mercredi 15 mai 2024

A propos des Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France

Nous venons de tenir notre réunion du comité éditorial du journal scientifique, technologique et technique nommé Notes académiques de l'Académie d'Agriculture de France, et c'est l'occasion d'expliquer ce dont il s'agit. 

 

En 2016, l'Académie d'Agriculture de France a décidé de créer un journal scientifique, technologique et technique pour publier des articles dans les divers champs d'activités de l'Académie, à savoir alimentation, agriculture et environnement. Plus exactement, l'activité de l'Académie est représentée par ses sections qui comprennent tout aussi bien des sciences de la vie que de l'élevage, des agrofournitures, et cetera. 

Les manuscrits peuvent donc correspondre à des travaux dans le champ de ces dix sections. 

L'originalité, c'est que ce journal est au modèle diamant à savoir qu'il est libre et gratuit  : les auteurs ne payent pas et les articles sont mis gratuitement à la disposition des lecteurs, l'apport en industrie et en capitaux étant effectué par l'Académie d'agriculture de France, représentée par un groupe de travail qui a pour nom comité éditorial des notes académique. 

Ce comité éditorial, composé de personnalités scientifiques, technologique et techniques de plusieurs pays, se réunit régulièrement et échange beaucoup pour bien définir la revue et la faire fonctionner. Chaque  manuscrit que nous recevons est déposé dans un endroit protégé du site académiques à des fin d'antériorité, il est anonymisé et envoyé à un éditeur qui a pour charge d'assurer l'évaluation par les pairs : cela signifie en pratique qu'il envoie le manuscrit anonymisé à deux rapporteurs pour en demander une évaluation, une analyse critique, laquelle débouchera sur des conseils aux auteurs,  afin d'améliorer le texte jusqu'à ce qu'il soit publiable. 

Il y  a là un point important : les articles publiés doivent être de très grande qualité. C'est ainsi que depuis 2016, nous avons appris à publier les articles dans d'excellentes conditions, puis nous avons passé le cap de l'attribution des DOI, système de dénomination internationale des articles, et que nous continuons à améliorer nos circuits éditoriaux tout en promouvant l'idée que les scientifiques ont intérêt à publier dans une telle revue plutôt que dans des revues d'éditeurs privés dont les comportements ne sont pas toujours parfaitement éthiques. 

 

Les Notes académiques sont bien dans la ligne de l'activité souhaitée des sociétés savantes et des académies : il s'agit d'encourager les travaux scientifiques dans les champs de ces dernières. Cela passe à la fois par la publication de notes de recherche ou de points de vue, de perspectives, d'analyses d'articles ou d'ouvrages, etc. :  nous avons défini un ensemble de rubriques dans lesquels les manuscrits doivent s'insérer pour être publiés...  après  les nécessaires évaluations, ces échanges anonymes entre rapporteurs et auteurs qui permettent d'améliorer les textes. 

J'insiste sur ces échanges anonymes : il ne s'agit pas seulement de vérifier l'orthographe ou la grammaire, la correction des phrases, mais il s'agit aussi que les règles éthiques de la publication soient parfaitement respectées, notamment avec une insistance sur la justesse des références qui sont données, mais aussi sur la cohérence des arguments, sur la rigueur des méthodes, et cetera. 

Bref, la mise en œuvre de la double évaluation doublement anonyme est merveilleuse en cela qu'elle permet aux auteurs de dépasser leurs propres limites, d'apprendre, de s'améliorer. D'ailleurs, l'anonymat des évaluations permettent aussi aux jeunes chercheurs d'apprendre à rédiger des bons articles scientifiques sans avoir la honte de publier des textes imparfaits, qui resteraient à jamais comme des taches dans leur activité. 

Plus positivement, quelle fierté d'avoir un article publié dans les Notes académiques !

Les calculs nous sauvent toujours : que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.

 
A la base de cette affaire, il y a les "calculs", que certains nommeraient "mathématiques" (mais ce serait confondre une activité un peu mécanique, bien qu'amusante, et une activité d'exploration de structures élaborées à partir des nombres. 

Oui, les calculs nous sauvent toujours, et notamment parce qu'ils nous évitent de fastidieuses expérimentations. 

L'idée est née, en réalité sous une forme un peu mystique, avec les philosophes grecs : la seconde partie de la proposition était écrite au fronton de cet espace nommé Académie, à Athènes, où se réunissaient le philosophe Platon et ses élèves. Pour les philosophes grecs, il y avait l'idée selon laquelle le monde est régi par les nombres et, de ce fait, il y avait l'idée qu'il fallait faire des mathématiques pour comprendre le monde. Par exemple, en musique, une corde qui vibre fait un son, mais une corde plus courte de moitié fait un son plus haut d'une octave, et les différentes notes de la gamme musicale dite pythagoricienne sont celles que l'on forme avec des cordes dont la longueur est une fraction simple (1/2, 2/3...) de la longueur initiale de la corde. Le fait que l'on obtienne des sons harmonieux ou pas avec certaines fractions avaient conduit les philosophes à croire à une harmonie mathématique du monde. 

Plus tard, il en alla de même pour les astronomes, qui croyaient à des rapports simples entre les astres. Encore au temps de Johannes Kepler, alors donc que l'on découvrait les lois du mouvement des planètes du Système solaire, on associait les distances entre les astres du Système solaire à des solides platoniciens tels que le cube, le tétraèdre, etc. Le nombre aurait régi le monde. Plus tard, quand la méthode scientifique s'introduisit dans la science moderne, il en est demeuré que les scientifiques ont foi dans cette hypothèse selon laquelle "le monde est écrit en langage mathématique" (des guillemets, parce qu'il s'agit d'une phrase de Galilée). Les nombres sont remplacés par des équations, mais l'idée de base demeure. 

Aujourd'hui, alors que la méthode scientifique fondée sur cette hypothèse ne cesse de conduire à plus de connaissance des mécanismes des phénomènes, on peut s'interroger : le monde est-il construit selon les nombres ? Ou bien est-ce notre capacité de manier les nombres qui nous permet de les mettre dans les phénomènes ? 

D'ailleurs, il faut hybrider la première hypothèse (le monde est écrit en langage mathématique) avec cette idée selon laquelle toute théorie est insuffisante, ce qui nous conduit à chercher des théories plus compliquées. On est passé du nombre à l'équation, puis à l'équation plus compliquée, et l'on ira à l'infini, parce que le monde n'est peut être pas construit "exactement" en langage mathématique.

 Cela dit dans notre activité, puisque nous cherchons des théories, c’est-à-dire des groupes d'équations, nous devons avoir des compétences mathématiques pour nous épargner des expériences très longues J'ai discuté jusque ici la fondation des sciences de la nature, mais il y a le petit quotidien, lequel va avec la quantification des phénomènes. Là, pour trouver les lois, il faut maîtriser suffisamment les mathématiques. Pour les mesures, analyses, idem : le nombre est partout, et nous avons besoin de mathématiques sans cesse.

lundi 13 mai 2024

Parents indignes !


On me signale le cas d'une mère qui se plaint que son fils de 21 ans ne sache pas faire cuire des spaghettis et lui demande comment cuire la partie des spaghettis qui se trouve à l'extérieur de la casserole.
On peut bien sûr se mettre du côté de la mère et déplorer qu'un individu de 21 ans en soit encore à poser une telle question, mais je propose plutôt d'identifier que la mère n'a pas fait son travail éducatif correctement si elle a laissé son enfant atteindre l'âge de 21 ans en se posant de telles questions.
On voit bien, derrière cela,  le schéma d'une mère qui a cuisiné toute sa vie pour sa famille, excluant en quelque sorte ses enfants de la cuisine au lieu de les faire participer. On voit une mère qui n'a pas pris le temps de permettre à ses enfants de s'émerveiller des mille phénomènes culinaires qui ont lieu lorsqu'on prépare les aliments. On voit une mère qui se met dans une position de victime alors qu'elle est coupable d'avoir confisqué de la culture. On voit une mère qui a conservé son petit pouvoir culinaire au lieu de le partager.

Bref je ne me joindrai pas au concert des déplorations mais surtout, je vais inviter tous les parents à faire participer les enfants aussi rapidement aux tâches domestiques. Mettons les baby relax sur le plan de travail pour que nos enfants voient nos gestes, voient les transformations extraordinaires qui ont lieu quand on cuisine. Parlons de ce qui est en jeu : la technique, l'art, la socialité. Ne confisquons pas le bonheur de la culture technique, artistique, sociale !
 

Ceux qui coupent la parole pour dire des choses moins intelligentes que ce qu'on va dire n'ont pas raison



Sortant d'une discussion avec un jeune homme qui me sollicite parce qu'il a besoin d'aide, je m'aperçois qu'il n'est pas capable d'attendre la fin de mes phrases et qu'il m'interrompt pour dire assertivement des choses qu'il croit que je pense et qui sont en réalité bien moins intelligentes que ce que je me prépare à dire.
Je crois que c'est vraiment une mauvaise stratégie : non seulement il n'a pas brillé, mais, pis, il est apparu à la fois prétention et pas malin.

Ce n'est pas la première fois que je rencontre un étudiant qui a un tel comportement, et je m'interroge : pourquoi certains de nos jeunes amis font-ils ainsi  ? Est-ce voulu ? Est-ce involontaire ? J'en sais certains qui ont une volonté de paraître intelligents, rapides ; j'en sais d'autres qui sont inquiets, dans un milieu familial ou universitaire qui met beaucoup de pression ; j'en sais de prétentieux ; et il y a sans doute d'autres sortes.

En tout cas,   je ne suis pas sûr que leur manière soit bonne, et j'espère que ce message leur parviendra... et qu'il sera entendu,  parce que je suis absolument convaincu que ce comportement leur nuit.

Il faut être clair !

 Relisant mon livre Précisions culinaires, je m'interroge à propos du style qui y est mis en oeuvre, car je vois dans ce texte déjà publié beaucoup d'énergie, beaucoup de vie ;  le texte nous bouscule, respire, s'agit... mais peut-être au détriment de la clarté.

 




Or c'est bien cela qui est l'essentiel :  la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public. Bien sûr, dans ce livre en particulier, "j'annonce bien la couleur", mais, en disant cette dernière partie de phrase, je montre exactement les limites de mon écriture : "annoncer la couleur" est une expression imagée, mais qui me parle en réalité qu'à ceux qui la connaissent. D'ailleurs, la traduction automatique en ligne montre, par son médiocre résultat, combien cette expression peut être difficile à interpréter.
Qu'est-ce qu'annoncer la couleur ? Annoncer la couleur, cela  signifie dire à l'avance ce dont on va parler. Pourquoi ne pas le dire ainsi ? Oui utiliser l'expression "annoncer la couleur" donne de la vie, du relief, mais au détriment de la clarté.

Et c'est là un des petits symptômes du livre dont je parle. En réalité, je vois que ce livre est également un peu elliptique du point de vue culinaire, car mes analyses une fois faites sont posées mais pas expliquées. Le livre gagnerait à entrer un peu dans les détails de ce point de vue. Bien sûr, je pars de textes culinaire dont je fais l'exégèse. Mais en commençant s'est-il bien toujours ce dont il s'agit ? Pourquoi ne pas profiter de ce texte pour expliquer davantage ?

Jeudi et vendredi prochain

À  partir de mercredi après-midi, les participants du 13e International workshop on molecular and physical  gastronomy vont se réunir pour la 13e de ces rencontres. 

Le thème choisi est consistances et textures

 

C'est un fait que, pour la cuisine, la question des consistance et des textures est absolument essentielle mais il y a lieu d'expliquer la différence entre ces deux termes et cela sera fait en termes quantitatifs, formels, en début de réunion. 

 

Disons déjà la chose, en considérand une piscine plein d'eau. L'eau est un liquide qui a donc la consistance d'un liquide : il s'écoule, sa viscosité faible, et cetera. 

Si l'on plonge correctement dans la piscine, alors il n'y a pas de  bruit et l'eau s'écarte devant nous.
En revanche, si l'on fait un plat, alors qu'il y a un grand bruit et l'on perçoit comme un solide. 

Dans un cas comme dans l'autre, l'eau a sa consistance avec des molécules qui bougent d'une certaine façon, mais la texture est ce que nous en percevons selon notre interaction avec la matière. 

Il en va de même pour les aliments. Par exemple un morceau de chocolat sera fondant si on laisse si on le laisse fondre en bouche et il sera croquant si on le croque. De même pour une pâte feuilletée qui sera croustillante si on la mâche immédiatement mais qui s'amollira et perdra sa croustillance si l'on si on la consomme trop lentement. 

L'intelligence de l'artisan  et de l'artiste culinaire c'est de bien comprendre cela. Pour la gastronomie moléculaire, il y a lieu d'explorer ses phénomènes, de comprendre les consistances, et de comprendre les textures et c'est en se fondant sur des observations culinaires que nous analyserons les choses. 

 

Voilà pourquoi nos amis vont nous rejoindre à Palaiseau bientôt

 


Le prochain séminaire

Bonne nouvelle : le Lycée Guillaume Tirel, à Paris, qui accueille les séminaires de gastronomie moléculaire, et contribue ainsi à l'avancement de l'artisanat et de l'art culinaire (en raison des résultats expérimentaux que nous y produisons) peut nous recevoir le 22 mai, de 16 à 18 heures, en remplacement du 15, qui est la date de début du 13 e IWMPG (doc joint).


1. Le 22, nous explorerons les questions suivantes :
- les roux préparés à feu très doux diffèrent-ils des roux préparés à feu très fort (à couleur finale
égale) ?
- les roux à farine torréfiée et beurre noisette diffèrent-ils de roux classiques, à ingrédients
constants ?

2. Pour vous inscrire au colloque des 15-16 et 17 (libre, gratuit, sur inscription), sur le thème "Consistances et textures", il faut envoyer : Nom, Prénom, Affialiation, Adresse, Téléphone, Email.