jeudi 14 novembre 2024

Comment faire un bon texte d'enseignement

 
Comment faire de bons documents qui expliquent aux étudiants des points scientifiques ? Je me demande s’il n'y a pas lieu de commencer par réfléchir, et, notamment, analyser de mauvais documents, en vue d'identifier les caractéristiques que nous devrons absolument éviter. 

Bien sûr, il y a d'innombrables mauvais cours, de sorte que le travail est immense, mais je me propose, dans les mois qui viennent, de prendre des exemples successifs, afin de constituer progressivement un corpus qui pourra servir ultérieurement de guide avant la rédaction, puis de check list après qu'elle aura été faite. 

Ainsi j'ai sous les yeux un cours de statistiques que j'avais lu trop rapidement par le passé, et que j'avais mis de côté parce que je le trouvais « trop difficile ». Là, ayant pris le temps de le lire lentement, j'ai compris qu'il n'était pas difficile, mais mauvais ! Dans les 20 premières pages, je trouve toute une série de définitions : je comprends qu'il faut les connaître, et, en me mettant dans la position de l'étudiant, je consens évidemment à bien les comprendre, puis à bien les apprendre. Mais vient bientôt, sans que le livre ne signale de changement de régime, une série de formules qui sont en réalité des résultats qui ne sont pas présentés comme tels, mais simplement énoncés, négligemment, sans aucune mention du fait qu'il faut les démontrer. C'est comme s'ils étaient parfaitement évidents, au même niveau que des définition. Pourtant, je viens de m'assurer, en y passant du temps, que la démonstration de plusieurs d'entre eux nécessite plusieurs pages de calcul pour chacun ! 

Autrement dit, la compréhension de ce texte nécessite des pages de lecture supplémentaire, éventuellement à l'aide de documents que j'ai dû chercher moi-même, sans aucune indication de l'auteur du livre ! Le livre est donc ainsi fait de phrases, suivies de formules, il n'y a aucune explication. Or c'est un livre universitaire proposé à un niveau « élémentaire », de sorte que je sais bien que les étudiants qui l’auront en main ne pourront absolument pas -sauf exception bien sûr- comprendre ce qui est écrit ! Que pourront-ils faire alors ? Simplement répéter tels des perroquets ce qu'ils auront appris par cœur, sans savoir d'où cela vient… ni si c'est juste ! A moins bien sur qu'ils ne fassent comme moi, à savoir qu'ils passent beaucoup de temps à chercher ailleurs les démonstrations qui ne sont pas données. 

Je trouve qu'il y a malhonnêteté de la part de l'auteur à livrer ainsi un simple squelette dont il n'est pas signalé qu'il s'agit d'un squelette. Il n'y a pas de mode d’emploi donnée en introduction, ni même des phrases qui signaleraient que les résultats sont démontrés par ailleurs. L'auteur a vraisemblablement recopié les résultat d’un autre cours. Il n'y a ni traitement nouveau de la matière, ni explication. Ce livre est un mauvais livre d’enseignement. 

Un collègue qui faisait de tels cours m'a expliqué un jour qu'il attendait que les étudiants fassent le travail d'aller chercher eux-mêmes les démonstrations qu'il ne donnait pas. Pourquoi pas, si tel est le jeu, et si ce jeu reste raisonnable en terme de temps passé. Mais quand même, n'y a -t-il pas une certaine paresse à faire ainsi ? Pourquoi ne pas donner directement les détails ? Pourquoi se contenter de donner des listes de résultats démontrés, au lieu de donner les résultats et leur démonstration ? 

Plus positivement, je vois que cette analyse nous conduit à non seulement donner la suite des résultats, correctement enchaînés, mais à choisir des options. Soit on peut indiquer aux étudiants où ils trouveront les démonstrations. Soit on peut donner celles-ci dans des sections ou dans des annexes, si l'on souhaite conserver une lisibilité du chemin que l'on fait parcourir eaux étudiants. Mais en tout état de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position. 

Sourions un peu avec cette anecdote du professeur qui écrit au tableau une suite de résultats. Un étudiant interrompt : « Monsieur, comment passez-vous de la litre 3 à la ligne 4 ? » Le professeur répond : « C'est évident, voyons, c'est évident. » L'étudiant insiste : « Pardonnez moi, mais je comprends pas. » Le professeur s'arrête cette fois, contemple longuement le tableau noir et dit : « Mais si, c'est évident. Oui, c'est évident… Oui, bon, enfin, donnez-moi une seconde ». Il quitte la salle et ne revient qu'après une demi heure, se campe devant le tableau, et commente : « Et bien oui, c'est évident… » 

Je n'arrive pas à croire que cette stratégie soit bonne, et j'attends de mes collègues de bons arguments avant que j'imagine son utilisation. 

Personnellement, quand j'étais étudiant, j'ai toujours été extrêmement reconnaissant aux enseignants qui prenaient le temps et la peine de mettre toute leur intelligence au service des explications les plus limpides, les plus claires. Cela nécessitait du temps d'étude de ma part, mais au moins, je n’étais pas une vieille chaussette dont on se débarrasse dans un panier de linge sale. 

J'ai le plus grand mépris pour les enseignants paresseux, ou prétentieux, ou négligents, et je vois donc ainsi une règle absolue pour la préparation des textes d’enseignements des sciences de la nature, résumée dans cette formule de François Arago : « La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public ».

L'hygiène alimentaire ?

 La Société scientifique d'hygiène alimentaire, ou SSHA, fête ses 120 ans. Mais qu'est-ce que  l'hygiène alimentaire ? L'hygiène, tout d'abord, est la banche de la médecine qui traite de tout ce qu'il convient de faire pour préserver et pour améliorer la santé ; c'est l'ensemble des mesures, des procédés et des techniques mis en œuvre pour préserver et pour améliorer la santé. Une question d'action, donc de technique ou de technologie.
Hygiène alimentaire ? L'alimentation est "l'action de fournir à un être vivant ou de se procurer à soi-même les éléments nécessaires à la croissance, à la conservation".  Et l'hygiène alimentaire est donc le choix et le traitements des ingrédients alimentaires : ce n'est pas une activité scientifique, mais, évidemment, s'il y a application et recherche d'améliorations des techniques, il faut que cela se fonde sur des travaux scientifiques.

mardi 12 novembre 2024

Entre poésie et autorité

 Je sors d'un restaurant où le sommelier, tiré à quatre épingle, avait un discours... qu'il est bon d'analyser. 

Notre homme parlait, techniquement, péremptoirement, et il n'écoutait pas ce qu'on pouvait lui dire. Il se prenait au sérieux, mais il est vrai que le bon vin est une question sérieuse, n'est-ce pas ? 

Interrogé, mon entourage était partagé. Certains lui trouvaient de la prestance, de la classe, appréciaient son numéro, lui reconnaissaient de bien tenir sa partie, de contribuer au cérémonial du repas par son sérieux. 

D'autres identifiaient dans son discours des faiblesses qu'ils avaient eu la charité de ne pas lui faire observer... et supposant qu'il ait été capable de s'arrêter dans la récitation qu'il déroulait. Ils lui reprochaient son manque d'humour, qu'ils associaient soit à de la prétention, soit à une décision de posture (qui manquait de sourire). 

Notre homme était-il compétent ? Quand nous avons réussi à l'arrêter, nous avons pu vérifier qu'il ne l'était pas "absolument".  

Sa position était-elle la bonne ?

lundi 11 novembre 2024

Les deux formalismes



La physique fait usage de l'algèbre pour exprimer ses régularités de la nature : ce que l'on a nommé des "lois".
Et, initialement, les lois identifiées étaient essentiellement des proportions. Par exemple, le poids est proportionnel à la masse, et la constante de proportionnalité est l'accélération de la pesanteur. Par exemple, la "loi d'Ohm" exprime une proportionnalité entre la différence de potentiel électrique et l'intensité du courant électrique.
Pour certaines "lois", il peut y avoir des proportionalités inverses, et avec des termes exponentiés. Par exemple, pour la "loi de la gravitation universelle", ou loi de Newton, la force d'attraction gravitationnelle entre deux corps massique est proportionnelle aux deux masses, et inversement proportionnelle au carré de la distance qui sépare leur centre de masse.

Au fond, les équations expriment des relations qui pourraient se dire avec des mots, mais de façon plus concise. Ce fut l'apport de l'algèbre.

Pour la chimie, le "formalisme" n'est pas de cette nature, et les équations sont des représentations des objets.
Bien sûr, là encore, on pourrait décrire les objets en mots, mais ces descriptions sont interminables, parce que des mots ne suffisent pas à dire les choses. Par exemple, comment dire un "éléphant" en mots ? Il faudrait commencer par dire que c'est un animal, qu'il est mammifère, quadrupède, qu'il a une certaine taille, couleur, une trompe, et ainsi de suite à l'infini.
Pour une molécule, il en va de même. Pour décrire la molécule d'acide acétique, il faudrait commencer par dire qu'elle est faite deux deux atomes de carbone liés par une liaison, que le premier est également lié à trois atomes d'hydrogène, tandis que le second est lié à un atome d'oxygène par une double liaison et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène ; mais il faudrait ajouter qu'il y a une mésomérie, à savoir que le dernier atome d'hydrogène dont nous avons parlé se "répartit" entre les deux atomes d'oxygène, et cela imposerait de parler des électrons, et ainsi de suite à l'infini.
Dans cette description infinie, il faudrait tenir compte du fait qu'il y a rotation entre les deux atomes de carbone, selon l'axe de leur liaison, qu'il y a des angles entre les liaisons, mais avec des possibilités de vibration, de rotation, etc. Et, pour les électrons, il faudrait surtout décrire leur répartition "moyenne".
La forme et la taille de ces objets ? Si l'on utilise des lettres pour représenter la molécule, comme dans la formule H3C-COOH, alors la question ne se pose pas... mais les idées ne sont guère fixées Veut-on donner une idée de la chose ? Il faut surtout considérer l'influence électrique, les "champs" engendrés par les électrons.
Et on pourrait ainsi discuter à l'infini : le formalisme de la chimie, notre CH3COOH, ou la formule développée, sont des abrégés qui recouvent une description dont la "profondeur" maximale ne dépend que de la connaissance de la chimie. Et cette profondeur augmentera avec le développement de la chimie.
La difficulté du maniement de ce formalisme est donc d'un ordre très différent  de la difficulté du maniement du formalisme de la physique, le maniement algébrique.

dimanche 10 novembre 2024

Attention : il y a des articles médiocres (évidemment)

Je montre un mauvais article scientifique à un jeune collègue (doctorant), et il s'étonne qu'un tel texte ait été publié dans une revue internationale. 

En réalité, puisque ce doctorant n'en est pas au tout début de sa thèse, c'est moi qui m'étonne qu'il ne sache pas que nombre d'articles publiés sont médiocres. Son directeur de thèse ne l'a-t-il pas averti de ce point essentiel ? Et pourquoi n'a-t-il pas découvert cela lui-même ? 

Discutant de cela avec un collègue senior, ce dernier me demande si je suis bien sûr que l'article est médiocre, et la réponse est oui. Oui, parce que la question qui est annoncée n'est pas celle à laquelle il est répondu. Oui, aussi parce que la conception du dispositif expérimental a prévenu toute possibilité d'interprétation. Par exemple, si on a besoin de voir des phénomènes à l'échelle du micromètre, des images avec un champ de 100 micromètres par 100 micromètres sont quasi condamnés. 

Mais il y a pire : les auteurs de l'article ont exploré un système trop "sale" pour que l'on puisse faire des interprétations. Et ainsi de suite : le texte est médiocre du début jusqu'à la fin avec notamment une partie de discussion très insuffisante, alors qu'elle aurait pourtant permis aux auteurs de s'apercevoir de la médiocrité de leur travail et de la nécessité de faire des expérimentations complémentaires avant de proposer une publication.


J'ai indiqué à mon jeune ami que moi rapporteur, j'aurais interdit la publication d'un tel texte ou, plus exactement, j'aurais annoncé un besoin de correction majeur avant la publication puisque je suis partisan de ne jamais rejeter des manuscrits mais plutôt de demander des améliorations, fussent-elles essentielles.

samedi 9 novembre 2024

Des possibilités d'erreurs à chaque signe

Engagé dans toute une série de relectures d'épreuves, je vois combien le diable est caché partout. 

J'en suis là à relire des épreuves finales d'articles qui ont été mis en page après avoir été 

- écrits par des auteurs

- relus par ces derniers

- soumis et lus par un éditeur, 

- analysés par des rapporteurs, 

- révisés

- envoyés aux membres d'un comité éditorial, dont certains membres ont relu le texte

- mis en page

- relus par la personne qui a fait la maquette (au moins deux fois)

- relus par les auteurs

... et je continue de trouver des erreurs, grosses ou petites. 

Bien sûr, ça converge : progressivement, les grosses erreurs sont éradiquées et les fautes d'orthographe disparaissent, les fautes de typographie sont moins nombreuses, mais je suis bien sûr que si je reprends le texte et que je le lis encore plus doucement que je ne le fais habituellement, je retrouverai bien une ou deux erreurs. 

Je ne m'émeus pas de ce phénomène, que je connais bien, mais je m'interroge surtout sur le fait que nos étudiants n'ont pas l'expérience de ce type de travaux de relectures répétées, et c'est bien dommage parce que c'est cela la vraie vie professionnelle : il ne s'agit pas de simplement produire des textes, mais il faut surtout produire des textes de qualité, et dans ce processus, on découvre donc des phénomènes qui nous laissent généralement pantois. Il serait bon que nous le fassions découvrir à nos jeunes amis.

vendredi 8 novembre 2024

Deux cultures

Ce matin, un ami s'étonne que je ne connaisse pas un certain Moss, qui, me dit-il,  aurait conduit une voiture très rapide avec laquelle il aurait battu un record de vitesse. 

Je ne suis certainement pas gêné  de ne pas connaître  ce Moss, d'autant que je viens de m'assurer que mon ami ne connaissait pas Kammerlingh Onnes, qui, lui,  battu le record de la plus basse température. 

C. P. Snow, mathématicien anglais, avait écrit un livre où il discutait cette séparation entre la  culture populaire et la culture scientifique. Il faudrait le relire, mais le fossé n'a pas de raison de se creuser.