lundi 3 août 2020

Des questions d'émulsions

Nous sommes bien d'accord : en cuisine, le plus souvent, une émulsion est une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans une "phase aqueuse", qui peut être du bouillon, du vin, du jaune d'oeuf additionné de vinaigre (pour la mayonnaise), de la moutarde et du vinaigre (pour la rémoulade), du jus de légumes ou de fruits, etc. Très rarement, on a l'inverse, à savoir la dispersion d'eau dans une matière grasse liquide, mais en aucun cas l'émulsion ne se confond avec la mousse, laquelle est une dispersion de bulles d'air, dans un liquide. On terminera en signalant que, pour faire la dispersion, il faut des composés "tensioactifs", dont les plus courants culinairement sont les protéines ou les phospholipides (du jaune d'oeuf), ou, ce qui  a été découvert en 1904, mais qui est très à la mode en science et technologie de l'aliment aujourd'hui, des particules variées (pour des "émulsions de Ramsden", parfois fautivement nommées "émulsion de Pickering").

Tout cela étant dit, nous pouvons maintenant examiner la question que je reçois aujourd'hui par email :

Bonjour Monsieur,
Où puis-je trouver la réponse aux questions suivantes :
1. Je fais une vinaigrette allégée en utilisant 50% d’huile, 50% d’eau, du vinaigre, du sel/poivre et une cuillère de fécule de maïs.
2. Par quel procédé physico-chimique l’émulsion est-elle réalisée ?
3. J’imagine que l’amidon de la fécule de maïs entre en jeu, mais comment ? est-ce que le sel joue également un rôle ?
Où puis-je trouver une réponse documentée à ce type de question ? Dans l’un de vos ouvrages ? blog ? Une autre source ?
Par avance, merci INFINIMENT pour votre réponse,
Bien à vous.


Dès le début de la question, je m'étonne que l'huile soit disposée en premier, car si l'on fouette un liquide dedans, on risque de ne pas faire une émulsion huile dans eau, mais plutôt eau dans huile : je suppose que mon interlocutrice a donné les ingrédients dans un ordre  qui n'était pas celui de la recette, et qu'elle  a plutôt commencé par l'eau, le vinaigre, le sel et le poivre, puis la fécule de maïs, avant d'émulsionner l'huile.

Et dans cette hypothèse, on peut imaginer que la fécule de maïs ait été ajoutée dans l'eau chauffée, de sorte qu'elle s'est empesée, ce qui a conduit à une phase aqueuse très visqueuse, où l'huile a pu être émulsionnée grâce aux divers composés tensioactifs qui trainent dans tous les ingrédients, notamment la fécule. Ou alors des particules de fécule auraient dispersé les gouttelettes ? Manifestement, il me faut des précisions sur la recette... et un microscope pour explorer ce système.

Pour la question 2, le procédé est l'agitation, qui divise l'huile en gouttelettes.

Pour la question 3, j'ai répondu plus haut, mais non, le sel ne joue probablement pas de rôle... alors que le poivre pourraient apporter des composés ou des particules utiles.

Mais j'attends des précisions sur la recette, afin de mieux analyser.

dimanche 2 août 2020

Une autre chance

1. Il y a des individus qui, quand il sont à l'école, au collège, au lycée, voire au début de l'université, ont du mal à étudier : terribles hormones de l'adolescence, milieux familiaux  parfois effroyables, fatigue due à un emploi qui s'ajoute aux études... Ces jeunes amis, qui se sont décidés pour la voie universitaire,  risquent alors de ne pas avoir accès aux formations qui leur donneraient des compétences qui ne soient pas celles d'une machine, et, s'ils n'ont pas fait le choix de métiers plus pratiques (tout à fait merveilleux : pensons à celui de cuisinier !), ils iront à l'échec.

2. J'insiste un peu : je ne dis pas que les études supérieures à l'université soient la  panacée :  il vaut mieux un bon plombier, un bon cuisinier, qu'un mauvais scientifique, qu'un mauvais ingénieur ! En revanche, je dis que si la formation que visent nos jeunes amis ne leur est pas accessible, alors nous devons collectivement un moyen de les aider. Car ces personnes ont parfois joué de malchance, et l'on comprend que c'est la moindre des humanités que de leur donner une autre chance.

3. Cela étant dit,  je ne crois pas juste de déroger à l'idée saine selon laquelle les diplômes sont des façons d'attester un niveau de connaissances et de compétences, et je suis très opposé à l'idée d'attester de connaissances et de compétences quand elles ne sont pas présentes, parce que les institutions de formation se déjugeraient, ainsi, et parce que ce serait mentir.

3. Donner une autre chance, cela ne signifie pas naïvement croire que tout le monde finit par être capable de résoudre des équations aux dérivées partielles, car les faits sont plus forts que nos idées généreuses  : pour des raisons qui restent à bien analyser et à bien comprendre, tout le monde ne parvient pas à travailler, à étudier ; tout le monde n'a pas ce goût d'être non pas au bistrot, mais à une table de travail, même quand il fait beau dehors, même quand les amis sont ensemble (on aura évidemment compris qu'il s'agit là d'une métaphore : on peut très bien travailler au bistrot... à condition de travailler et ne pas passer son temps à autre chose que l'objet d'étude).

4. Oui il faut donner une autre chance, accorder des années en plus à des personnes qui en ont besoin quand elles pourront en faire usage, les guider sur le chemin de l'étude, mais il faut aussi reconnaître que, à la fin de ces années, une évaluation est nécessaire, et que les diplômes doivent être le résultat de cette évaluation. Quand les  matières ne sont pas maîtrisées,  il faut le reconnaître sous pleine d'affaiblir la valeur des diplômes  qui, rappelons-le, sont des documents à valeur internationale. Les professeurs ou les institutions de formation doivent le courage de recaler des étudiants, bien qu'il vaille mieux s'y prendre bien plus tôt, et ne pas laisser s'engager sur une voie ceux et celles qui ne pourront pas la parcourir.

5. Et puis, quand même : pourquoi ferions-nous jouer au football des gens taillés pour l'haltérophilie, et vice versa ?  Je répète qu'un cuisinier, un électricien, un plombier, un garagiste habiles, soigneux, attentifs, efficaces dans leur métier, valent mille fois mieux qu'une personne égarée ou réfugiée en science.

6. Au fond, quelle est notre "place" ? Et pourquoi ?




samedi 1 août 2020

Nos erreurs nous font grandir


1. Dans notre groupe de recherche, nos bilans de chaque soir comportent une partie essentielle, consacrée aux "symptômes", à ce qui "a coincé".

2. Cette partie est essentielle, parce que c'est un fait d'expérience que nous répétons nos erreurs, et que, même, souvent, elles sont la partie émergée d'iceberg que nous nous cachons à nous-mêmes, des "symptômes.

3. Un "g" mal tracé et que l'on confond répétitivement avec un 9, ce qui engendre des erreurs de calcul ; l'utilisation d'un résultat de calcul que nous ne comprenons pas, de sorte que notre utilisation est fragile ; le maniement insuffisamment assuré d'un formalisme chimique, qui nous expose à des erreurs, dès que les cas considérés sont plus délicats ; un mot dont l'acception est incertaine, et qui nous fait verser dans la faute ; l'absence de méthode, dans une tâche, qui nous ralentit considérablement, l'utilisation d'un concept dont les bases ne sont pas absolument certaines...  Tout cela nous retombe dessus  : les conséquences sont à la fois délétères, et répétitives. Sans faire de psychologie, on sait bien que nos névroses sont des carcans : les obsessionnels (en alsacien, Diffalaschiassar, chieurs de rondelles) qui passent leur temps à ranger inutilement, les hystériques qui ne se maîtrisent pas, les angoisses qui nous paralysent... Tout cela nous tombe dessus, et, ce qui est pire, nous empêche de bien penser.

4. D'où l'idée de nos introspections écrites, analytiques. Nous tirons le fil que la journée nous a tendu, et nous ne nous arrêtons évidemment au constat du détail des erreurs, mais, au contraire, appliquons l' "abstraire et généraliser" des logiciens, en nous fondant de surcroît sur le faisceau des constats quotidiens.

5. Je ne dis pas que nous parvenons à nous guérir de nos pires maladies, mais, au moins en surface, notre chasse aux symptômes ne nous rend plas plus bête.

6. Et puis, souvent, les erreurs que nous faisons sont celles que font certains de nos amis. D'où un intérêt supplémentaire de partager dans le groupe de recherche nos analyses.

7. Oui, nos erreurs nous font grandir, de sorte qu'il faut les chérir, les collectionner, les partager, pour aider nos amis.




vendredi 31 juillet 2020

A "cooking scientist"? Impossible: you can be a scientist, or you can cook, but cooking is not science (of nature), and science is not cooking


1. A friendly correspondant has named himself a "cooking scientist", but this is really impossible, as I shall try to show.

2. Let's observe first that human activities are defined by their goal, and the way to reach it. When you want to make shoes, i.e. being a shoe maker, the goal is to make shoes. And if you want to make food (or rather dishes), the goal is to produce dishes. The way to being able to make shoes is to learn how to make shoes, including having ideas about leather, tools for working it, etc. The way to being able to make dishes is to learn how food ingredients behave when you cut them, when you heat them, when you emulsify, foam, grind, distillate, etc.

3. For cooking (making dishes), there is more, because, as shown in one of my books, cooking is love, art and technique.

4. Accordingly, if you want to reach the goal of "cooking", it's probably good to decide how much of art you want to reach, how much love, how much technique.
I write this because I know chefs who don't think themselves as artist, and are happy to produce technically well done food. This does not mean that these dishes are not good, but the goal is not  to transmit emotions. Indeed, one can be proud to produce well done sandwiches for hungry people having lunch on their office site.

5. Some chefs can have the goal to be artists, i.e. for them the technical question is less important than the "beauty to eat" (to make "good dishes"). Did you ever cry of emotion while eating a dish? I did it twice in my live, and this was truly wonderful.

6. And other chefs focus on the social link. But more generally, I think that chefs would be well advised to choose the proportion of the three components, in order to reach their goal.

7. And science? For sure, the results of science, rather than the scientific activity can be helpful for chefs who want to be good at technique, because technology is exactly the activity of transferring scientific results into technique.

8. But science is very different from cooking!
Because the goal of science is to look for the mechanisms of the phenomena, not producing food!

9. Science does not mean being rigourous, as it is too often confused, in particular because Escoffier popularized the error.

10. By the way, the "way" of science, leading to its goal is to:
- identify phenomena
- characterize them quantitatively (measure everything)
- group the data into equations called "laws" (by fitting)
- induce a theory, introducing new concepts quantitatively compatible with the laws
- look for testable consequences of the theory
- test experimentally these consequences, trying to refute the theory
- and so on, back to the phenomena.

11. As we can see in 10, there is no room for cooking in sciences of nature. Sciences of nature are not producing food, but new knowledge.

12. For sure, one can like (or love) cooking AND science, but when one want to be very good in something, is it possible to have two activities?

13. So, finally, our friendly correspondant can change: he can be a scientist interested in cooking (molecular gastronomy) or a chef interested in science (or the results of science?). Which choice will be his own?