lundi 31 juillet 2023

Vive les sciences quantitatives : encore la question du calcul

 Dans des billets précédents, j'ai discuté la question du calcul, mais je propose de la reformuler un peu différemment. 

Prenons un phénomène du monde, par exemple la couleur verte des haricots, qui change à la cuisson, où le changement de couleur de framboises placées dans une casserole étamée (c'est-à-dire intérieurement couverte d'étain). 

C'est un trait de caractère humain que de chercher les mécanismes de ces phénomènes. Chacun y va de son explication. Par exemple, le poète pourra imaginer des affinités sensibles ; le géographe discutera l'origine de l'étain, l'historien l'apparition de ce métal au cours de l'histoire, il construira un discours autour de l'histoire de la précision culinaire  ; le botaniste introduira des questions de répartitions des variétés de framboises dans les territoires,  les relations avec le sol ; l'alchimiste (au sens moderne du mot, et non au sens des siècles du passé, qui ne faisaient pas de différence entre l’alchimie et la chimie) invoquera des effets étranges, mystérieux ; le peintre discutera les questions de teintes... 

Les hommes et femmes des sciences quantitatives, eux, commenceront par caractériser la couleur : « rouge », cela ne signifie rien, car il y a des myriades de rouges différents dans le monde. D'ailleurs, même, la couleur est-elle homogène, partout sur la framboise ? A l'extérieur comme à l'intérieur ? 

A l'issue du travail de caractérisation quantitative, il y aura une foule de données, de résultats de mesures, répétées, multipliées, croisées en raison de l'utilisation de différentes techniques, validées donc. Et là, il s'agira d'élaborer un récit. Evidemment, il y a les pigments des fruits et les ions métalliques, pour commencer, mais avec ces deux ingrédients, on peut élaborer mille théories, milles possibilités. Par exemple, les ions métalliques pourraient agir comme des catalyseurs, qui iraient favoriser certaines réactions qui conduiraient à des changements de couleur. On peut aussi imaginer des « complexations », les ions métalliques se liant aux électrons délocalisés des cycles aromatiques des composés phénoliques responsables de la couleur des fruits... 

Cette fois, il n'y a pas de sentiment à avoir : seule s'impose l'identification correcte du mécanisme du phénomène. On aura observé avec quelle soin j'évite d'utiliser le mot « vérité », mais, en réalité, il est bien évident que la recherche scientifique cherche le « vrai » mécanisme ! 

Oui, on sait bien que la théorie produite sera insuffisante, mais quand même : on ne retiendra que celle qui est compatible avec les résultats quantitatifs précédemment obtenus. C'est donc un usage du mot « vérité » restreint qui est proposé, et non pas l'acception grandiloquente que prêtent certains philosophes dans ce procès d'intention qu'ils font à la science quantitative.

 Bref, il s'agit de sélectionner un mécanisme, et c'est là où les sciences quantitatives diffèrent des autres savoirs : c'est l'adéquation des résultats de mesures expérimentales aux prévisions théoriques qui détermine le choix du mécanisme à retenir. Alors que des roquets ne cessent, pour des raisons essentiellement politiques, de contester la puissance intellectuelle des sciences quantitatives, d'essayer de relativiser ses résultats, s'impose donc absolument une méthode. En un mot, le « récit » des sciences quantitatives n'a rien de commun avec tous les autres récits possibles, et, à y bien regarder, on ne sort guère convaincu des critiques qui ont été portées à l'encontre de la méthode des sciences quantitatives. Certes, c'est un acte de foi que de penser que le monde est écrit en langage mathématique, mais, si l'on met de côté cet acte de foi très dynamisant, alors l'humble méthode des sciences quantitatives paraît quand même s'imposer pour la sélection des récits à propos du monde. 

Vive les sciences quantitatives

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