mardi 10 janvier 2012

Journée Georges Bram


JOURNEE GEORGES BRAM-2012
11ème journée de Conférences
en Histoire des Sciences et Epistémologie
OUVERTE A TOUTE PERSONNE INTÉRESSÉE
DANS LA LIMITE DES PLACES DISPONIBLES
Validable par les EDs
(Paris-Sud et Paris Centre 388 et 406)
au titre des formations complémentaires

Vendredi 13 janvier 2012

Ecole Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm, Paris
Salle Dussane

Les conférences seront de 45 minutes, suivies d’un débat de 20 minutes.

Cette année, nous avons choisi de consacrer la journée à l’histoire de la vulgarisation. Nous accueillerons le matin trois intervenants, puis un atelier permettra de débattre sur des questions relatives à la …

Vulgarisation : histoires et perspectives…

9h30-10h15 Bernard Bodo, Professeur émérite au Museum d’Histoire Naturelle

La chimie au Jardin Royal des plantes médicinales puis au Muséum,
une histoire naturelle

10h35-10h45 Pause café

10h45-11h30 Hélène Gispert, Professeur, université Paris-Sud 11

Des revues générales de sciences dans l’entre deux guerres: quels projets éditoriaux, pour quels publics?

11h50-14h30 Pause déjeuner

14h30-15h15 Sébastien Soubiran, Ingénieur de recherche, Jardin des sciences,
université de Strasbourg

Vulgariser les sciences avec une approche historienne

15h30-17h Atelier, avec la participation de M.-O. Lafosse-Marin (ASTEP), L. Garcia (Sciences à l’école), S. Hameau (Paris VI)…

Vulgariser par l’expérience : témoignages et débat


Organisation : Clotilde Policar, département chimie de l’ENS et Hélène Gispert, université Paris-Sud 11
Pour s’y rendre : RERB, arrêt Luxembourg ou Bus 38, arrêt Auguste Comte
Renseignements : Clotilde Policar, clotilde.policar@ens.fr

dimanche 8 janvier 2012

Architecture des gouts

Un concours de cuisine affiche comme thème un titre qui comprend l'expression "architecture des goûts".

De quoi peut-il s'agir?

Je propose de voir, dans le livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" (Odile Jacob), qu'une possibilité d'interprétation consiste à considérer que le goût est une sensation qui s'inscrit dans la durée, comme le langage. Pour reprendre des termes de linguistes, on dirait qu'il y a un axe syntagmatique et un axe paradigmatique.
Autrement dit, il faut construire à chaque instant, et aux instants successifs.

A chaque instant, tout d'abord : on pourra partir de faits simples, comme le renforcement du sucré et l'affaiblissement de l'amer par le sel, ou encore le fait que de la fraise et de l'eau de fleur d'oranger engendre de la fraise des bois. Lors de la réunion des ingrédients, il s'agit de bien comprendre qui supporte l'autre, comment les goûts sont agencés, s'influencent.

Puis dans la durée : selon la construction matérielle de l'aliment, la présence de matière grasse, la structure "colloïdale" (mousse, émulsion, gel, suspension...), les divers goûts apparaissent et disparaissent à des moments variés de la dégustation.
Par exemple, une émulsion plus battue laissera mieux sentir les composés odorants, et une émulsion "grossière" fera plus sentir les composés sapides. Par exemple, la présence de matière grasse tapissera la bouche, et allongera la durée de perception des composés odorants. Par exemple, des associations moléculaires variées permettront de mieux contrôler les apparitions et disparitions de goût, comme cela était bien expliqué (je crois) dans le "Traité élémentaire de cuisine" (Belin). 

Tout cela, c'est bien la question du "constructivisme culinaire", non?

vendredi 6 janvier 2012

Je réponds à des questions concernant la cuisine note à note

-A-t-on déjà fait l'inventaire des notes-composés d'un aliment simple comme une carotte ? Peut-on le faire techniquement ?
L'inventaire des composés d'un ingrédient alimentaire classique ? Oui, c'est ce que fait sans cesse la chimie analytique, et ce que je fais au laboratoire, à propos de bouillons, et autres. Il existe ainsi un "Répertoire des aliments" (Ed Lavoisier, Tec et Doc).

- Le plaisir que j'éprouve en mangeant une carotte vient-il d'une note bien spécifique, ou d'une diversité de notes avec des déclinaisons ? Y-a-t-il eu des travaux là dessus ?
Le plaisir que l'on a en mangeant une carotte vient des interactions avec les récepteurs sensoriels :
- consistance
- température
- saveurs
- odeurs
- couleurs
- sensations trigéminales...

C'est très bien étudié, et depuis longtemps.
Cela dit, ce la vaut le coup de penser "par ordres de grandeur". Voir le livre "Explorer la cuisine", à paraître aux éditions Belin.

- La musique électronique peut créer ses propres sons (c'est mieux que quand elle essaye d'imiter des instruments). Mais peut on créer des notes de cuisine ? Cela signifierait que l'on créerait des composés qui n'ont pas encore été mangés ?
 Créer des notes en cuisine ? Très facile. Par exemple, l'éthylvanilline n'est pas présente dans les ingrédients classiques, et elle ressemble à la vanilline de la vanille, en 1000 fois plus fort.

vendredi 30 décembre 2011

Ilchimisme

On parle d'illettrisme pour désigner ceux qui ne savent pas lire ou écrire, anumérisme pour ceux qui ne savent pas calculer.

Doit-on parler d'ilchimisme pour ceux qui ignorent les rudiments de la chimie ?

Une question, une réponse

Une  question me vient ce matin  : 


"Bonjour M. This,
Vous êtes le père de la gastronomie moléculaire, qui a ensuite donné la cuisine moléculaire.
Nous souhaiterions vous demander votre avis sur l'avenir de cette cuisine moléculaire, qui semble
avoir souffert auprès du public après la polémique de 2008 concernant les additifs.
Cette cuisine a-t-elle encore de beaux jours devant elle?
Nous vous remercions et vous souhaitons une excellent année 2012."
 
 
A quoi je réponds : 
 
Merci de votre message. La gastronomie moléculaire se développera à jamais.
J'espère, d'autre part, que la cuisine moléculaire va disparaître, parce que cela signifiera que la rénovation des techniques culinaires est faite (c'était cela, l'idée de la cuisine moléculaire: nouveaux outils, nouveaux ingrédients, nouvelles méthodes).
Et le futur sera la cuisine note à note, qui, en passant, fera disparaître cette notion idiote d'additifs.

bonne année 2012.

N'ayons pas peur, et payons ce que nous devons

Intéressant commentaire reçus hier :

"Au XXe siècle, on disait qu'on mangerait des pilules en l'an 2000. Ensuite, certains ont dit qu'il fallait supprimer LE gras ou LE sucre pour lutter contre l'épidémie d'obésité. Pensez-vous qu'avec la cuisine note à note, on s'intéressera aussi au contenu des aliments et aux interactions des composés sur le plan physiologique (micro-nutrition) ? Irons-nous puiser un composé dans un aliment pour en faire quelque chose de nouveau ou optimiser son assimilation par le corps ou bien rajouterons-nous des éléments synthétiques à un produit de qualité inférieure (ex. exhausteurs de goût dans les nouilles instantanées) ?"

D'abord, il faut savoir que si l'on a dit que l'on mangerait des pilules, c'était une erreur, parce que c'est IMPOSSIBLE : avec le composé le plus énergétique (les triglycérides), il faut plus de 300 grammes pour faire une ration alimentaire quotidienne... à quoi il faudrait ajouter de l'azote, absent de ces triglycérides, et tous les autres éléments indispensables à la vie. Bref, ne cédons pas aux fantasmes.
D'ailleurs, il faut ajouter que les pilules et tablettes nutritives ont été promues par un individu que je crois avoir été malhonnête intellectuellement (voir le livre de Jean Jacques : Marcellin Berthelot, autopsie d'un mythe, Ed Belin). C'était "le chimiste du parti laïc", mais un homme ou une femme de science peut-il être vraiment d'un parti ?

Bref, nous n'aurons jamais de pilules ni de tablettes.
Pour la cuisine note à note, je ne fais pas plus de prescription diététique que le fabricant de synthétiseur de musique ne stipule qu'il faille jouer classique ou moderne !
Oui, il faut absolument explorer les graves questions nutritionnelles qui se posent à nous, mais rationnellement, méthodiquement. En ce XXIe siècle peureux, nous n'avons pas trop de science, mais, au contraire, nous en manquons cruellement !

jeudi 29 décembre 2011

La cuisine note à note


De la gastronomie moléculaire à ses applications :
la « cuisine moléculaire » (dépassée)
et la « cuisine note à note » (ne manquez pas la prochaine tendance culinaire mondiale!)

Hervé This




1. Le travail scientifique

En 1988 était officiellement créée la discipline scientifique qui a été nommée « gastronomie moléculaire » (on rappelle que le mot « gastronomie » désigne une « connaissance raisonnée », et non pas de la cuisine fine ; de la même façon, la gastronomie moléculaire ne désigne en aucun cas une façond e cuisiner !).
Son objet est : la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la production et de la consommation des aliments.


2. Une application en cuisine

A la même époque, nous introduisions la « cuisine moléculaire », dont la définition est :
« La production d'aliments (la cuisine, donc) par de « nouveaux » outils, ingrédients, méthodes ».

Dans cette définition, le terme « nouveau » désigne plus ou moins tout ce qui n'était pas dans les cuisines des cuisiniers français en 1980.
Par exemple : le siphon (pour faire des mousses), l'alginate de sodium (pour faire des perles à coeur liquide, des spaghettis de légumes, etc.) et les autres gélifiants (agar-agar, carraghénanes, etc.), l'azote liquide (pour la production de sorbets et de bien d'autres préparations), l'évaporateur rotatif, et, plus généralement, l'ensemble des matériels de laboratoire qui peuvent avoir une utilité technique ; un exemple de méthode nouvelle, enfin, la préparation du « chocolat chantilly », des beaumés, des gibbs, des nollet, des vauquelins, etc. (voir Cours de gastronomie moléculaire n°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?, Ed Quae/Belin)
Evidemment, tous ces outils, ingrédients, méthodes ne sont pas nouveau stricto sensu (bien des gélifiants « nouveaux » sont séculaires, en Asie, et utilisés par l'industrie alimentaire depuis longtemps, tandis que bien des outils sont traditionnels en chimie), mais le projet était de rénover l'activité technique culinaire.
Enfin, oui, la terminologie « cuisine moléculaire » est mal choisie, mais elle a été imposée conjoncturellement ; c'est une expression consacrée (elle est apparue dans le Robert et dans l'Encyclopedia Britannica), qui est de toute façon appelée à disparaître... en raison de la proposition suivante.

  1. La prochaine tendance culinaire : la Cuisine Note à Note

La proposition suivante, bien plus enthousiasmante, est celle de la CUISINE NOTE A NOTE.
Elle est née en 1994 (publiée dans la revue Scientific American) alors que nous nous amusions à introduire des composés définis dans des aliments : du paraéthylphénol dans des vins ou dans des whiskys, du 1-octène-3-ol dans des plats, du limonène, de l'acide tartrique, etc.
La proposition initiale était d'améliorer des aliments... mais s'est introduit tout naturellement, en prolongement de la pratique précédente, l'idée de composer des aliments entièrement à partir de composés.
Autrement dit, la cuisine note à note ne fait plus usage de mélanges traditionnels de composés alimentaires (viandes, poissons, fruits, légumes), mais seulement de composés... tout comme la musique électroacoustique ne fait pas usage de trompettes, violons, etc. mais seulement d'ondes sonores pures que l'on combine.
Le cuisinier doit donc :
  • concevoir les formes des éléments constitutifs du mets
  • concevoir leurs couleurs
  • concevoir leur saveur
  • concevoir leur odeur (ante et rétronasale)
  • concevoir l'action trigéminale
  • concevoir les consistances
  • concevoir les températures
  • concevoir la constitution nutritionnelle
  • etc.
A ce jour, la faisabilité de cette cuisine nouvelle a été démontrée par plusieurs réalisations :
  • premier plat, présenté à la presse par Pierre Gagnaire à Hong Kong, en avril 2009
  • plat présenté à des rencontres scientifiques (JSTS) franco-japonaises à Strasbourg, en mai 2010
  • repas Note à Note par les chefs de l'Ecole du Cordon bleu Paris en octobre 2010
  • repas Note à Note servi le 26 janvier 2011, en lancement de l'Année internationale de la chimie, à l'UNESCO, Paris, par l'équipe de Potel&Chabot
  • cocktail Note à Note servi en avril 2011 à 500 nouveaux étoilés du Michelin + la presse à l'Espace Cardin, Paris
  • repas Note à Note servir en octobre 2011 par l'équipe de chefs de l'Ecole du Cordon bleu Paris.
La construction de cette cuisine pose de très nombreuses questions :
  • aménagement rural
  • économique
  • sensoriel
  • technique
  • artistique
  • politique
  • nutritionnel
  • toxicologique
  • etc.
Mais :
  1. une crise de l'énergie s'annonce : il n'est pas certain que la cuisine traditionnelle (laquelle?) soit durable
  2. les Anciens sont toujours battus par les Modernes, lesquels veulent des objets de leur génération
  3. le craquage des produits de l'agriculture et de l'élevage existe déjà pour le lait et le pain ; pourquoi pas pour la carotte, la pomme, etc. ?
  4. Les objections qui sont faites contre la cuisine note à note ont été le plus souvent faites pour la musique moderne... mais toutes les radios diffusent de la musique électronique
Autrement dit, n'en serions-nous pas à l'équivalent de 1947, quand Varèse et quelques autres lançaient la musique électronique ?