Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mercredi 15 janvier 2020
Les terrines : une suite plus détaillée, plus simple, mieux expliquée (j'espère)
Il paraît que je me suis insuffisamment expliqué à propos des terrines quand j'ai décrit le processus de hachage. Je donne donc des explications supplémentaires.
Nous partons de viande ou de poisson : le microscope montrerait que, dans les deux cas, la chair est faite de très fins tuyaux juxtaposés, groupés en faisceaux : pensons à des tubes collés les uns avec les autres, tous dans la même direction.
C'est tubes, ces tuyaux sont en réalité nommés des fibres musculaires. L'intérieur des tuyaux, c'est effectivement de l'eau et des protéines, comme du blanc d'oeuf : imaginons un ensemble de petites billes au milieu desquelles se trouve des fils. Les billes représentent les molécules d'eau, et les fils représentent les protéines.
En réalité, les protéines sont organisées dans les fibres musculaires en vue d'assurer la contraction musculaire, mais je propose pour simplifier ici de ne pas entrer dans le détail de cette organisation.
Ce qui se passe quand on hache la viande, c'est que l'on coupe les tuyaux : évidemment, l'eau et les protéines sont libérés, de sorte que finalement, la viande hachée, c'est de l'eau dans laquelle se trouvent à la fois des bouts de tuyau et les fils.
Oublions cette complexité et ramenons-nous simplement à une structure faite d'eau dans laquelle flottent les protéines, c'est-à-dire les fils. Quand on chauffe, les protéines s'attachent en un grand réseau qui piège l'eau, tout comme lors de la coagulation du blanc d'oeuf.
Et c'est là que je n'ai pas assez expliqué que le blanc d'oeuf, c'est précisément de l'eau et des protéines. Et quand on chauffe du blanc d'oeuf, les protéines (pensons aux fils) se déroulent un peu et s'attachent, formant un grand réseau qui piège l'eau.
Pieger l'eau, cela signifie qu'elle ne peut plus couler, et que l'on a une masse molle et solides, qui ne coule pas.
Et voilà pourquoi de la viande broyée que l'on cuit comme dans une terrine est un cousin du blanc d'oeuf qui coagule.
mardi 14 janvier 2020
La pizza : avec une pâte fermentée ou non ?
La pâte à pizza, c'est véritablement très simple, puisqu'il s'agit seulement de faire une pâte en malaxant de la farine et de l'eau, éventuellement avec un peu d'huile d'olive et du sel ; puis on étale en couche mince avant de déposer par-dessus une garniture. On cuit et l'on obtient un résultat qui est déjà assez satisfaisant.
Mais il y a un grand débat à propos de cette pâte : faut-il la fermenter avant la cuisson ? La fermentation n'est pas une opération très difficile à conduire aujourd'hui, puisqu'il suffit de mettre, dans l'eau que l'on mêle à la farine, un peu de levure, c'est-à-dire des cellules vivantes qui ont la capacité de se multiplier, ce qui signifie qu'une cellule en fait deux, puis que chaque nouvelle cellule en fait à nouveau deux, et ainsi de suite... tout en produisant un gaz qui a pour nom dioxyde de carbone. Ce gaz forme des bulles et c'est son accumulation qui fait gonfler la pâte.
Avec cette image, il semblerait qu'il n'y ait qu'une question de volume, de consistance, et c'est la raison pour laquelle beaucoup pensent que la fermentation est inutile : les nans indiens ou les pains arabes ne gonflent-ils pas à la cuisson sans qu'il soit nécessaire d'opérer une fermentation ?
Oui mais
Oui mais toute personne qui aura déjà testé une fermentation et aura mis son nez au-dessus de la masse qui fermente aura facilement perçu une odeur merveilleuse, alcoolisée, complexe : c'est que la fermentation ne se limite pas à la production de dioxyde de carbone, mais s'accompagne également de la libération d'une foule de composés organiques qui ont possiblement de l'odeur et de la saveur.
Et c'est ainsi qu'une pizza dont la pâte a été fermentée a un goût extrêmement différent d'une pizza où l'on s'est contenté d'aplatir de la pâte et de cuire !
lundi 13 janvier 2020
On nous bassine avec les "sucres ajoutés". Regardons-y de plus près !
Quelques personnes combattent le sucre et, notamment, ce qu'elles nomment les "sucres ajoutés". Elles désignent ainsi, parfois, les sirop de glucose, largement utilisés par l'industrie alimentaire, mais aussi le saccharose, le sucre de table.
Ces gens qui ont quelque chose à vendre (les régimes, des livres, des blogs...) condamnent fermement le saccharose pour mille raisons plus ou moins justes : les caries, le diabète, le cancer... Car quand on veut faire peur afin de vendre sa salade, on est prêt à tout.
Pour autant que je propose ne pas oublier que les végétaux -je pense notamment aux carottes et aux oignons pour bien fixer les idées - contiennent précisément beaucoup de sucres : du glucose, du fructose et du saccharose.
En effet, quand on cuit légumes (mais aussi des fruits), la structure du tissu végétal est dégradée, et les trois sucres que j'ai évoqués sont libérées dans le jus de cuisson. D'ailleurs, il suffit de goûter le jus de cuisson d'oignons que l'on a simplement mijotés avec un peu d'eau à couvert pour s'apercevoir que ce jus est très sucré, ce qui n'est pas étonnant puisque, je le rappelle, on a libéré du glucose (peu sucré), du fructose (très sucré) et du saccharose (sucré comme du sucre de table, puisque c'est du sucre de table).
Voilà pourquoi l'expression "sucre ajouté" est tendancieuse : ajouter un oignon qui a cuit, c'est ajouter du sucre, et cela revient au même qu'ajouter du sucre de table.
Ne nous trompons pas de combat et soyons bien clair sur ce que l'on propose : si l'on veut éviter le sucre, évitons le sucre, mais évitons aussi tout aussi bien le sucre de table que le sucre apporté par les oignons les carottes !
D'ailleurs, j'ajoute que le sucre de table ne tombe pas du chaudron d'un chimiste maléfique, mais bien... des betteraves. Lorsqu'il y a eu le Blocus continental, après la Révolution française, les chimistes qui se mirent au service du public pour essayer de produire du sucre à partir d'autres végétaux que la canne à sucre ont ainsi testé des extractions à partir des oignons, des carottes, des raisins, des fruits (pommes, poires...)... et des betteraves, qui furent finalement sélectionnées pour être à la base de l'industrie sucrière que nous connaissons d'aujourd'hui.
dimanche 12 janvier 2020
Pourquoi bien mélanger les ingrédients d'une mêlée ?
Quand on fait des quenelles, des boudins blancs, des boulettes, des pâtés, par exemple, on doit d'abord préparer une mêlée, qui contient souvent de la chair (viande, poisson) broyée, parfois des oeufs, des aromates, des épices, des légumes (en dés, par exemple)... Et certains disent qu'il faut bien travailler la mêlée pour que "l'albumine soit libérée".
L'albumine ? Cela fait deux siècles que ce terme n'a plus cours en chimie avec l'acception qui est celle de nos amis, et il serait temps que le monde culinaire fasse sa transition ! C'est comme si on en était resté au "le plus lourd que l'air ne volera jamais" : deux siècles de retard, je vous dis !
Expliquons
Au 18e siècle, quand la chimie naquit de l'alchimie, cessant de croire que l'expérience était mal faite quand elle ne collait pas à la théorie et acceptant enfin que la théorie doive plutôt naître des expériences, les chimistes commencèrent à explorer les aliments, et c'est alors qu'apparut le terme d' "albumine", pour dénommer des "substances" qui putréfiaient avec une odeur d'ammoniac, qui "teintaient les sirops de violette", qui faisaient coaguler l'eau...
On trouva ces "albumines" dans les oeufs, les viandes, les poissons, bref, le règne animal.
Mais bientôt, des chimistes (notamment français) identifièrent de telles substances dans les plantes, et, plus particulièrement, dans les légumineuses.
Rapidement, il apparut que l' "albumine" au singulier n'existait pas, et l'on dut parler d'albumines, au pluriel.
Mais on n'était pas au bout des découvertes, car il apparut que certaines de ces substances pouvaient coaguler à la chaleur, et d'autres pas. Par exemple, le blanc d'oeuf coagule quand on le chauffe, mais la gélatine fond, au contraire. Ou les protéines du sérum du lait coagulent (formant la peau du lait) tandis que les caséines ne coagulent pas à la chaleur, mais avec de la présure ou en milieu acide.
Bref, il apparut qu'il fallait faire du ménage, et le termes de "protéines" fut introduit pour désigner toutes les protéines.
Le terme d'albumine fut alors réservé à une classe de petites protéines globulaires, solubles : il y a effectivement des albumines dans le blanc d'oeuf (mais pas seulement) et dans le sang (l'albumine sérique), mais les albumines forment une catégorie assez mineure de protéines.
Et c'est ainsi que, depuis environ un siècle, on n'a plus guère de raison de parler d'albumine, au singulier, sauf dans des cas particuliers, sous peine de dire n'importe quoi.
Dans les mêlées
Et dans les mêlées, quelles protéines assurent-elles la coagulation ?
Dans les mêlée sans oeuf, avec seulement de la chair, les protéines sont celles de la viande ou du poisson, à savoir du collagène (qui fait prendre à froid, pas à chaud) et, surtout, les deux sortes principales qui sont libérées lors du hachage des chairs : les actines et les myosines. Ce sont elles qui font prendre en masse le terrines, les pâtés, etc.
Bien sûr, quand il y a du sang, l'ovalbumine sérique peut contribuer à la coagulation ; mais si c'est important dans les boudins (noirs), c'est négligeable dans les terrines ou les pâtés. Et bien sûr, quand il y a de l'oeuf, ses albumines aussi peuvent contribuer à la coagulation.
Pourquoi bien mélanger les mêlées, au fait ?
Parce que , surtout quand il n'y a pas d'oeuf, il faut obtenir un système avec une phase liquide (l'eau libérée de la chair par broyage) où les protéines (actine et myosine, surtout) soient dispersées le mieux possible, afin qu'à la coagulation, la masse se comporte comme du blanc d'oeuf, qu'elle coagule de façon homogène. Et puis, il faut aussi bien disperser la matière grasse : comme lors de la confection d'une mayonnaise, le travail mécanique dissocie les masses de graisse en petites masses qui font une consistance plus agréable. Sans compter que l'on peut vouloir une préparation bien lisse, ce que l'on obtient par le travail.
Bref, le travail se voit à divers signes, que l'on aura toujours la prudence d'interpréter à l'aide d'un microscope et d'une saine théorie chimique, au lieu de penser comme des ancêtres en retard de deux siècles.
Et, très généralement, le monde culinaire aura raison d'éviter ce terme d'albumine qui fait aussi éculé que s'ils écrivaient à la plume d'oie ou s'éclairaient à la chandelle, et se transportaient à dos d'âne.
L'albumine ? Cela fait deux siècles que ce terme n'a plus cours en chimie avec l'acception qui est celle de nos amis, et il serait temps que le monde culinaire fasse sa transition ! C'est comme si on en était resté au "le plus lourd que l'air ne volera jamais" : deux siècles de retard, je vous dis !
Expliquons
Au 18e siècle, quand la chimie naquit de l'alchimie, cessant de croire que l'expérience était mal faite quand elle ne collait pas à la théorie et acceptant enfin que la théorie doive plutôt naître des expériences, les chimistes commencèrent à explorer les aliments, et c'est alors qu'apparut le terme d' "albumine", pour dénommer des "substances" qui putréfiaient avec une odeur d'ammoniac, qui "teintaient les sirops de violette", qui faisaient coaguler l'eau...
On trouva ces "albumines" dans les oeufs, les viandes, les poissons, bref, le règne animal.
Mais bientôt, des chimistes (notamment français) identifièrent de telles substances dans les plantes, et, plus particulièrement, dans les légumineuses.
Rapidement, il apparut que l' "albumine" au singulier n'existait pas, et l'on dut parler d'albumines, au pluriel.
Mais on n'était pas au bout des découvertes, car il apparut que certaines de ces substances pouvaient coaguler à la chaleur, et d'autres pas. Par exemple, le blanc d'oeuf coagule quand on le chauffe, mais la gélatine fond, au contraire. Ou les protéines du sérum du lait coagulent (formant la peau du lait) tandis que les caséines ne coagulent pas à la chaleur, mais avec de la présure ou en milieu acide.
Bref, il apparut qu'il fallait faire du ménage, et le termes de "protéines" fut introduit pour désigner toutes les protéines.
Le terme d'albumine fut alors réservé à une classe de petites protéines globulaires, solubles : il y a effectivement des albumines dans le blanc d'oeuf (mais pas seulement) et dans le sang (l'albumine sérique), mais les albumines forment une catégorie assez mineure de protéines.
Et c'est ainsi que, depuis environ un siècle, on n'a plus guère de raison de parler d'albumine, au singulier, sauf dans des cas particuliers, sous peine de dire n'importe quoi.
Dans les mêlées
Et dans les mêlées, quelles protéines assurent-elles la coagulation ?
Dans les mêlée sans oeuf, avec seulement de la chair, les protéines sont celles de la viande ou du poisson, à savoir du collagène (qui fait prendre à froid, pas à chaud) et, surtout, les deux sortes principales qui sont libérées lors du hachage des chairs : les actines et les myosines. Ce sont elles qui font prendre en masse le terrines, les pâtés, etc.
Bien sûr, quand il y a du sang, l'ovalbumine sérique peut contribuer à la coagulation ; mais si c'est important dans les boudins (noirs), c'est négligeable dans les terrines ou les pâtés. Et bien sûr, quand il y a de l'oeuf, ses albumines aussi peuvent contribuer à la coagulation.
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Les protéines peuvent s'attacher pour former un réseau où un liquide est piégé : c'est la formation d'un "tel", ce que le monde culinaire nomme "coagulation" |
Pourquoi bien mélanger les mêlées, au fait ?
Parce que , surtout quand il n'y a pas d'oeuf, il faut obtenir un système avec une phase liquide (l'eau libérée de la chair par broyage) où les protéines (actine et myosine, surtout) soient dispersées le mieux possible, afin qu'à la coagulation, la masse se comporte comme du blanc d'oeuf, qu'elle coagule de façon homogène. Et puis, il faut aussi bien disperser la matière grasse : comme lors de la confection d'une mayonnaise, le travail mécanique dissocie les masses de graisse en petites masses qui font une consistance plus agréable. Sans compter que l'on peut vouloir une préparation bien lisse, ce que l'on obtient par le travail.
Bref, le travail se voit à divers signes, que l'on aura toujours la prudence d'interpréter à l'aide d'un microscope et d'une saine théorie chimique, au lieu de penser comme des ancêtres en retard de deux siècles.
Et, très généralement, le monde culinaire aura raison d'éviter ce terme d'albumine qui fait aussi éculé que s'ils écrivaient à la plume d'oie ou s'éclairaient à la chandelle, et se transportaient à dos d'âne.
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