jeudi 14 mars 2024

Encore du coulibiac

Faire un bon coulibiac  ? 

 

Commençons par le nom : coulibiac, ou koulibiac, ou encore koulibiac. Une préparation qui vient de l'Europe de l'Est : certains disent russe, mais ne serait-ce pas pologne, ou un autre de ces pays ? 

En tout cas, elle  se fait avec du saumon dans une pâte feuilletée, et le problème culinaire essentiel, c'est que la cuisson de la pâte, pour qu'elle soit croustillante, doit durer assez longtemps, de sorte que le poisson risque de trop cuire et de devenir sec. 

Les cuisiniers d'antan ont trouvé le moyen d'isoler le poisson :  avec des épinards, du riz, des œufs durs... 

Et je dis bien que la recette a trouvé le moyen d'isoler thermiquement le poisson :  c'est la raison pour laquelle ce dernier doit se trouver séparé de la pâte par des épinards, d'un côté et séparé par le riz, de l'autre. 

Évidemment, les épinards et le riz ne doivent pas être de secs d'ingrédients et il faut leur donner du moelleux, par exemple avec de la crème béchamel pour les épinards, par exemple avec quelques légumes cuisinés dans le riz. 

Bien évidemment, le poisson doit se trouver au milieu, bien séparé donc des sources de chaleur que sont le dessous et le dessus du pâté.

Toutefois, ces solutions ne sont pas parfaitement efficaces, car, pour avoir une pâte feuilletée bien croustillante, il faut cuire longtemps : plus de 40 minutes ! Et le poisson risque de cuire trop. 

Toutefois aujourd'hui, nous avons des systèmes nouveaux pour résoudre les problèmes techniques, et notamment, le poisson pourrait être congelé, ou du moins très froid. 

D'autre part, l'expérience qui consiste à mesurer la température d'un blanc d'oeuf battu en neige que l'on chauffe au chalumeau par dessus montre que le blanc en neige est un très bon isolant thermique. De sorte que  l'on gagnerait peut-être à changer la recette pour y introduire une telle mouse. Du blanc d'oeuf battu en neige ? Comme il risque de ne pas tenir à la cuisson, il faudra l'introduire dans une sauce visqueuse, telle une béchamelle, ou bien remplacer l'oeuf dur classique par de l'oeuf entier battu très longtement, comme pour une omelette soufflée. 

 

Bref il y a de nombreux moyens pour perfectionner une recette classique qui n'attend que cela car on n'a pas assez dit que les anciens n'avaient dit les moyens intellectuels ni les moyens techniques que nous avons aujourd'hui. Notre cuisine actuelle est sans doute bien plus perfectionnée que les brouets que l'on trouvait au Moyen-Âge.

lundi 11 mars 2024

On me demande une recette de soufflé

 Pour une recette de soufflé au fromage, je dirais :

0. préchauffer le four à 180 °C
1. dans une casserole, 50 g de beurre et 50 g de farine, faire un roux
2. détendre avec 200 g de lait, chauffer pour épaissir
3. ajouter sel, noix de muscade, paprika, piment de cayenne, poivre
4. puis 100 g de fromage
5. laisser refroidir, puis ajouter 4 jaunes d'oeufs
6.  beurrer des ramequins, puis les fariner
7. battre les blancs en neige ferme à part
8. ajouter les blancs en neige à la béchamel au fromage
9. verser dans les ramequins aux 2/3
10. enfourner les ramequins : les poser sur la sole chauffée du four, et cuire pendant 15 à 30 min selon grosseur

A noter que nous avons eu un séminaire "soufflés" il y a deux mois (voir les résultats sur le site) :


Combien d'eau dans un oeuf ?

Combien d'eau dans un oeuf ? 

Les données sont : 

- un oeuf, c'est envirno 60 g

- le blanc, c'est 40 g, avec 90 % d'eau

- le jaune, c'est 20 g, avec 50 % d'eau. 

 De sorte que :
90 % d'eau dans le blanc, soit 36 g (0.9*40 =  36.0)
Pour le jaune, 50 %,  soit 10 g.
Au total, 46 g sur 60, soit
46/60 = 0.77

Ainsi, un oeuf contient 77 % d'eau. 

samedi 9 mars 2024

Les remerciements (dedication, en anglais)

Dans une thèse, je vois des remerciements un peu "naïfs" : 
 
"Je remercie Maman et Papas pour leur soutien, Maman, ce sera ton année. Benoît et Manon, merci d’avoir assisté à ce moment si important pour moi et de l’avoir apprécié (ce n’était pas gagné avec cette histoire de culture et de confiture …). Papi et Mamie, je suis fière mais aussi très reconnaissante que vous ayez pu assister à ma soutenance de thèse. J’ai également une pensée très émue pour ma Tata et mon Tonton : j’espère que vous êtes quand même très fiers de nous là-haut ! Et enfin, mon Toutou, je voudrais te remercier pour ton soutien sans faille, tes nombreux encouragements et ton amour. Nous avons tellement grandi dernièrement et je suis si fière de notre parcours". 

Pourtant, quand j'essaie d'expliquer pourquoi ce type de paragraphe est déplacé, je n'y arrive pas toujours. Il fallait donc une analyse, que voici : 
 
La question, dans un document public, est de bien nous adresser à qui nous voulons comme lecteurs. 
Or,  -idéalement- ce sont des collègues inconnus, des "étrangers"  qui ne connaissent pas notre vie personnelle et qui ne nous lisent pas pour la connaître (le moi est haïssable, disait Blaise Pascal).
Certes, les proches seront parmi nos lecteurs, mais ils forment une toute petite partie de ce lectorat, de sorte les remerciements ne doivent pas leur être réservées : sans quoi les autres pensent : 
(1) ce n'est pas professionnel 
 (2) puisque c'est pour les proches, ce n'est pas pour moi. 
Enfin, des déclarations d'amour (ou d'amitiés) ne sont pas professionnelles, alors même que nos articles/thèses/livres le sont (disons, doivent l'être). 
 
Parfois, j'ai conseillé à des proches de se projeter,dans dix ans et essaie de voir si c'est ce que tu ferais maintenant. Mais ce n'était pas efficace. 
Je préfère rappeler qu'il n'y a pas lieu de faire des messes basses avec quelques uns, quand on "parle" en public.

mardi 5 mars 2024

Des enjeux, dites-vous ? Mais savez-vous bien ce que vous dites ?

Hier, dans des discussions de stratégie scientifique, mes interlocuteurs utilisaient le mot "enjeu" à toutes les sauces, et quand il ne s'agissait pas d'enjeux, il y avait des "défis" et des "challenges". 

J'ai eu la curiosité -malsaine, asociale, tout ce que vous voudrez- d'aller regarder dans un dictionnaire pour comprendre ce que mes amis disaient... et que je ne comprenais ... pas moins que les autres. 


Et voici :  

"Enjeu

Ce que l'on risque dans un jeu et qui doit, à la fin de la partie, revenir au gagnant.  

Ce que l'on peut gagner ou perdre dans n'importe quelle entreprise."

 Manifestement, la transition alimentaire qui semble s'imposer aujourd'hui ne relève pas de la première définition. Et la seconde définition non plus ne s'applique pas... puisque ce serait précisément la transition alimentaire qui serait l'entreprisse, et pas ce que l'on peut gagner ou perdre à cette transition. 

Donc mes amis disaient n'importe quoi ! 


Défi, maintenant ? 

"Action de provoquer quelqu’un à une lutte, à une compétition, à un jeu.

 Le fait de tenir tête à quelqu’un, de s’opposer à son pouvoir, de le braver. "

 Là encore, la transition alimentaire n'est pas l'action de provoquer quelqu'un, ni de tenir tête à quelqu'un. 

 

 

Je passe sur "challenge", qui est un anglicisme pour "défi", et je dois hélas conclure que mes amis disaient n'importe quoi. J'espère quand même qu'ils se comprenaient eux-mêmes ! 

dimanche 3 mars 2024

Retour sur ces merveilleuses Lettres de mon moulin : elles sont de Paul Arène et Alphonse Daudet

 

En 1883, Daudet écrit dans La Nouvelle Revue40 :

« Les premières Lettres de mon moulin ont paru vers 1866 dans un journal parisien où ces chroniques provençales, signées d'abord d'un double pseudonyme emprunté à Balzac, « Marie-Gaston » détonnaient avec un goût d'étrangeté. Gaston, c'était mon camarade Paul Arène qui, tout jeune, venait de débuter à l'Odéon par un petit acte étincelant d'esprit, de coloris, et vivait tout près de moi, à l'orée du bois de Meudon. Mais quoique ce parfait écrivain n'eût pas encore à son acquit Jean des Figues, ni Paris ingénu, ni tant de pages délicates et fermes, il avait déjà trop de vrai talent, une personnalité trop réelle pour se contenter longtemps de cet emploi d'aide-meunier. Je restai donc seul à moudre mes petites histoires, au caprice du vent, de l'heure, dans une existence terriblement agitée. »

Les cinq premiers textes parus dans L'Événement sont signés Marie-Gaston, le sixième Alphonse Daudet (Marie-Gaston), les six derniers Alphonse Daudet. Marie-Gaston est emprunté au nom d'un personnage de Mémoires de deux jeunes mariées de Balzac41.

Quelques mois plus tard, Octave Mirbeau, dans Les Grimaces, après cette « introduction » :

« M. Robert de Bonnières, dans une remarquable et malicieuse étude sur M. Alphonse Daudet, nous a révélé l’étymologie de ce nom : Daudet. Daudet vient de Davidet qui, en langue provençale, veut dire : Petit David : d’où il résulte que M. Daudet est d’origine juive. Si son nom et le masque de son visage n’expliquaient pas suffisamment cette origine, son genre de talent et la manière qu’il a de s’en servir la proclameraient bien haut. »

, ajoute42 :

« Je ne considère point, comme un honnête homme, le monsieur qui persiste à faire paraître, sous son nom, un livre qu’on dit n’être point de lui, un livre d’où lui sont venues la réputation d’abord, la fortune ensuite, et cette sorte de gloire au milieu de laquelle il apparaît dans des attitudes ennuyées et méprisantes de demi-dieu. Je veux parler des Lettres de mon moulin. On sait aujourd’hui que ce délicieux recueil de contes provençaux est de M. Paul Arène. Et j’ai plaisir à dire carrément et tout haut ce que tout le monde dit tout bas et comme en se cachant, non point pour me donner la satisfaction vaine d’être désagréable à M. Alphonse Daudet, mais pour rendre justice à un écrivain charmant, qui n’a point su, grâce à son insouciance de poète et de rêveur, percer l’obscurité qui enveloppe son nom, tandis que flamboie, aux quatre coins du monde et porté par les cent mille bras de la réclame, le nom illustre de l’auteur des Rois en exil. Et ce qui prouve mieux encore que les droits payés à M. Paul Arène sur les Lettres de mon Moulin, que M. Paul Arène en est le véritable auteur, c'est la langue en laquelle ce livre est écrit, une langue claire, pittoresque, pétrie d'azur et de soleil, qu'on retrouve partout dans les plus menues œuvres de M. Paul Arène, et qu'on chercherait vainement dans celles de M. Alphonse Daudet. »

Quelques jours plus tard, Gil Blas publie un article de Paul Arène en réponse à Mirbeau, où il s’adresse à Daudet43 :

« Mais qui diantre nous aurait dit qu'un beau jour, devenu illustre, on t'accuserait de plagiat et qu'à moi l'on ferait ce redoutable honneur de m'attribuer la paternité de tes œuvres ? Au fond, je t'en veux, mon cher Daudet. Je t'en veux de n'avoir pas protesté d'abord, dès la première insinuation, les premiers bruits sournois qui t'en sont revenus, sans attendre la nécessité où se trouve réduit ton vieil ami d'appeler au secours et de crier à la garde. Te rends-tu compte de ma situation si, par insouciance ou dédain, tu laissais la légende s'accréditer ? Car elle n'y va pas par quatre chemins, la légende ! C'est moi, paraît-il, moi Paul Arène, qui ai écrit, tranquillement, à mes heures perdues, tout ce que tu as signé de ton nom d'Alphonse Daudet. De braves gens me l’ont soutenu, accueillant mes dénégations d'un sourire qui prouvait combien sur ce point ils étaient mieux renseignés que moi. […] C'est pourquoi, Daudet, je t'en supplie, au nom de notre affection déjà vieille et que rien n'a su entamer, viens à mon aide, montre-toi et crie : « Me, me adsum. C'est moi le coupable, c'est moi seul qui fais mes romans, nous vous le jurons par tous les dieux, mais laissez Arène tranquille. » Tous ces ridicules ragots que tu as certes le droit de mépriser, mais dont il me déplairait fort en me taisant de paraître complice, ont pour point de départ le fait nullement mystérieux que jadis, à ce moment de vie commune rappelé au commencement de l'article, et quand nous essayions d'acclimater les cigales provençales sur les bouleaux du Val-Fleury, on nous vit, pour les Lettres de ton Moulin, quelque temps travailler ensemble. De ton moulin ! […] Mais de là à laisser dire ou croire que Les Lettres du mon Moulin sont de moi, il y a une légère nuance ; et puisqu'en notre siècle enragé d'exacts documents, il faut mettre les points sur les i et parler par chiffres, établissons, une fois pour toutes et pour n'en plus parler, qu'en effet, sur les vingt-trois nouvelles conservées dans ton édition définitive, la moitié à peu près fut écrite par nous deux, assis à la même table, autour d'une unique écritoire, joyeusement et fraternellement, en essayant chacun sa phrase avant de la coucher sur le papier. Les autres ne me regardent en rien et encore dans celles qui me regardent un peu, ta part reste-t-elle la plus grande, car si j'ai pu y apporter — du diable si je m'en souviens — quelques détails de couleur ou de style, toi seul, toujours, en trouvas le jet et les grandes lignes. »

En 1889, l'affaire rebondit quand Louis-Pilate de Brinn’Gaubast a la malencontreuse idée de dérober les brouillons des Lettres de mon mon moulin chez les Daudet alors qu'il était précepteur pour Lucien Daudet, le fils d'Alphonse. Celui-ci mit tout en œuvre pour récupérer les brouillons, jetant une fois de plus le doute sur la paternité de ses écrits quand le larcin devint public44.

En 1912, un ami de Paul Arène, Léopold Dauphin, écrit45 :

« Il y a justice à réviser quelque peu ce procès [celui fait par Mirbeau] qui fit grand bruit à l'époque. L'article des Grimaces pouvait le [Paul Arène] brouiller avec Daudet ; désavouer Mirbeau, c'était s'en faire un ennemi. Pour sortir de cette impasse, il dut faire appel à toute la finesse de son esprit et c'est ainsi qu'il écrivit trois jours après dans Gil Blas une chronique exquise où sans complètement démentir Mirbeau, il tâchait de conserver une amitié qui lui était chère. Oui, à quelques lettres, la collaboration de mon ami fut possible, mais dans la mesure que voici, je la crois d'autant plus vraie que mon ami me la laissa souvent deviner. […] On écrivait des histoires jolies, les deux plumes puisant au même encrier, on se montrait ces feuillets noircis et, comme les deux manières d'écrire s'étaient identifiées, ils en arrivaient à ne plus savoir lequel des deux les avaient écrits. Et je crois être bien près de la stricte vérité en disant que là seulement doit se borner la part de collaboration de Paul Arène à quelques-unes des Lettres de mon moulin. »

La collaboration de Paul Arène aux Lettres est certaine, tout au moins pour les textes qui ont paru d'abord dans L'Événement. Néanmoins, il est impossible d'en déterminer l'étendue, les manuscrits n'étant pas connus. La subtile réponse d'Arène à Mirbeau lave Daudet des accusations de plagiat et lui reconnaît la paternité des sujets, mais confirme son implication dans « la moitié à peu près » des nouvelles du recueil. Arène se garde bien d'en préciser l'étendue : « du diable si je m'en souviens ». D'autre part, Julia Daudet, l'épouse de Daudet, a elle aussi collaboré aux textes écrits en 1868-18695.


Quelques annonces

Tout récemment, des publications : 


1. L'article que je consacre à la confection de "filaments" végétaux, pour des reproductions de viande (les fibres musculaires). C'est dans la revue Pour la Science, et accessible ici : https://www.pourlascience.fr/sr/science-gastronomie/steaks-vegetaux-une-consistance-sur-le-fil-26151.php 

2. Des billets terminologiques, sur le site des Nouvelles gastronomiques : 

Hervé This, Les niocs, ce sont presque des gnocchis, Nouvelles Gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-niocs-ce-sont-presque-des-gnocchis/, 12 février 2024.

Hervé This, Rissoler, cela vient des rissoles, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/rissoler-cela-vient-des-rissoles/, 28 février 2024.

 

3. Le compte rendu de notre dernier séminaire : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/seminaires, avec notamment les résultats des expériences sur le massage du chocolat

 

4. Des changements dans le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire