Mon correspondant me parle de "goûts" et de "saveurs", mais pour bien analyser sa question, et pour bien répondre, il faut clairement distinguer les deux termes. Commençons donc ainsi, par nous entendre sur les mots.
Le goût, c'est la sensation complète
que l'on a quand on mange quelque chose.
Par exemple, quand on mange
une fraise, on a un goût de fraise.Simple, non ? Et juste de surcroît ;-)
Ce goût est constitué de
différentes sensations élémentaires, à commencer par la consistance.
Puis
il y a aussi la température, qui intéresse notre correspondant.
Quand on
mastique, l'aliment libère des composés solubles dans l'eau et qui, en
conséquence, se dissolvent dans la salive et peuvent, au moins pour
certains, venir se lier à des récepteurs des papilles et l'on perçoit
alors les saveurs.
Mais tandis que l'on mastique, d'autres molécules sont
libérés dans l'air de la bouche : notamment des molécules peu solubles dans l'eau telles que sont souvent les
molécules odorantes ; et ces molécules là remontent vers le nez par les
fosses rétronasales et donnent une odeur que l'on peut qualifier de
rétronasales.
N'oublions pas les piquants et les frais, qui sont
dues à des molécules soit solubles dans l'eau, soit non solubles dans l'eau
et qui vont stimuler un neft particulier nommé nerf trijumeau de sorte
que les sensations sont dites trigéminales.
Il y a encore d'autres
modalités sensorielles et par exemple la perception des acides gras à
longue chaîne insaturées, formés quand des enzymes de la bouche
décomposent les molécules de triglycérides qui constituent les graisses.
Et j'en passe. J'allais par exemple
oublier la couleur qui est si importante, au point que dans une pièce
noire, on ne distingue pas un vin rouge d'un vin blanc !
Et les mots
aussi ont leur importance : il suffit de dire le mot citron un grand
nombre de fois pour avoir dans la bouche une salive abondante, qui fait
un effet de tampon chimique, modifiant par exemple la perception de
l'acidité.
Et l'environnement général de la dégustation, et... et je m'arrête là parce que je risque d'être trop long.
Mais concluons : le goût, c'est tout cela à la fois (et la saveur n'est qu'une petite partie).
Tout
cela étant dit, il y a maintenant les faits physico-chimiques qui
consistent essentiellement à observer que plus l'aliment est chaud et plus
les molécules odorantes seront libérées facilement : cela
devrait conduire à une perception olfactive augmentée.
Mais en réalité,
on sait aussi que, pour certaines molécules sapides au moins, et dans une certaine gamme, la
perception des saveurs est améliorée par la température... au
moins jusqu'à un certain point. Et c'est ainsi que les charcutiers savent bien
qu'il faut saler particulièrement leur terrine ou leur saucisson par
exemple.
Bien sûr, quand on se brûle la bouche, on ne perçoit plus
les saveurs et, d'ailleurs, on ne perçoit plus non plus les goûts, car le
goût est comme une sorte de trépied : si l'on retire un pied, tout
s'effondre.
Et c'est en vertu de ce principe que les personnes âgées à
qui l'on a remplacé beaucoup de dents, et qui ont ainsi perdu la
capacité de bien détecter les consistances, sentent moins les goûts.
C'est aussi en vertu de cela que quand on est enrhumé, on perd
tout le goût et pas seulement la composante olfactive.
Bref, il
faut tout pour bien sentir le goût.
Terminons en évoquant les récepteurs, auxquelles les diverses molécules, sapides, odorantes, etc. se lient, afin de créer nos sensations. Là, il peut y avoir des questions de température, pour leur liaison à leurs "ligands".
Mais tout cela n'est que
physiologie alors que mon interlocuteur m'interroge sur les préférences
Or là, il ne s'agit plus de technique, de science, de physiologie, de physique, de chimie, mais de
préférences, individuelles et changeantes.
On a pas assez observé que le bon,
c'est le beau à manger, et que ce beau ne connaît pas de règles.
On le comprend bien avec la musique : alors qu'un accord de do et de fa dièse a longtemps été considéré comme effroyable, Jean Sébastien Bach en a fait une beauté sublime ! Idem pour la peinture, la littérature, la sculpture ! Bien sûr, quand on ne sent plus rien parce qu'on s'est brûlé la bouche,
on ne sent plus rien... mais on peut même imaginer des convives qui vont
préférer cela : après tout, il y a des sadiques et des masochistes dans l'espèce humaine, non?
Et puis, on sait assez que le Français aiment les escargots, tandis que les Anglais les détestent. On sait assez les enfants qui n'aiment pas les épinards, alors que ces derniers sont délicieux avec du beurre et de la crème, par exemple. On connaît le munster, en Alsace, le durian en Asie. Et ainsi de suite.
La leçon, c'est qu'il ne faut jamais confondre le technique et l'artistique : oui, je dis bien artistique, en pensant au "beau à manger", le bon. J'ajoute que, pour le beau en général, il est étudié depuis des siècles, non pas par les scientifiques, mais par les praticiens de cette une branche de la philosophie qui a pour nom
esthétique et qui considère tout particulièrement le beau.
En
cuisine, je répète que le beau à manger c'est le bon, et je répète qu'il n'y a pas de
règle technique pour faire du bon, mais seulement un génie artistique pour le créer. Et j'admire sans réserve les grands artistes.
Pour en savoir plus, j'ai écrit tout un livre à ce sujet :
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