On parle souvent de distillation : "distillation du marc",
"distillation des huiles essentielles"... Mais, bien souvent, les idées
sont floues, et nos interlocuteurs confondent la distillation avec
l'entraînement à la vapeur d'eau, ou la rectification et la simple
séparation par évaporation.
Bref, regardons-y de plus près.
Une
définition, tout d'abord : la distillation est un procédé de traitement
de mélanges liquides en vue de séparer des composés dont les
températures de vaporisation sont différentes. Sous l'effet de la
chaleur ou d'une faible pression, les substances se vaporisent plus ou
moins successivement, et les vapeurs sont recondensées.
Je ne
vais pas faire l'histoire de la distillation, car ce serait un immense
chapitre. En revanche, je me propose de citer diverses applications,
associées à des techniques différents.
Ainsi, quand on
chauffe de l'eau de mer, la vapeur d'eau (que l'on peut recondenser
ensuite) est parfaitement exempte de sel. On récupère de l'eau pure,
comme quand l'eau de mer s'évapore, puis nous revient sous la forme de
pluie.
D'autre part, il y a cette technique qui
consiste à placer des fleurs odorantes dans de l'eau que l'on chauffe :
cette fois, c'est de l'entraînement à la vapeur d'eau. En effet, quand
les fleurs libèrent des composés odorants, ces derniers quittent l'eau,
où ils sont peu solubles. La formation de vapeur, par chauffage, fait
s'élever de la vapeur d'eau, qui entraîne les molécules odorantes
évaporées, lesquelles sont ensuite remplacées. Si l'on refroidit les
vapeur chargées de molécules odorantes, alors on récupère de l'eau à la
surface de laquelle flottent une "huile essentielle" faite des composés
odorants à l'état quasi pur.
Cette technique diffère
de la distillation du vin, qui consister à chauffer une solution
contenant de l'eau et de l'éthanol (l'alcool produit par fermentation
des sucres) : les vapeurs sont enrichies en éthanol, de sorte que le
refroidissement des vapeurs conduit à une solution hydro-alcoolique plus
chargée en alcool.
Mais il y a de nombreuses variantes. Par
exemple, quand on distille dans un récipient clos où l'on fait le vide,
on peut provoquer l'évaporation à des températures inférieures de celles
de la pression atmosphérique. On peut même voir bouillir de l'eau à la
température ambiante ! Cette technique permet d'éviter la dégradation
des composés fragiles des mélanges.
Puis il y a des
différences entre des distillations discontinues, où l'on charge le
système à distiller avant de procéder à la distillation, et des
distillations continues, où l'on peut alimenter l'appareil régulièrement
en cours de distillation.
Au fait, il faut quand même
signaler que les cornues, avec leur bec allongé, sont aujourd'hui
largement remplacés. Pour distiller les marcs, par exemple, on utilise
des systèmes en cuivre avec des tubulures qui favorisent le
refroidissement des vapeurs. Mais, en laboratoire, les systèmes sont
bien plus efficaces, avec des colonnes de verres qui sont refroides par
l'extérieur par de l'eau. Ainsi, afin de ne pas répéter les opérations
d'évaporation-condensation plusieurs fois sur les distillats, on utilise
des colonnes à rectification.
C'est ainsi que se raffine le
pétrole : après vaporisation, il est envoyé dans une tour de
distillation atmosphérique, où chaque plateau correspond à une étape du
fractionnement et donne un produit spécifique : les produits légers sont
recueillis dans la partie supérieure de la tour (butane et propane,
essence légère ou naphta), les produits moyens (essence lourde, kérosène
et gazole) sont récupérés en soutirage latéral, et le résidu
atmosphérique est recueilli au fond de la tour.
Je m'arrête là : il y a des traités entiers de la distillation !
Vient de paraître aux Editions
de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la
jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de
réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 5 mars 2018
dimanche 4 mars 2018
A propos de pâtes à tarte
Ce matin, un ami m'interroge :
xxx se plaint régulièrement de ne pas pouvoir faire ou rattraper ses pates brisées, même en suivant scrupuleusement (dit-elle) des recettes :
1) soit la pâte ne s'étale pas bien, se casse à l'étalement
2) soit elle s'effrite (sable ?) complètement après cuisson
De sorte qu'un rappel de la physicochimie des pâtes sablées/brisées/feuilletées serait fort utile!
Pour faire simple, il faut d'abord distinguer les pâtes faites de nombreuses couches très minces, que nous dirons "feuilletées", et les pâtes d'un seul tenant, plus ou moins friables, parmi lesquelles nous devrons distinguer les pâtes brisées et les pâtes sablées.
Commençons pas les pâtes feuilletées
Au début, il y a la pâte, que l'on fait simplement en malaxant de la farine avec de l'eau. A noter que cette farine peut venir de blé, de riz, de maïs, mais aussi de châtaigne, de blé noir, de lentilles, et de bien d'autres produits qui contiennent de l'amidon.
Quand la farine est de blé, le malaxage produit un "réseau", comme un échaffaudage volumineux qui emprisonnerait les grains d'amidon. Ce que l'on peut voir en faisant d'abord une pâte bien travaillée, puis en malaxant doucement cette dernière dans de l'eau a: on voit une poudre blanche se séparer d'une sorte de "filet" mou. Il y a deux siècles, on a nommé respectivement amidon et gluten ces matières.
Mais revenons à notre pâton : quand on l'étale, le filet de gluten s'étire, et l'on peut, s'il est bien établi (parce qu'on l'aura travaillé beaucoup), étirer la pâte en une couche très mince, qui couvre la table de la cuisine. Puis, en déposant des pommes (par exemple) et en roulant la pâte autour comme on fait d'une momie, on obtient un grand nombre de couches de pâte, qui vont devenir croustillantes à la cuisson : c'est la recette du strudel, de la croustade ou du pastis gascon, les ancêtres de la pâte feuilletée.
Pour la pâte feuilletée, on obtient un résultat supérieur avec bien moins de travail : on enferme du beurre dans de la pâte, puis on étend et on plie en trois, on étend et on plie en trois, six fois de suite, ce qui conduit à 730 couches de pâte séparées par 729 couches de beurre. Ainsi, à la cuisson, on a immédiatement 730 couches croustillantes très minces : c'est la pâte feuilletée.
Puis les pâtes brisées et sablées
Si l'on se contente de faire la masse de pâte d'un seul tenant, alors il faut penser qu'il y a deux cas extrêmes :
- soit on disperse les grains de farine dans le beurre
- soit on disperse le beurre dans le réseau de gluten qu'on aura obtenue en malaxant d'abord la farine avec l'eau.
Dans le premier cas, on a quelque chose de sableux, de friable : les grains de farine sont "cimentés" par le beurre, qui font à la cuisson et reprend au refoidissement... à condition qu'il ne fasse pas trop chaud. C'est la pâte sablée.
Dans le deuxième cas, on a quelque chose de dur, qui se tient, mais qui manque de friabilité. C'est la pâte brisée.
D'où la réponse aux problèmes de notre amie : si la pâte est friable, ou bien si la pâte s'effrite après cuisson c'est que le réseau de gluten n'est pas suffisant, ou bien que le beurre n'est pas assez dur. Cela peut découler soit d'une insuffisance de gluten dans la farine, soit d'une température excessive, soit d'un travail insuffisant de la pâte (je rappelle qu'il faut "fraser" la pâte, à savoir la presser contre le plan de travail à l'aide de la paume de la main).
Quant à inventer de nouvelles pâtes à partir de ces connaissances, c'est évidemment facile... mais je vous renvoie à mon livre "Mon histoire de cuisine", aux éditions Belin.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
xxx se plaint régulièrement de ne pas pouvoir faire ou rattraper ses pates brisées, même en suivant scrupuleusement (dit-elle) des recettes :
1) soit la pâte ne s'étale pas bien, se casse à l'étalement
2) soit elle s'effrite (sable ?) complètement après cuisson
De sorte qu'un rappel de la physicochimie des pâtes sablées/brisées/feuilletées serait fort utile!
Pour faire simple, il faut d'abord distinguer les pâtes faites de nombreuses couches très minces, que nous dirons "feuilletées", et les pâtes d'un seul tenant, plus ou moins friables, parmi lesquelles nous devrons distinguer les pâtes brisées et les pâtes sablées.
Commençons pas les pâtes feuilletées
Au début, il y a la pâte, que l'on fait simplement en malaxant de la farine avec de l'eau. A noter que cette farine peut venir de blé, de riz, de maïs, mais aussi de châtaigne, de blé noir, de lentilles, et de bien d'autres produits qui contiennent de l'amidon.
Quand la farine est de blé, le malaxage produit un "réseau", comme un échaffaudage volumineux qui emprisonnerait les grains d'amidon. Ce que l'on peut voir en faisant d'abord une pâte bien travaillée, puis en malaxant doucement cette dernière dans de l'eau a: on voit une poudre blanche se séparer d'une sorte de "filet" mou. Il y a deux siècles, on a nommé respectivement amidon et gluten ces matières.
Mais revenons à notre pâton : quand on l'étale, le filet de gluten s'étire, et l'on peut, s'il est bien établi (parce qu'on l'aura travaillé beaucoup), étirer la pâte en une couche très mince, qui couvre la table de la cuisine. Puis, en déposant des pommes (par exemple) et en roulant la pâte autour comme on fait d'une momie, on obtient un grand nombre de couches de pâte, qui vont devenir croustillantes à la cuisson : c'est la recette du strudel, de la croustade ou du pastis gascon, les ancêtres de la pâte feuilletée.
Pour la pâte feuilletée, on obtient un résultat supérieur avec bien moins de travail : on enferme du beurre dans de la pâte, puis on étend et on plie en trois, on étend et on plie en trois, six fois de suite, ce qui conduit à 730 couches de pâte séparées par 729 couches de beurre. Ainsi, à la cuisson, on a immédiatement 730 couches croustillantes très minces : c'est la pâte feuilletée.
Puis les pâtes brisées et sablées
Si l'on se contente de faire la masse de pâte d'un seul tenant, alors il faut penser qu'il y a deux cas extrêmes :
- soit on disperse les grains de farine dans le beurre
- soit on disperse le beurre dans le réseau de gluten qu'on aura obtenue en malaxant d'abord la farine avec l'eau.
Dans le premier cas, on a quelque chose de sableux, de friable : les grains de farine sont "cimentés" par le beurre, qui font à la cuisson et reprend au refoidissement... à condition qu'il ne fasse pas trop chaud. C'est la pâte sablée.
Dans le deuxième cas, on a quelque chose de dur, qui se tient, mais qui manque de friabilité. C'est la pâte brisée.
D'où la réponse aux problèmes de notre amie : si la pâte est friable, ou bien si la pâte s'effrite après cuisson c'est que le réseau de gluten n'est pas suffisant, ou bien que le beurre n'est pas assez dur. Cela peut découler soit d'une insuffisance de gluten dans la farine, soit d'une température excessive, soit d'un travail insuffisant de la pâte (je rappelle qu'il faut "fraser" la pâte, à savoir la presser contre le plan de travail à l'aide de la paume de la main).
Quant à inventer de nouvelles pâtes à partir de ces connaissances, c'est évidemment facile... mais je vous renvoie à mon livre "Mon histoire de cuisine", aux éditions Belin.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
samedi 3 mars 2018
Si l'on venait à manquer de beurre
Ceux qui suivent trop ces "informations" qui sont souvent de la
désinformation ou de l'intoxication intellectuelle s'émeuvent : il y
aurait une pénurie de beurre.
De fait, hier, alors que j'avais acheté sans difficulté du beurre dans un supermarché, j'ai été interrogé par un journaliste qui préparait un article sur le thème : "puisqu'il y a une pénurie de beurre, comment s'en passer"... interview qui est arrivé alors que je sortais du tournage d'une émission de télévision, pour une chaîne nationale, sur le thème de la margarine.
Décidément, il faut expliquer les choses.
De quoi le beurre est-il fait ?
Commençons par expliquer que les corps gras sont majoritairement faits de composés nommés des "triglycérides". Pas (ou très peu) d'acides gras, dans cette affaire, contrairement à ce que des publicités fautives nous répètent de façon lancinante ! Toutes les molécules de triglycérides sont comme de minuscules peignes à trois dents, avec le "manche" qui ressemble à la molécule de glycérol (la glycérine), dont la colonne vertébrale est faite de trois atomes de carbone, et avec des dents qui ressemblent aux molécules d'acides gras, qui sont, elles, de longues chaînes d'atomes de carbone, liées à des atomes d'hydrogène, et, avec un groupe acide à une extrémité.
En réalité, les molécules de triglycérides sont donc composées d'un résidu de glycérol et de trois résidus d'acides gras.
Chaque triglycéride a un point de fusion très précis (par exemple 34 degrés, ou - 5 degrés, ou 47 degrés...), mais les mélanges de triglycérides, eux, sont des solides à températures suffisamment basse, qui fondent progressivement à mesure que la température augmente.
Et c'est ainsi que la matière grasse laitière, qu'elle soit dans le lait ou dans la crème ou encore dans le beurre ou le fromage, commence à fondre à partir de - 10 degrés, et finit de fondre à 55 degrés. Pour ce mélange particulier de triglycérides qu'est le beurre de cacao, la fonte commence à 30 degrés, et s'achève à 37 degrés.
Bien sûr, à part dans les huiles, il est rare que les matières grasses ne comportent que des triglycérides : par exemple, le beurre peut comporter de l'eau, avec toutefois une réglementation qui limite cette quantité à 16 pour cent (sans quoi des commerçants indélicats mettraient plein d'eau dans le beurre, et vendraient de l'eau au prix du beurre).
Le bon beurre
Le beurre, pour y revenir ? Il est préparé à partir du lait, lequel est une "émulsion", c'est-à-dire une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans de l'eau. Il y a 36 grammes de matière grasse par litre (environ un kilogramme) de lait.
Quand on laisse le lait reposer, les gouttelettes de matière grasse viennent flotter à la surface, formant une émulsion plus concentrée : c'est la crème, dont, évidemment, la teneur en matière grasse dépend du temps de repos du lait.
Puis, quand on baratte la crème, c'est-à-dire quand on la brasse énergiquement, on obtient une masse grasse dont un liquide aqueux se sépare : c'est le beurre, qui, comme dit plus haut, a une teneur en eau réglementée.
Le beurre est cher ? C'est légitime : il faut quand même avoir élevé des vaches, avoir trait ces dernières, et avoir produit le beurre.
Bien plus facile que presser des graines de tournesol pour faire de l'huile ! Et, de fait, la question du prix du beurre se pose depuis longtemps, et notamment depuis l'époque du chimiste Michel Eugène Chevreul, qui encouragea le chimiste Hyppolite Mege à produire une copie du beurre qui fut nommée margarine.
Initialement, dans le premier brevet de Mège, en 1869, la recette de la margarine utilisait de la graisse de boeuf clarifiée, de la mamelle de vache broyée, un peu de lait, du bicarbonate de sodium et un colorant jaune.
Mège, qui prit ultérieurement le nom de Mège-Mouriès pour se distinguer d'homonymes, prétendait avoir fait un produit "supérieur"... mais je n'échange pas du bon beurre contre de la margarine ! En effet, la margarine n'as pas de goût (sauf si l'on a ajouté des composés odorants (que la réglementation nomme fautivement des "arômes", alors qu'il faudrait parler de compositions ou extraits odoriférants), et c'est juste de la graisse utilisable pour des usages techniques... qui oublient que la cuisine est d'abord une activité artistique, qui veut faire bon. Si c'est pour manger des nutriments, ce n'est pas la peine de cuisiner.
Pallier une pénurie de beurre
Mais laissons cette cuisine sans goût aux ignorants, et revenons à la margarine pour en dire qu'elle fut introduite afin de pallier un coût élevé du beurre. Mège-Mouriès vendit son brevet à la société Margarine Unie (qui deviendra Unilever), qui en a fait ... son "beurre".
D'ailleurs, comme la graisse de boeuf est plus coûteuse que l'huile, la société Unilever a rapidement appris à remplacer la graisse de boeuf par de l'huile : comme les comportements de fonte d'une émulsion d'huile ne permettent pas de faire des pâtes à tarte, l'industrie a "hydrogéné" les triglycérides, leur permettant de fondre à température supérieure.
On observera qu'il aurait été loyal de nommer différemment les émulsions aux matières grasses hydrogénées, afin de bien éclairer le public (la loi sur le commerce des denrées alimentaires de 1905 revendique que les produits vendus soit loyaux, sains et marchands). D'autre part, on n'aura pas lieu de craindre les émulsions faites de graisses hydrogénées, surtout depuis les progrès de l'industrie alimentaire dans ce domaine, il y a plus de deux décennies.
Autrement dit, voici au moins deux idées pour pallier une éventuelle absence de beurre : utiliser de la graisse de boeuf (clarifiée), ou utiliser de la margarine, pour les usages de type pâtisserie. Pour les cuissons ou d'autres usages tels que la confection d'émulsions (sauce mayonnaise, par exemple), pas besoin de beurre : l'huile suffit.
Mais la vraie question est celle du goût : une huile neutre est sans intérêt, autre peut-être que de faciliter économiquement des cuissons où le goût est apporté par ailleurs. Mais une huile sans goût ne vaut pas une huile avec goût, pas plus qu'une margarine n'aura le goût de beurre.
Bien sûr, on peut aussi imaginer de donner du goût à une margarine, en y ajoutant des composés sapides ou odorants variés, tel le diacétyle, ou bien le 1-cis-hexén-3-ol, ou des "arômes beurre" (qu'on devrait plus justement, plus honnêtement, nommer des compositions odorantes reproduisant l'odeur du beurre). Car le beurre n'est pas le nec plus ultra : on peut sans doute faire "mieux" (en définissant préalablement ce que le "mieux" signifie, et en n'oubliant pas qu'est bon ce que j'aime personnellement).
Terminons en signalant que le public est un peu girouette, à l'aune de l'histoire : quand le beurre se fit cher, du temps de Mège, la chimie qui produisit la margarine fut portée aux nues. De même, la chimie triompha quand le blocus continental provoqua une pénurie de sucre (de canne, importé des colonies), et que l'on découvrit comment faire du sucre de betteraves.
Je parie qu'un certain public qui jette l'anathème à la chimie aujourd'hui en dira du bien demain, quand le prix du beurre aura augmenté !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
De fait, hier, alors que j'avais acheté sans difficulté du beurre dans un supermarché, j'ai été interrogé par un journaliste qui préparait un article sur le thème : "puisqu'il y a une pénurie de beurre, comment s'en passer"... interview qui est arrivé alors que je sortais du tournage d'une émission de télévision, pour une chaîne nationale, sur le thème de la margarine.
Décidément, il faut expliquer les choses.
De quoi le beurre est-il fait ?
Commençons par expliquer que les corps gras sont majoritairement faits de composés nommés des "triglycérides". Pas (ou très peu) d'acides gras, dans cette affaire, contrairement à ce que des publicités fautives nous répètent de façon lancinante ! Toutes les molécules de triglycérides sont comme de minuscules peignes à trois dents, avec le "manche" qui ressemble à la molécule de glycérol (la glycérine), dont la colonne vertébrale est faite de trois atomes de carbone, et avec des dents qui ressemblent aux molécules d'acides gras, qui sont, elles, de longues chaînes d'atomes de carbone, liées à des atomes d'hydrogène, et, avec un groupe acide à une extrémité.
En réalité, les molécules de triglycérides sont donc composées d'un résidu de glycérol et de trois résidus d'acides gras.
Chaque triglycéride a un point de fusion très précis (par exemple 34 degrés, ou - 5 degrés, ou 47 degrés...), mais les mélanges de triglycérides, eux, sont des solides à températures suffisamment basse, qui fondent progressivement à mesure que la température augmente.
Et c'est ainsi que la matière grasse laitière, qu'elle soit dans le lait ou dans la crème ou encore dans le beurre ou le fromage, commence à fondre à partir de - 10 degrés, et finit de fondre à 55 degrés. Pour ce mélange particulier de triglycérides qu'est le beurre de cacao, la fonte commence à 30 degrés, et s'achève à 37 degrés.
Bien sûr, à part dans les huiles, il est rare que les matières grasses ne comportent que des triglycérides : par exemple, le beurre peut comporter de l'eau, avec toutefois une réglementation qui limite cette quantité à 16 pour cent (sans quoi des commerçants indélicats mettraient plein d'eau dans le beurre, et vendraient de l'eau au prix du beurre).
Le bon beurre
Le beurre, pour y revenir ? Il est préparé à partir du lait, lequel est une "émulsion", c'est-à-dire une dispersion de gouttelettes de matière grasse dans de l'eau. Il y a 36 grammes de matière grasse par litre (environ un kilogramme) de lait.
Quand on laisse le lait reposer, les gouttelettes de matière grasse viennent flotter à la surface, formant une émulsion plus concentrée : c'est la crème, dont, évidemment, la teneur en matière grasse dépend du temps de repos du lait.
Puis, quand on baratte la crème, c'est-à-dire quand on la brasse énergiquement, on obtient une masse grasse dont un liquide aqueux se sépare : c'est le beurre, qui, comme dit plus haut, a une teneur en eau réglementée.
Le beurre est cher ? C'est légitime : il faut quand même avoir élevé des vaches, avoir trait ces dernières, et avoir produit le beurre.
Bien plus facile que presser des graines de tournesol pour faire de l'huile ! Et, de fait, la question du prix du beurre se pose depuis longtemps, et notamment depuis l'époque du chimiste Michel Eugène Chevreul, qui encouragea le chimiste Hyppolite Mege à produire une copie du beurre qui fut nommée margarine.
Initialement, dans le premier brevet de Mège, en 1869, la recette de la margarine utilisait de la graisse de boeuf clarifiée, de la mamelle de vache broyée, un peu de lait, du bicarbonate de sodium et un colorant jaune.
Mège, qui prit ultérieurement le nom de Mège-Mouriès pour se distinguer d'homonymes, prétendait avoir fait un produit "supérieur"... mais je n'échange pas du bon beurre contre de la margarine ! En effet, la margarine n'as pas de goût (sauf si l'on a ajouté des composés odorants (que la réglementation nomme fautivement des "arômes", alors qu'il faudrait parler de compositions ou extraits odoriférants), et c'est juste de la graisse utilisable pour des usages techniques... qui oublient que la cuisine est d'abord une activité artistique, qui veut faire bon. Si c'est pour manger des nutriments, ce n'est pas la peine de cuisiner.
Pallier une pénurie de beurre
Mais laissons cette cuisine sans goût aux ignorants, et revenons à la margarine pour en dire qu'elle fut introduite afin de pallier un coût élevé du beurre. Mège-Mouriès vendit son brevet à la société Margarine Unie (qui deviendra Unilever), qui en a fait ... son "beurre".
D'ailleurs, comme la graisse de boeuf est plus coûteuse que l'huile, la société Unilever a rapidement appris à remplacer la graisse de boeuf par de l'huile : comme les comportements de fonte d'une émulsion d'huile ne permettent pas de faire des pâtes à tarte, l'industrie a "hydrogéné" les triglycérides, leur permettant de fondre à température supérieure.
On observera qu'il aurait été loyal de nommer différemment les émulsions aux matières grasses hydrogénées, afin de bien éclairer le public (la loi sur le commerce des denrées alimentaires de 1905 revendique que les produits vendus soit loyaux, sains et marchands). D'autre part, on n'aura pas lieu de craindre les émulsions faites de graisses hydrogénées, surtout depuis les progrès de l'industrie alimentaire dans ce domaine, il y a plus de deux décennies.
Autrement dit, voici au moins deux idées pour pallier une éventuelle absence de beurre : utiliser de la graisse de boeuf (clarifiée), ou utiliser de la margarine, pour les usages de type pâtisserie. Pour les cuissons ou d'autres usages tels que la confection d'émulsions (sauce mayonnaise, par exemple), pas besoin de beurre : l'huile suffit.
Mais la vraie question est celle du goût : une huile neutre est sans intérêt, autre peut-être que de faciliter économiquement des cuissons où le goût est apporté par ailleurs. Mais une huile sans goût ne vaut pas une huile avec goût, pas plus qu'une margarine n'aura le goût de beurre.
Bien sûr, on peut aussi imaginer de donner du goût à une margarine, en y ajoutant des composés sapides ou odorants variés, tel le diacétyle, ou bien le 1-cis-hexén-3-ol, ou des "arômes beurre" (qu'on devrait plus justement, plus honnêtement, nommer des compositions odorantes reproduisant l'odeur du beurre). Car le beurre n'est pas le nec plus ultra : on peut sans doute faire "mieux" (en définissant préalablement ce que le "mieux" signifie, et en n'oubliant pas qu'est bon ce que j'aime personnellement).
Terminons en signalant que le public est un peu girouette, à l'aune de l'histoire : quand le beurre se fit cher, du temps de Mège, la chimie qui produisit la margarine fut portée aux nues. De même, la chimie triompha quand le blocus continental provoqua une pénurie de sucre (de canne, importé des colonies), et que l'on découvrit comment faire du sucre de betteraves.
Je parie qu'un certain public qui jette l'anathème à la chimie aujourd'hui en dira du bien demain, quand le prix du beurre aura augmenté !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
vendredi 2 mars 2018
Questions About Note by Note Cooking
How does note by note cooking work?
To say it in one sentence: note by note cooking means making dishes from ingredients that are pure compounds (such as water, triglycerides, proteins, lipids, phenolics, colorants, odorants compounds, taste compounds, vitamins, oligo-elements).
In order to understand better, a comparison with synthetic music is helpful.
Indeed, two centuries ago, music was performed using traditional instruments, and cooking was using traditional ingredients. Then one century ago, physicists began analyzing sounds into pure waves, as chemists were analyzing food into pure compounds. About 50 years ago, one room full of computers was used to synthesize music from pure waves, but today a synthesizer costs only 20 euros in a shop for children. For food? Pure compounds are cheap, and it's easy to make synthetic food. This is note by note cooking.
You have said in the future we won't cook with fruit, vegetables or meat, but note by note with pure compounds. Why?
I am not sure that I would say that exactly... and I don't have crystal ball!
But I say that fruits and vegetables are fragile physical-chemical systems, full of water, so that they are expansive to transport (transporting water!), and they are easily damaged.
In order to reduce spoilage, it would be useful to extract water from plant tissues at the farm, so that only "dry" nutrients would be transported, without cold systems (expansive, energy consuming, bad gases for the climate).
This would also have the advantage of making the prices more regular, because of the possibility of storage.
And of course, the plants needed to produce sugars, lipids, amino-acids and proteins, etc. would not be the traditional ones.
But instead of saying that there would be no carrots, I would say that as for music, there will probably be traditional as well as new food ingredients.
How can the industry prepare for note by note cooking? Particularly suppliers, manufacturers, supermarkets and chefs?
Today, we observe the creation of small companies selling products for note by note cooking, but indeed this is one of my old goals: selling additives, odorant compounds, etc. to anybody. Just as gelatin was introduced in supermarkets and vanillin preparations, pure compounds for note by note cooking can be sold there.
Indeed I am confident because having introduced gelling agents from algae in the food sector, I see them now in supermarkets. The same for some tools such as siphons or low temperature cooking.
For note by note cooking, it will follow the same process.
How can you see note by note cooking changing the way we make and sell food?
Indeed note by note cooking done as it is done today is probably too difficult for the public, just as the first synthesizers were to complex, and only for specialists. But music companies made simpler synthesizers for children, so that today anybody can use them.
I have the feeling that food companies have an opportunity to create tools for cooking (3D printing systems, for example), but also "kits", instead of pure compounds.
What new dishes could be created through this cooking?
Note by note cooking is cooking, not producing new ingredients. It creates new dishes (second part of the question). And here, the possibilities are infinite: using note by note cooking, you can create EVERYTHING! The shape you want, the consistencies you want, the colors you want, the odor you want, the number of calories you decide, etc.
Do you think more unusual ingredients could become more accepted (like algae for example) if note by note cooking is introduced?
It is a hope, and a goal. I hate the idea that additives are only for companies. Either such compounds are useful, and the public should have it, or they are not, and the industry should not use them. The same for odorant compounds, or "flavourings".
And I want to give the public the possibility to decide and innovate. Consider, for example, a flavourings with a "strawberry flavour". This steals from the chef the possibility to decide for the flavour of the dishes that he or she is creating. And this is why, for odors, I want pure odorant compounds being sold (dissolved in oil, for example), so that the creator can decide.
By the way, I analyze that the public fear of additives and other products is partly due to the fact that it cannot buy it and use it in home kitchens.
What problems in the world could note by note cooking tackle? Is it expensive?
Food security, by fighting spoilage
Energy savings: transportation and cold techniques
Water savings in arid countries
Making prices even
Allergies
Quantity of calories
Making food from unedible plants (by fractionation, keeping only the good compounds)
No, it's not expensive: you can buy plant proteins by tons, for example, and odorant compounds are very cheap, because a pure bottle of one of them is about 10 euros... and you have to dissolve by one billion, often.
To say it in one sentence: note by note cooking means making dishes from ingredients that are pure compounds (such as water, triglycerides, proteins, lipids, phenolics, colorants, odorants compounds, taste compounds, vitamins, oligo-elements).
In order to understand better, a comparison with synthetic music is helpful.
Indeed, two centuries ago, music was performed using traditional instruments, and cooking was using traditional ingredients. Then one century ago, physicists began analyzing sounds into pure waves, as chemists were analyzing food into pure compounds. About 50 years ago, one room full of computers was used to synthesize music from pure waves, but today a synthesizer costs only 20 euros in a shop for children. For food? Pure compounds are cheap, and it's easy to make synthetic food. This is note by note cooking.
You have said in the future we won't cook with fruit, vegetables or meat, but note by note with pure compounds. Why?
I am not sure that I would say that exactly... and I don't have crystal ball!
But I say that fruits and vegetables are fragile physical-chemical systems, full of water, so that they are expansive to transport (transporting water!), and they are easily damaged.
In order to reduce spoilage, it would be useful to extract water from plant tissues at the farm, so that only "dry" nutrients would be transported, without cold systems (expansive, energy consuming, bad gases for the climate).
This would also have the advantage of making the prices more regular, because of the possibility of storage.
And of course, the plants needed to produce sugars, lipids, amino-acids and proteins, etc. would not be the traditional ones.
But instead of saying that there would be no carrots, I would say that as for music, there will probably be traditional as well as new food ingredients.
How can the industry prepare for note by note cooking? Particularly suppliers, manufacturers, supermarkets and chefs?
Today, we observe the creation of small companies selling products for note by note cooking, but indeed this is one of my old goals: selling additives, odorant compounds, etc. to anybody. Just as gelatin was introduced in supermarkets and vanillin preparations, pure compounds for note by note cooking can be sold there.
Indeed I am confident because having introduced gelling agents from algae in the food sector, I see them now in supermarkets. The same for some tools such as siphons or low temperature cooking.
For note by note cooking, it will follow the same process.
How can you see note by note cooking changing the way we make and sell food?
Indeed note by note cooking done as it is done today is probably too difficult for the public, just as the first synthesizers were to complex, and only for specialists. But music companies made simpler synthesizers for children, so that today anybody can use them.
I have the feeling that food companies have an opportunity to create tools for cooking (3D printing systems, for example), but also "kits", instead of pure compounds.
What new dishes could be created through this cooking?
Note by note cooking is cooking, not producing new ingredients. It creates new dishes (second part of the question). And here, the possibilities are infinite: using note by note cooking, you can create EVERYTHING! The shape you want, the consistencies you want, the colors you want, the odor you want, the number of calories you decide, etc.
Do you think more unusual ingredients could become more accepted (like algae for example) if note by note cooking is introduced?
It is a hope, and a goal. I hate the idea that additives are only for companies. Either such compounds are useful, and the public should have it, or they are not, and the industry should not use them. The same for odorant compounds, or "flavourings".
And I want to give the public the possibility to decide and innovate. Consider, for example, a flavourings with a "strawberry flavour". This steals from the chef the possibility to decide for the flavour of the dishes that he or she is creating. And this is why, for odors, I want pure odorant compounds being sold (dissolved in oil, for example), so that the creator can decide.
By the way, I analyze that the public fear of additives and other products is partly due to the fact that it cannot buy it and use it in home kitchens.
What problems in the world could note by note cooking tackle? Is it expensive?
Food security, by fighting spoilage
Energy savings: transportation and cold techniques
Water savings in arid countries
Making prices even
Allergies
Quantity of calories
Making food from unedible plants (by fractionation, keeping only the good compounds)
No, it's not expensive: you can buy plant proteins by tons, for example, and odorant compounds are very cheap, because a pure bottle of one of them is about 10 euros... and you have to dissolve by one billion, often.
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