du feu, 1 oeuf entier et 4 jaunes au kilo de purée. Forme facultative, soit bouchon, poire, abricot, etc. – Paner à l'anglaise, et plonger à friture chaude au moment."
Cela étant, on sait que je ne fais que très peu confiance au Guide culinaire, qui est plein d'erreurs, et je préfère utiliser plus ancien, tel Urbain Dubois (L'école des cuisinières) :
870. Pommes de terre à la Dauphine. — Préparez une purée de pommes de terre, déposez-la dans une casserole, assaisonnez avec sel, muscade et une pointe de sucre, incorporez-lui peu à peu, le tiers de son volume de pâte à chou finie, mais non sucrée ; prenez alors l'appareil par parties de la grosseur d'un petit œuf; roulez-les sur la table farinée, en leur donnant la forme méplate ou en bouchon, plongez-les dans la friture chaude; quand elles sont de belle couleur, égouttez-les sur un linge, et dressez.
Cette fois-ci, nous y sommes : de la pomme de terre cuite et écrasée, et la pâte à choux, laquelle s'obtient par cuisson d'eau ou de lait, de farine et de beurre, puis ajout d'oeuf entier.
Sans attendre, j'observe que l'on obtient un système "pâteux", ce que les physico-chimistes nomment une "suspension", avec une phase continue aqueuse, dans laquelle sont dispersés des cellules de pommes de terre, de l'amidon empesé, qui laisse d'ailleurs passer une partie de son amylose en solution, et de la matière grasse (qui est émulsionnée si elle est chaude, parce que, alors, elle est liquide).
Trempé dans de l'oeuf battu, puis frite, cette pâte s'entoure d'une croûte croustillante parce que sèche (selon un des "commandements" donnés dans mon livre Mon histoire de cuisine, éditions Belin).
Evidemment, lors de la friture, la chaleur entre dans les pommes à la dauphine, et l'oeuf coagule, contribuant à la fermeté de l'ensemble. Mais, de surcroît, la chaleur évapore de l'eau, et la vapeur formée peut faire souffler la préparation.
Finalement, on obtient donc la croûte, autour d'une pâte prise, avec des bulles de gaz, des gouttelettes de matière grasse, des cellules de pommes de terre dont l'amidon interne est empesé (l'intérieur de chaque cellule est fait d'un "gel" d'amylopectine, avec l'amylose en solution dans l'eau du gel), et une dispersion de gels d'amylopectine, l'amylose provenant de l'amidon de la farine étant dissous dans la phase aqueuse totale.
Au refroidissement, tout cela va durcir pour de nombreuses raisons, notamment parce que la matière grasse va figer (se solidifier), mais aussi parce qu'il y aura le phénomène de "rétrogradation"... mais cela est une autre histoire.
Ce matin, je reçois la question suivante :
Mon entreprise produit des pommes dauphines et la mission qui m’a été donnée est en partie de comprendre le rôle de chacun des ingrédients et les mécanismes chimiques de la pâte à choux.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt une partie de vos écrits, notamment sur le soufflé, qui m’ont bien aidé à comprendre le rôle de la vapeur d’eau dans le gonflement des choux. Cependant, j’ai encore du mal à saisir ce qu’il se passe chimiquement lors de la fabrication du roux puis de l’incorporation des œufs dans la pâte : y a-t-il une dextrinisation de l’amidon ? Y a-t-il la formation d’un gel ? D’une émulsion ?
J'ai répondu que soit l'entreprise payait le laboratoire pour disposer spécifiquement d'une expertise, soit je donnais publiquement la réponse à la question... ce que je fais maintenant.
Commençons par les "pommes dauphine" : dans notre Glossaire des métiers du goût (http://www2.agroparistech.fr/Glossaire-Lettre-P.html), je vois la définition suivante, tirée de ce merveilleux dictionnaire (public, gratuit, en ligne) qu'est le Trésor de la langue française informatisé : "Appareil de pommes duchesse (...) mêlé de pâte à chou et façonné en boules, que l'on cuit à grande friture".
Quant au Guide culinaire, il indique, pour des pommes de terre à la dauphine, que "l'appareil de croquettes de pommes de terre est additionné, au kilo, de 300 grammes de pâte à choux commune et ferme, sans sucre. Forme bouchon du poids de 50 grammes, et panage à l'anglaise".
Les croquettes, elles, sont obtenues ainsi : "Pommes pelées, coupées en quartiers, cuites vivement à l'eau salée, et tenues un peu fermes. Egoutter, sécher à l'entrée du four, et passer au tamis. Dessécher la purée avec 100 grammes de beurre, assaisonner et ajouter, hors du feu, 1 oeuf entier et 4 jaunes au kilo de purée. Forme facultative, soit bouchon, poire, abricot, etc. – Paner à l'anglaise, et plonger à friture chaude au moment."
Cela étant, on sait que je ne fais que très peu confiance au Guide culinaire, qui est plein d'erreurs, et je préfère utiliser plus ancien, tel Urbain Dubois (L'école des cuisinières) :
870. Pommes de terre à la Dauphine. — Préparez une purée de pommes de terre, déposez-la dans une casserole, assaisonnez avec sel, muscade et une pointe de sucre, incorporez-lui peu à peu, le tiers de son volume de pâte à chou finie, mais non sucrée ; prenez alors l'appareil par parties de la grosseur d'un petit œuf; roulez-les sur la table farinée, en leur donnant la forme méplate ou en bouchon, plongez-les dans la friture chaude; quand elles sont de belle couleur, égouttez-les sur un linge, et dressez.
Cette fois-ci, nous y sommes : de la pomme de terre cuite et écrasée, et la pâte à choux, laquelle s'obtient par cuisson d'eau ou de lait, de farine et de beurre, puis ajout d'oeuf entier.
Sans attendre, j'observe que l'on obtient un système "pâteux", ce que les physico-chimistes nomment une "suspension", avec une phase continue aqueuse, dans laquelle sont dispersés des cellules de pommes de terre, de l'amidon empesé, qui laisse d'ailleurs passer une partie de son amylose en solution, et de la matière grasse (qui est émulsionnée si elle est chaude, parce que, alors, elle est liquide).
Trempé dans de l'oeuf battu, puis frite, cette pâte s'entoure d'une croûte croustillante parce que sèche (selon un des "commandements" donnés dans mon livre Mon histoire de cuisine, éditions Belin).
Evidemment, lors de la friture, la chaleur entre dans les pommes à la dauphine, et l'oeuf coagule, contribuant à la fermeté de l'ensemble. Mais, de surcroît, la chaleur évapore de l'eau, et la vapeur formée peut faire souffler la préparation.
Finalement, on obtient donc la croûte, autour d'une pâte prise, avec des bulles de gaz, des gouttelettes de matière grasse, des cellules de pommes de terre dont l'amidon interne est empesé (l'intérieur de chaque cellule est fait d'un "gel" d'amylopectine, avec l'amylose en solution dans l'eau du gel), et une dispersion de gels d'amylopectine, l'amylose provenant de l'amidon de la farine étant dissous dans la phase aqueuse totale.
Au refroidissement, tout cela va durcir pour de nombreuses raisons, notamment parce que la matière grasse va figer (se solidifier), mais aussi parce qu'il y aura le phénomène de "rétrogradation"... mais cela est une autre histoire.
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