mercredi 22 janvier 2025

Mercredi : J'ai lu pour vous les Nuits de Restif de la Bretonne

Mercredi : J'ai lu pour vous les Nuits de Restif de la Bretonne. Plus exactement,  j'ai relu cette oeuvre énorme qui, au premier ordre, raconte ce que l'on voit à Paris, la nuit, pendant la révolution française. 

Au deuxième ordre, il y a bien d'autres choses, car des histoires sont dans l'histoire, et c'est donc de la littérature. J'ai relu ce livre, mais je n'ai fait que lire la préface de Jean Dutourd, que j'avais omise initialement dans l'édition que j'ai. 

Étonnante préface, qui commence par quelque chose du style « j'ai mis longtemps à comprendre  que Restif de la Bretonne était le plus grand écrivain du XVIIIe siècle ». Quoi, Restif de la Bretonne plus grand que Diderot ou Voltaire, ou même que Rousseau (que je n'aime guère, pour milles raisons) ? 

La phrase est  choquante, mais la question  plus intéressante  est de savoir pourquoi Jean Dutourd l'a ainsi mise au tout début de sa préface. Parce qu'il pense vraiment que Restif de la Bretonne est plus grand que Diderot ? Allons... Parce qu'il se donne la mission de vendre la salade de ce livre ?  Ce se serait bien faible... Parce qu'il a l'intention de nous conduire à nous poser la question que nous nous posons ici ? Les gens intelligents sont capables d'un tel tour. Certains utilisent ce type de talents pour gérer les états, et l'on ne saurait manquer d'inviter à  relire le Prince de Machiavel. Parfois ils laissent  leurs contemporains tranquilles, et se consacrent à des études scientifiques. Pour ces explorations, les talents sont indispensables, car la nature en plus d'un tour dans son sac !

mardi 21 janvier 2025

Je réponds à tous

 
Pour qui a vu le film de Bourvil et de Funès sur la soupe aux choux, la demande qui suit a quelque chose d'amusant, mais allons, répondons quand même : 

Bonjour M. This,

J'espère que vous allez bien. D'après Wikipedia, vous êtes très occupé. Je ne veux donc pas vous accaparer. Je cherche à fabriquer des saucisses aux choux et possède tout le matériel nécessaire. Le problème, c'est que je dois éviter le gras pour des raisons de santé, sachant bien que le gras stocke le goût et que je dois le remplacer par autre chose, par exemple de la gélatine.

Question : j'ai fait une préparation de 1/3 viande hachée grille 5 (jambon de porc fumé cuit) avec 2/3 chou blanc cru râpé fin, assaisonné avec sel, poivre, épices, boyau de boeuf.

Résultat : saucisse fade, sans aucun goût, le tout couleur grise. Je ne l'ai pas fumée après.

La saucisse Migros sort rouge, un brin acide, très grasse, vraiment pas terrible.

Comment donner du goût aux choux ? Comment rendre du goût à la viande aussi fade que les choux ? Comment remplacer le gras par une colle qui stocke le goût sans gâter la mâche ?<

Voilà les 4 questions que je me pose.

Avez-vous écrit sur la fabrication de la saucisse aux choux ? Livre ?

Faut-il remplacer le chou cru par du fermenté, genre Migros Kisili Kuppus ? Mettre de l'eau gazeuse (0,5L/kg de masse) pour renforcer le piquant comme dit Suisseviande ?

Pour la couleur, je ne m'inquiète pas si le reste est bon, et le rouge Migros aux nitrates ne m'intéresse pas trop, à moins qu'il ne réhausse le goût comme le glutamate.

Youtube fourmille de bons conseils pas toujours pertinents mais quasi rien sur la saucisse aux choux. Et les bouchers ne disent pas tout quand ils montrent quelque chose.

Merci de vos nouvelles et meilleures salutations.

 

Ma réponse :

Non, tout d'abord, je n'ai pas consacré de livre à la fabrication de la saucisse aux choux. Faut-il passer plusieurs années à cela ? Je m'interroge. D'autre part, je suis bien désolé de ne pas connaître le Migro Kisili Kuppus : il va falloir que je fasse ma bibliographie. Pour ce qui concerne les bouchers, moi j'irai plutôt voir les charcutiers, car il s'agit de saucisse, n'est-ce pas ? Et, surtout, pour donner du goût sans gras, je crois que la solution consiste à faire cuire des pieds de porc avec eau, sel, carottes et oignons. On cuit à petit feu pendant une journée, puis on désosse ; on ajoute la chair et le tissu collagénique, finement broyés, à la mêlée (viande maigre et chou) ; puis on recuit le bouillon avec les os pendant deux jours, avant de réduire le liquide à consistance sirupeuse, et l'on ajoute cette glace de viande à la mêlée, avant d'embosser. &nbsp; Mais il y a bien d'autres solutions, si l'on s'obstine à vouloir produire de telles saucisses, et notamment grâce à la "cuisine de synthèse", ou " cuisine note à note".

À propos de soufflé, a posteriori

Il y a cette recette de soufflé à la vanille et aux truffes, que j'ai exécuté le soir, chez moi, avec le plus grand des succès. 

On la trouvera ici :  <a href="https://hervethis.blogspot.com/2023/02/un-souiffle-pour-la-saint-valentin.html">https://hervethis.blogspot.com/2023/02/un-souiffle-pour-la-saint-valentin.html</a> 

La confection du soufflé a été l'occasion de voir que la compréhension des phénomènes permet aussi d'éclairer les observations fait en cours de travail. En l'occurrence, j'avais jadis amélioré une théorie insuffisante, qui disait que les soufflés gonflaient parce que les bulles d'air du blanc en neige mis dans l'appareil se dilataient à la chaleur ; j'avais surtout compris que pour faire gonfler les soufflés, il faut les chauffer par le fond afin que l'eau du fond s'évapore, et que, la vapeur, prenant beaucoup plus de volume que le liquide dont elle provient, repousse les couches du soufflé vers le haut, ce qui permet d'atteindre des gonflements de 300 % au lieu des faibles 30 % que l'on a avec la dilatation des bulles d'air. 

Hier, j'ai observé les deux phénomènes, parce que je manquais de ramequins et que j'ai fait un soufflé dans un ramequin en céramique épaisse, et l'autre dans un moule métallique : le soufflé dans le ramequin en céramique a gonflé d'un tiers environ, tandis que l'autre, dans le métal, a doublé de volume. Et de ce fait, j'ai examiné la croûte dans le ramequin métallique et elle était bien formée, ce qui montre que l'eau s'était évaporée et que le mécanisme d'évaporation de l'eau était bien majoritairement celui qui avait gonflé ce soufflé. 

Mais dans le récipient en céramique, pour une cuisson assez courte, la croûte était absente, et le gonflement n'avait été fait que de 30 % environ. On avait donc les deux régimes simultanément, et l'on peut préciser les affaires en disant que le mécanisme effectivement à l'oeuvre sera celui qui correspond au ramequin utilisé. 

Bien sûr, un soufflé qui gonfle, c'est mieux qu'un soufflé qui gonfle peu et cela devrait nous conduire à éliminer les ramequins en céramique pour ne conserver que des ramequins métalliques, que l'on posera de surcroît sur la sole du four, c'est-à-dire sur sa partie intérieure, chauffée.

lundi 20 janvier 2025

Comment les professeurs peuvent-ils se comporter avec les étudiants ?

Comment les professeurs peuvent-ils se comporter avec les étudiants ? Et la réponse est facile à donner : avec bonté, rigueur, droiture...  Avec les mêmes valeurs qu'avec tous, en n'oubliant pas que des étudiants sont des jeunes collègues.

 À propos d'enseignement, il y a cet écueil qui est que nos étudiants sont beaucoup plus jeunes que les professeurs et que ces derniers risquent parfois d'avoir un manque de considération, qui serait dû au manque d'expérience ou aux moindres connaissances des étudiants.

Je propose toutefois de ne pas oublier que les étudiants de l'enseignement supérieur sont (1) des humains et (2) des citoyens adultes à part entière, avec le droit de vote et toutes les prérogatives des autres citoyens, et qu'ils doivent donc recevoir toute la considération que l'on attribue à des adultes, qui par définition ne sont plus des enfants. 

Non pas qu'il ne faille pas considérer les enfants aussi, mais il est vrai que l'on se comporte avec ces derniers différemment parce qu'il y a un devoir d'éducation et non pas seulement d'instruction. 

Pour nos étudiants de l'enseignement supérieur, l'éducation n'est pas de notre ressort et seule l'instruction peut compter. 

D'autre part, je répète ici que le but n'est pas d'enseigner ; il est  que les étudiants étudient. De sorte que le rôle du professeur est seulement d'enseigner, c'est-à-dire de faire des signes pour que nos amis se dirigent -s'ils le souhaitent- dans les directions indiquées.
Oui, s'ils le souhaitent, car,  comme le disait Richard Feynman, certains n'ont aucun besoin de nous. En revanche, d'autres sont demandeurs -et on le voit même jusqu'aux évaluations des professeurs et des systèmes d'enseignement-,  et c'est dans ce cas-là que les professeurs doivent se comporter différemment. 

Finalement l'institution demande aux professeurs des évaluations et là,  c'est clair en ce sens que si un contrat a été bien passé (le "référentiel"), alors il suffit de vérifier qu'il a été bien respecté : les connaissances exigibles sont-elles connues et maîtrisées ? les compétences exigibles sont-elles obtenues ?  



dimanche 19 janvier 2025

À propos d'évaluation par les pairs


Il y a quelques temps, j'ai publié un éditorial pour la publication intitulée Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France, où j'ai discuté la question de l'évaluation par les pairs, en réfutant des arguments qui sont classiquement donnés : le processus seraient lent, il bloquerait l'innovation, il n'éviterait pas toutes les fautes, il permettrait à des concurrents de voler des idées, et cetera. 

Tout cela étant mis sur la table, il y a lieu de répondre à ces critiques, mais, d'abord, à signaler que l'introduction de l'évaluation par les pairs fut un progrès extraordinaire de la publication scientifique, parce que, bien conduite, ces évaluations permettent d'améliorer les manuscrits. On a pas assez dit qu'il ne s'agit pas pour les rapporteurs de dire si les manuscrits soumis sont mauvais, médiocres, passables, bons, excellents... 

Non, cela n'a aucun intérêt. Il s'agit surtout de contribuer à améliorer les articles pour que, finalement, les articles qui sont publiés comportent le moins de fautes possible. 

Car il faut dire que le travail scientifique, et la rédaction d'articles scientifiques, sont peut-être moins difficiles par chaque travail élémentaire qui les constitue que par le nombre considérable de ces travaux. Par exemple, dans le manuscrit d'un article scientifique, il y a tout à surveiller. Bien sûr, il y a la typographie, l'orthographe, la maquette, mais il y a surtout à voir que, dans les expérimentations, par exemple, on n'a pas manqué un point essentiel qui annihilerait le résultat ; il y a lieu de vérifier que les interprétations ne dépassent pas les faits établis et cela faites façon quantitative. Il y a lieu de vérifier que tout ce qui est dit est référencé, c'est-à-dire en réalité établi par les précédents, ou établi (correctement) par nous-même... 

Bref, c'est faire un travail énorme et je vois mal pourquoi nous pourrions refuser de l'aide par des rapporteurs, à condition bien sûr que ces collègues soient bienveillants et qu'ils aient pour objectif de nous aider à faire mieux. 

Dans un billet précédent, je me suis interrogé sur les raisons qui poussent certains à refuser l'évaluation par les paires, en évoquant cette anecdote d'Albert Einstein qui, arrivé aux États-Unis, proposa un manuscrit à une revue américaine qui envoya le manuscrit à un rapporteur, en l'occurrence un jeune physicien brillant ; ce dernier vit grosse difficulté théorique dans l'article et la signala, mais Einstein, qui était habitué à ce que ses manuscrits soient directement publié, retira son manuscrit : une occasion ratée de ne pas publier une erreur ! 

Je préconise également que les échanges entre éditeurs, rapporteurs et auteurs soient anonymes, non pas pour que certains en profitent pour tenir des propos désobligeants, mais plutôt pour que seule paraisse finalement en public un document de bonne qualité, dont les auteurs n'auront pas à rougir. Je pense en particulier aux jeunes scientifiques qui apprennent progressivement à rédiger des articles scientifiques, avec les canons professionnels qui s'imposent. On sait bien que les premières rédactions sont difficiles et c'est la raison pour laquelle certains au moins de nos amis les plus jeunes (mais les vieux aussi) laissent souvent des erreurs qu'il y a lieu de corriger. 

Les sites de dépôt libre de manuscrit sont en réalité terribles, parce qu'ils mettent le scientifique face à son entière responsabilité. Je m'empresse d'ajouter que j'ai trop vu de ces textes qu'un travail d'édition n'aurait pas paraître avec tant d'imperfections évidentes ! 

Bref, je préconise une évaluation qui ne soit pas ouverte, en double anonymat, conduite dans un esprit positif d'amélioration du manuscrit en vue de sa publication.

samedi 18 janvier 2025

Il faut peler les carottes à l'économe

Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons exploré l'épluchage des carottes et confirmé que les carottes grattées au couteau brunissent considérablement, tandis que les carottes épluchées à l'économe gardent leur fraîche couleur. 

Simultanément, nous avons observé qu'il y avait plus de liquide libéré quand on gratte et au couteau que quand on utilisait l'économe. 

Tout cela est parfaitement cohérent quand on sait que les carottes sont des assemblages de petits sacs pleins d'eau, vivants, que l'on nomme des cellules. Quant au gratte au couteau ou quand on épluche, on enlève la partie externe du tissu végétal sur quelques millimètres, ce qui signifie que le nombre de couches de cellules concerné est de l'ordre de 100 à 1000. Si l'on gratte, toutes les cellules de ces couches peuvent être endommagées, libérant leur contenu. En revanche, quand on utilise un économe, alors seule la couche de cellules sur le passage de la dame est concernés, et l'on comprend que la quantité de liquide libérée soit moindre. Pour le brunissement, il faut savoir que les cellules végétales contiennent, bien séparés, des enzymes "phénolases", et des composés phénoliques. Une cellule qui est endommagée laisse ces composés venir au contact, et au contact de l'air : les trois ingrédients d'une réaction moléculaire qui fait du brunissement sont réunis. 

On comprend donc que le grattage au couteau puisse faire cent à mille fois plus brun que l'utilisation de l'économe.

Lors du séminaire, nous avons aussi cherché si le grattage ou l'épluchage à l'économe conduisaient à des goûts différents, notamment du point de vue de l'amertume, mais les tests sensoriels que nous avons fait n'ont pas montré cela. 

Finalement, je propose d'abord de conserver l'idée éplucher les carotte, non pas pour éliminer les pesticides artificiels que les agriculteurs auraient pu mettre, mais bien plus tôt pour éliminer les pesticides naturels que les carottes produisent dans leur partie corticale pour se protéger contre les agresseurs : vers, insectes, et cetera. 

D'autre part, vu l'effroyable couleur des carottes grattées au couteau, je crois qu'on peut recommander de pas utiliser cette technique pour les carottes, mais plutôt d'utiliser un économe aussi affûté que possible : c'est ainsi que l'on minimisera à la fois la libération d'eau et le brunissement, mais peut-être aussi, dans certains cas la formation de composés qui pourraient être amer. 

Et on n'hésitera pas à laver les carottes épluchées pour éliminer tous les composés qui auraient été libérés.

vendredi 17 janvier 2025

Dessaler la morue

En matière de cuisine, il y a vraiment tout et n'importe quoi sur Internet, ainsi que je viens de le voir à propos du dessalage de la morue. Un de mes correspondants s'étonne d'une page internet où il est dit que la morue se dessale en dix minutes. Possible ? 

C'est un fait que la morue est salée et que, pour la manger, il faut la dessaler. Comment faire ? 

La question, au fond, est la même qu'à propos de jarret de porc en saumure par exemple. Et, à ma connaissance, on ne dessale bien que si l'on parvient à faire passer le sel en excès dans l'eau où l'on baigne le tissu animal, viande au poisson. 

Une des pages internet, donc, signalaient que l'on pouvait faire un dessalage en quelques dizaines de minutes, mais je peux vous assurer que ce n'est pas le cas en général ; pis, pour certains produits, il faut au contraire plusieurs jours ! Évidemment, tout dépend de l'état initial et de l'état final : si l'on a un produit initialement peu salé et si l'on aime très le produit final très salé, alors on comprend que le temps de dessalage ne sera pas long. 

Au-delà du phénomène, il y a la question des mécanismes, et mon interlocuteur évoquait l'osmose. Là, il y a une complication, parce que le tissu animal n'est pas homogène. Et alors ? Dans le cas simple où une membrane "semi perméable" (par exemple qui laisse passer l'eau mais pas le sel) sépare deux compartiments avec une concentration en sel différente, l'eau migrera d'un compartiment à l'autre, à travers la membrane, de sorte que, finalement, la différence de concentration sera réduite. 

J'insiste sur les mots exacts que je viens d'utiliser car de nombreuses explications de l'osmose sont très fausses. Bref, il pourrait y avoir de l'osmose mais on n'oubliera pas que la chair des poissons n'est pas réductible à un comportement séparé par une membrane : elle est composée de fibres musculaires qui sont regroupées en faisceau, et le sel, au moment du salage peut s'introduire non pas par osmose mais aussi par capillarité... par exemple. 

Évidemment, il peut aussi s'introduire par un phénomène de type osmose, disons plus simplement à travers la membrane, mais on voit avec ces deux mécanismes qu'il y en a peut-être d'autres. Et le dessalage doit tenir compte de toute la complexité du phénomène de salage. En tout cas, que l'on me fasse confiance : ce n'est pas en quelques minutes que l'on dessale un poisson très salé !