mercredi 21 mars 2018

Demain, les diracs... à toutes les sauces

Décidément, il y a lieu d'aider mes amis qui se lancent dans la cuisine note à note, et qui s'interrogent : comment remplacer la viande et le poisson ? La réponse est : avec des "diracs".

Pour commencer simplement, expliquons qu'une viande ou un poisson, c'est un matériau fait de 25 pour cent de protéines et de 75 pour cent d'eau.
Autrement dit, on obtient une matière de la même fermeté qu'une viande en mêlant une cuillerée de protéines et trois cuillerées d'eau, puis en cuisant. D'autre part, on obtient une matière de la même fermeté qu'un blanc d'oeuf cuit sur le plat en cuisant un mélange fait de 10 pour cent de protéines et de 90 pour cent d'eau : une cuillerée de protéines pour neuf cuillerées d'eau.
Et on obtient quelque chose d'encore plus dur que la viande si l'on augmente la teneur en protéines.
On n'obtient ni de la viande, ni du blanc d'oeuf, mais une matière que j'ai proposé de nommer un "dirac".

Et il y a donc des diracs durs, des diracs mous... mais bien d'autres diracs. Certains peuvent être "mousseux", foisonnés... et ce sont donc des "berthollets". Certains peuvent être striés, et ce sont des surimis; Mais on peut imaginer bien d'autres possibilités : des systèmes feuilletés, des systèmes émulsionnés.


Pour un dirac foisonné ? On part d'eau et de protéines, on fouette, on ajoute les couleurs, odeurs, saveurs, puis on cuit (par exemple, à la poêle, ou bien dans un four à micro-ondes, mais on pourrait égale ment verser des cuillerées dans de la friture, par exemple. Et je nomme cela un "berthollet".

Pour un dirac émulsionné ? Puisque les protéines stabilisent merveilleusement des émulsions, on comprend que l'on puisse ajouter de la matière grasse au mélange eau+protéines. Combien ? Jusqu'à environ 19 fois plus que d'eau. Et l'on a évidemment quelque chose d'alors très gras... et de très moelleux.
D'ailleurs, j'y pense : pourquoi ne pas faire comme avec le chocolat, à savoir classer par proportion de matière grasse ? 

Pour un dirac haché : c'est comme pour un steak haché, à savoir que l'on prépare un dirac, puis que l'on hache, dans le même hachoir que d'habitude. 

Pour un surimi de dirac : on part d'un mélange de protéines et d'eau, on ajoute un empois d'amidon, puis on coule sur une plaque plate, et l'on strie (à l'aide d'une fourchette ou d'un peigne) avant de cuire (vapeur, micro-ondes, etc.)

mardi 20 mars 2018

Pâte sablée ou brisée ?

Un message très important, cet après midi :


Tout d'abord merci pour tous vos travaux et l'envie que vous développez chez nos cuisiniers.
Je voudrais savoir si vous connaissez le type de dispersion que représente une pâte brisée.
J'ai travaillé quelques années en pharmacie galénique sur plusieurs type de dispersions (gels oléogels, E/H, H/E , substances colloïdales) et si vous avez des données précises (biblio et autres), c'est avec un grand intérêt que je pourrai en faire part à mes élèvers (BP et CAP).


Merci de ce merci. Heureux que nos travaux soient utiles !
Pour la "pâte brisée", il y a bien des différences selon les préparations et les procédés. En réalité, avant 1950, on ne distinguait pas les pâtes brisées et sablées, et même aujourd'hui, ce n'est pas cohérent partout.
J'ai pris le parti de nommer pâte sablée la pâte qui s'obtient en mêlant de la farine à du beurre, ce qui conduit sans doute à une dispersion de grains solides d'amidon dans un ciment de beurre, avec un peu de réseau de gluten qui s'établit si le beurre n'est pas sec.
D'autre part, je nomme pâte brisée la pâte que l'on obtient en faisant un réseau de gluten, avec farine et eau, puis on y disperse du beurre. Il y a les schémas et les formules DSF dans mon livre "Mon histoire de cuisine".

A propos de cuisson au four

Ce matin, j'ai diffusé le compte rendu du séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2018, où je fais état des expériences effectuées lors du séminaire d'hier. Nous avons notamment comparé des pâtes sablées enfournées à froid ou à chaud... et n'avons pas vu de différences.

Et là, je reçois cette question :

Je note bien le peu de différences observées, mais en ce qui concerne une pâte chargée ? Type quiche, tarte alsacienne… Pensez-vous qu’un départ à chaud ou à froid puisse influencer la cuisson de la pâte, et donc la bonne tenue de celle-ci ?

 A vrai dire, il est toujours bien difficile de répondre sans faire l'expérience, et les travaux d'hier l'ont encore montré, puisque :
- nous avions prévu que les brioches enfournées à froid développeraient mieux que les mêmes brioches enfournées à chaud... et nous n'avons pas vu de différence
- nous avions prévu que les pâtes sablées (surtout dans les moules à bords très hauts que nous avions utilisés) s'effondreraient, dans un départ à froid... et nous n'avons pas vu de différence.

Ce ce fait, j'imagine que le départ à froid permettrait à la "migaine" de plus détremper la pâte, ce qui augmenterait l'empesage ultérieur de la farine... mais c'est une hypothèse raisonnable à laquelle je ne crois guère. D'ailleurs il faut ajouter que les fours modernes sont merveilleusement rapides. En très peu de minutes, ils atteignent la température de consigne, ce qui gomme toutes les différences.

Des "viandes foisonnées"... ou plutôt non, plutôt des "diracs foisonnés" : les berthollets

En cuisine note à note, les diracs sont importants : ils  sont des matières obtenues par cuisson de solutions aqueuses de protéines : ce sont des "viandes artificielles". Il y en a de durs, de mous, de striés, de lisses...

Mais on peut aussi ne faire cuire qu'après fait foisonner, tout comme on obtient une omelette soufflée après avoir cuit de l'oeuf longuement battu, ce qui, soit dit en passant, a contribué à la réputation mondiale des omelettes de la "mère Poulard", au Mont Saint-Michel.

Mais, quand on n'utilise pas de l'oeuf, mais des protéines, on n'a pas le droit d'utiliser le mot "omelette", tout comme il aurait été déloyal d'utiliser le mot "viande", ce qui a conduit à introduire le nom de "dirac".

Pour des systèmes de protéines foisonnées coagulées ? Je propose le nom de "berthollet". Pourquoi ? Parce que ce chimiste, qui connut Lavoisier et poursuivit sa carrière après la Révolution française, n'avait que des rues à son nom. Il lui fallait un plat !