mardi 26 novembre 2024

La bonne (et la mauvaise) vulgarisation de l'archéologie

On me montre un documentaire sur les fouilles à Pompéi, et toutes les trois minutes le narrateur me dit qu'on fait une "découverte inédite". 

Une découverte inédite : n'est-ce pas un pléonasme, voire une périssologie (soit un pléonasme fautif) ? 

Quoi qu'il en soit, l'ajout d'adjectif ampoulé "inédite" ne fait que de l'épithétisme, et n'ajoute pas de force au mot découverte, surtout quand il est répété à tous les coins de phrase. C'est une sorte d'argument d'autorité idiot qui montre que la narration n'a pas su établir véritablement l'importance de la découverte. 

Ce genre d'observations vaut évidemment pour toute la vulgarisation scientifique. D'ailleurs, la présentation de fouilles archéologiques est une manière de vulgarisation de cette science qu'est l'archéologie. 

Quand je fais l'observer cela à mon entourage, on me répond qu'il faut bien "raconter une histoire". Certes mais ce n'est pas une justification suffisante pour mal raconter une histoire. Imagine-t-on que, dans l'histoire du petit Chaperon rouge, on nous dise trois fois de suite de le Chaperon rouge est parti voir sa grand-mère : une fois suffit, non ? 

Examinons, pour revenir à notre documentaire, le cas particulier de la découverte d'une pièce de métal qui ressemble à une pioche. Il y a des questions :  à savoir comment on a mise au jour cette pioche, comment on est certain que c'est une pioche, et qu'est-ce qu'une pioche à cette époque reculée. 

 J'aurais notamment aimé que l'on m'explique quelle est la professionnalité de celles et ceux qui utilisent de petites brosses pour dégager la pioche : ont-ils des gestes particuliers, ou bien n'importe qui pourrait-il ainsi "épousseter" ? 

L'objet est-il une pioche : comment le sait-on ? Cela impose notamment, pour dépasser l'anecdote, la ressemblance fortuite, que l'on m'expose le corpus de connaissance qui permet à des archéologues d'affirmer qu'il s'agit bien d'une pioche.
 

Finalement, sans le documentaire que l'on m'a montré, il y a non seulement des redondances épouvantables, mais, surtout, je ne sors guère plus intelligent des longs moments que j'ai passé : je n'ai guère appris, et, surtout,  je n'ai pas appris conceptuellement. 

Je conclus donc que c'était là de la mauvaise vulgarisation, un divertissement qui est en réalité une perte de temps. Ai-je vraiment envie de me "divertir" ? Non, j'ai mieux à faire, bien plus passionnant : la production scientifique !

lundi 25 novembre 2024

À propos de saucisses que l'on cuit

Les recettes ne disent pas grand chose de la cuisson des saucisses, parce que l'on considère que c'est quelque chose de très simple :  on met les saucisses dans un récipient que l'on chauffe, éventuellement avec un liquide, et on obtient des saucisses qui auront été cuites. 

C'est exact que l'on a ainsi un résultat,  mais on gagnera à bien considérer qu'il y a une différence essentielle entre des saucisses piquées ou entaillées, et des saucisses restées intactes : la matière grasse qu'elles contiennent, et qui fond lors de la cuisson, peut alors ou non être libérée,  de sorte que l'on obtiendra des résultats très différents si les saucisses  sont intactes, avec toute leur matière grasse à l'intérieur, ou si  le gras s'est échappé.

Les recettes de ce genre

Je trouve une recette de mousse au chocolat que je vous livre : 

 

Ingrédients pour quatre à six personnes :
    200 g de chocolat noir
    Trois œufs
    50 g de beurre
    110 g de crème fraîche
    25 g de sucre glace

    Faire fondre le chocolat et le beurre au micro-ondes.
    Séparer les blancs des jaunes.
    Monter les blancs en neige ferme, mais pas trop.
    Mélanger les jaunes d’œufs avec la crème et le sucre glace.
    Ajouter le beurre et le chocolat fondus. Mélanger.
    Ajouter les blancs en neige petit à petit en mélangeant très délicatement.
    Réserver au réfrigérateur pendant quatre heures au minimum.


 

Cela me paraît bien indigent, et pour de nombreuses raisons.
Fondre le chocolat et le beurre au micro-ondes ? Et pourquoi pas dans une casserole ? Et comment s'y prendre ?
Les blancs "en neige ferme mais pas trop" : combien ? Et pourquoi cette fermeté-là  ?
Mélanger les jaunes avec la crème et le sucre glace ? Mieux vaut battre les jaunes et le sucre jusqu'à ce que l'appareil soit lisse et blanchi. D'ailleurs, le sucre glace est bien inutile, et du sucre en poudre ordinaire va très bien.
Ajouter le beurre et le chocolat fondu : oui, mais il aurait fallu ajouter qu'il faut le faire quand ils sont tièdes (on peut mettre la main sur le bord du récipient), mais pas chaud, sans quoi les jaunes cuisent et la température est granuleuse.
Mélanger "très délicatement" : on fait comment ? Et, surtout, on doit arriver à quel résultat ?
Et pourquoi quatre heures minimum au réfrigérateur ? 

Si on me le demande, je ferai une recette rénovée ;-)

On démontre que...

 Dans une revue de vulgarisation, je trouve un exemple du type de présentations que je n'aime pas : il s'agit d'expliquer des travaux mathématiques effectués au 18e siècle à propos de la gravité, et il y a un encadré qui expose comment les physiciens français ont remplacé les forces par des potentiels. 

Je me réjouissais à l'idée de comprendre comment tout cela fonctionnait car l'auteur entrait dans les détails mathématiques de la chose mais finalement, ayant bien relu le texte plusieurs fois, j'ai compris que l'auteur se limitait en réalité à dire que les vecteurs avaient été remplacés par des scalaires, le potentiel. 

Il n'y a pas eu d'explication mais seulement une énonciation et, au fond, je suis frustré et mécontent parce qu'il y avait en quelque sorte une promesse qui n'a pas été tenue.

Cela me fait penser à ces cours où figure cette phrase '"On demontre que". Manifestement, dans un tel cas, il y a lieu d'apprendre sans comprendre et je ne suis jamais très satisfait. 

Ai-je moi-même utilisé cette formule dans mes cours ? Je crois que oui, mais je crois aussi avoir toujours pris soin d'insister sur cela, d'expliquer pourquoi je ne donnais pas la démonstration et de renvoyer vers la démonstration que je ne donnais pas. 


Un point de vigilance, donc !

dimanche 24 novembre 2024

Potage ou soupe ? Rien de plus simple mais pensons aux ingrédients et aux procédés

Supposons que nous fassions un potage au potiron :  dans une casserole, nous plaçons un morceau de potiron, un oignon, une gousse d'ail, une tomate... et un liquide,  de l'eau  ou du lait  par exemple (c'est la même chose au premier ordre). Nous chauffons à couvert afin de bien conserver toutes les molécules odorantes, et, après 10 à 20 minutes de cuisson, nous mixons  l'ensemble et nous obtenons une préparation un peu épaissie à laquelle nous pouvons ajouter un peu de matière grasse, beurre ou crème, par exemple. 

Dans la recette précédente, je n'ai pas évoqué la présence de pommes de terre, mais elle est également possible et là, s'ajoute une dimension supplémentaire parce que, mixée, elle libère l'amidon de ses cellules, mais aussi leur contenu  : notamment des grains d'amidon qui, si la pomme de terre a été bien cuite, sont empesés, ce qu'il signifie qu'ils ont considérablement gonflé et libéré certaines de leurs molécules, d'amylose. 

C'est cet amylose qui fait les purées "cordées", élastiques, et il y a donc ici une possibilité d'une consistance différente. 

Finalement, nous entrevoyons trois consistances parmi lesquelles nous devons choisir : soit seulement des cellules dispersées dans le liquide, quand il n'y a pas de pommes de terre, soit des cellules dispersées et des grains d'amidon empesés quand ces derniers n'ont pas été dégradés  par le mixeur, soit des cellules dispersées, des grains d'amidon empesés et des molécules d'amylose en solution. 

Il y a  lieu de bien choisir entre ces trois possibilités selon le potage que vous souhaitez obtenir. 

Mais potage ou soupe ? Une soupe, c'est une tranche de pain avec laquelle on trempe un potage. Le pain apporte de l'amidon empesé, de sorte que l'on comprend que la pomme de terre puisse faire un effet analogue, ce qui justifierait de nommer soupe un potage où il y aurait de la  pomme de terre.

samedi 23 novembre 2024

Matière sèche, ou matière séchée ?

 Des collègues publient un article où ils parlent de matière sèche. Pourquoi pas, puisque les documents "officiels" utilisent ce terme.
Mais regardons bien les choses : si nous dissolvons du sulfate de cuivre dans de l'eau, puis si nous séchons en chauffant doucement, alors nous obtenons finalement un fond de cristaux bleus. Il n'y a plus d'eau : est-ce la "matière sèche" ? Chauffons davantage, et nous observons un crépitement, et la désagrégation des cristaux bleus, avec une perte de couleur : on récupère de petits cristaux blancs... parce que l'eau de cristallisation des cristaux bleus (qui étaient en réalité du sulfate de cuivre pentahydraté) a été éliminée ; en corollaire, on comprend que le sulfate de cuivre n'était pas "sec", mais seulement séché.
Ce qui est caricaturé ici se retrouve pour des ingrédients alimentaires : si on prend un grain de café vert, on peut le sécher (on voit la masse qui diminue), et, dans des conditions particulières de séchage, on obtient donc une matière... séchée. Mais pas sèche : nous avons eu la surprise de voir un grain de café dont la masse ne diminuait plus après deux ou trois jours... mais nous avons eu une forte diminution après quelques mois.
Bref, je propose de bien parler de "matière séchée dans des conditions particulières" pour la distinguer de la matière sèche.

vendredi 22 novembre 2024

À propos d'analyse descendante

Je prépare la publication d'un cours sur l'analyse des phénomènes. Il s'agit de proposer de faire l'analyses des  phénomènes en partant du niveau macroscopique jusqu'au niveau moléculaire. 

Dans ce mouvement, il y a une étape par la microscopie, mais il y a surtout une étape indispensable, au niveau supramoléculaire, ce qui correspond à des associations de molécules plutôt qu'à des réactions chimiques élémentaires. 

Fréquemment, lors des analyses, cette étape est omise, et c'est dommage parce que c'est la possibilité de mieux comprendre les phénomènes, d'en voir certains mécanismes qui n'apparaîtraient pas si l'on passe directement de la microscopie à la chimie. 

Mais il y a aussi cette idée que la chimie est essentielle et qu'on ne doit pas la réduire à une description un peu simpliste. Par exemple, en science et technologie des aliments, certains se débarrassent rapidement des brunissement en invoquant certaines "réactions de Maillard" qu'ils ne comprennent pas bien, qui sont la seule chose qu'ils connaissent, et qui sont une sorte de cache-mièse posé sur un brunissement des aliments, dû en réalité à des causes nombreuses et très différentes.