lundi 18 novembre 2024

Pour une rénovation des études supérieures

 Après environ deux ans de billets dispersés à propos de ce que je refuse désormais de nommer "enseignement", au profit d'"études", je crois qu'il est bon de faire une synthèse, car ces nombreux billets ont été parfois hésitants, voire contradictoires : quand je les ai produits, je n'avais pas encore analysé complètement la question et je n'étais pas arrivé à la proposition parfaitement claire à laquelle je suis arrivé. 

Tout part du constat que personne ne peut apprendre à la place d'un étudiant. 

Chaque étudiant ne peut apprendre qu'en étudiant, et puisque nos systèmes d'études supérieures (les autres aussi) visent à faire que les étudiants apprennent, il faut donc mettre les étudiants au coeur du dispositif, et déduire les caractéristiques de celui-ci de l'objectif très clair que je viens d'énoncer : les étudiants doivent apprendre. Il y a donc l'étudiant qui doit étudier, et le système universitaire (j'y mets les grandes écoles d'ingénieur, indispensables dans le paysage français, parce qu'il y est admis de sélectionner les compétences) qui doit créer les conditions d'études efficaces. 

Ces connaissances peuvent être "pures" (comprendre pour comprendre mieux le monde où l'on vit), car il y a de la vertu à apprendre pour apprendre (je passe sur de longues discussions à ce propos), mais j'observe (sans prendre parti, sans juger) que les systèmes universitaires se modifient depuis quelques décennies en vue de former à des activités professionnelles, en vue de l'exercice de métiers, de sorte que l'université semble aujourd'hui avoir à organiser l'attribution de diplômes qui reconnaissent aux étudiants un niveau de connaissances et de compétences, de savoir-faire, de savoir-être clairement définis, qui garantissent donc à des sociétés qu'elles pourront embaucher des personnels qualifiés. 

A ce stade, nous voyons donc deux facettes : - d'abord, l'organisation de l'apprentissage (le substantif correspondant au verbe "apprendre"), - et, ensuite, l'organisation de l'évaluation, la « diplomation ». 

Évidemment il y a une relation entre les deux, car c'est l'apprentissage des savoirs et des compétences décidés pour chaque niveau d'études que l'université doit organiser et reconnaître. Autrement dit, dans la logique universitaire actuelle, il y a donc lieu de commencer par établir des référentiels d'évaluation, qui se fondent sur les métiers vers lesquels les étudiants se dirigeront. 

Cela signifie dresser une liste des savoirs, des compétences, des savoir-faire et des savoir-être qui seront évalués en vue de l'attribution des diplômes. Tous les savoirs et les savoir faire énoncés dans le référentiel associé à un diplôme particulier (licence, maîtrise) doivent être obtenus par les élèves qui prétendent à ce diplôme, et je suis très mécontent quand on impose les circonstances particulières d'apprentissage -des obligations de moyens- pour reconnaître l’obtention de ces savoir et compétences, ce qui correspond à une obligation de résultat. Je réclame l'entière liberté des moyens, et un stricte application de l'obligation de résultats (sans quoi nous dévalorisons les diplômes). 

D'autre part, je ne vois pas de raison de limiter dans le temps l'apprentissage des éléments des référentiels : pourquoi les étudiants ne pourraient-ils pas obtenir leur diplôme le jour - et seulement ce jour là- où ils ont validé tous les savoirs, compétences, savoir-faire et savoir-être qui sont requis ? Pourquoi n'iraient-ils pas à leur rythme ? En revanche, ce "droit", cette liberté associée à la suppression de l'obligation de moyens, me semble devoir aller avec une obligation de résultats : un étudiant doit pouvoir valider un savoir ou un savoir faire à tout moment, mais c'est seulement le jour où l’ensemble des savoirs et compétences du référentiel est obtenu que le diplôme est délivré. 

Soient donc des objectifs d'étude fixés, venons en aux études elles-mêmes. Les nombreux billets que j'ai précédemment consacrés à ces dernières convergent vers une proposition qui tient essentiellement dans ce que je ne crois pas bon que les encadrants de nos étudiants soient des « enseignants » ; on verra, en revanche, que je ne crois pas mauvais que nos systèmes d'études incluent des "professeurs". En effet, il est bien inutile d'enseigner quelque chose à quelqu'un qui ne l'apprend pas, et ma proposition se focalise sur l'apprenant, l’étudiant, qui doit donc étudier. Que doit-il étudier ? Les éléments du référentiel. Comment ? Comme il veut, car il a une obligation de résultats, et non une obligation de moyens. 

En revanche, on imagine bien que le personnel universitaire puisse avoir pour mission de faciliter l'accès à ces savoirs et compétences. Il doit donc être présent aux côtés des étudiants pour les guider, leur signaler des ensembles de données mieux faits que d'autres, diviser le chemin en petites étapes. 

Je vois que cette métaphore du chemin est vraiment bonne, et, clairement, il y a lieu de dessiner de tels chemins, c'est-à-dire d'identifier les étapes nécessaires pour arriver à un point particulier, mais je me répète : il n'y a qu'une obligation de résultats, et si des étudiants particuliers sont en retard sur le référentiel, s'ils n'ont pas des notions particulières qui se révèlent indispensables pour comprendre un savoir ou un savoir-faire conformément au chemin déterminé, alors on comprend que la mission universitaire soit d'indiquer à ces étudiants des études particulières qu'ils doivent faire. Mieux encore, puisque les études supérieures doivent conduire à des professionnels autonomes à la fin de la seconde année de mastère, on comprend aussi que le personnel universitaire ne doit pas bercer les étudiants dans leur lit, mais les entraîner à apprendre, à apprendre par eux-mêmes, voire à tracer leur propre chemin. Je crois que c'est un mauvais conseil que de pallier cette incapacité… d'autant que la chose est très simple. Je vois bien le professeur comme un tuteur qui indique aux étudiants des cours de bonne qualité, qui peut en faire lui-même (des cours parfaitement facultatifs, puisque l'étudiant n'a qu'une obligation de résultats), qui débloque un étudiant à qui il manque une notion indispensable, qui orchestre la transformation des savoirs en compétences, discutant la résolution des exercices, des problèmes… 

En conclusion de cette première partie, on voit que c'est bien l’identification des savoirs et compétences requis qui doit faire l'objet du travail du personnel universitaire (expression un peu longue mais qui ne préjuge pas de la suite, où je discute la différence entre professeurs et enseignants). 

Vient donc maintenant la raison pour laquelle je récuse la notion d'enseignant, et, de ce fait, pourquoi je propose celle de professeur. Classiquement, dans une vision périmée et mauvaise des études, les cours oraux sont des discours qui occupent la totalité du temps des étudiants. 

Ces cours sont inutiles pour de nombreuses raisons, la première étant que tous les étudiants ne comprennent pas au même rythme, de sorte que ce rythme est nécessairement soit trop rapide, soit trop lent ; s'il est trop rapide, les étudiants décrochent, mais s'il est trop lent, ils décrochent aussi, par ennui. Bref, l'étudiant est mieux avisé d'étudier dans des supports écrits, ou dans des supports vidéo pré enregistrés. Aujourd'hui, le numérique a périmé l'idée classique de l'enseignement. 

Cela étant, les cours classiques des bons professeurs ont des caractéristiques qu'il est bon de bien analyser. Notamment on peut observer qu'ils contiennent -explicitement ou non- des informations, des notions et des concepts, des méthodes, des anecdotes, des valeurs. 

Les informations ? On peut le trouver n'importe où, de sorte que professer, ce n'est certainement pas emplir des cruches avec des informations. 

Les notions et concepts ? Ils ne s'imposent, dans un cours, que si ce cours est l'endroit unique où l'on peut les trouver facilement : c'est ainsi qu'Emile Borel faisait sa recherche pendant ses cours, confiant à des étudiants le soin de consigner les avancées du travail, en vue de faire des livres qu'il consignait avec ses étudiants. Aujourd'hui, les étudiants feront mieux de trouver en ligne ces données chez des professeurs qui sont peut-être à l'autre bout du monde. Et là, j'insiste un peu : pourquoi se limiter aux professeurs -pas tous excellents- que nous avons physiquement sous la main, alors qu'il s'en trouve de meilleurs ailleurs, rendus accessibles par le numérique ?

 Idem pour les méthodes, qui sont, à mon avis, le coeur des études. 

Enfin, les valeurs : là, c'est bien la marque d'un bon professeur que de donner cet enthousiasme qui conduit les étudiants à apprendre. Et comme la moralité ne passe pas, on peut donner à ces dernières un peu de chair, les enchâsser dans des anecdotes. De même pour les méthodes, dont la transmission explicite est bien rare, et qui méritent d'être incarnées. 

Cette grille d’analyse montre bien la proposition que je fais pour l’orchestration des études. Pour la France, on aura raison d'observer que nous sommes retardataires par rapport à certains pays scandinaves dont l'efficacité est meilleure que la nôtre. Ici, nous bourrons les emploi du temps au lieu de donner du temps pour étudier par soi-même, nous couvons au lieu de promouvoir l'autonomie...

dimanche 17 novembre 2024

Pas de prétendues "démonstrations scientifiques"

 
Je reçois d'un ami cette déclaration terrible : "Pour moi, démonstration scientifique est plus un pléonasme qu'un oxymoron". 

Or je crois savoir qu'il fait référence à l'un de mes textes... où j'aurais dit que "démonstration scientifique" est un oxymore ? Je tremble, car, aujourd'hui en tout cas, je ne suis certainement pas d'accord avec l'idée que "démonstration scientifique" soit un oxymore. En outre, je ne considère certainement pas que "démonstration scientifique" soit un pléonasme ; cela aurait pu être une périssologie, mais non : c'est simplement une faute ! 

Pour commencer, un peu de ménage terminologique. 

Tout d'abord, l'oxymore, ou oxymoron, c'est quand deux termes s'opposent : nuit blanche, par exemple, ou encore, mieux, le "soleil noir de la mélancolie", que l 'on doit à Gérard de Nerval. C'est de la rhétorique, donc jamais fautif, car voulu. 

Puis il y a le pléonasme, qui est une évidence : "Je l'ai vu, de mes propres yeux vu". Ce pléonasme a encore une fonction rhétorique, d'insistance, par exemple, ou d'humour... de sorte que l'on ne confondra pas ce pléonasme avec la périssologie, ces évidences dues à nos négligences de pensée et de langage, comme "je monte en haut". Enfin, il y a la faute, que je distinue bien de l'erreur. 

Puis, pour comprendre la discussion, il faut examiner les sciences de la nature, et le statut particulier des mathématiques. 

Les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes à l'aide d'une méthode qui passe par : (1) identification des phénomènes que l'on explore ; (2) caractérisation quantitative des phénomènes ; (3) réunions des données quantitatives obtenues en 2 sous la forme de "lois" synthétiques, c'est-à-dire d'équations ; (4) recherche de concepts, de théories regroupant les lois ; (5) recherche de conséquences théoriques testables ; (6) tests expérimentaux des prévisions théoriques de 5. 

Dans ce mouvement infini parce que cyclique, il n'y a pas de "démonstration", parce que toute "loi" est insuffisante, fausse en réalité parce qu'approchée ; et la science réfute la loi répétitivement, afin de trouver des descriptions de plus en plus proches des faits. Donc pas de "démonstration scientifique", puisque la démonstration, c'est l'enchaînement logique, inéluctable, booléen : vrai ou faux, mais pas approché. Les démonstrations sont l'apanage des mathématiques, pas des sciences de la nature. Mais je viens d'anticiper, parce que j'ai sorti les mathématiques des sciences de la nature, ce qui se discute ! Disons que tout est affaire de parti pris : certains considèrent que les mathématiques sont découvertes, et ils proposent de regrouper les mathématiques avec les sciences de la nature, alors que d'autres observent que les mathématiques sont inventées, et que ce sont donc une activité bien à part. Ce qui est clair, c'est que la méthode des mathématiques n'est pas celle qui est décrite plus haut, raison pour laquelle je suis de ceux qui voient les mathématiques comme une activité tout à fait à part, les outils forgés par les mathématiciens étant utilisés par les scientifiques des sciences de la nature, sous le nom de "calcul" et non de mathématiques. Dans la première hypothèse, des mathématiques inventées et différentes des sciences de la nature, il n'y a pas de "démonstration scientifique", puisque la démonstration reste aux mathématiques, qui sont à part des sciences. Dans la seconde hypothèse, il reste le fait que les sciences ne fonctionnent pas par démonstration. Donc en aucun cas, nous ne devons -semble-t-il- parler de démonstrations scientifiques... surtout quand, le plus souvent, on veut simplement dire "indication" ou "élément corroboratif", ou encore "données à l'appui d'une idée", ou "exploration rigoureuse".

samedi 16 novembre 2024

Une admirable citation


Le seul moyen de prévenir ces écarts, consiste à supprimer, ou au moins à simplifier, autant qu'il est possible, le raisonnement qui est de nous, qui peut seul nous égarer, à le mettre continuellement à l'épreuve de l'expérience ; à ne conserver que les faits qui sont des vérités données par la nature, et qui ne peuvent nous tromper ; à ne chercher la vérité que dans l'enchaînement des expériences et  des observations, sur-tout dans l'ordre dans lequel elles sont présentées, de la même manière que les mathématiciens parviennent à la solution d'un problème par le simple arrangement des données, et en réduisant le raisonnement à des opérations si simples, à des jugemens si courts, qu'ils ne perdent jamais de vue l'évidence qui leur sert de guide. 

Méthode de Nomenclature chimique, A. L. LAVOISIER, 1787.

vendredi 15 novembre 2024

Quand on mangeons un aliment, nous percevons son « goût »


En science des aliments, c'est le plus grand désordre terminologique, et il faut que cela cesse, parce que cela nuit à la qualité des travaux. Certains  collègues  parlent de « goût » pour parler de « saveur » ; d'autres parlent d'arômes pour évoquer l'odeur rétronasale, alors que le dictionnaire dit bien qu'un arôme est l'odeur d'une plante aromatique ; d'autres encore voient, avec ce même mot « arôme », la somme de la saveur et de l'odeur rétronasale ; d'autres y ajoutent les sensations trigéminales ; il y a ceux qui utilisent le mot « flaveur », ceux qui ne l'utilisent pas… 

Comment imaginer des progrès  scientifiques  quand règne tant d'incohérence ?  Le père de la chimie moderne, Antoine-Laurent de Lavoisier, a bien mis en avant une idée importante dans l’introduction de son  Traité élémentaire de chimie : "L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage."

La « chimie des aliments et du goût » doit donc assainir sa terminologie pour progresser. 

Pour la langue internationale des échanges scientifiques, la question est réglée : le mot anglais flavour  désigne la sensation synthétique que l'on a quand on mange un aliment, et qui inclut toutes les autres. 

D'autre part, les Anglo-Saxons parlent maintenant très généralement d' odorant pour désigner des composés qui stimulent des récepteurs olfactifs, que ce soit par la voie orthonasale ou par la voie rétronasale. Ils parlent de taste pour la saveur, et de taste buds pour les papilles qui détectent ces saveurs. Mieux encore, l'anglais fait bien la différence entre la flavour, le goût, et les flavourings, ces préparations de l'industrie des parfums pour donner du goût aux aliments, ce que la France a très déloyalement nommé des « arômes », confondant l'acception véritable du mot classique avec une seconde acception qui n'a rien à voir : rien que cela est une contradiction avec la loi de 1905 sur le commerce des denrées alimentaires. 

Pour en revenir aux termes de physiolgie, faut-il donc parler de « flaveur », comme cela a été proposé ? Une norme ISO définit la « flaveur »  comme « l’ensemble complexe des sensations olfactives, gustatives et trigéminales perçues au cours de la dégustation »… mais on observe donc que cette définition ne correspond pas au mot  anglais, qui, lui, correspond au mot « goût »,incluant la perception de la consistance, de la température, etc. Oui, quand nous mangeons une pomme, nous avons un goût de pomme. 

Le goût, c'est ce que nous percevons, la sensation synthétique qui se fonde sur l'ensemble des perceptions et des sensations. 

D'ailleurs, nous aurions intérêt à ne pas faire une totale confiance aux normes ISO, car, par exemple, elles définissent la « couleur » comme « la sensation produite par la stimulation de la rétine par des ondes lumineuses de longueur d’onde variables » ? Quoi, des longueurs d’onde variables ? Ce serait une belle découverte, si la lumière, en se propageant, pouvait changer de longueur d’onde ! D’ailleurs, les incohérences abondent, dans cette norme, puisque, par exemple, les « saveurs élémentaires » seraient des saveurs « reconnues », ou que l’on nommerait « renforçateur de flaveur » (ou de goût) les substances intensifiant la flaveur de certains produits sans posséder cette flaveur ». Ici, les deux mots « flaveur » et « goût » sont confondus ! Achevons avec la définition de « transparent », qui évoque, comme il y a plusieurs siècles, des « rayons lumineux » !

Faut-il vraiment supporter ces définitions médiocres ? Et devons-nous admettre le terme de « flaveur » ? Je crois que non, et voici les raisons. D’une part, le mot  existe en langue anglaise, où, selon le British Standard Dictionary, cité d'ailleurs par nos collègues sensorialistes, il désigne… la sensation synthétique… qu’est le goût. Pas besoin d’invoquer la flaveur (mot que personne ne comprend, comme on l'a déjà observé, par conséquent, pour désigner ce qui a déjà un nom en langue française. 

Faut-il réserver le nom de « flaveur » à l’ensemble des « sensations olfactives, gustatives et trigéminales » ? Il faut savoir que cet ensemble de sensations n’est d’abord pas perceptible, puisque l’on ne saurait les séparer des sensations de consistance ou de chaleur. D’autre part, cette « flaveur » ne serait pas mesurable, puisqu’elle serait la résultante de stimulations de récepteurs différents.

Je propose de penser que quelque chose qui n’est ni mesurable ni perceptible n’existe pas ! Il faut donc abattre le mot « flaveur », le bannir de notre vocabulaire technique ou courant.

Évidemment, en matière sensorielle, ce sont les récepteurs qui doivent imposer les mots, et c’est la raison pour laquelle beaucoup de science est à faire. 

Depuis longtemps, on sait que le nez comporte des récepteurs olfactifs, qui peuvent se lier, directement ou indirectement, à certaines molécules présentes dans l’air  qui atteint la muqueuse nasale. Directement, par un mécanisme clé-serrure, ou indirectement, puisque l’on a découvert des  olfactory binding proteins, auxquelles des molécules se lient avant de se lier aux récepteurs. Ces composés particuliers qui stimulent les récepteurs olfactifs sont donc « odorants »… même s'ils ne se résument pas à ce qualificatif : par exemple, l'éthanol a une odeur, mais aussi une saveur. 

Quel que soit le détail de la stimulation des récepteurs  et quelles que soient les autres actions, la perception d'une « odeur » justifie que les composés qui suscitent une odeur soient dits « odorants ». Pas « aromatiques », toutefois, puisque l’arôme est l’odeur d’une plante aromatique, dite encore aromate. Et, de surcroît, il y a la confusion avec les « composés aromatiques », qui, en chimie, sont ceux qui satisfont à la règle de Hückel. 

Ajoutons que, très logiquement, on aura raison de ne pas parler de « composés d'arômes », sauf pour évoquer les composés qui se trouvent dans des arômes, c'est-à-dire des odeurs de plantes aromatiques. 

De ce fait, il faut sans doute corriger nos pratiques… et nos législations, puisqu’elles nomment très abusivement « arômes » des choses qui n’en sont pas, que l’on parle des odeurs ou bien des produits obtenus soit par assemblage de composés (synthétisés ou extraits de matières végétales ou animales). 

Insistons, d’ailleurs, pour refuser à tous ces produits de l'industrie des parfums, qu’ils contiennent ou non des composés de synthèse, le qualificatif de « naturel » : n’est naturel que ce qui n’a pas fait l’objet de transformation par l’être humain. Ces « compositions odoriférantes », ou ces « extraits odoriférants » ne sont certainement pas naturels, et c’est tromper le consommateur que de le lui laisser croire. Experts, n’oublions pas que la base d’un commerce sain, ce sont des produits « loyaux, marchands et francs » !

La saveur, les sensations trigéminales

La question de la saveur semble plus simple, à cela près que règne une grande confusion, à propos du nombre de saveurs. Les études de neurophysiologie (marquage par fluorescence calcique, notamment) montrent bien que deux récepteurs voisins sont sensibles à des composés différents, et il est montré depuis des décennies que le nombre de molécules « sapides » (mot justement retenu pour désigner des composés qui stimulent les récepteurs des papilles) est sans doute infini, avec un nombre de dimensions qui dépasse certainement les 4 qui datent de plus d'un siècle, voire des 5 ou des 6. Par exemple, l'acide glycyrrhizique n'est ni salé, ni sucré, ni acide, ni amer, et le monoglutamate de sodium n'est aucune des saveurs précédentes ; l'éthanol, également, a une saveur originale, et ainsi de suite. 

Ainsi, il y a sans doute lieu d'éviter des termes « marketing » comme umami, en observant de surcroît que nombre de publications sur ce thème sont sponsorisées par des sociétés qui vendent du monoglutamate de sodium ! 

Le tableau se complique également, du fait que l'on a découvert<, en plus des récepteurs des papilles, auxquelles se lient des molécules qui peuvent se dissoudre dans la salive, des récepteurs qui captent les acides gras insaturés à longue chaîne. La découverte est remarquable, parce qu’elle s’accompagne de la mise en évidence de toute une chaîne physiologique qui pourrait faire conclure qu’il existe une saveur particulière des acides gras insaturés à longue chaîne. Cette découverte impose-t-elle l’introduction d’un terme nouveau, sachant que, contrairement aux autres molécules sapides que nous reconnaissons plus classiquement, il n’y a pas de saveur reconnaissable comme les autres ? 

Enfin comment nommer le sens correspondant à la perception des saveurs ? On parle encore parfois de « gustation », mais la gustation devrait être la perception du goût… or nous parlons ici de saveurs. Doit-on plutôt parler de « sapiction », par exemple ? Et de papilles sapictives ? C'est ma proposition. 

Enfin, il y des composés dont les récepteurs ne sont ni olfactifs, ni sapictifs, mais associés à une voie nerveuse spécifique, le nerf trijumeau. C’est ainsi que nous percevons le piquant, le frais… D’ailleurs, il faut indiquer que les molécules peuvent stimuler les récepteurs de plusieurs façons. Par exemple, le menthol sent la menthe, certes, mais il suscite aussi la sensation de fraîcheur. L’éthanol a une odeur, mais pas seulement, etc. 

D’ailleurs, nous avons omis d’évoquer l’astringence, qui a fautivement été considérée comme une saveur, pendant longtemps, et qui correspond à une sensation d’assèchement de la bouche, notamment quand des protéines salivaires se lient à des composés phénoliques, tels ceux qui sont présents dans certains vins et qui sont souvent, abusivement, nommés tanins</span></span><sup><span><span style="font-size: medium"><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote11sym" name="sdendnote11anc">xi</a></span></span></sup><span><span style="font-size: medium">. </span></span><span><span style="font-size: medium">Et les sensations thermiques, associées aux sensations trigéminales, la perception des consistances (qui se distinguent de la texture, laquelle est perçue), etc.  C'est un sain emploi des mots qui évitera la cacophonie et permettra le progrès scientifique ! 

A. L. de Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, Cuchet, Paris, 1793.

A. Pierson and J. Le Magnen, Etude quantitative du processus de régulation des réponses alimentaires chez l'homme,  Behavior, Volume 4, Issue 1, January 1969, Pages 61-67.<

Julie A Mennella, Gary K Beauchamp, Early flavor experiences : when do they start ? Nutrition Today, vol 29, N°5, Sept/oct 1994, 25-31.

A. Uziel, J. G. Smadja, A. Faurion, Physiologie du goût,  Encycl. Med. Chir. (Paris, France), Otorhino-laryngologie, 2-1987, 20490 C10.

K. Raming, J. Krieger, J. Strotmann, I. Boekhoff, S. Kubick, C. Baumstark, H. Breer, Cloning and expression of odorant receptors, Nature, 28 janvier 1993, 361, 353-356.

Briand, Loiec; Eloit, Corinne; Nespoulous, Claude; Bezirard, Valerie; Huet, Jean-Claude; Henry, Celine; Blon, Florence; Trotier, Didier; Pernollet, Jean-Claude , Evidence of an odorant binding protein in the human olfactory mucus : location, structural characterization, and odorant-binding properties, Biochimie et Structure des Proteines Unite de Recherches INRA 477, Jouy-en-Josas, Fr. Biochemistry (2002), 41(23), 7241-7252. <span lang="en-GB">CODEN: BICHAW ISSN: 0006-2960. Journal written in English. CAN 137:105377 AN 2002:360381 CAPLUS

Fabienne Laugerette, Patricia Passilly-Degrace, Bruno Patris,  Isabelle Niot, Jean-Pierre Montmayeur, Philippe Besnard, CD36, un sérieux jalon sur la piste du goût du gras, M/S <i>n° 4, vol. 22, avril 2006.

 Hervé This, Casseroles et éprouvettes, Pour la Science, Paris, 2003. Pourquoi le piment brûle, Bernard Calvino, Marie Conrat. Pour la Science, N0366, avril 2008, pp. 54-61

Stephen Daniells Aroma, taste and texture drive refreshing perception: Study, 14-Jan-2009

Binding of selected phenolic compound to proteins, Harshadari M Rawel, Karina Meidtner, Jürgen Kroll, J. Agric. Food Chem., 14 april 2005, DOI 10.1021/jf0480290 5021-8561 (04)08029-X

jeudi 14 novembre 2024

Passons

Je sors d'une conférence complètement indécente, où le présentateur a enfilé un nombre interminable de diapositive sur lesquelles il y avait une masse de texte illisible dans le temps que  la diapositive restait à l'écran, tandis que notre collègue disait presque à chaque nouvelle image que nous savions déjà tout cela. 

En réalité, sa présentation s'apparentait à des discussions du  café du commerce à propos de notre alimentation, sans fil véritable, et évidemment sans indication quantitative ni critique des données fournies. 

Je ne me demande bien comment cette personne  qui se dit "philosophe" a pu atteindre les sommets académiques qui sont les siens. Certes il y avait de l'enthousiasme, mais aucune profondeur, aucun recul, aucune analyse véritable. Et cette personne enseigne à l'université ! Pauvres étudiants...

Comment faire un bon texte d'enseignement

 
Comment faire de bons documents qui expliquent aux étudiants des points scientifiques ? Je me demande s’il n'y a pas lieu de commencer par réfléchir, et, notamment, analyser de mauvais documents, en vue d'identifier les caractéristiques que nous devrons absolument éviter. 

Bien sûr, il y a d'innombrables mauvais cours, de sorte que le travail est immense, mais je me propose, dans les mois qui viennent, de prendre des exemples successifs, afin de constituer progressivement un corpus qui pourra servir ultérieurement de guide avant la rédaction, puis de check list après qu'elle aura été faite. 

Ainsi j'ai sous les yeux un cours de statistiques que j'avais lu trop rapidement par le passé, et que j'avais mis de côté parce que je le trouvais « trop difficile ». Là, ayant pris le temps de le lire lentement, j'ai compris qu'il n'était pas difficile, mais mauvais ! Dans les 20 premières pages, je trouve toute une série de définitions : je comprends qu'il faut les connaître, et, en me mettant dans la position de l'étudiant, je consens évidemment à bien les comprendre, puis à bien les apprendre. Mais vient bientôt, sans que le livre ne signale de changement de régime, une série de formules qui sont en réalité des résultats qui ne sont pas présentés comme tels, mais simplement énoncés, négligemment, sans aucune mention du fait qu'il faut les démontrer. C'est comme s'ils étaient parfaitement évidents, au même niveau que des définition. Pourtant, je viens de m'assurer, en y passant du temps, que la démonstration de plusieurs d'entre eux nécessite plusieurs pages de calcul pour chacun ! 

Autrement dit, la compréhension de ce texte nécessite des pages de lecture supplémentaire, éventuellement à l'aide de documents que j'ai dû chercher moi-même, sans aucune indication de l'auteur du livre ! Le livre est donc ainsi fait de phrases, suivies de formules, il n'y a aucune explication. Or c'est un livre universitaire proposé à un niveau « élémentaire », de sorte que je sais bien que les étudiants qui l’auront en main ne pourront absolument pas -sauf exception bien sûr- comprendre ce qui est écrit ! Que pourront-ils faire alors ? Simplement répéter tels des perroquets ce qu'ils auront appris par cœur, sans savoir d'où cela vient… ni si c'est juste ! A moins bien sur qu'ils ne fassent comme moi, à savoir qu'ils passent beaucoup de temps à chercher ailleurs les démonstrations qui ne sont pas données. 

Je trouve qu'il y a malhonnêteté de la part de l'auteur à livrer ainsi un simple squelette dont il n'est pas signalé qu'il s'agit d'un squelette. Il n'y a pas de mode d’emploi donnée en introduction, ni même des phrases qui signaleraient que les résultats sont démontrés par ailleurs. L'auteur a vraisemblablement recopié les résultat d’un autre cours. Il n'y a ni traitement nouveau de la matière, ni explication. Ce livre est un mauvais livre d’enseignement. 

Un collègue qui faisait de tels cours m'a expliqué un jour qu'il attendait que les étudiants fassent le travail d'aller chercher eux-mêmes les démonstrations qu'il ne donnait pas. Pourquoi pas, si tel est le jeu, et si ce jeu reste raisonnable en terme de temps passé. Mais quand même, n'y a -t-il pas une certaine paresse à faire ainsi ? Pourquoi ne pas donner directement les détails ? Pourquoi se contenter de donner des listes de résultats démontrés, au lieu de donner les résultats et leur démonstration ? 

Plus positivement, je vois que cette analyse nous conduit à non seulement donner la suite des résultats, correctement enchaînés, mais à choisir des options. Soit on peut indiquer aux étudiants où ils trouveront les démonstrations. Soit on peut donner celles-ci dans des sections ou dans des annexes, si l'on souhaite conserver une lisibilité du chemin que l'on fait parcourir eaux étudiants. Mais en tout état de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position. 

Sourions un peu avec cette anecdote du professeur qui écrit au tableau une suite de résultats. Un étudiant interrompt : « Monsieur, comment passez-vous de la litre 3 à la ligne 4 ? » Le professeur répond : « C'est évident, voyons, c'est évident. » L'étudiant insiste : « Pardonnez moi, mais je comprends pas. » Le professeur s'arrête cette fois, contemple longuement le tableau noir et dit : « Mais si, c'est évident. Oui, c'est évident… Oui, bon, enfin, donnez-moi une seconde ». Il quitte la salle et ne revient qu'après une demi heure, se campe devant le tableau, et commente : « Et bien oui, c'est évident… » 

Je n'arrive pas à croire que cette stratégie soit bonne, et j'attends de mes collègues de bons arguments avant que j'imagine son utilisation. 

Personnellement, quand j'étais étudiant, j'ai toujours été extrêmement reconnaissant aux enseignants qui prenaient le temps et la peine de mettre toute leur intelligence au service des explications les plus limpides, les plus claires. Cela nécessitait du temps d'étude de ma part, mais au moins, je n’étais pas une vieille chaussette dont on se débarrasse dans un panier de linge sale. 

J'ai le plus grand mépris pour les enseignants paresseux, ou prétentieux, ou négligents, et je vois donc ainsi une règle absolue pour la préparation des textes d’enseignements des sciences de la nature, résumée dans cette formule de François Arago : « La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public ».

L'hygiène alimentaire ?

 La Société scientifique d'hygiène alimentaire, ou SSHA, fête ses 120 ans. Mais qu'est-ce que  l'hygiène alimentaire ? L'hygiène, tout d'abord, est la banche de la médecine qui traite de tout ce qu'il convient de faire pour préserver et pour améliorer la santé ; c'est l'ensemble des mesures, des procédés et des techniques mis en œuvre pour préserver et pour améliorer la santé. Une question d'action, donc de technique ou de technologie.
Hygiène alimentaire ? L'alimentation est "l'action de fournir à un être vivant ou de se procurer à soi-même les éléments nécessaires à la croissance, à la conservation".  Et l'hygiène alimentaire est donc le choix et le traitements des ingrédients alimentaires : ce n'est pas une activité scientifique, mais, évidemment, s'il y a application et recherche d'améliorations des techniques, il faut que cela se fonde sur des travaux scientifiques.