lundi 13 mai 2024

A quoi bon des travaux pratiques, dans les enseignements scientifiques ?

 Faut-il des travaux pratiques ? 

La question des travaux pratiques est régulièrement discutée dans l'enseignement supérieur, car ces séances pédagogiques coûtent évidemment plus cher que des cours théoriques, où l'on se contente d'un tableau, naguère noir, aujourd'hui blanc. On ne manquera pas, à ce propos, de rappeler la disparition des "préparateurs", qui étaient des assistants des professeurs, chargés de préparer les expériences qui illustraient les cours : avec la disparition de ces derniers, les professeurs ont dû faire eux-mêmes les expérimentations... qui ont finalement entièrement disparu. 

Restent donc les travaux pratiques. Sont-ils bien nécessaires ? La question s'est posée il y a quelques années, quand certaines universités anglaises ont voulu les supprimer... et il a fallu que des lauréats du prix Nobel annoncent qu'ils rendraient leur diplôme en cas de suppression des travaux pratiques pour que les universités retirent leurs projets. Mais il y a eu un chantage, et non un vrai débat. 

La question mérite d'être posée, comme d'ailleurs toutes les questions "qui fâchent" : faut-il vraiment que les étudiants fassent des travaux pratiques ? On observera d'abord que la science expérimentale est... expérimentale ! Il faut des données expérimentales pour que, ultérieurement, des élaborations théoriques puissent s'ériger. 

On observera ensuite que les étudiants font des "stages", dont l'objectif officiel (voir le site du Ministère de la recherche) est la transformation de connaissances en compétences : on pourrait alors imaginer que les entreprises soient en charge de former les étudiants aux manipulations pratiques... à cela près que cette formation est une charge considérable (souvenons-nous du point de départ : le coût), qui mobilise des personnels, et que les entreprises seraient alors en droit non pas de rémunérer les stages, mais, au contraire, de revendiquer le versement de sommes au titre de la formation qu'elles dispensent. 

On observera que les étudiants qui nous arrivent en stage, au niveau du Master, ne savent souvent pas changer un plomb, scier, visser, percer, etc., les cours de technologies des collèges et des lycées ayant échoué à leur donner ces compétences (c'est un fait, pas une critique), sauf évidemment (peut-être) dans les filières technologiques. 

Enfin, on observera, par une métaphore juste et puissante, que l'on peut avoir reçu tous les conseils théoriques du monde, on ne jouera au tennis ou au violon qu'après un très long entraînement pratique. Que notre intelligence y trouve ou non son compte, c'est ainsi : nos mains doivent apprendre, et il n'est pas vrai que la tête soit toute puissante. 

Bref, il faut donc des séances de travaux pratiques. Sur la base de cette conclusion irrémédiable, nous pouvons maintenant chercher à organiser ces derniers, pour qu'ils soient efficaces, mais on observera, en reprenant l'exemple du tennis ou du violon, que le temps passé doit être considérable. Et on se souviendra que c'est en vertu de tels raisonnements que Louis Joseph Gay-Lussac, puis son élève Justus von Liebig, organisèrent des formations pour les étudiants en chimie. 

On n'oubliera pas que le grand Antoine Laurent de Lavoisier parvint à ses avancées scientifiques par une parfaite maîtrise de ses expérimentations : la "balance de Fortin" ou son aéromètre étaient des outils célèbres dans toute l'Europe scientifique, avant que Louis Joseph Gay-Lussac ou Jons Berzélius ne deviennent les plus grands chimistes de leur temps, leurs analyses étant également bien plus précises que celles de leurs contemporains. 

 

Mens sana in corpore sano.

La beauté des sciences de la nature

 Pourquoi les scientifiques se lèvent-ils le matin ? On pressent des réponses variées, mais c'est un fait que, pour beaucoup, il y a cette extraordinaire "beauté", qui a fait dire à certains, tel le mathématicien français Henri Poincaré, qu'il faut faire de la science en artiste. 

 

L'art, la beauté... De la beauté en science ? Où se trouverait-elle ?

Pour le comprendre, je propose de revenir à une hypothèse que j'avais émise lors de la préparation de mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", hypothèse selon laquelle "ce qui est construit est beau". C'est un fait que notre esprit humain reconnaît des "formes", au sens de Platon, des "structures" : à partir d'étoiles désordonnées dans le ciel, nous "retrouvons" une casserole, un W... Nous voyons une construction où il n'y en pas pas, en réalité. # Pour la musique, il en va de même : une suite de notes très désorganisées nous paraîtra incohérente, "laide", alors qu'un enchaînement tel que do, do, do, ré, mi, ré, do, mi, ré, ré, do nous fera fondre de nostalgie (on a reconnu le début d'Au clair de la lune). Plus généralement, je propose de regarder ce qui se rapporte à nos perceptions sensorielles : souvent, la beauté est associée à la structure. Bien sûr, il y a des limites : l'odeur d'excrément est reconnaissable... mais pas "belle". Ou encore, un plat trop salé sera... trop salé. Mais conservons notre hypothèse, même assortie de limitations, pour ce qu'elle vaut : une hypothèse de travail. 

 

La beauté par le prisme de mon hypothèse

La science ? Pour y revenir ? C'est une activité intellectuelle, et non une stimulation sensorielle, mais, au fond, la perception des sensations ne vient-elle pas au cerveau, tout comme la compréhension des structures du monde ? Or les sciences de la nature font l'hypothèse que le monde est écrit en langage mathématique... ce qui est le royaume de la structure ! 

Par exemple, quand on énonce la "loi de Stefan", selon laquelle un corps rayonne de l'énergie (pensons au fer à cheval rougi) en proportion de la température absolue à la puissance quatrième, on voit une "structure" du monde. Pourquoi cette proportion ? Pourquoi cette puissance quatrième, et pas première, ou dixième, ou d'un ordre non entier ? Il y a quelque chose de fascinant à voir le monde se conformer à des lois simples, au lieu d'être parfaitement désordonné. Bien sûr, on sait que les théories sont toutes approximatives, et que la loi de Stefan n'est pas absolument exactes, mais quand même : pourquoi une correspondance si étroite entre le monde et la proportion de la puissance quatrième ? 

Le mystère, la beauté. Ce que nous avons vu avec le rayonnement des corps vaut pour tous les champs des sciences de la nature : l'adéquation remarquablement précise du monde aux lois mathématiques avec lesquelles les sciences de la nature décrivent le monde est une fascination constante. L'acte de foi selon lequel le monde est écrit en langage mathématique est en réalité la base de la beauté que nous voyons. Pour partager notre émerveillement, il faut donc bien montrer à nos amis cette adéquation. Pour le raisonnement qui conduit aux lois, ce sera pour plus tard.

samedi 11 mai 2024

Les molécules et les composés

Qu'est-ce qu'un composé ? Qu'est-ce qu'une molécule ? J'ai déjà donné la réponse (qui est donnée dans tous les cours de chimie), mais il faut que j'y revienne, parce que je m'aperçois que cela peut rendre service à tous ceux qui parlent du monde matériel, qu'il s'agisse de cuisine ou d'écologie, ou de droit, ou d'environnement. Évidemment, ceux qui ont suivi leurs cours de chimie, au collège et qui s'en souviennent, ne vont pas trouver du nouveau ici ; je m'adresse surtout à tous ceux pour qui la chimie est insuffisamment familière, et qui ont besoin ou envie d'avoir des idées claires. 

J'ajoute : 1. que je n'ai aucun mépris pour ceux qui ont besoin de ces explications : nous sommes tous ignorants d'idées, de notions que d'autres jugent "élémentaires" 2. que cette explication a fait l'objet d'un podcast sur le site AgroParisTech... et qu'elle a été largement plébiscitée, preuve que les scientifiques doivent ne pas croire que les connaissances scientifiques qu'ils ont sont connues, et que l'intérêt collectif est qu'ils fassent des efforts pour communiquer leurs connaissances à l'ensemble de la communauté. 

 

Avant deux anecdotes, des choses simples

 

 Je veux commencer par deux anecdotes, pour bien montrer combien le sujet est important... mais comme beaucoup de mes amis ignorent ce qu'est une molécule, je commence par un exemple. Prenons un verre d'eau, immobile, posé sur une table qui n'est pas agitée de vibration par le passage du métro, le vent, par exemple. Si regardions l'eau liquide à l'aide d'un microscope extrêmement puissant, nous verrions un grouillement d'objets tous identiques, très petits. Il n'y aurait pas de "couleur", et les formes seraient "floues" pour des raisons que je ne veux pas expliquer ici : 

<a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/eau-liquide-n-et-b-floutee.png" rel="attachment wp-att-1211"><img src="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/eau-liquide-n-et-b-floutee-300x167.png" alt="eau liquide n et b floutee" width="300" height="167" class="alignnone size-medium wp-image-1211" /></a> Là où l'on voit mal les choses, les travaux accumulés par les physico-chimistes depuis que les sciences de la nature ont commencé ont permis de "comprendre" une telle image, de sorte que, pour mieux expliquer, nous y mettons moins de flou et plus de couleur. Bref, nous savons que nous pouvons légitimement transformer une telle image en : <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/eau-liquide.png" rel="attachment wp-att-1212"><img src="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/eau-liquide-300x167.png" alt="eau liquide" width="300" height="167" class="alignnone size-medium wp-image-1212" /></a> Cette fois, on voit mieux une accumulation d'objets tous identiques : une boule rouge liée à deux boules grises. C'est ce que l'on nomme une "molécule". Comment est-elle constituée ? Les travaux des siècles passés ont conduit à comprendre qu'il s'agit d'un "atome" d'une matière particulière nommée oxygène, lié à deux atomes d'une autre matière nommée hydrogène. Atome ? C'est le nom qui a été donné à ces espèces de boules floues que nous pouvons voir. Matière ? Le fer est une matière, tout comme le cuivre, ou le carbone, ou ce soufre, poudre jaune que l'on voit sur les flancs de certains volcans... Ajoutons enfin que l'image floue que l'on verrait ne serait pas fixe : les objets que nous nommons molécules bougent en tous sens, dans l'eau liquide. Ils ne feraient que vibrer sur place si l'eau était gelée, et ils bougeraient bien plus vite que dans l'eau liquide si l'on faisait bouillir l'eau. Sans attendre, disons que l'eau est un "composé", fait donc de molécules toutes identiques. Des molécules d'eau. Quelle est la taille de ces molécules et combien y en a-t-il dans un verre ? D'abord, le nombre : environ dix millions de milliards de milliards. Là, je sais qu'un tel nombre n'est pas "compréhensible", parce qu'il n'est pas de ceux qui sont à notre portée. Il suffit donc de dire "vraiment beaucoup" ! La taille, ensuite ? Connaissant le nombre de molécules qu'il y a dans un verre d'eau, on divise le volume par le nombre de molécules et on la trouve : très très petite ! 

 

Une première anecdote

Tout cela étant dit, venons-en à la première anecdote. Il y a plusieurs années, j'ai été interrogé par une journaliste scientifique d'une grande chaine de télévision française à propos du "bouquet" du vin. Le bouquet : c'est l'odeur. La personne m'a demandé : "Est-il vrai que le vin contient 450 molécules aromatiques ?". En commençant, je n'ai pas corrigé "aromatiques" en "odorantes" (seuls les aromates qui libèrent des molécules aromatiques; or le vin n'est pas un aromate), parce qu'il y avait plus urgent : j'avais dépisté qu'il y avait une confusion entre molécule et composé. Mon interlocutrice -je m'en suis assuré lors d'une assez longue discussion- croyait que, dans une bouteille de vin, il y avait seulement 450 objets, petits, ces objets que les chimistes nomment molécules, qui auraient contribué à l'odeur. Cela n'est pas juste : en réalité, dans le vin, il y a environ 500 composés odorants, environ 500 sortes de molécules odorantes. Pour chaque sorte de molécules odorantes (pour chaque composé, donc), il y a des millions de milliards de molécules odorantes. 

Expliquons. Prenons des clous de girofle : ils ont donc une odeur de clou de girofle. Broyons-les et mettons-les avec de l'eau dans un récipient en verre, puis chauffons. De la vapeur s'échappe, avec une forte odeur de clou de girofle. Captons cette vapeur et refroidissons-la : nous récupérons de l'eau liquide, avec une sorte de liquide huileux qui flotte à la surface : c'est l'huile essentielle de clou de girofle. 

Cette huile essentielle est principalement faite d'un composé nommé "eugénol". Son odeur est très forte... au point que si nous en prenons une toute petite quantité, nous pouvons parfumer puissamment de l'eau, de l'huile de table. Imaginons que ce soit de l'eau, où nous mettons un peu d'huile essentielle : il en suffit donc un très petit volume pour parfumer l'eau, lui donner une odeur de clou de girofle. Combien ? Une goutte, c'est beaucoup trop. Pour bien faire, il faudrait prendre une très petite goutte d'eugénol pour un milliard de gouttes d'eau, soit environ un cube d'eau de un mètre de côté. Imaginons donc un tel cube d'eau avec l'eugénol dedans. Il y aurait donc un composé odorant dans l'eau... mais beaucoup de molécules d'eugénol, puisque la petite goutte introduite contient de l'ordre de dix milliards de milliards de molécules d'eugénol. C'est très peu par rapport au nombre de molécules d'eau... mais c'est beaucoup quand même. 

Imaginons maintenant que nous ajoutions au cube d'eau une très petite goutte d'un autre composé odorant, par exemple la vanilline (qui sent la vanille). On obtiendrait donc beaucoup de molécules d'eau, avec beaucoup moins de molécules d'eugénol et de molécules de vanilline. Cette fois, l'eau contiendrait deux composés... mais beaucoup de molécules de chaque composé. Et si l'on passe à du vin : c'est de l'eau, avec environ 500 composés odorants. Dans le très grand nombre de molécules d'eau, il y a des grands nombres de molécules odorantes de chaque sorte. La molécule, c'est le tout petit objet, et le composé, c'est la "sorte" de molécules. 

 

Une seconde anecdote

 

Notre amie journaliste confondait donc molécules et composé. Serait-ce parce que la presse serait "médiocre", comme on le dit trop souvent ? D'une part, je suis très opposé à cette idée, et, d'autre part, je vais montrer que la presse n'est pas en cause, en tant que presse, puisque d'autres groupes sociaux sont autant dans la confusion ou l'ignorance (on se souvent que mon emploi du mot "ignorance" est factuel, pas dénonciateur). D'une part, la presse n'est pas médiocre... parce que, parmi les journalistes, il y a des ignorants, mais aussi ceux qui savent ; il y a des malhonnêtes, et aussi les honnêtes ; il y a les tendancieux, mais aussi les autres. 

Bref, parler de "la presse", c'est honteux, car on met dans le même sac des personnes très différentes. Si j'aime le vin rouge, et mon ami le vin blanc, qu'aimons-nous "en moyenne" ? La question n'a pas de sens. S'il y a de bons journalistes et de mauvais, comment est la presse ? La question n'a pas de sens. Alors cessons de mettre malhonnêtement ou bêtement tout le monde dans un même sac, et passons à la suite. 

La suite, c'est la seconde anecdote (vraie, bien sûr) : je me souviens d'une conférence, dans une Faculté de droit (on m'avait expliqué que les juristes étaient les "princes de l'université" : quelle délicatesse et quelle modestie !), où, pendant une matinée, j'ai entendu des juristes discuter des "dangers" des composés et des molécules dans l'alimentation : dans le lait, dans l'environnement, dans les aliments... Quand mon tour d'intervenir est arrivé, il m'a pris l'idée de demander à mes amis juristes s'ils savaient la différence entre composé et molécule, et la réponse a été... un grand blanc. 

Oui, nos "princes de l'université" étaient parfaitement ignorants des objets sur lesquels ils voulaient légiférer ! Là, c'est véritablement honteux, et je me réjouis d'avoir fait préalablement le petit couplet précédent sur "la presse", pour ne pas me mettre en position de dénonciation des juristes en général. Disons que mes interlocuteurs de ce jour-là étaient des minables, et retenons seulement qu'il y a des gens qui prennent des décisions politiques sans savoir de quoi ils parlent. Ne devrions-nous pas nous assurer, avant d'accepter des lois, que les législateurs comprennent ce sur quoi ils légifèrent ? Ne devrions-nous pas faire une formation des députés aux faits chimiques ? Après tout, les "perturbateurs endocriniens", le glyphosate, les "pesticides", et ainsi de suite : ce sont des composés, non ? Faits de molécules, non ? Alors ils faut que nos élus comprennent clairement ce dont il s'agit avant de prendre des décisions ! 

 

Bref, il faut des explications. 

Arrivés à ce stade de mon très long billet, il faudrait que j'explique ce que sont des molécules et des composés... mais nous l'avons fait en introduction. Je ne propose d'y revenir que pour aller un peu plus loin. Plus généralement : En chimie, un corps pur, tout d'abord est une matière qui n'est faite que d'une seule espèce chimique, à la différence d'un mélange (homogène ou hétérogène) qui en comporte plusieurs. Un corps pur simple est un corps pur constitué d'un seul type d'atomes. Il peut être :
- élémentaire, quand ses atomes ne forment pas des molécules ; par exemple le fer (on note Fe) ;
- moléculaire, quand ses atomes sont liés en molécules par des liaisons chimiques ; par exemple, le dihydrogène(on note H2). Un corps pur composé, ce que l'on nomme "composé", est un corps pur constitué à partir d'atomes de natures différentes. Cette matière peut être sous la forme des molécules, de supermolécules, de complexes, de sels ioniques, etc. ; par exemple, l'eau, dont les molécules sont composées d'un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène. Je le redis différemment. Une substance pure peut donc, selon les cas, correspondre à :
- un corps simple, c’est-à-dire constitué uniquement d’atomes d’un même élément - un corps composé, ou composé, c’est-à-dire constitué d’atomes, ou mieux de noyaux, de deux ou plusieurs éléments (chimiques) différents. Et voilà. Nous pouvons maintenant discuter sur des bases saines, n'est-ce pas ?

Amusons-nous à calculer

Un lecteur de mon livre Calculating and Problem Solving  through Culinary Demonstrations m'écrit, parce qu'il ne comprend pas le calcul de la page 258. C'est bon signe, déjà  : il a réussi à aller presque jusqu'à la fin du livre. 

 


 

Je lui réponds, et voici son message de retour

Merci beaucoup pour l'explication (j'avais mal compris dans le livre) et également merci beaucoup pour le livre.
Il ne m'est jamais arrivé d'avoir le droit d'essayer de combler mes lacunes de bases en calcul ou d'essayer de faire de la physique chimie pour comprendre et apprendre avec un autre objectif que celui d'avoir des bonnes notes. Grâce à vous j'ai pu recommencer à refaire des mathématiques à côté et d'autre choses, et vivre mieux aussi.
Merci pour tout.
Je ne sais pas si vous avez le temps pour sortir "Back of the enveloppe calculation", je l'attends aussi.
 
 
Hélas,  je suis obligé de lui dire que ce que j'avais nommé Back of the enveloppe est devenu le livre qu'il a entre les mains. 
Mais en tout cas, il est lancé :  tout peut devenir l'occasion de s'amuser à calculer : c'est bien la différence entre des connaissances et des compétences, n'est ce pas ?

vendredi 10 mai 2024

La beauté de la science

 
Lors d'un concert, le jeu du pianiste était tel que, dans des pièces de Brahms, de Chopin, de Liszt, de Beethoven, j'ai eu la possibilité de bien comprendre la construction des oeuvres, sans doute parce que le pianiste savait la faire apparaître, et je me suis évidemment émerveillé de voir des moments particuliers, sans répétition pourtant, dans les pièces qui étaient jouées. 

Le pianiste était un homme fougueux, qui jouait très énergiquement, avec beaucoup de virtuosité… et peu de respirations, et l'on ne peut pas dire, loin de là, que l'on se vautrait dans le sentiment. La beauté étant dans dans l'oeil qui regarde, en l’occurrence dans l'oreille qui écoute, et étant une « brute », mon esprit était peu enclin à des « Ah, c'est beau ! », et plus porté à des réflexions, sur la beauté notamment, et je me disais qu'il y avait une mission urgente à bien montrer l'extraordinaire beauté de l'entreprise scientifique (je pense aux sciences de la nature). 

Une beauté qui serait dans la science, ou dans la vision que nous en avons ? En l’occurrence, de même qu'une partition de Brahms incluait une beauté que l'interprète pouvait faire naître, et que l'auditeur continuait à créer en sachant écouter, la science, la recherche scientifique, cette entreprise qui consiste à repousser les limites de l'inconnu, de l'ignorance, à étendre le royaume de l'expliqué (à défaut de parler du compris), la science donc a des caractéristiques d'une immense beauté. 

Notamment le mécanisme méthodologique de la science est tout à fait merveilleux et, au moins pour ce qui me concerne, j'identifie très bien que le coeur de la beauté scientifique est cette extraordinaire adéquation des équations avec les faits expérimentaux. 

On caractérise quantitativement un phénomène, on réunit les données innombrables en lois, c'est-à-dire en équations… et, patatras !, ces dernières s'appliquent remarquablement bien dans un nombre infini de cas, alors qu'elles n'ont été établies qu'à partir d'un nombre fini de cas particuliers. Cette puissance, cette généralité des lois scientifiques est tout à fait mystérieuse, et tout à fait merveilleuse aussi. 

Mieux encore, il se trouve que les explications que nous trouvons pour rendre compte des lois conduisent sans cesse à des perfectionnements des théories, des dites équations. Et ces perfectionnements ne sont pas de simples améliorations, mais des adéquations encore plus étroites avec des faits expérimentaux. Je ne vois pas comment on pourrait manquer d'être impressionné par cette caractéristique des sciences de la nature. Il y a là-dedans, en germe, toute la fascination pour la numérologie, la cabale… : on soupçonne un projet (divin, bien sûr), et il se trouve que nos explorations expérimentales nous conduisent à identifier des structures insoupçonnées… 

Mais l'expérience nous empêche de verser dans les élucubrations. L'expérience, le premier pied sur lequel nous tenons, avec le calcul, le second pied. 

Cette beauté des sciences de la nature peut être présentée comme je viens de le faire, ou en développant plus, mais cela pose un problème social, à savoir que si nous partageons notre amour des sciences, alors nous risquons de conduire des plus jeunes que nous aspirer à des carrières scientifiques. 

Cela n'est pas mal en soi, car il faut assurer la relève, mais on oublie alors que la science est en réalité réservée à ceux qui calculent beaucoup, qui aiment calculer, qui le font bien, et nous risquons de faire des déçus, des exclus, des rejetés : nous risquons d'obtenir un résultat contraire à celui que nous visions. Que faire ? Quel serait le résultat socialement désirable ? 

C'est certainement la technologie, plus ancrée dans le réel, dans la production, que nous devrions socialement promouvoir, comme je l'ai dit souvent, par le passé. . Comment éviter de fourvoyer nos jeunes amis tout en partageant notre émotion pour quelque chose d'absolument extraordinaire ? 

Je me demande s'il ne serait pas bon d'exposer les beautés des sciences en ne limitant pas notre discours à des mots, qui auraient donc les effets énoncés précédemment, mais en assortissant cette première description d'une présentation plus juste, à l'aide d'équations. Ce qui veut dire que nous devrions revenir aux nombres, et à nos équations, à des caractéristiques particulières de ces dernières. 

Des exemples ? Il y a dans le calcul, disons dans son enseignement, nombre de cas où l'on peut admirer la beauté et l'élégance d'une solution. Par exemple le calcul de l'aire de la surface sous une courbe en cloche dont l'équation est une exponentielle de l'opposé d'un carré. Le calcul d'une aire est ce que l'on nomme un calcul d'intégrale, et, si l'on avait le temps ici, on ferait l'éloge de Newton et de Leibnitz, qui furent les créateurs du calcul différentiel et intégral, chacun à leur façon. 

Mais, ici, je crois qu'il suffit de dire que ces calculs sont des manipulations généralement automatiques qui se ramènent à quelques cas simples, à savoir les intégrales de fonctions connues, que l'on apprend par coeur, ou d'autres qui ont pour noms « intégration par partie », « changement de variable », etc. Je ne rentre pas dans les détails, mais qu'il me suffise d'observer ici que ces techniques sont inopérantes pour le calcul de l'aire de la surface d'une courbe en cloche dont l'équation est exponentielle. 

L'extraordinaire solution qui a été trouvée consiste à calculer non pas l'intégrale elle même, mais le produit de cette intégrale par cette intégrale elle-même. Quand on fait ainsi, des opérations mécaniques simples permettent ensuite de ramener cette intégrale impossible à une intégrale toute simple, comme par miracle. On calcule alors ce carré d'intégrales, et l'on prend ensuite la racine carrée du résultat pour avoir l'intégrale cherchée. 

Quel génie a ainsi réussi à contourner la difficulté ? Et j'utilise le mot "contourner" à bon escient, à savoir que notre homme, au lieu de foncer dans le mur, a imaginé un moyen complètement différent, qui évite le calcul impossible qui nous barrait la route. On dira au choix que c'est le monde qui est merveilleux, ou l'homme qui a trouvé la solution. On dira qu'il s'agit de beauté, ou d'élégance, ou d'intelligence, ou de génie… 

Peu importe, mais je suis de plus en plus convaincu que l'enseignement a tout à gagner à bien montrer qu'il y a là une source d'émotion au moins égale à celle d'une pièce de Brahms. Est-ce difficile d'accès ? Je ne le croit pas, car pour arriver à percevoir la beauté d'une pièce de Brahms, il aura quand même fallu une salle de concert, un piano, un interprète, des partitions… La beauté de Brahms n'est pas immédiatement accessible, et la beauté du calcul de l'intégrale d'une courbe en cloche ne l'est pas non plus. Dans les deux cas, il y a à faire pour partager de l'émotion, et je suis convaincu que nous devrions faire plus effort pour parvenir à partager ce sentiment extraordinairement illuminant qu'est la compréhension de certains mécanismes scientifiques. Le début de ce billet montre peut-être que je ne suis pas peut être assez poète pour réussir dans cette entreprise, mais je crois assez clairement identifier clairement l'objectif. 

Beauté ? Élégance ? Que voulons-nous partager ? À ce stade, ce serait certainement une erreur que de se perdre dans des distinctions entre les termes, et il me semble que nous avons mieux à faire à rechercher des exemples bien choisis pour notre entreprise. J'ai parlé à plusieurs occasions d'opération mécaniques, et des logiciels de calcul formel comme Maple savent aujourd'hui parfaitement faire des manipulations que je décrivais, de sorte qu'un enseignement qui voudrait montrer les beautés du calcul doit sans doute faire usage de ces logiciels où, d'un clic, on obtient des résultats que l'on avait (dans le meilleur des cas : c'est-à-dire si l'on ne s'était pas trompé) après avoir noirci des pages de calcul. 

Se pose d'ailleurs la question de savoir si l'on appréciera pas mieux l'intérêt de ces logiciels si l'on a soi-même fait les opérations nécessaires, transpiré, pour voir finalement qu'un clic magique nous donne la solution. 

Mais la question demeure : quels exemples allons-nous choisir pour montrer les beautés de la recherche scientifique ?

Pour des évaluations qui ne mettent pas les professeurs en défaut

 

Dans un billet précédent j'ai évoqué le paradoxe du professeur faussement sympathique : j'évoquais le fait que, dans le système actuel d'enseignement, les professeurs sont mis à la fois en position d'encourager les étudiants à apprendre et, d'autre part, de les évaluer, et de sanctionner notamment ceux qui n'ont pas réussi.

il y a différentes solutions pour éviter que la sympathie pourtant réelle des professeurs ne soit perçue comme une hypocrisie par les étudiants, et j'avais notamment évoqué la possibilité que des collègues se chargent des évaluations pour les enseignements que nous assurons, afin que nous ne soyons pas juges et partie.
Mais il y a d'autres possibilités, telles des évaluations parfaitement cadrées, explicitées à l'avance comme une sorte de contrat, imparable en quelque sorte. C'est le cas des QCM, par exemple mais on peut généraliser cela à de nombreux autres formes d'examen. 

Il y a lieu d'ailleurs de bien distinguer les connaissances et les compétences, mais, en tout cas, je crois bon de donner le libellé des examens à l'avance. 

Bien sûr, on ne posera pas exactement la même question, mais on se limitera par exemple à changer les valeurs numériques en les tirant au hasard et cela vaut à la fois pour des exercices et des problèmes. 

Qu'en dites-vous ?  


jeudi 9 mai 2024

Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse (utilise la méthode du soliloque)

Au laboratoire, ma porte est ouverte en permanence, car je veux que mes amis puissent venir me parler de science à tout instant. 

Pour autant, sur la porte, il y a cette inscription « Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse ? », et, en dessous, il y a marqué : « Utilise la méthode du soliloque ». A quoi cela rime-t-il ? 

 

La question posée, si l'on peut dire

Nous sommes bien d'accord : mon objectif est de grandir et d'aider mes amis à grandir également. Grandir, cela signifie être autonome, tenir sur ses deux jambes. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas discuter avec nos amis, mais n'aurions-nous pas raison de chercher à être indépendant, à penser par nous-mêmes? 

Dans nos travaux scientifiques, l'objectif est d'arriver à produire de la science de bonne qualité, collectivement bien sûr, mais aussi individuellement. Albert Einstein n'avait pas besoin de grand monde pour l'aider à produire de la science, pas plus que Michael Faraday, ou Paul Dirac, ou Galilée. 

Même sans nous comparer à de tels grands anciens, nous pouvons avoir l'ambition de bien faire, ce qui impose que nous y pensions (toujours, y penser toujours). 

De ce fait, je crois que c'est une mauvais position, pour les étudiants, que de venir poser leurs questions et recevoir les réponses à ces questions. N'est-il pas préférable qu'ils cherchent eux-mêmes les réponses, et apprennent à trouver ces dernières ? Évidemment, pour ne pas faire de catastrophe, ils pourront soumettre les réponses qu'ils auront trouvées, afin que l'on corrige des fautes éventuelles, qu'on les remette sur la bonne voie s'ils se sont fourvoyés. Après tout, les professeurs ont pour eux l'avantage des années, ce qui signifie en pratique d'avoir déjà fait un très grand nombre d'erreurs et, les ayant analysées, d'être capable de ne pas les refaire. C'est donc cela que je propose aux étudiants : chercher les réponses aux questions qu'ils se posent, trouver ces réponses, et les soumettre, à moi ou aux autres membres du Groupe de gastronomie moléculaire. 

 

On ne rejette pas des amis !

En réalité, cette dynamique (j'avais écrit "règle", mais le mot "dynamique" représente mieux l'état d'esprit de notre groupe de recherche) n'est pas venue immédiatement, mais je l'ai instaurée quand j'ai vu que certains se reposaient entièrement sur les autres, et que, de de fait, ils perdaient l'intérêt de leur stage, qui, selon la loi, consiste à transformer des connaissances en compétences. J'avais donc d'abord écrit sur la porte : « Tu as une question, mais quelle est ta réponse ? ». 

A cette proposition, certains de nos jeunes amis m'ont dit assez justement que s'ils venaient m'interroger, c'est précisément qu'ils n'avait pas la réponse. L'avaient-ils cherché assez ? Je ne sais pas, mais il est vrai que, au minimum, je devais leur demander s'il avait cherché assez. C'est donc ce que j'ai d'abord fait, mais certains sont alors revenus après un long moment en ayant « séché » : malgré du temps passé, ils n'arrivaient pas à trouver la réponse, parce qu'ils leur manquait une méthode pour chercher et pour trouver. C'est alors que j'ai mis au point cette « méthode du soliloque » qui est au minimum une pratique correcte de chercher, laquelle conduit presque immanquablement à trouver. 

 

Qu'est-ce que cette méthode ? 

Elle est fondée sur l'observation selon laquelle nos tête sont pleines de pensées tourbillonnantes, qui nous empêchent de nous focaliser sur les questions que nous devons analyser. D'autre part, l'exercice de la pensée met en oeuvre au moins de la déduction et de l'induction, et si l'induction est quelque chose de bien difficile, la déduction devrait être à la portée de tous… à condition de bien s'y prendre. 

La méthode du soliloque se fonde sur une hypothèse due à l'abbé Condillac et reprise par Antoine Laurent de Lavoisier, qui consiste à supposer que les pensées sont véhiculées par des mots. De la sorte, en considérant bien les mots, nous pourrions corriger nos erreurs intellectuelles, et progresser dans l'analyse des questions. 

L'analyse du soliloque propose en substance d'analyser par écrit les raisonnements que nous faisons à propos de questions que nous nous posons. C'est une méthode très efficace, qui est développée dans des documents mis en ligne et que j'ai fini par proposer aux étudiants qui venaient m'interroger.

 On se souvient que je propose de penser qu'il y a des obligations de moyens ou des obligations de résultats. L'obligation de résultats n'est pas demandée aux médecins, par exemple, parce qu'ils ne peuvent pas garantir qu'ils sauveront les patients de la mort. En revanche, les médecins ont une obligation de moyen, ce qui signifie qu'ils doivent connaître les bonnes pratiques de leur profession et les mettre en oeuvre. 

Les étudiants étant... des étudiants, je ne leur demande pas des résultats, mais seulement d'apprendre. Et, apprendre, c'est (pour ceux qui n'ont rien de mieux à proposer) mettre en oeuvre la méthode du soliloque, afin de devenir progressivement capable de trouver les réponses aux questions que l'on se pose. 

Ce qui est merveilleux, avec cette proposition de mettre en oeuvre la méthode du soliloque, c'est que progressivement, les étudiants parviennent vraiment à trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Au pire, ils ont appris la méthode du soliloque, c'est-à-dire une analyse fondée sur un usage sain des mots.. ce qui est quand même un bon début, à défaut d'être le résultat visé.