dimanche 15 septembre 2024

Le journal international de gastronomie moléculaire et physique : en plein essor

 Je ne l'avais pas annoncé mais c'est quand même un grand progrès : le journal international de gastronomie moléculaire attribue maintenant des"DOI" à tous ses articles, et il est répertorié dans la base hal. 


Le journal de gastronomie moléculaire a été créé dans les années 2010 mais il est resté très calme jusqu'à ce que publions le Handbook of molecular gastronomy, un énorme livre de 694 pages avec 150 auteurs de 23 pays. 

Ce fut l'occasion d'une animation internationale très soutenue et, surtout,  la possibilité de discuter la suite,  à savoir l'utilisation du journal anciennement créé pour le mettre au service de la communauté scientifique qui était devenue maintenant visible.

Nous avons alors élargi le comité éditorial et restructuré la revue pour  la mettre au "modèle diamant",  à savoir que ni les auteurs ni les lecteurs ne payent. La revue est animée par le comité éditorial, et son administration est partagée entre quelques personnes bénévoles... comme le sont d'ailleurs tous les scientifiques qui participent aux revues scientifiques pour le compte d'éditeur privé : les rédacteurs en chef, les "éditeurs", ne sont jamais payés et les rapporteurs non plus : c'est la règle dans le monde scientifique (une règle qu'utilisent à leur profit des éditeurs commerciaux qui font peser des charges souvent indues sur le monde scientifique). 

Bref, notre revue s'est développée pendant 2 ans avant que nous entreprenions les démarches pour passer à l'étape suivante,  à savoir l'attribution des DOI. Ces derniers sont comme des plaques d'immatriculation internationales pour les articles  : ils permettent à tout moment retrouver un article sans avoir les références complètes. 

Là où les choses ont été merveilleuses, c'est que la Direction des publications d' lINAE nous a permis non seulement d'attribuer les DOI aux articles mais, en outre,  d'enregistrer les articles publiés sur la base nationale HAL. 

Parallèlement, nous complétion le dispositif en attribuant des licences CC by 4.0, afin de nous conformer au modèle diamant des revues open. 

Tout récemment, nous sommes allés jusqu'à la possibilité de publier des articles de données, en anglais data papers,  afin de participer au grand mouvement de données ouvertes. 

Simultanément, nous avons révisé les instructions aux auteurs et  affiné la description des rubriques. Car c'était la volonté initiale que d'avoir des rubriques suffisamment variées pour que l'on puisse facilement publier des informations de diverses natures  tout en gardant une bonne qualité. 

Cette qualité est garantie par le processus d'évaluation par les pairs :  il se fait en double anonymat, ce qui signifie que les auteurs ne savent pas qui sont les rapporteurs et les rapporteurs ne savent pas qui sont les auteurs. 

Les rapports ne sont pas rendus publics, parce que nous ne voulons pas afficher de reproches aux scientifiques, surtout quand ils sont jeunes. Nous préférons les aider à améliorer leur manuscrit jusqu'à qu'il soit publiable, processus pendant lequel ils apprennent beaucoup  des rapporteurs. 

 

C'est donc une revue très éclairée que nous avons maintenant, et je me réjouis de voir  depuis deux semaines environ, que des collègues qui restaient un peu éloignés de la revue s'en rapprochent, preuve que l'information sur notre revue commence à bien diffuser dans la communauté scientifique internationale.

samedi 14 septembre 2024

 Alors que je poursuis ma relecture de la biographie de Max Planck par John Heilbron, j'en arrive aux années 1920, quand Max Planck dut faire face à des personnalités détestables comme Johannes Stark. 

Planck, intéressé supérieurement par la science chercha des moyens de ne pas s'adresser aux roquets, de ne pas leur répondre, et c'est ainsi qu'il organisa à propos de la relativité, des débats scientifiques, au lieu de répondre aux critiques faites dans les journaux. 

À l'époque,  la théorie quantique était encore dans l'enfance et les réactionnaires ne savaient pas qu'ils devraient avoir affaire à une question autrement plus difficile ultérieurement mais en tout cas, il remarquable d'observer que chez certains, c'est l'idéologie, et notamment l'antisémitisme, qui primait sur la considération objective des théories. 

Il y a certainement lieu d'en tirer des leçons pour ce qui concerne la science actuelle dont je ne parviens pas à croire qu'elle soit débarrassée des travers humains.

vendredi 13 septembre 2024

L'esprit saute plus haut que le meilleur des perchistes

Alors que la France organise des jeux olympiques je vois des activités physiques et je me réjouis que l'on se focalise ainsi sur des  compétitions pacifiques plutôt que sur des conflits guerriers. 

Pour autant, alors que je me souviens du mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, et je m'étonne que nous n'ayons pas  de jeux olympiques de la pensée. 

Car là aussi, il y a des disciplines variées : la chimie, les mathématiques , la physique, la poésie, la sculpture, la musique, et cetera. 

On me dira que du point de vue artistique, il ne s'agit pas de compétition ? C'est exact, mais en sciences ?  Après tout, on donnait bien des prix après avoir mis des questions au concours, du temps d'Henri Poincaré, qui gagna un grand prix international  en résolvant une question  à propos du mouvement des planètes.
 

Alors pourquoi n'avons-nous pas de jeux olympiques de la pensée ? Avec Poincaré, l'analyse est vite faite : les travaux qu'il a publiés  il y a un siècle sont en réalité incompréhensibles du public. Il en serait de même pour des questions de chimie :  même des réactions classiques,  enseignées en début d'université, sont au-delà de la compréhension du public et nécessiteraient un effort de traduction considérable pour que des spectateurs puissent "assister" à ces jeux de la pensée. 

Bref, j'ai l'impression que notre pensée nous porte bien plus le haut que notre corps. Et je vois là quelque chose à méditer et sans doute à faire comprendre plus généralement.

jeudi 12 septembre 2024

Des références primaires s'il vous plaît !

Je trouve "amusant" que de nombreux textes d'histoire de la chimie reprennent quasiment les mêmes phrases et les mêmes paragraphes, de texte en texte. 

Il y a quelques temps, quand j'avais exploré ce que l'on nomme fautivement la "réaction de Maillard" (il faut parler de réaction de Dusart, ou de réaction de glycation, ou de réaction amino-carbonyle), j'étais tombé des nues en allant chercher les textes d'originaux parce que j'avais alors découvert, par exemple, que des articles souvent cités... n'existaient pas. Et quand je dis qu'ils n'existaient pas, ce n'est pas que je ne les ai pas trouvés, mais qu'ils ne pouvaient pas exister.
Par exemple un article cité depuis un siècle, qui aurait été écrit par deux auteurs Ling et Malting,  ne pouvait exister puisque l'auteur Malting n'a jamais existé et que le seul texte que l'on trouve à ce propos est du dénommé Ling, qui a existé, et qui a publié à propos de la brasserie,  et notamment du malting. 

 

J'ai des exemples de ce type nombreux et j'ai bien tort de m'inquiéter puisque je dois me souvenir de cette loi qui dit que le monde est fait de nombreuses insuffisances. L'histoire des sciences n'a pas de raison d'échapper à la règle alors même qu'elle est si passionnante quand elle est bien faite. 

Par exemple le mot molécule n'a pas toujours désigné ce que nous pensons aujourd'hui être une molécule et, d'ailleurs, il y a eu des terminologies d'étranges comme "molécule intégrante" ou "atome composé"... alors que atome vient du grec atomos, qui signifie insécable. 
Il y a quoi s'y perdre et seule une histoire de la chimie bien faite permet de mieux comprendre. 

Mais pour cela, il faut revenir aux textes primaires, et l'on découvre alors des tas de beauté qui n'ont jamais été mises en valeur par les historiens de la chimie. 

Par exemple, à propos du chimiste Michel Eugène Chevreul, il y a lieu de s'interroger : se nommait-il Eugène, MIchel-Eugène ou Michel Eugène ? En tout cas, sur la fin de sa vie, il signait  lui-même E. Chevreul. 

Dans la même veine, le chimiste et pharmacien Hippolyte Mège-Mouriès se nommait en réalité Mège, mais il prit le nom de sa mère sur le tard. 

Il y a donc des questions de détails, mais aussi des questions fondamentales comme par exemple de savoir si Chevreul n'a pratiqué l'analyse alimentaire que sur le tard, vers 1824, ou bien s'il a pratiqué cela bien avant. La  lecture des mémoires dans les Annales de chimie montre qu'il a pratiqué cela très tôt et en tout cas bien avant la date donnée par un auteur qui dit que Chevreul n'a pas de telles analyses que tardivement. J'observe que cet auteur ne donne pas de référence à beaucoup de ses propositions, et cela me donne l'occasion d'observer que tout fait expérimental, toute idée, toute phrase dans un texte scientifique, qu'il s'agisse d'histoires des sciences ou de  science de la nature, doit être soutenu par des références à des textes primaires. Et parfois par plusieurs références, qu'il faut avoir trouvées et lues. 

Évidemment, des esprits actifs ou approximatif ne feront pas ce travail, mais nous aurons alors raison de nous méfier des informations qu'ils donnent ! 

Le fond, toujours le fond

Un ami historien qui me disait récemment que, pour l'écriture des livres,  la forme permettait de guider le fond. Et pourquoi pas dans certains cas ? 

En tout cas, c'est bien le fond qui m'intéresse. L'intrinsèque avant l'extrinsèque, la personne avant ses habits, avant son déguisement.

 J'évoque ces questions parce que les étudiants qui me font l'honneur et la confiance de participer à des cours que je fais ont pour objectif de préparer une mini synthèse à propos d'une "précision culinaire" de leur choix. Se pose la question de la longueur du document. 

Les synthèses  sont des textes très longs à préparer, produits souvent par les scientifiques  quand ils  commencent un travail : on fait une recherche bibliographique, on recueille les informations et on produit finalement un document qui synthétise le tout, mais avec une visée scientifique sans doute supplémentaires que j'expose dans le cours que j'ai publié l'an dernier dans les Notes académiques. 

Mais ces synthèses prennent un temps considérable,  de sorte que ce sont souvent les premiers articles que publient les doctorants, après une année de belles recherches bibliographiques qui les met au niveau à partir duquel ils pourront eux-mêmes produire de la nouveauté scientifique. 

Bref les synthèses bibliographiques sont des articles longs, difficiles à faire, passionnants certes mais qui nécessitent beaucoup de temps et d'énergie. 

Est apparu depuis quelques décennies une nouvelle forme d'articles de synthèses, à savoir les mini-synthèses,  plus focalisées sur une question plus délimitée, ce qui correspond à des textes plus court, avec moins de références. 

 

Quelle "doit" être leur longueur ? 

 

Une recherche bibliographique sur cette question montre que, le selon les revues, on varie entre 2000 et 8000 mots, avec, d'ailleurs, un recouvrement entre les mini synthèses et les synthèses.
 

Mais je crois que cette donnée quantitative est sans intérêt, car ce qui compte, c'est surtout le contenu, et j'aurais tendance à répondre à mes amis qui m'interrogent sur la longueur qu'ils doivent donner à leur production que c'est la question posée qui impose la longueur de la réponse
Pas seulement, d'ailleurs, car il y a aussi ce que l'on y met soi-même et pas seulement ce que l'on trouve dans les bases de données. Si quelqu'un qui est lancé initialement dans une mini synthèse trouve le sujet passionnant et recueille des informations pertinentes qui permettent de faire quelque chose de très long, pourquoi pas ? 

Car, finalement, ce qui compte, dans toute cette affaire, c'est l'intelligence qu'on y met, l'intérêt que l'on y trouve et que l'on peut partager. Imaginons que, passionné par le sujet, on   arrive à la production d'un livre :  pourquoi pas ? 

La question est toujours celle de l'intelligence et aucune mesure quantitative, cela relève de l'intendance qui doit toujours suivre, et qui ne doit pas être mise en a priori. 

 

D'où la question, comment faire quelque chose d'intelligent ?

Le fin mot du risotto

 Aujourd'hui paraît le numéro de la revue Pour la science de septembre,  où je publie les résultats du dernier séminaire de gastronomie moléculaire, pendant lequel nous sommes revenus -j'espère pour la dernière fois- sur la question  du risotto. 

C'est l'occasion d'observer que nous en sommes au numéro 562 de la revue Pour la Science, qui a été créé en 1976 par Philippe Boulanger et Max Brossollet. Pour ma chronique "science et gastronomie", elle est apparue en 1985, et c'est l'occasion d'observer que jamais il n'y a eu de difficulté pour « trouver des sujets » :  entre les expérimentations personnelles, les séminaires de gastronomie moléculaire, les résultats d'amis proches, les publications scientifiques, il y a amplement matière à raconter comment la science explore notre alimentation.

 J'observe même que progressivement, la gastronomie moléculaire a fait école puisque dans certaines revues scientifique, elle n'est même plus évoquée : les collègues publient des articles relatifs à la transformation des aliments dans des revues classiques.

mercredi 11 septembre 2024

Science pure versus technologie

Il y a périodiquement des personnes qui viennent dire que la séparation entre la science pure et la "science appliquée" est périmée, que ce sont des idées d'un autre temps... mais rien qu'une telle déclaration montre à la fois une volonté idéologique et une mauvaise perception de la science, sans compter un usage médiocre de la langue, ce qui a des conséquences sur la pensée. 

 

J'invite donc ces personnes à lire ou à relire la biographie de Max Planck intitulée "Planck, une conscience déchirée",  par John Heilbron (Editions Belin) : elle y verront des discussions entre Planck et Starck,  alors que l'industrie allemande, très lié à certains milieux technologiques, poussait pour que l'Académie des sciences accueille en son sein une division de "sciences appliquées". Ce sont là les mots de Heilbron,  mais je ne suis pas sûr que Planck aurait adhéré à cette description, et notamment  parce que il n'existe pas plus de "science pure" que de "sciences appliquées" :  la science, c'est la science, à savoir une activité de recherche des mécanismes des phénomènes, et les applications de la science sont... des applications de la science. L'expression "science appliquée" est fautive, parce que si une science était appliquée, ce serait de la technologie, et non plus de la science.

Cette question de regrouper des activités technologiques avec des activités scientifiques est récurrente. Elle s'est donc posée dans les années 1920 en Allemagne, mais elle s'est également posée en France, vers la Seconde Guerre mondiale, puis à nouveau il y a quelques petites décennies à l'Académie des sciences en France : Guy Ourisson, qui était alors président de l'Académie, fut un artisan de la création de l'Académie des technologies à partir de ce qui se nommait naguère le CADAS,  le comité des applications de l'Académie des sciences. 

 

J'insiste un peu parce que j'ai encore rencontré des amis qui auraient voulu que j'admette que la science moderne avait bien changé qu'elle était nécessairement liée à l'industrie ou à l'armée ;  que les idéaux de Planck  ou d'autres, à propos de la science, étaient devenus périmés, etc. 

En réalité, je m'étonne que de telles personnes se croient, dans la discussion, à la hauteur de Planck ou même d'Albert Einstein, dont le texte de discours pour l'anniversaire des 70 ans de Planck montrait combien il adhérait à ces idées que d'aucuns prétendent périmés. 

 Oui, il y a la science, qui est merveilleuse, et les applications des sciences qui sont merveilleuses quand elles sont faites pour le bien de l'humanité. 

Et rien n'y fera  : une recherche d'application est une recherche d'application et une recherche de mécanismes est une recherche de mécanismes. Certes, certains individus balancer entre les deux  ; ils peuvent à un moment chercher des applications, et chercher des mécanismes à un autres, mais  pour autant, ces deux activités ne se confondent pas. Il y a la science, d'une part, et les applications des sciences d'autre part.