jeudi 16 mai 2019

La chimie "propre" ?

Ce matin, des questions, auxquelles j'apporte des réponses  :


Pourquoi faites vous de la chimie ?
 
Parce qu'il est admirable, mystérieux, extraordinaire, que le calcul décrive si précisément le fonctionnement du monde, à savoir les mécanismes des phénomènes. Parce que le mouvement des sciences de la nature est extraordinaire. Fondé sur cette hypothèse dite ainsi par Galilée : "le monde est écrit en langage mathématique".
La chimie, c'est la possibilité d'expliquer le visible par de l'invisible... que nous révèle le calcul. L'un des plus beaux exemples que je connaisse est l'article de 1871 de Van'tHoff où est dessinée la molécule du glucose... à une époque où l'on discutait l'existence des molécules ! Mais les travaux de Charles Gerhardt et Laurent sont tout aussi extraordinaires. Quant aux analyses de Lavoisier, elles sont passionnantes, tout comme celles de Thenard et Gay-Lussac, aux débuts de la chimie organique. C'était l'époque où l'on commençait à faire la différence entre analyse immédiate (un fractionnement) et analyse élémentaire. D'ailleurs, à cette même époque, Chevreul a fait un travail éblouissant. Et le travail de Louis Pasteur sur l'acide tartrique : Biot en a pleuré d'émotion.
La chimie, c'est une science, donc l'honneur de l'esprit humain. C'est aussi, de ce fait, la reconnaissance du fait que nous avons beaucoup à découvrir, avec rationalité, sur le monde, et notamment sur la vie.

Pour vous, qu'est-ce que la chimie propre ?
 
Je ne sais pas, de sorte qu'il faut que j'aille voir en ligne. Je sais que, pour la chimie "verte", il y 17 critères acceptés par l'iupac. Mais la chimie propre ? Je pense d'ailleurs qu'il y a une confusion entre la chimie (science) et ses applications, et cela n'est pas bon. Dans l'intérêt de tous, je revendique que les applications ne doivent pas se nommer chimie ! Pourquoi ne pas parler d'applications propres de la chimie ?
Et si je devais inventer la définition de chimie propre, je dirais qu'il n'y a pas d'effluents autres de l'eau... mais c'est bien trop restrictif, et sans doute idiot. Pourquoi ne pas se contenter qu'une application de la chimie est propre si elle est capable de ne rejeter aucun autre composé que l'eau ou N2, ou O2 ?


Quand en avez vous entendu parler pour la première fois ?
Avec vous pour la chimie propre, et il y a longtemps pour la chimie verte.


Est-ce possible ou pas d’envisager une chimie propre ?
J'ai donc répondu plus haut. La réponse est oui : un calcul est toujours propre, n'est-ce pas ?


La chimie peut-elle être plus ou moins propre selon le domaine (matériau, chimie orga...)?
Je crois que la question est trop générale.


Etes-vous sensible à la protection de l'environnement ?
Comment pouvez vous imaginer que quelqu'un vous réponde non ? Ou bien un grand malhonnête ?


Pensez vous que la chimie est un domaine trop polluant et qu'on devrait limiter son usage ?
La chimie est une science, et de ce fait elle n'a pas de raison d'être polluante, ou, du moins, elle ne doit pas l'être (d'autant que nous faisons de la microchimie).
Cela a des conséquences, et la première est que les TP des écoles et universités devraient porter sur des quantités de l'ordre du mg, et jamais plus !
Mais, si vous parlez des applications de la chimie, c'est une question très générale, et les questions très générales sont mauvaises parce qu'elles appellent des réponses générales, et donc intellectuellement fautives. Par exemple, que diriez vous d'une industrie qui part d'effluents de l'agriculture pour faire du bioéthanol : ce serait donc le contraire de la pollution, n'est-ce pas ?
Mais surtout, ne pas confondre chimie et applications de la chimie !


Etes-vous capable de développer des outils/procédés respectueux de l’environnement pour l’industrie chimique dans votre domaine? En existe-t-il déjà ?
Mon domaine est la gastronomie moléculaire, mais il est vrai que nous sommes amenés à faire des analyses, et là, j'ai apporté un progrès merveilleux avec la RMN quantitative in situ, qui évite les extractions, et donc les solvants ! Mieux, je n'utilise plus de solvants deutérés pour les locks.


Quel est votre parcours ? Avez vous étudier la chimie propre dans votre cursus ? Pourquoi ?
Mon parcours ? Voir doc joint;
La chimie propre : quand j'étais dans mon école, la question environnementale se posait peu.

 
Pensez vous qu'elle est un domaine d'avenir ou qu'elle n'est qu'un mythe ?
Si la notion existe, c'est certainement porteur ! En tout cas, la chimie verte existe.


Dans votre quotidien, travaillez vous dans une optique de chimie plus propre ?
Toujours, mais dans l'ordre : sécurité, qualité, traçabilité.


Connaissez vous les règles/lois en matière de rejets des déchets pour votre établissement ? Les respectez vous ?  
Bien sûr que je les connais, et bien sûr que je les respecte ! Et je m'étonne d'ailleurs des pratiques de certains collègues. Il y a un combat quotidien à mener ! 






















La pj contient ceci : 



























Hervé This est physico-chimiste à l'Inra et professeur consultant à AgroParisTech.
Il est aussi Directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, créateur et directeur scientifique de la Fondation Science & Culture alimentaire, de l'Académie des science, créateur et président du Comité pédagogique de l'Institut des Hautes Études du Goût (Université de Reims Champagne Ardennes), conseiller scientifique de la Revue Pour la Science...

Né le 5 juin 1955, il a effectué ses études au Lycée Janson de Sailly, à Paris. Après des études de physico-chimie à l'École Supérieure de Physique et de Chimie de Paris (ESPCI ParisTech, 95e promotion) et des études de lettres modernes à l'Université Paris IV, il a travaillé pendant 20 ans aux Éditions Belin et à la Revue Pour la Science, où il a été éditeur et rédacteur en chef... en même temps qu'il fondait et développait la gastronomie moléculaire, d'abord dans son laboratoire personnel, puis au Collège de France, où il avait été invité par Jean-Marie Lehn (Prix Nobel de chimie en 1987).
Simultanément il était un des collaborateurs réguliers du Panorama (France Culture), et le directeur scientifique des émissions Archimède (Arte) et Pi=3.14 (France 5). Il a été le créateur et l'animateur de séries hebdomadaires de télévision sur France 5, et de radio sur France Culture et France Inter (tous les étés, quotidiennement).
A partir de 1980, alors qu'il effectue ses recherches sur les « précisions culinaires », il fait la promotion de ce qu'il nommera en 1999 la « cuisine moléculaire », définie comme « la technique culinaire rénovée, notamment avec l'apport de techniques de laboratoire ».

En 1988, il crée la discipline scientifique nommée “gastronomie moléculaire et physique” avec Nicholas Kurti (FRS, 1908-1998, directeur du Clarendon Laboratory, inventeur de la désaimantation adiabatique nucléaire), alors professeur de physique à Oxford.

Cette discipline scientifique se définit comme la recherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des préparations culinaires.

En 1994, il imagine la « cuisine note à note » (qui sera nommée ainsi en 2004).

Après sa thèse (1995) de physico-chimie intitulée La gastronomie moléculaire et physique (jury comprenant notamment deux lauréats du Prix Nobel, Pierre Gilles de Gennes et Jean-Marie Lehn, mais aussi Pierre Potier), il a été invité à soutenir une habilitation à diriger des recherches (2000) devant – notamment - Guy Ourisson (alors président de l'Académie des sciences), Xavier Chapuisat (alors président de l'Université Paris Sud), Étienne Guyon (alors directeur de l'École normale supérieure), Alain Fuchs (aujourd'hui président du CNRS) et le chef triplement étoilé Pierre Gagnaire.

En 2000, il quitte les éditions Belin et la revue Pour la Science pour entrer à l'Inra, occupant alors à plein temps son laboratoire, au sein du Laboratoire de Chimie des Interactions Moléculaires, au Collège de France (directeur J-M. Lehn).

En 2000 également, suite à la publication du livre intitulé La casserole des enfants, le Ministre de l'Éducation nationale (Jack Lang) lui a demandé de créer et mettre en place dans les Écoles primaires de toute la France les Ateliers expérimentaux du goût. Ces programmes pédagogiques ont été prototypés dans les Académie de Paris (avec le Recteur René Blanchet, membre de l'Académie des sciences) et de la Réunion. Ils ont été introduits officiellement en 2001 dans toutes les écoles primaires françaises. La même année, le livre Traité élémentaire de cuisine a constitué la base de la rénovation des référentiels de CAP et de BEP des enseignements d'hôtellerie restauration, en relation avec l'Inspection générale. En 2004, ces programmes, et quelques autres (Dictons et plats patrimoniaux, etc.) ont été suivis des Ateliers Science & Cuisine, aujourd'hui aux programmes de Collèges et de Lycées.

2000 est l'année où il commence une collaboration avec le chef français Pierre Gagnaire : chaque mois, il publie une invention culinaire sur le site de Pierre Gagnaire, afin de démontrer que la technologie prend toute sa force quand elle est fondée sur la science.

En 2004, aussi, à la demande de Renaud Dutreil, alors Ministre des PME, H. This a été l'un des principaux créateurs de l'Institut des Hautes Études du Goût, de la Gastronomie et des Arts de la Table, avec l'Université de Reims Champagne Ardennes. Il en a été nommé Président du Comité pédagogique.

En avril 2006, alors que son laboratoire déménageait à AgroParisTech, pour cause de travaux au Collège de France, l'Académie des sciences l'a invité à créer la Fondation Science & Culture Alimentaire, dont il a été nommé Directeur scientifique. C'est l'année où il a été nommé professeur des universités.
De 2010 à 2019, il a été Secrétaire de la Section Alimentation humaine de l'Académie d'agriculture de France, où il a d'ailleurs créé la revue scientifique « Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France » (N3AF). Il en est l'éditeur, ainsi que de l' « International Journal of Molecular and Physical Gastronomy ».
H. This est également le Directeur des International Workshops on Molecular Gastronomy N. Kurti (depuis 1992), des Journées françaises de gastronomie moléculaire, de Séminaires mensuels de gastronomie moléculaire (depuis 2000) et de Cours AgroParisTech de gastronomie moléculaire (cours publics, gratuits, non diplômants, faisant état d'un travail scientifique original chaque année, assortis de la publication d'un livre). En 2008, il a présidé le Comité scientifique et le Comité d'organisation d'EuroFoodChem XIV, et a créé le Groupe français de chimie des aliments et du goût de la Société française de chimie. Il a été nommé représentant français de la Société française de chimie à la Food Chemistry Division d'EuCheMS.

H. This donne de très nombreuses conférences, en France ou à l'étranger, où il crée des laboratoires de gastronomie moléculaire dans les universités et où il promeut le développement de la cuisine note à note. Il écrit mensuellement plusieurs rubriques dans des journaux scientifiques ou professionnels, et il est l'auteur d'une quinzaine de livres  : Les secrets de la casserole, Révélations gastronomiques, La casserole des enfants, Science et gastronomie, Casseroles et éprouvettes, Traité élémentaire de cuisine, Six lettres gourmandes, Maths'6, Petits propos culinaires et savants, La cuisine, c’est de l’amour, de l’art, de la technique, Construisons un repas, De la Science aux fourneaux, La Sagesse du chimiste, Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?, Les Précisions Culinaires, Le Terroir à toutes les sauces.
Membre honoraire de plusieurs académies culinaires, membre de l'Académie d’Agriculture de France; de l'Académie de sciences, des lettres et des arts d'Alsace, membre de l'Académie royale des sciences, des arts et des lettres de Belgique, membre de l'European Academy of Science, Arts and Letters, membre de l'Académie de Stanislas, il a reçu de nombreux prix et distinctions, telle la Chaire Franqui au titre national belge (Université de Liège), le Grand Prix des Sciences de l’Aliment par l'International Association of Gastronomy et, surtout, la Bretzel d'Or (2018).
Hervé This est officier dans l'Ordre des Arts et Lettres, officier dans l'Ordre du Mérite Agricole, officier dans l'Ordre des Palmes Académiques, et chevalier dans l'Ordre de la Légion d’Honneur.

mardi 14 mai 2019

Les terrines

Les terrines ? Cela fait longtemps que je voulais faire ce billet, qui devrait éclairer des pratiques, en montrant comment la généralisation est mère de l'invention.

Commençons par considérer un morceau de viande ou de poisson cru. C'est un assemblage de "fibres musculaires", à savoir des "tuyaux" de diamètre microscopique, assemblés en faisceaux. Chaque tuyau est donc composé d'une enveloppe, et d'un contenu.




L'enveloppe : il s'agit d'un "tissu" (pensons à un mouchoir ou à une feuille de papier) fait de fibres, qui sont du "collagène", à savoir des protéines qui s'arrangent en triples hélices, ces triples hélices se disposant les unes à côté des autres. Ces protéines ne font pas coaguler à la chaleur... mais quand on cuit longtemps, on défait le tissu collagénique, et on libère ces protéines... qui, au refroidissement, peuvent faire gélifier une solution aqueuse (un bouillon, par exemple), puisque le tissu collagénique défait engendre la "gélatine".
L'intérieur : il y a essentiellement de l'eau et des protéines, dont notamment deux sortes, qui sont nommées "actines" et "myosines". Celles-ci peuvent coaguler à la chaleur, comme pour les protéines du blanc d'oeuf. 

Broyons maintenant cette chair : le broyage, quand il est soigneux, libère l'eau et les protéines, formant une "pâte". Puis, si nous chauffons cette pâte, on observe la coagulation, parce qu'il y a des protéines coagulantes. Et la masse coagulée est ce que l'on nomme un "gel", puisque, par définition, un tel système est un liquide piégé dans un solide : n'oublions pas que la viande est faite de 75 pour cent d'eau !
Et si l'on avait ajouté de la matière grasse avant la cuisson ? Tant que la quantité est raisonnable, la matière grasse est piégée dans le gel, tout comme l'eau, mais dispersée sous la forme de gouttelettes.
Et si l'on avait ajouté de la mie de pain trempée dans du lait ? La mie de pain est faite d'amidon et de protéines, de sorte que ces molécules seraient venues dans le gel.
Et si l'on avait ajouté de la crème ? La crème est une émulsion, faite d'eau, de protéines et de matière grasse : tout se serait dispersé dans la pâte initiale, et aurait été piégée dans la masse coagulée. Et de la crème fouettée  ? Des bulles se seraient ajoutées, formant une pâte foisonnée.
Et si l'on avait ajouté un alcool (un bon Armagnac, par exemple) ? Il serait venu se dissoudre dans l'eau de la  pâte. 
Et si l'on avait ajouté un blanc d’œuf battu en neige ? Comme pour la crème fouettée, cela aurait fait foisonner la pâte, en ajoutant des protéines qui auraient contribué à la coagulation.
Et si l'on avait ajouté des morceaux plus durs : noisettes, pistaches, etc. ? Elles se seraient dispersé dans la pâte, donnant du croquant à la masse coagulée.
Et si...

On le voit : les possibilités sont innombrables, et l'on peut régler à volonté la consistance finale.
Mais... au fait, pourquoi le nom de terrine ? Ce nom n'est juste que si l'on cuit dans un récipient en terre, nommé terrine. Si l'on avait cuit dans un linge nommé mousseline, on aurait obtenu une mousseline. Si l'on avait poché de petites masses, on auraient obtenu des quenelles. Si l'on avait cuire de  petites boules, on aurait obtenu des boulettes. Si l'on avait frit, on aurait eu des croquettes. Si l'on avait...

Tout est possible, toutes les formes sont possibles, tous les assaisonnements sont possibles.
Mais l'idée de base est simple : de l'eau avec des protéines appropriées peut coaguler à la chaleur !








PS. J'avais oublié : cela fait partie des "commandements" que j'indique dans "Mon histoire de cuisine"