Venu par internet:
A votre avis, quand la cuisine
note à note sera-t-elle mise en place dans notre alimentation de la vie
quotidienne ? Sera-t-elle accessible à tous?
Ma réponse :
Quand
la cuisine note à note sera-telle partout ? J'espère le plus vite
possible, mais je peux aussi être raisonnable, et faire les observations
suivantes :
-
j'ai commencé à utiliser des ustensiles de laboratoire pour faire la
cuisine en 1980, et c'est à partir de 1985 que j'ai commencé à évoquer
cette idée en public, ce qui correspondait à ce que j'ai nommé plus tard
(en 1999) la "cuisine moléculaire"
- c'est en 1994 qu'un chef étoilé a commencé à dire qu'il faisait cette cuisine moléculaire
-
et aujourd'hui, les basses températures sont partout, et les siphons se
vendent dans les supermarchés les plus populaires, tandis que des
gélifiants "nouveaux" sont présents partout (en France)
Il a donc fallu environ 35 ans pour une belle évolution. Supposons que ce soit pareil pour la cuisine note à note, et :
- sachant que je l'ai proposée confidentiellement en 1994
- sachant que je l'ai nommée en 1997
- sachant que j'ai commencé à la montrer en public après 2002
- sachant que Pierre Gagnaire a été le premier à la servir dans un restaurant en 2009
je prévois qu'il faudra encore environ 20 ans. Donc 2035.
Sera-t-elle accessible à tous ? Je vais tout faire pour... puisque c'est l'objectif !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 1 décembre 2017
Qu'est-ce que la "science des aliments" ?
Une jeune collègue vient me voir... et la discussion (amicale) me
montre qu'elle confond science et technologie... au point qu'elle ne
comprend même pas qu'il puisse y avoir une différence.
Elle m'argumente l'expression "science des aliments", mais n'a pas questionné l'expression. Car qu'est-ce que la "science des aliments" ? On se souviendra toujours, dans une telle discussion, qu'il y a une confusion possible entre le mot "science", au sens de "savoir" ou de "recherche de connaissances", le mot "connaissances" étant pris dans toute sa généralité, et le mot "science" au sens de "science de la nature", laquelle cherche les mécanismes des phénomènes, procédant par identification des phénomènes, quantification, productions de lois synthétiques, recherche inductive de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois et réfutation des théories produites.
Qu'est-ce qu'une "science des aliments", dans la seconde acception du mot "science" ? C'est manifestement autre chose que la production d'aliments, ce qui, du point de vue technique, est proche de la cuisine, et ce qui, du point de vue technologique, est une technologie, et pas de la science !
Autrement dit, la science de l'aliment, au sens des sciences de la nature, est une activité qui cherche les mécanismes des phénomènes qui ont lieux quand on construit les aliments, quand on les consomme, quand on les caractérise, quand on les recycle, que sais-je ? Mais, dans cette acception du mot "science", il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de la technologie, puisque cette activité diffère des sciences de la nature par ses objectifs et ses méthodes.
Bref, ma jeune collègue n'a pas assez précisément identifié ses objectifs, ni ses moyens. Je ne répéterai jamais assez que que le "de quoi s'agit-il ?" de Henri Cartier-Bresson était essentiel, quelle que soit l'activité !
Elle m'argumente l'expression "science des aliments", mais n'a pas questionné l'expression. Car qu'est-ce que la "science des aliments" ? On se souviendra toujours, dans une telle discussion, qu'il y a une confusion possible entre le mot "science", au sens de "savoir" ou de "recherche de connaissances", le mot "connaissances" étant pris dans toute sa généralité, et le mot "science" au sens de "science de la nature", laquelle cherche les mécanismes des phénomènes, procédant par identification des phénomènes, quantification, productions de lois synthétiques, recherche inductive de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois et réfutation des théories produites.
Qu'est-ce qu'une "science des aliments", dans la seconde acception du mot "science" ? C'est manifestement autre chose que la production d'aliments, ce qui, du point de vue technique, est proche de la cuisine, et ce qui, du point de vue technologique, est une technologie, et pas de la science !
Autrement dit, la science de l'aliment, au sens des sciences de la nature, est une activité qui cherche les mécanismes des phénomènes qui ont lieux quand on construit les aliments, quand on les consomme, quand on les caractérise, quand on les recycle, que sais-je ? Mais, dans cette acception du mot "science", il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de la technologie, puisque cette activité diffère des sciences de la nature par ses objectifs et ses méthodes.
Bref, ma jeune collègue n'a pas assez précisément identifié ses objectifs, ni ses moyens. Je ne répéterai jamais assez que que le "de quoi s'agit-il ?" de Henri Cartier-Bresson était essentiel, quelle que soit l'activité !
Reproduire la nature avec la cuisine note à note ? Non !
Un "craintif" qui venait de découvrir la cuisine note à note me demandait "A quoi cela sert-il de reproduire des carottes" ?
Il faisait référence à une série de deux diapositifs que j'avais projetées, et que voici :
Le discours qui leur correspond est le suivant. D'abord, je dis qu'une carotte (mais cela est vrai de n'importe quel ingrédient culinaire classique) est composée d'un grand nombre de molécules, appartenant à un certain nombre de catégories (que l'on nomme des "composés") : eau, cellulose, pectine, sucres, acides aminés... Dans la racine de carotte, ces molécules se sont disposées les unes par rapport aux autres d'une certaine façon, qui fait apparaître une carotte.
Mais si l'on dispose de ces composés séparément, on peut aussi les organiser différemment, et faire un objet bien différent d'une carotte. Tout aussi comestible, mais bien différent : et c'est la seconde image.
Notre "craintif" en a conclu que l'on voulait reproduire une carotte. Comment a-t-il tiré cette conclusion qui n'est pas la mienne ? Je ne sais pas... mais j'ai essayé évidemment de lui expliquer que, si l'on peut effectivement refaire une carotte, cela n'a guère d'intérêt, et il vaut mieux aller explorer des organisations différentes, pour produire des aliments nouveaux !
D'ailleurs, j'ai essayé de lui expliquer que la reproduction est toujours critiquée : la photocopie de la Joconde ne sera pas la Joconde. Et même si l'on faisait "mieux" -par exemple avec un vernis qui ne soit pas craquelé-, on reprocherait à la copie... d'être une copie.
Oui, décidément, la cuisine note à note a mieux à faire que reproduire les carottes, les viandes, ou les vins (facile, dans ce dernier cas). Il y a l'enjeu de produire des mets nouveaux, et cela est passionnant.
Que conclure, à propos de notre "craintif ? Je suis hésitant. D'abord, l'expérience me montre que, de même que l'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, on ne parvient pas à rassurer des gens qui ont peur. Alors faut-il perdre son temps à essayer ? Je suis preneur de vos conseils...
L'agar-agar et le gibbs... ou plutôt le liebig
Ce matin, une question :
"Est-il correct d'introduire de l'agar-agar en poudre dans un gibbs? Est-ce correct pour de la cuisine Note a Note?"
Commençons par le commencement : le gibbs. C'est une émulsion gélifiée chimiquement, que l'on obtient, par exemple, par coagulation des protéines qui servent de tensioactifs dans une émulsion. En pratique, on l'obtient de deux façons :
- cuisine classique : on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf ; puis on donne du goût à l'émulsion obtenue (couleur, saveur, odeur...) avant de passer au four à micro-ondes
- cuisine note à note : c'est la même chose, mais au lieu d'utiliser du blanc d'oeuf, on utilise de l'eau et des protéines ; et les composés utilisés pour donner du goût doivent être purs.
L'agar-agar, dans cette affaire ? C'est un gélifiant physique, et non chimique, de sorte qu'il conduirait à un système différent, que j'ai nommé "liebig", et dont voici une recette : on dissout de la gélatine dans de l'eau, puis on émulsionne de l'huile ; le refroidissement fait prendre en gel.
Autrement dit, si l'agar-agar est effectivement un composé pur, utilisable pour la cuisine note à note, il est mieux approprié pour faire un liebig que pour faire un gibbs.
"Est-il correct d'introduire de l'agar-agar en poudre dans un gibbs? Est-ce correct pour de la cuisine Note a Note?"
Commençons par le commencement : le gibbs. C'est une émulsion gélifiée chimiquement, que l'on obtient, par exemple, par coagulation des protéines qui servent de tensioactifs dans une émulsion. En pratique, on l'obtient de deux façons :
- cuisine classique : on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf ; puis on donne du goût à l'émulsion obtenue (couleur, saveur, odeur...) avant de passer au four à micro-ondes
- cuisine note à note : c'est la même chose, mais au lieu d'utiliser du blanc d'oeuf, on utilise de l'eau et des protéines ; et les composés utilisés pour donner du goût doivent être purs.
L'agar-agar, dans cette affaire ? C'est un gélifiant physique, et non chimique, de sorte qu'il conduirait à un système différent, que j'ai nommé "liebig", et dont voici une recette : on dissout de la gélatine dans de l'eau, puis on émulsionne de l'huile ; le refroidissement fait prendre en gel.
Autrement dit, si l'agar-agar est effectivement un composé pur, utilisable pour la cuisine note à note, il est mieux approprié pour faire un liebig que pour faire un gibbs.
En matière de style (scientifique, littéraire, musical...), c'est très grand honneur de posséder un chant
C’est un très grand honneur de posséder un champ,
Soit riche, soit stérile, en plaine ou bien penchant,
Une part en tout cas de l’immense nature,
Le visible sommet de cette architecture
Qui descend par degrés dans la compacte nuit
De la masse terrestre où le songe la suit.
Le bord étroit d’un champ enferme un lac de sève,
Que le maître orgueilleux entend frémir en rêve,
Et dont les flots domptés, sans jamais sourdre ailleurs,
Lancent pour lui leurs jets de verdure et de fleurs.
Un champ, avec ses plis, sa pente, est une forme,
Long ouvrage sans fin de la durée énorme,
Où des forces sans nombre en d’innombrables jours
Lentement ébauchaient et changeaient les contours
Qui se sont fixés la dans leurs métamorphoses :
Oh ! comme tout est vaste, antique et plein de choses !
Un champ résume en lui la terre avec les cieux ;
C’est la nature libre aux sucs mystérieux,
Par ses seules vertus en ses oeuvres guidée,
Et cependant par nous surprise et possédée
Dans un lien où l’homme, être éphémère et vain,
S’unit quelques instans à l’infini divin.
Charles de Pomairols
jeudi 30 novembre 2017
Le travail du mois avec mon ami Pierre Gagnaire
Chers Amis
Vous
savez que, chaque mois, je fais une proposition "technologique" à mon
ami Pierre Gagnaire, qui introduit cette nouvelle technique dans sa
cuisine : il met au point entre une et quatre recettes qui utilisent la
technique, met la recette en ligne... et l'utilise évidemment dans l'un
ou l'autre de ses restaurants.
Cela
se poursuit depuis 17 ans : n'est-ce pas la preuve que les sciences de
la nature -en l'occurrence la gastronomie moléculaire- irriguent merveilleusement la technologie, la technique et
l'art ?
Et n'est-ce pas, aussi la démonstration que la France est LE pays de l'innovation alimentaire ?
Pour ce mois, vous trouverez nos travaux sur http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/118
Vive la Gourmandise éclairée !
La question du souffle, en musique
Qui suis-je pour parler de musique ? Seulement un "enfant" qui entend ce qui se dit. Et j'ai entendu que la phrase, c'est tout... mais j'ai aussi entendu qu'il faut danser. La phrase, avec sa respiration, c'est... la phrase. Mais la danse a un rythme que la phrase n'a pas... et je comprends que l'un n'est pas l'autre.
De même, j'entends parfois que la musique est "communication", avec une rhétorique, de la grammaire (Couperin), mais j'entends aussi qu'il y a d'abord le mouvement "allant" : c'est ce que dit notamment Pedro de Alcantavar, qui propage la "méthode Alexander", à l'aide, d'ailleurs, de termes dont je récuse l'aspect métaphorique qui ratisse trop large.
Mais... Et s'il y avait des musiciens qui chantent, et d'autres qui dansent ? Et d'autres qui, évidemment, font tout autre chose. Vouloir dire au compositeur ce qu'il fait, c'est d'une "critique" assez minable, qui oublie que l'artiste échappe aux règles, en musique comme en cuisine !
De même, j'entends parfois que la musique est "communication", avec une rhétorique, de la grammaire (Couperin), mais j'entends aussi qu'il y a d'abord le mouvement "allant" : c'est ce que dit notamment Pedro de Alcantavar, qui propage la "méthode Alexander", à l'aide, d'ailleurs, de termes dont je récuse l'aspect métaphorique qui ratisse trop large.
Mais... Et s'il y avait des musiciens qui chantent, et d'autres qui dansent ? Et d'autres qui, évidemment, font tout autre chose. Vouloir dire au compositeur ce qu'il fait, c'est d'une "critique" assez minable, qui oublie que l'artiste échappe aux règles, en musique comme en cuisine !
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