vendredi 8 décembre 2017

Ces prétendus "zéro résidu" (je suis presque tombé du côté obscur de l'humeur !)

On sait que je me suis bien promis d'être positif, parfaitement positif... mais là, je tombe sur un os : un ami me signale que certains industriels de la filière malhonnêtes indiquent, sur leurs produits : "engagement zéro résidu" ou "zéro résidu de pesticide". Certains annoncent à grand renfort de mots de plus  de trois syllabes, parlant d'écoserres, de chromatographie en phase liquide haute performance, que sais-je ?
En réalité, aucune méthode d'analyse n'est à même de montrer qu'il y n'y a pas la présence de certaines molécules dans un échantillon. Que ce soit "contrôlé par un organisme indépendant" ou pas. Et, d'ailleurs, des méthodes suffisamment sensibles permettent de trouver des molécules de n'importe quelque composé dans n'importe quel échantillon !

Un calcul d'ordre de grandeur fixera les idées. Dans un paquet de pâtes (au hasard ;-)), il y a environ 500 grammes de produit. Supposons que la "masse molaire" des molécules présente soit de 500, cela ferait une "mole" de molécules, soit un nombre de l'ordre du million de milliards de milliards.
Or les méthodes d'analyse les plus modernes ne permettent que de connaître le million de million : on calcule que les méthodes d'analyses sont mille milliards de fois insuffisantes pour assurer qu'il n'y a pas de "résidu".
D'autre part, "résidus", ou "résidus de pesticides" : mais, au fait, cela n'a aucune gravité qu'il y ait des résidus de pesticides... Alors pourquoi mentir  ?
Enfin j'ai cherché sur les sites des services de l'état, et je n'ai pas trouvé qu'une telle indication soit reconnue réglementairement. Bref, je ne serais pas fier de travailler dans ces sociétés dont la communication est minable, déloyale, et -il me semble- mal.

Mais là, on voit que je suis du mauvais côté de l'humeur, alors que je m'étais bien promis de rester toujours du bon coté. Comment faire ? En réalité, je me réjouis beaucoup que nos affreux m'aient donné l'occasion d'expliquer que, dans tout échantillon "habituel", il y a des molécules en nombre si important que cela défie l'entendement. C'est là un des grands bonheurs de la chimie.
Vive la chimie !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Ce que mes amis me demandent

Comment puis-je contribuer au bonheur de mes amis ?

J'ai assez dit qu'un visage souriant est une politesse, car, de même qu'un baillement est contagieux, le sourire réconforte. Mais ce qui est physique a sa contrepartie intellectuelle : l'enthousiasme, expression d'émerveillements, est une façon de donner du bonheur, ce que dit d'ailleurs la formule "L'enthousiasme est une maladie qui se gagne". Ne parlais-je pas de contagion ?
 Oui, le ciel est bleu, il est toujours bleu ; les nouvelles sont roses, toujours roses, et notre effort de politesse consiste à transformer le quotidien banal en une série d'émerveillements partagés.
Cela n'est pas très difficile  : ne suffit-il pas d'en avoir le réflexe ? Et puis, nous pouvons mettre devant nos yeux un "D'un petit mal un grand bien"... qui nous aidera à chercher systématiquement le grand bien. Ou bien ce "A quelque chose malheur est bon", que je m'aperçois n'avoir pas assez utilisé. Je vais  m'y employer !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Le bonheur du numérique, pour les publications scientifiques

Il était une fois des scientifiques qui voulaient partager leur émerveillement du monde avec des amis capables de recevoir ce sentiment de pur bonheur de l'abstraction. Ils leur écrivaient de longues lettres.

Mais quand ils avaient plusieurs amis, ils devaient recopier leurs lettres. Certes, on peut toujours changer à mesure que l'on copie, et produire du nouveau, affiner sa pensée, mais quand même, il apparut un besoin, de duplication.

L'imprimerie ayant été inventée, les scientifiques voulurent imprimer leurs textes, et ils recoururent à des imprimeurs, lesquels étaient plus ou moins éditeurs simultanément.

Puis des éditeurs comprirent qu'ils pouvaient gagner de l'argent en rendant le service de composer des recueils de publications, qu'ils vendaient aux institutions, bibliothèques universitaires, par exemple. Là, les auteurs consentirent à ne plus payer, en échange de la cession de leurs droits d'auteurs.

Puis apparut le numérique : cette fois, plus de papier, plus d'impression, et l'on n'a plus besoin des éditeurs, puisque le travail d'édition (du secrétariat, en réalité) pouvait être fait par les institutions scientifiques, tandis que, de toute façon, le travail d'édition (évaluation, échanges avec les auteurs) était fait par les "pairs", gratuitement.

C'est le modèle des revues "open" et "free", telles nos Notes Académiques de l'Académie d'Agriculture de France (N3AF).
L'indexation ? Elle se fait très bien, sans difficulté.

Publions dans les N3AF, ou toute autre revue du même type !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les "Matériels et méthodes"

La question des "Matériels et méthodes", dans les articles scientifiques,  a été discutée ici il y a quelque temps. J'ai essayé de montrer que cette structure des publications scientifiques modernes de chimie était essentielle, merveilleuse, remarquable...

Mais si elle est utile, elle ne doit pas être systématique. Evidemment, quand les caractéristiques de l'expérience se fondent dans le travail scientifique lui-même, notamment dans l'analyse de la question posée (l'introduction de l'article, par exemple), alors la section "Matériels et méthodes" risque de n'être plus réduite qu'à peau de chagrin, et alors, pourquoi la faire figurer?

Inversement, elle peut guider le scientifique. J'en tiens pour preuve l'exemple d'une thèse où, récemment membre du jury, j'ai dépisté des insuffisances parce que les indications données étaient insuffisantes.

Autrement dit, la question des "Matériels et méthodes", c'est surtout une question de soin, d'application, de travail. Et, qu'on la mette ou non, il faut maintenir l'idée : la section "Matériels et méthodes" est une merveilleuse invention, parce qu'elle est un de ces outils intellectuels supplémentaires que nos prédécesseurs nous ont forgés. A nous de le rendre encore meilleur!

Des questions d'application

Cela devient une antienne... mais on progresse.

Ce matin, je reçois des questions :


L'application des théories de gastronomie moléculaire en cuisine moléculaire nécessite souvent l'utilisation d’ustensiles peu communs en cuisine traditionnelle. Existe-il des techniques ne nécessitant que peu de matériel spécifique ?
Comment élaborez-vous ces nouvelles techniques ?
Commence t-il à y avoir des spécialisations dans le domaine ?
Dans quel autre domaine, que la cuisine ou le textile, la science pourrait-elle, selon vous, s’initier ?
Quel est l’impact de la gastronomie moléculaire au niveau international ?
Quel avenir prévoyez-vous pour la gastronomie moléculaire ?

Première observation : il y a lieu de se réjouir, parce que nous observons que nos correspondants font bien la différence entre la gastronomie moléculaire (gastronomie moléculaire = science) et les applications (cuisine moléculaire = cuisine).

Ensuite, oui, il est vrai que la cuisine moléculaire fait usage d'outils particuliers... parce que c'est bien cela, la définition de la cuisine moléculaire : " l'utilisation de nouveaux ingrédients, de nouveaux outils, de nouvelles méthodes".


Cela étant, des recettes comme le "chocolat chantilly", et bien d'autres, ne font pas usage d'outils ni d'ingrédient spécifiques. Voir par exemple, les "fiches recettes" sur mon site, ou les recettes de Pierre Gagnaire, dans la partie "Art et science".

Répondons maintenant aux autres questions :

Comment élaborez-vous ces nouvelles techniques ?
Je ne suis pas certain de bien comprendre : j'élaborerais des "techniques"? Non, je propose des utilisations de techniques variées. A part la question du "pianocktail, j'élabore peu de techniques.
En revanche, oui, je propose des tas de nouvelles méthodes, fondées sur l'utilisation des connaissances produites par les travaux scientifiques. La réponse de "technologie générale" fait l'objet de mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique... culinaires : quelles relations?", Editions Quae/Belin.

Commence t-il à y avoir des spécialisations dans le domaine ?
Dans quel domaine?

Dans quel autre domaine, que la cuisine ou le textile, la science pourrait-elle, selon vous, s’initier ?
S'initier? Je suppose que l'on voulait dire "s'immiscer", ce qui signifie "se glisser, un peu insidieusement d'ailleurs" (connotation). Cela dit, la science n'est pas "dans" les domaines techniques ; elle en part, pour explorer le monde. Et il faut redire que la chimie, notamment, s'est déjà bien dégagée des "arts chimiques" que sont la fabrication de métaux, de médicaments, de textiles, de cosmétiques. Tout cela figure en détails soit dans mon article récents des Accounts of Chemical Research, sur mon site "Travaux de Hervé This", soit dans mon livre "La sagesse du chimiste", Editions L'oeil 9.

Quel est l’impact de la gastronomie moléculaire au niveau international ?
De plus en plus de groupes scientifiques se créent dans le monde, avec des séminaires, des conférences, etc. Il y a même un réseau des groupes des divers pays... et j'ai proposé de la "gastronomie moléculaire comparative", pour bientôt.

Quel avenir prévoyez-vous pour la gastronomie moléculaire ?
Elle se développera, comme les autres sciences, à l'infini (puisque la science n'a pas de fin, comme je l'écris dans mon Cours de gastronomie moléculaire n°1.


Vive la gourmandise éclairée!

La formule de la béarnaise

Comment résister à vous transmettre cette citation terrible, tirée de La gaye science du foyer, par Soeur delage, Librairie d'éducation nationale, Paris, 1931.Page 51 :

« Rien n'interdit de penser que ce qui est meilleur au goût est également d'une valeur physiologique supérieure »


Hélas, mille fois hélas, cette idée formidable (en français, le mot "formidable" signifie en réalité "qui fait peur") à anéanti l'Empire romain : à l'époque, on édulcorait les vins avec des sels de plomb... mais je rappelle l'intoxication au plomb, ou "saturnisme", induit des troubles qui, selon leur gravité et le moment de l'intoxication, seront réversibles (anémie, troubles digestifs…) ou irréversibles (atteinte du système nerveux, encéphalopathie,…)

Le saturnisme est une maladie qui peut affecter tous les mammifères et les oiseaux (par exemple, les canards qui vivent dans des lacs dont les abords sont très fréquentés par les chasseurs). Chez l'homme, la quantité maximale tolérée est en France de 50 µg de plomb par litre de sang.
Une partie du plomb absorbé par ingestion ou inhalation est excrété, mais le reste s'accumule relativement durablement dans l'organisme, essentiellement dans les os ; 80 à 95 % du plomb absorbé se fixe dans les os en s'y substituant au calcium. Dans l'os, le plomb a une demi-vie moyenne de 20 à 25 ans. Il est aussi stocké dans le foie, le rein, le cerveau... où il cause des effets graves et irréversibles sur l'organisme, dont retard mental chez l'enfant, hypertension, troubles neuromoteurs voire paralysie, stérilité, cancer et mort.

Faut-il vraiment croire à nos sens? D'ailleurs, je ne peux m'empêcher ici de rapporter une discussion avec une personne croyante, qui soutenait que tout ce que Dieu avait donné était bon, et que c'était l'être humain qui avait tout perverti. Et la cigüe? Et le lion? Et la peste?

Décidément, l'ignorance fait du mal, et la croyance, hélas largement répandue aujourd'hui, dans uen prétendue Bonne Nature n'est qu'une ignorance dangereuse. Ne devrait-on pas réintroduire quelques données sur les risques des produits "naturels", dans l'enseignement culinaire?

Ne nous fions pas à notre goût

Comment résister à vous transmettre cette citation terrible, tirée de La gaye science du foyer, par Soeur delage, Librairie d'éducation nationale, Paris, 1931.Page 51 :

« Rien n'interdit de penser que ce qui est meilleur au goût est également d'une valeur physiologique supérieure »


Hélas, mille fois hélas, cette idée formidable (en français, le mot "formidable" signifie en réalité "qui fait peur") à anéanti l'Empire romain : à l'époque, on édulcorait les vins avec des sels de plomb... mais je rappelle l'intoxication au plomb, ou "saturnisme", induit des troubles qui, selon leur gravité et le moment de l'intoxication, seront réversibles (anémie, troubles digestifs…) ou irréversibles (atteinte du système nerveux, encéphalopathie,…)

Le saturnisme est une maladie qui peut affecter tous les mammifères et les oiseaux (par exemple, les canards qui vivent dans des lacs dont les abords sont très fréquentés par les chasseurs). Chez l'homme, la quantité maximale tolérée est en France de 50 µg de plomb par litre de sang.
Une partie du plomb absorbé par ingestion ou inhalation est excrété, mais le reste s'accumule relativement durablement dans l'organisme, essentiellement dans les os ; 80 à 95 % du plomb absorbé se fixe dans les os en s'y substituant au calcium. Dans l'os, le plomb a une demi-vie moyenne de 20 à 25 ans. Il est aussi stocké dans le foie, le rein, le cerveau... où il cause des effets graves et irréversibles sur l'organisme, dont retard mental chez l'enfant, hypertension, troubles neuromoteurs voire paralysie, stérilité, cancer et mort.

Faut-il vraiment croire à nos sens? D'ailleurs, je ne peux m'empêcher ici de rapporter une discussion avec une personne croyante, qui soutenait que tout ce que Dieu avait donné était bon, et que c'était l'être humain qui avait tout perverti. Et la cigüe? Et le lion? Et la peste?

Décidément, l'ignorance fait du mal, et la croyance, hélas largement répandue aujourd'hui, dans uen prétendue Bonne Nature n'est qu'une ignorance dangereuse. Ne devrait-on pas réintroduire quelques données sur les risques des produits "naturels", dans l'enseignement culinaire?