mercredi 10 juin 2015

Expliquer

Une étudiante en stage au laboratoire ne parvient pas à expliquer à des lycéens ce que peut être un acide corrosif. La question, d’ailleurs, n’était pas clairement posée, et il y aurait eu lieu de bien l'entendre, car je propose de considérer qu’une question est un point de départ, et une réponse le point d'arrivée. Entre les deux, il y a tout le chemin qu’il faut faire pour que nos amis nous comprennent, mais si le point d'arrivée est mal défini, alors il sera difficile de déterminer un chemin correct pour y parvenir. D’autre part, il y a des question qui n’ont pas de sens ; par exemple, qu’est ce qu’un carré rond ? Et dans ces cas-là, il est inutile de chercher une réponse, et il vaut mieux se contenter de bien établir que la question n'a pas de sens. 

Cette problématique se retrouve dans de nombreux cas, et c'est ainsi que l'on m'interroge depuis des décennies sur la question de la  la réalisation de "pain sans gluten". Je réponds invariablement en posant la question : qu'est-ce que du pain ? Le pain français est fait de farine, d'eau, de sel et de levure. Le travail de la pâte provoque la formation d'un réseau  élastique et visqueux à la fois, que l'on a nommé "gluten" (au XVIIIe siècle), et qui est composé de protéines. Il est exact qu'une petite proportion de la population française souffre de maladie coeliaque, et ne peut pas manger de gluten. Mais les autres le peuvent parfaitement... et ces contorsions modernes à propos du gluten sont souvent des contorsions. Nos ancêtres, au  moins en France, ont tous mangé du pain, sans difficulté. 

Cela étant, il existe aussi des "pains azymes", qui sont des pains, qui ne gonflent pas, et qui, de ce fait, peuvent être faits à partir de n'importe quelle farine ou fécule, avec ou sans gluten : chataîgne, pomme de terre, riz... 

Or n'importe qui peut mélanger de l'eau, de la farine, du sel, des levures... et les pains fermenteront, mais ils ne formeront de boule que dans deux cas : 

- soit ils contiennent du gluten

- soit ils sont dans un moule...

De sorte que je ne comprends pas la question "comment faire un pain sans gluten", puisque c'est simple ! 

(mais il faut que je me surveille : je dois conserver à l'idée que ces notions ne sont pas sues de tous, et je dois donc prendre leur diffusion comme une obligation de politesse vis à vis de mes interlocuteurs ; pardon, je ne suis pas "supérieur", mais parfois oublieux). 



Bref, cherchons toujours à répondre à des questions bien posées.



Dans le cas de nos jeunes amis, la question était imprécise. Comment s’en apercevoir ? Je propose de répondre en soliloquant, soit pour les éclairer, soit pour nous éclairer  nous-mêmes, soit pour éclairer les deux parties. Pour le cas considéré, il y a le mot "acide" et le mot "corrosif". Nos jeunes amis à qui l’on essaye d’expliquer quelque chose peuvent savoir ce qu’est un acide ou bien peuvent ne pas le savoir. Je propose de faire l’hypothèse que nos amis n’ont pas les connaissances suffisantes, et ils nous détromperont en cas de besoin, mais, le plus généralement, surtout si l’exposition est claire, elle servira à assurer les connaissances de tous, ceux qui interrogent comme ceux qui répondent. Et puis, il y a aussi le fait que l'on s'adresse souvent à un public mêlé, avec des gens savent et d’autres qui ne savent pas, de sorte que c'est un entraînement nécessaire que d’apprendre à répondre à tous à la fois, sans que ceux qui savent ne s'ennuient et, sans que  ceux qui ne savent pas soient perdus. Tiens, j'allais presque oublier de citer François Arago, qui disait "La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public". 

Ici, il y a question de l'acidité,  et c'était une question difficile, même pour soi-même. Je propose donc de soliloquer devant nos amis. 



Un acide ? L'approche historique est souvent bonne pour les explications,  ce qui justifie que l'on introduise des éléments d'histoire des sciences dans l’enseignement des sciences. 

Les acides, c'était sans doute d'abord le vinaigre,  qui a une acidité, un piquant. Historiquement le piquant et l’acide ont été confondus,  puis distingués, mais l'histoire de la chimie montre que,  dès le XVIIIe siècle,  on utilisait des sirops de fleurs de violette (une solution bleue) pour reconnaître les acides, car les polyphénols extraits des fleurs dans l'eau changent de couleur selon l'acidité pour des raisons que je propose de ne pas considérer ici. Il y avait donc les corps qui teintaient le sirop de violette en rouge et d'autres  qui le teintaient en bleu, ou bien en vert parfois,  comme on le verra en trempant des framboises soit dans de la soude caustique, soit dans du vinaigre cristal.
On s'aperçoit d'ailleurs que si l'on change les framboises de la soude au vinaigre, ou du vinaigre à la soude, la couleur change réversiblement :  les polyphénols des végétaux sont de bons indicateurs colorés dont on imprégnait des papiers pour faire des "papiers pH", utilisés pour déterminer un "degré d'acidité", compris entre 0 et 14 (0 pour les très acides et 14 pour les très "basiques").
Progressivement,  quand la science de la chimie c'est développée, cette science que l'on devrait nommer de la physique chimique, on a appris à rendre les observations quantitatives, et l'on ne s’est plus contenté de changements de couleurs,  mais on a voulu mesurer des choses. Et notamment on a voulu mesurer la force des acides et on a comparé différents acides selon la quantité qu'il fallait mettre  dans un volume d'eau donné pour obtenir un changement de couleur déterminé. C'est ainsi que l'on s'est rapidement aperçu que l'acide chlorhydrique était très fort, ce qu’il signifie qu'il en fallait très peu pour obtenir un grand changement de l'acidité. Alors que l'acide acétique du vinaigre était plus faible : il en fallait beaucoup plus pour obtenir la même acidité. On a fait de même pour ce qu'on a appelé les bases, ces corps qui, comme la soude, la potasse, le carbonate de sodium et ainsi de suites peuvent neutraliser les acides et produire des basicités qui sont symétriques des acidités.
Il y a donc des acides forts ou faibles et l'on aurait pu s'interroger : faut-il rentrer dans des considérations d’"oxydo-réduction", lesquelles sont apparues bien plus tard dans l’histoire de la physique chimique ? Une réponse à ce propos aurait  été  inutile. Or rentrer dans des considérations inutiles pour un propos, c’est prendre un chemin de traverse qui ne nous mènera pas au but visé. Cela ne fait qu'égarer nos amis, sans répondre à la question. Arrêtons-nous donc là pour le moment, et considérons le mot "corrosif".
Il existe une différence entre les acides qui attaquent les métaux, et ceux qui nuisent à notre santé.
L'acide chlorhydrique est un acide fort. Il attaque les métaux même quand il est dilué... mais bu en petite quantité, S'IL EST DILUE (je dégage toute responsabilité pour les cas où des imbéciles boiraient de l'acide chlorhydrique non dilué : ce serait suicidaire), il est inoffensif (j'insiste : merci de ne pas faire l'expérience, sauf si vous êtes chimiste et si vous savez préparer des solutions diluées sans risque de  vous tromper ; et encore, en utilisant de l'acide chlorhydrique de qualité alimentaire).
L'acide chlorhydrique est fort, mais est-il corrosif ? Pour les métaux, oui ; pour nous, non.
Le vinaigre, maintenant, est principalement composé d'eau et d'un acide nommé "acide acétique". C'est ce que l'on nomme un acide "faible", mais il est hors de question de boire cet acide s'il est concentré. On en arrive donc à ce point où l’on a établi qu’il existe des acides forts et des acides faibles, et que le mot "corrosif"est ambigu. Ainsi nous avons identifié, au terme de ce soliloque, pourquoi la question était mal posée.
Que voulaient savoir nos jeunes amis ? L’analyse précédente ayant été faite devant eux ; ils ont appris qu’il existe des acides de différentes forces ; ils ont appris qu’on peut mesurer la force des acides soit par des couleurs, soit par des systèmes plus perfectionnés ;  ils ont appris que certains acides peuvent corroder les métaux ;  et ils ont appris que certaines solutions diluées d’acide, même fort, ne sont pas nuisibles à la santé. De sorte qu’ils n’ont pas perdu leurs temps.

Surtout ils ont appris que leurs question était naïve, et nous pouvons maintenant les laisser avec cette réponse, avec charge à eux de préciser leur question et également de nous donner les motifs de leur question, car pourquoi répondre à une question si l’on n'a pas une raison de le faire  ?
Du coup, pourquoi pose-t-on une question ? Parfois, c’est simplement pour augmenter le volume des "dossiers" que nous avons dans le cerveau. Parfois c’est une question de sociabilité, une manière de créer une relation, comme quand les enfants disent inlassablement "Papa, pourquoi... pourquoi... pourquoi..." Dans un tel cas, la question est essentiellement un moyen de créer une relation entre celui qui pose la question et celui qui est appelé à y repondre. Dans ce cas là, la réponse est un peu secondaire, et nos amis veulent surtout qu’on leur parle. Il est alors bon de savoir que c’est le lien social qui est essentiel, et non pas la réponse, ce qui nous permet, de ce fait, de répondre tout autrement que de façon strictement technique.
Parfois, il y a une véritable question, et l’attente d’une réponse concise. Il faudra alors s’adapter. Parfois, on veut, comme un enfant, que l’on nous raconte une histoire ; celui qui répond devra  raconter des histoires merveilleuses, un peu enchanteresses, où la force des acides et les couleurs des papiers tournesol remplaceront respectivement les princesses et la couleur de leurs robes. Je maintiens qu’il y a autant de bonheur à considérer le changement de couleur d’une framboise que d’imaginer les prouesses d’un chevalier dans un Moyen Âge fantasmatique. C’est là une question de talent, et mieux, de talent littéraire, de sorte que l’enseignant, celui qui repond aux questions des étudiants, doit être compétent pour cette capacité particulière de faire briller les yeux quand il s’agit de papier tournesol, de framboise, ou d’acide.


Impressions à propos du dernier concours de cuisine note à note

Chers amis,

voir http://www.agroparistech.fr/Impressions-a-propos-du-Troisieme.html

samedi 30 mai 2015

Comment être un bon convive ?




Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant  pour être un bon convive ? 

La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question. 



Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble. 



Etre heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive... 

A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte  que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement. 

Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun. 



Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. 

Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ? 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poème. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée ! 


Les composantes de l'apprentissage

Les composantes de l'apprentissage sur

Pas de débat possible avec les marchands de soupe !




Ce matin, un entretien radiodiffusé à propos de la place de la cuisine française. Le journaliste m'avait averti qu'il ferait l'avocat du diable, puisque c'était l'idée de l'émission. Pourquoi pas. 

En revanche, ce qui était plus intéressant, c'était d'être réuni avec un cuisinier qui venait d'écrire un livre de cuisine. On a eu droit, chaque  seconde, au fait qu'il avait écrit ceci dans son livre, et cela dans son livre... Le fait que l'on ait écrit quelque chose ne vaut  rien, du point de vue de l'argumentation, car on peut écrire n'importe quoi, sous sa signature. 

Il ne pouvait donc y avoir de débat, puisque l'objet du débat n'était pas la question de mon interlocuteur, laquelle était de faire penser qu'il faisait de la bonne cuisine, et que, en conséquence, il fallait aller dans son restaurant. 

Derrière  cette idée, tout y passait : la mauvaise qualité des produits alimentaires de l'industrie, la beauté des produits naturels, le danger des produits alimentaires transformés... avec toutes les contraditions qui vont  avec ces idées : la généralisation  de mauvaise  foi (et le sucre), pour le premier ; le fait que la cigüe soit naturelle pour le deuxième ; l'absence de preuve  (ou, plus justement, le refus de voir les faits) pour le troisième. 

Un débat avec un marchand de soupe ? Impossible. Et même s'il se dit  de bonne  foi, c'est sa soupe qu'il veut vendre. 

Evidemment, j'avais une stratégie, puisque ce n'est pas la première fois que je rencontre cette situation : j'ai proposé d'avancer, de travailler, de faire mieux que ce que nous faisons. J'ignore que les auditeurs auront retenu, mais je ne crois guère pouvoir faire mieux que de montrer de l'enthousiasme, dans ce type de circonstances. 


lundi 25 mai 2015

La cuisine créerait-elle son objet ?

"La chimie crée son objet" : la phrase est paradoxale.

On dit qu'elle est du chimiste Marcellin Berthelot... mais est-elle vraiment de lui ? Voir Marcellin Berthelot, Autopsie d'un mythe, par Jean Jacques, Belin.

L'attaque de Berthelot (d'accord, c'est facile de s'attaquer à un mort)  n'est pas gratuite : l'homme n'était pas qu'un pur esprit, mais un individu qui fit beaucoup pour se forger une image publique, et si des esprits de notre temps lui emboîtent le pas avec sa formule "La chimie crée son objet", c'est qu'il y a un argument d'autorité, qu'on doit donc attaquer dès la racine ; ayant montré que l'homme ne méritait pas l'admiration aveugle qu'on lui porte aujourd'hui, il nous sera plus facile d'accepter la réfutation de sa formule.

Berthelot, donc, avait le chic pour que l'on pense de lui que c'était le plus grand chimiste de tous les temps... mais qu'en reste-il  ? Des mesures imprécises de calorimétrie, une prétention de la chimie à dominer le monde, et le fait qu'il lutta bien maladroitement contre la théorie atomique et moléculaire, ce qui valut à la France de prendre du retard en chimie sur toutes les autres nations industrialisées.
Il était si "puissant" (ministre de l'instruction publique, ami des puissants) qu'il conduisit au  moins une génération de chimistes à s'écarteler entre une notation chimique incohérente, qu'il prônait, en parfait conservateur, et la notation "moderne", utilisée par le reste du monde.
Berthelot avait endossé l'habit du chimiste du camp laïc, et il avait utilisé cette position pour attaquer les vrais savants, Louis Pasteur, Pierre Duhem, Claude Bernard... Le chimiste d'un parti ? La politique, c'est un autre critère que la compétence en chimie ! Et, pour la littérature, par exemple, Alain Robbe-Grillet a bien montré l'inanité de la "littérature politique"  !


Reste que Marcelin Berthelot est au Panthéon, avec son épouse, puisqu'il avait su parfaitement se faire une statue de son vivant. Grand bien lui fasse.  En attendant, revenons à sa formule. La chimie créerait son objet ? Il faut d'abord se demander ce qu'est la chimie : j'ai fini par comprendre que la chimie est une activité scientifique. 

Mais quel est l'objet de la chimie ? Elucider les mécanismes des phénomènes, et non pas produire des molécules nouvelles, ce qui est une activité technique. Une activité technique utile pour atteindre l'objectif fixé, mais un moyen, pas une fin. D'autre part, la chimie comporte une branche analytique qui ne synthétise rien du tout. Et là, la chimie ne crée pas son object. Bref, la formule est un vague baratin qui s'habille avec l'argument d'autorité : tout ce que je déteste.



La cuisine ? Si l'on restait à une volonté de faire formule, au risque d'embrouiller nos amis, ne pourrait-on également dire que la cuisine crée son objet... comme toute activité technique ? Mais ce serait faire trop d'honneur à Berthelot que de le suivre sur ce chemin pourri. Je préfère proposer "Les cuisiniers créent des mets, c'est-à-dire des constructions moléculaires qui ont pour objet de s'adresser au corps (nourrir) et à l'esprit. 


dimanche 17 mai 2015

Comment apprendre


Dans un autre billet, j'ai expliqué que j'avais finalement compris que la question de l'enseignement n'était pas celle de l'enseignement, mais celle de l'apprentissage, par les étudiants. J'ai proposé de diviser la question en "quoi apprendre ?" (et pourquoi ?), et en "comment apprendre". 

Comment apprendre ? Voilà une question extraordinairement difficile, et, comme souvent, je propose de commencer par quelque chose de simple, de pratique. Un jour, un de mes fils est rentré de l'école primaire avec une récitation à apprendre. Je lui ai demandé si le professeur lui avait dit comment apprendre  cette récitation, et il m'a dit que non. J'ai donc fait un mot à ce collègue en lui disant que j'avais demandé à mon fils de ne rien apprendre, tant qu'il ne saurait pas comment faire. Après tout,  cette école-là ne me convient pas : c'est comme si, en classe d'éduction physique, on notait les élèves en fonction de leur  résultat à la course ; les enseignants ne sont pas là pour constater des capacités que les élèves ont déjà, mais pour leur apprendre à faire, en l'occurrence à courir ! Et les élèves, en conséquences, doivent  être notés sur leur apprentissage, pas sur leurs capacités. 

Pour en revenir à mon fils, l'enseignant lui dit alors qu'il fallait lire la récitation suffisamment de fois pour  finir par la retenir. Cette méthode de mémorisation est-elle bonne ? Apparemment pas, si l'on en juge d’après les Grecs ou les univesitaires du Moyen Âge et de la Renaissance, qui, pour apprendre, se composaient une maison intérieure, avec des pièces très caractéristiques où ils déposaient mentalement des notions à retenir. Apparemment pas si l'on en juge  d'après ceux qui ont passé l'internat en médecine et qui, souvent, ont d'abord structuré le savoir qu'ils voulaient retenir. A propos de mémorisation, et puisque l'enseignement ne cesse de solliciter cette capacité (vous comme moi, nous avons eu des récitations à apprendre), il faut dire qu'il existe des méthodes de mémorisation variées, de sorte que l'on attend du corps enseignant qu'il collige ces méthodes, qu'il les compare quantitativement, et qu'il transmette ensuite les plus efficaces,  au lieu que chacun dise paresseusement « C'est comme cela que je fais ». Mieux, je propose que nous commencions par recueillir ces méthodes auprès  de ceux dont le succès montre qu'ils savent les mettre en œuvre. 

Ce qui vaut  pour la méorisation vaut évidemment pour d'autre capacités. Et on aura raison de ne pas s'arrêter à la mémorisation, car la mise en œuvre de compétences n'est pas la mémorisation de connaissances.  



Se doter de compétences ? La question est également notoirement difficile, et, là encore, il y a sans doute lieu de diviser le problème. Par exemple, c'est un fait que l'on peut disposer parfaitement de la théorie du frapper dans une balle de tennis (un exemple sans intérêt, mais les gestes de laboratoire relèvent du même ordre d'idées), et ne pas parvenir aussi bien qu'un champion à l'envoyer là où on voulait. Là,  il y a donc lieu  d'effectuer un apprentissage particulier, ce que l'on nomme parfois un entraînement. Toutefois, comme pour la mémorisation, l'entraînement peut se faire de différentes façons, et au lieu d'une simple répétition, il y a sans doute lieu d'analyser,  structurer, comparer quantitativement. 

Pour l'instant, on a souvent fait l'économie de ces comparaisons, de ces analyses, et cette économie s'est faite pour de nombreuses raisons, notamment parce que les étudiants ne sont pas des cobayes et qu'ils doivent apprendre avant de servir à des analyses utiles à la collectivité. En faisant cette remarque, on ne saurait éviter de la rapprocher de la recherche clinique en médecine où la  même question se pose et où,  pourtant,  des  études sont faites en vue d'évaluer l'efficacité des médicaments. Il y a dont lieu, semble-t-il, de faire le même type de travail, avec les mêmes règles déontologiques, de consentement éclairé, d'éthique en général. Car c'est ainsi seulement que l'ensemble de la collectivité pourra bénéficier de résultats fiables, et non pas de méthodes arbitraires ou idiosyncratiques. 

Une anecdote pour  terminer : récemment une étudiante en première année médecine m’interrogeait, et, lors de la discussion, je l'interrogeais moi-même sur sa propre méthodes d' apprentissage en lui demandant si cette méthode était efficace. La jeune fille répondit que oui,  cette méthode était efficace puisque c'était celle d'une de ses amis qui était meilleurs qu'elle. Meilleure, mais combien ? Et surtout bonne ? A l'analyse, il apparut que cette amie en était à sa deuxième première année de médecine, ce qui montre que la méthode n'avait pas prouvé son efficacité. 

La vraie question : quelles méthodes les meilleurs d'entre nous mettent-ils en œuvre ?