vendredi 10 janvier 2025

L'effet cafétaria ? L'effet campus ? Je n'y crois guère

 Discutant avec le directeur d'un institut de recherche, nous évoquons la question du campus de Palaiseau, sur lequel sont venues s'installer plusieurs grandes écoles, à côté de l'université. 

Les bâtiments ont été construits, les routes sont devenues à peu près praticables et il n'est plus complètement impossible d'arriver jusqu'à nos laboratoire et à nos salles de cours. 

Pour autant, la question est plutôt de savoir si cela sert à quelque chose d'avoir ainsi déménagé tant de monde. 

Bien sûr, l'opération a permis de  vendre des locaux parisiens à prix d'or, mais pensons quand même à l'activité de recherche et l'enseignement supérieur : quel bénéfice ? 

Si l'on n'a fait que transposer les institutions en un lieu, alors, du point de vue de la production scientifique, c'est bien inutile. 

Si c'est pour favoriser les "collaborations", alors j'ai des doutes, parce que je sais trop bien que le prétendu "effet cafétéria" joue très peu. Quand j'étais au collège de France, je voyais les physiciens s'agréger aux physiciens, les chimiste aux chimistes, et les biologistes aux biologistes, qu'il s'agisse de prendre l'ascenseur ou d'aller à la cafétéria. 

Puis, rue Claude Bernard, j'ai vu les membres des laboratoires ne pas franchir les portes qui les séparaient des laboratoires voisins. 

Evidemment les institutions s'en émeuvent, et elles cherchent à favoriser des collaborations en leur sein, mais au fond, pourquoi ? 

Pour l'enseignement, on voit que les professeurs de laboratoire différents pourraient utilement être invités à des cursus qui ne soient pas trop focalisés, qui ouvrent l'esprit vers des objets différents, variés. 

Mais pour  la recherche ? La question est différente, car, bien souvent, nous collaborons avec des gens de l'autre bout de la terre plutôt qu'avec nos collègues proches pour la simple et bonne raison que ces collègues éloignés partagent nos goûts, nos idées, nos cultures scientifiques, et que les collaborations sont "faciles".  

En revanche, le laboratoire voisin n'est pas nécessairement de ceux qui pourront nous apporter beaucoup. Bien sûr on peut faire des efforts mais à faire des efforts, on se détourne de sa recherche et on en vient à perdre notre temps. Le faut-il vraiment ?

Annoncer la couleur / Announcing the colour

 


(see the English version after the French one)





À propos de communication : ne tirons pas nos amis derrière nous mais invitons les à nous précéder.



Je décris ici une expérience que je fais avec les étudiants pour leur expliquer le rôle d'une introduction.


Il s'agit d’abord, dans une classe, d'aller vers un étudiant en particulier, sans rien expliquer, de le prendre par le bras, sans prévenir, et le de le tirer vers un point de la pièce.

Régulièrement, vu le climat amical que je cherche à restaurer, l'étudiant qui est ainsi pris par le bras se lève et me suit, mais tout le monde dans la pièce voit bien qu'il ou elle a des hésitations, ce qui est légitime puisqu'il ou elle ne sait pas ce que nous allons faire, où nous allons.


À ce moment, je remercie l'étudiant qui s'est levé et je dis que c'est la fin de la première moitié de l'expérience. Je lui propose de se rasseoir.


J'annonce alors que nous allons faire la seconde moitié de l'expérience et je me dirige vers un autre étudiant, en expliquant bien que cela éclairera la première moitié. Cette fois-ci, je me mets plutôt derrière l’étudiant choisi, et je lui indique très clairement que c'est pour le besoin de l'expérience que je vais avoir besoin de son concours. Je m'assure extrêmement poliment qu'il ou elle accepte de participer à l'expérience en signalant bien qu'il n'y a aucun risque, aucun danger et que c'est juste une manière de faire mieux comprendre aux autres ce dont il s'agit.

Avec des « s'il vous plaît », des « accepteriez-vous », je propose à l'étudiant de se lever et d'aller vers le point de la pièce où je traînais le premier étudiant précédemment.


Et là, notre ami s'y dirige si vite que j'ai de la peine à le suivre et que je le remercie immédiatement en lui disant que l’expérience est terminée, et qu’il ou elle peut se rasseoir.


J'analyse alors l'expérience en disant que dans le premier cas, la personne ne savait pas où elle allait et qu'elle ne pouvait pas y aller de façon véritablement correcte ; en revanche dans le secon cas, puisque l'objectif était bien clair, la personne est allée rapidement, me précédant.


J'explique alors que cette expérience est une métaphore des actions de communication, écrites ou orales. Dans un texte, par exemple, il est de toute première importance d'expliquer ce qui va être présenté ; dans une présentation orale, de même.

D'où l'intérêt d'une table des matières, mais pas une liste sèche, plutôt une vraie explication.

Evidemment, il ne faut pas que l'introduction dise déjà tout, il s'agit simplement de décrire le chemin que nous allons suivre, par écrit au par oral.





Speaking of communication: let's not drag our friends behind us but invite them to precede us.



Here I describe an experiment I do with students to explain the role of an introduction.


First of all, in a class, I go up to a particular student, without explaining anything, take him by the arm, without warning, and pull him towards a point in the room.

Regularly, given the friendly atmosphere I'm trying to restore, the student who is taken by the arm in this way gets up and follows me, but everyone in the room can see that he or she is hesitating, which is legitimate because he or she doesn't know what we're going to do or where we're going.


At this point, I thank the student who has stood up and say that this is the end of the first half of the experiment. I ask him to sit back down.


I then announce that we're going to do the second half of the experiment and move towards another student, explaining that this will shed light on the first half. This time I stand behind the chosen student and make it very clear that I'm going to need his help for the experiment. I politely make sure that he or she agrees to take part in the experiment, pointing out that there is no risk, no danger, and that it's just a way of making the others understand better what it's all about.

With ‘please’ and ‘would you accept’, I suggested that the student get up and go to the part of the room where I had previously dragged the first student.


Our friend went there so quickly that I could hardly keep up and immediately thanked him or her, telling them that the experiment was over and that they could sit back down.


I then analysed the experiment, saying that in the first case, the person didn't know where they were going and couldn't really get there properly; on the other hand, in the second case, because the objective was clear, the person went quickly, preceding me.


I then explain that this experience is a metaphor for communication actions, whether written or oral. In a text, for example, it's of the utmost importance to explain what's going to be presented; in an oral presentation, likewise.

Hence the importance of a table of contents, but not a dry list, rather a real explanation.

Obviously, the introduction doesn't have to say everything, it simply has to describe the path we are going to follow, in writing or orally.


jeudi 9 janvier 2025

Etudier ? Il y a de l'intrinsèque, de l'extrinsèque, du concommitant... mais surtout de l'intrinsèque

J'ai déjà discuté la question de la division de mon propre travail selon les trois axes intrinsèque, extrinsèque, concomitant. De même, je crois que nos amis étudiants gagneraient à bien penser, leurs études de cette façon. 

La question intrinsèque des études ? C'est d'étudier, d'apprendre. Apprendre des notions théoriques, apprendre des méthodes, apprendre des informations, apprendre des valeurs, apprendre des savoir être... C'est évidemment passionnant. Tout cela est intrinsèque. 

L'extrinsèque, ce sont les notes, les appréciations, les diplômes... Bien sûr, quand on fait un travail, et qu'on veut le faire bien, il y a un certain plaisir à être reconnu pour ce travail.
Mais le travail lui-même est bien différent de sa reconnaissance et au fond, c'est le travail qui est important plus que la reconnaissance qui vient de surcroît.
D'ailleurs, à ce propos, je me souviens personnellement que, quand j'étais en classe de préparation aux concours des grandes écoles d'ingénieurs (Math Sup, Math Spé), je n'avais pas le sentiment qu'il s'agissait d'un concours mais simplement d'un travail passionnant. Et  je peux dire aujourd'hui que j'ai passé deux excellentes années à apprendre ; l'émerveillement intellectuel était à son comble, et, entièrement focalisé sur l'aspect intrinsèque de mes études, j'en ai tiré un bonheur immense. L'admission dans une merveilleuse école est venue de surcroît, naturellement en quelque sorte.

Et passons à la troisième composante des études, ce qui est la composante concommitante, c'est-à-dire la position dans le monde,  la reconnaissance de notre entourage, de notre famille... Là, je suis assez mal placé pour en parler car je suis trop insensible à cet aspect mais je compte sur mes amis pour m'expliquer les choses et développer ultérieurement cette composante.

On a compris que c'est évidemment la composante intrinsèque qui m'anime : c'est un peu asocial, d'être ainsi focalisé (sur la recherche scientifique), mais est-il vraiment nécessaire de détourner plus de temps que je ne le fais à mes propres études ?

Quel rapport choisir ?

 Bien sûr, on peut vivre comme l'oiseau sur la branche, comme la girouette au gré du vent, mais on peut aussi décider un peu de son destin, n'est-ce pas ?  Une des difficultés des étudiants, c'est le partage entre les études et la socialisation... Mais n'est-ce pas aussi une des difficultés de nos collègues ? 

On voit les étudiants se préoccuper des soirées, du bar des élèves, d'activités variées qui n'ont rien à voir avec la chimie, les mathématiques, la physique ou  la biologie... Evidemment  ces activités de "socialisation" prennent du temps sur les études, qui sont la véritable raison de leur présence à l'université. Combien de temps consacrer à tout cela, sachant que c'est du temps pris sur les études ? 

A une question aussi difficile, il vaut mieux répondre par une boutade :  Alphonse Allais, qui écrivait dans les cafés, disait "Je hais la vie de brasserie car elle nuit à la prière et l'étude". 

Cela étant, on aura intérêt d'observer qu'une question analogue se pose à nos collègues qui enchaînent les réunions, se plaignant que cela prend du temps sur la recherche, mais ne cherchant guère à y échapper. 

Ils se retrouvent  dans des salles, et pas toujours avec une efficacité parfaite au sens d'une activité personnelle qu'ils auraient pendant la totalité du temps de la réunion. 

Cela n'est pas une critique mais une observation et il s'ensuit que sous une forme différente, se pose la même question de savoir comment répartir le temps entre les réunions et les travaux personnels. 

Je n'ai pas de solution pour mes amis, et à peine pour moi : cela fait bien longtemps que j'ai sabré dans les réunions et que seule mon activité de production scientifique m'intéresse. 

Mille feuilles, vraiment ?

 
Alors que l'on célèbre l'Epiphanie (pour les Chrétiens, l'apparition de Dieu par les rois mages), on mange de la galette, laquelle est un cousin du gâteau mille-feuille. 

Ce gâteau comporte-t-il vraiment mille feuilles ?  Quand on fait un feuilletage, on part d'une couche de beurre  dans une enveloppe de pâte :  cela fait donc deux couches de pâte.  seulement. Si l'on étend, puis que l'on replie en trois, alors on obtient trois couches de beurre et 4 couches de pâtes. Et on fait cet étalement/repliement six fois au total, de sorte que l'on calcule 3, puis 9, puis 27, puis 81, puis 243, puis 729 couches de beurre, et donc 730 couches de pâte. 

Avec  deux pâtons  de ce type superposés, alors on dépasse largement les mille feuilles. Le nom n'est donc pas usurpé.

mercredi 8 janvier 2025

Les dormeurs

Professeur de piano et de composition, de musique en un mot, Nadia Boulanger, qui fut mondialement célèbre en son temps, recevait des musiciens parmi les meilleurs du monde dans ses cours public et elle avait une idée très haute de sa responsabilité de professeur. 

Ses entretiens avec Bruno Monsaingeon montrent qu'elle faisait une véritable différence entre des musiciens de génie comme Stravinsky et d'autres, qui ne déméritaient pas, mais qui n'avaient pas de  feu, de puissance créatrice, de style...

Elle utilise le mot de "dormeur" pour désigner ces personnes qui ne sont pas enflammés. Elle ne les critique pas mais elle les juge quand même. Par ces temps politiquement corrects, je ne suis pas sûr qu'elle emporterait l'adhésion de tous avec sa classification. 

D'ailleurs, personnellement, je ne pense pas que l'on puisse ainsi classer les étudiants selon un axe unique car comme disait Confucius,  l'homme n'est pas un ustensile, il n'a pas une seule dimension mais de nombreuses. 

Tel étudiant qui manie bien les équations ne sera peut-être pas celui qui comprendra le mieux les concepts. D'ailleurs, depuis plusieurs années, je m'étonne que les étudiants qui me semblent les plus brillants ne soient pas nécessairement ceux qui ont les meilleures notes quand une évaluation est proposée. C'est pour moi une énigme, parce que je trouve cela en quelque sorte injuste que les plus attentifs ne soient pas les meilleurs. 

Mais c'est là une grande naïveté de ma part et puisque les faits sont les faits, je dois en tenir compte plutôt que de vouloir imposer mes propres idées fausses.

mardi 7 janvier 2025

L'attention

 

Lisant les interviews de Nadia Boulanger par Bruno Monsaingeon, je trouve une foule d'idées intéressantes. Par exemple, apparemment, la mère de la professeur de piano et de composition avait inculqué à ses filles que tout était dans l'attention : on n'existe que si l'on est attentif, selon elle. 

Pour l'enseignement supérieur, la question est essentielle :  bien souvent, les erreurs des étudiants découlent d'une attention insuffisante. Il faut une attention à tout, aux concepts, aux détails. Notamment en sciences tout compte. Dans une formule, un seul signe erroné et tout s'effondre. 

C'est l'occasion ici de redire que j'ai eu le bonheur de voir le cahier de laboratoire du physicien Pierre Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991, et il m'avait  émerveillé tant il était précis, soigneux. Manifestement, il y avait la plus grande attention portée à tout ce qui était écrit. La calligraphie,  au fond, était un révélateur de cette attention extrême, de cette focalisation sur l'objet. 

Oui, il faut être attentif . Je ne vais pas virer vieux con qui dénonce des écrans, les moyens modernes de communication, mais il est vrai que quand je veux me concentrer, j'évite que des alertes électroniques ne me sollicitent toutes les secondes, que des images mobiles ne captent mon regard. Quand je fais une expérience, je nettoie par avance la paillasse, pour n'y laisser, de façon organisée, structurée, planifiée, que les  objets importants que j'utiliserai. 

Et je me rends disponible, attentif, car la nature interrogée a beaucoup à dire.