mardi 13 février 2024

Du travail acharné pour venir à bout de tout

 Un groupe d'étudiants d'AgroParisTech a organisé la visite de l'école par des classes venues de lycée en zone prioritaire, et ils m'ont demandé si j'accepterais de parler à ces élèves. Comment refuser de prendre 20 minutes pour expliquer mon passionnant métier ? 

Plus précisément, ces 20 minutes étaient divisées en deux fois dix minutes, pour des groupes successifs, et il s'agissait donc de donner de l'espoir. 

Mais il s'agissait aussi d'expliquer mon métier et, suivant l'exemple du merveilleux Michael Faraday, j'ai décidé de faire une expérience, en l'occurrence de chercher à savoir si la vitamine C a effectivement des propriétés antioxydantes, ce qui se met facilement en évidence à l'aide de permanganate de potassium : il suffit d'observer la décoloration. 

Cette expérience étant faite, il fallait quand même expliquer ce qu'est mon métier et à cette fin, il y avait lieu d'expliquer ce qu'est la science et quelle est sa méthode. 

Or il n'y a pas de science sans calcul, sans équation, sans théorie, et là, le temps était trop court pour bien le montrer, de sorte qu'il était logique de se limiter à le dire, mais  le dire de façon positive, en disant  aussi qu'il s'agit de quelque chose de très simple... pour ceux qui apprennent. 

Dans mon discours d'hier, il y avait ce "quelqu'un qui sait (connaissances), c'est quelqu'un qui a appris", qui a travaillé pour apprendre, et quelqu'un qui sait faire (compétences), c'est quelqu'un qui a appris à faire, qui a passé du temps à apprendre.

 

Mais le temps était écoulé de sorte que dans les 30 secondes qui restaient, j'ai pu seulement leur donner deux cadeaux  : 

1.  le premier, qui faisait suite à l'idée précédente, était la devise de mon père : labor improbus omnia vincit, à savoir qu'un travail acharné vient à bout de tout. Nos compétences, nous nous les forgeons... Si nous décidons de le faire. 

2. Et le deuxième cadeau, était ma propre devise,  à savoir que nous sommes ce que nous faisons. 

 

J'invitais ainsi nos jeunes amis à faire quelque chose dont il seraient fiers.

lundi 12 février 2024

Peut-il exister de bonnes pratiques à propos de la première étape du travail scientifiques, à savoir le choix des phénomènes que l'on décide d'explorer ?

 Dans notre quête des bonnes pratiques en science, nous avons proposé de considérer séparément les divers temps du travail scientifique, à savoir : 

- identifier un phénomène que l'on décide d'explorer -

 le quantifier - réunir les données en lois synthétiques 

- chercher des mécanismes compatibles avec les lois trouvées 

- tirer une conséquence de la théorie établie, en vue de faire un test expérimental 

- faire ce test expérimental. 

 

Ici, nous considérons la première étape. On veut identifier un phénomène... mais lequel ? Et pourquoi le choisit-on ? La pratique scientifique, qui refuse l'arbitraire, doit identifier des raisons du choix effectué. Toutefois, souvent, nos collègues et nous-mêmes faisons des choix par "goût" : certains décident d'explorer le vivant, d'autres la matière... Cela, c'est pour le champ général, mais pour les phénomènes particuliers qui sont l'objet des études ? Deux attitudes (au moins) sont possibles : soit on considère que ce choix n'a aucune importance et que c'est en chemin que l'on fera la découverte, soit on pense au contraire que ce choix est crucial, puisque c'est celui qui conduira à la découverte. 

Commençons par une métaphore : supposons que nous soyons dans une contrée qui comporte des collines, des vallées, des montagnes, et que les découvertes soient les montagnes. Si nous regardons derrière nous, nous voyons parfaitement les montagnes : ce sont les grandes découvertes du passé, la mécanique quantique, la relativité générale, le graphène, le brome, le chlore, l'électrolyse, l'induction électromagnétique... Toutefois, regarder en arrière, c'est faire de l'histoire des sciences et non pas de la science elle-même. Notre ambition est de faire des découvertes, c'est-à-dire trouver des montagnes qui n'ont pas encore été trouvées. Ces montagnes, nous ne les voyons pas, sans quoi la question serait facile : nous nous dirigerions vers les montagnes, et le tour serait joué ; il n'y aurait pas de "découverte". Non, au contraire, nous devons identifier des montagnes que nous ne voyons pas, parce qu'une large brume couvre le paysage. Et là, c'est bien compliqué, car il n'est pas dit que progresser dans le sens de la plus grande pente, le sens du gradient, nous conduise vers une montagne à coup sûr : il se peut très bien qu'après quelques pas, le relief se mette à descendre, au lieu de monter. 

Autrement dit, nous ignorons quelle direction prendre pour faire des découvertes ! D'autant que nous avons une infinité de possibilités devant nous. Quelle direction prendre ? Cette comparaison nous montre, même si une comparaison n'est qu'une comparaison, qu'il y a une difficulté à choisir le type de travail que nous nous proposons de faire en vue de cet objectif final qui est de faire des découvertes. 

Ce point établi, observons qu'il y a des manières de faire. · Par exemple, certains se reposent sur la mise au point d'outils d'observation nouveau pour voir ce que leurs prédécesseurs ne voyaient pas. Toutefois, c'est souvent le cadre théorique qui conduit à discerner des objets en quelque sorte nouveaux, et que tout le monde voyait déjà… sans les voir ! Par exemple, les fullérènes (des molécules en forme de sphères ou de cylindres, faites entièrement d'atomes de carbone) étaient sous nos yeux, et il n'y a pas eu besoin de microscope puissant pour les voir. ·

D'autres se donnent pour mission d'affiner les mesures, et c'est ainsi que furent découverts les gaz rares de l'air, par exemple : en 1893, le physicien William Ramsay (1852-1916) fit réagir du calcium avec un échantillon de diazote isolé de l'air, et il constata que près d’un pour cent (en volume) du gaz ne donnait lieu à aucune réaction ; si le diazote avait été pur, il aurait réagi complètement. En raison de l’inertie de ce gaz, Ramsay lui donna le nom d’argon, du mot grec signifiant "paresseux". En outre, il découvrit que le gaz résiduel était constitué de cinq composants : à côté de l’argon, il y avait aussi, mais en quantités beaucoup plus faibles, de l’hélium, du néon, du krypton et du xénon. · 

D'autres proposent de "résoudre des problèmes" : j'ai des textes où Jean-Marie Lehn propose la méthode. · 

A propos de ce même Jean-Marie Lehn, il n'est pas certain que la résolution de problèmes soit son unique méthode. Souvent, il pratique ce que les logiciens désignaient par "abstraire et généraliser". C'est plus ou moins ce qu'il a fait quand il a été conduit aux dynamères, ou polymères dynamiques, dont la réorganisation est fondée sur des forces faibles et de la chimie supramoléculaire. Pour cette méthode, que je désigne par "Identifier des catégories générales dont les objets d'étude particuliers sont des projections", la "mécanique" de la découverte est la suivante : on observe un objet, on en cherche des catégories générales dont il est un représentant, et muni des propriétés générales des catégories, on repart explorer le monde à la recherche d'objets qui correspondraient à ces catégories. · I

l y a aussi la méthode que Louis Pasteur résumait par la formule "La chance sourit aux esprits préparés". Peu importerait le phénomène d'étude, et c'est l'attention que l'on met dans le travail qui permet découverte. Il faut alors garder les yeux bien ouverts pour identifier les saillances du monde, saillances auxquelles nous nous accrocherons en vue d'identifier des incohérences scientifiques, et, de ce fait, de trouver de meilleures théories. Dans cette vision, il y a, au coeur du travail, au coeur de la stratégie scientifique, la focalisation sur ce que je nomme des symptômes, à savoir des incompréhensions théoriques, des résultats qui ne collent pas au cadre théorique par lequel on voudrait les décrire. C'est de ce point de vue que je reprends volontiers l'idée selon laquelle, si on fait une expérience et que l'on obtient le résultat attendu, on a fait une vérification, mais si on obtient un autre résultat, on a peut-être fait une découverte. Ce "peut-être" est important, et je vois dans cette idée la même stratégie que celle des esprits préparés. · 

Proche de cette vision, la réfutation des hypothèses et des théories : tout notre savoir s'énonce en phrases ou en équations qui sont insuffisantes, de sorte que l'on peut se donner pour travail de savoir en quoi ces phrases ou équations sont fausses. Aucune difficulté, sauf à choisir la phrase ou équation particulières que l'on veut réfuter. 

Que penser des programmes dits mobilisateurs ou fédérateurs de nos institution scientifiques ? Pardon d'être iconoclaste... mais je m'interroge : avant de faire ce que l'on nous demande de faire, avant d'investir du temps dans des travaux, il faut discuter les propositions, n'est-ce pas ? Tout d'abord, ces programmes sont-ils une garantie que nous ferons des découvertes ? Sont-ils de la communication, une façon de montrer clairement au public où vont ses impôts, ou de la véritable stratégie scientifique ? 

Je propose de commencer par observer que l'on peut faire quelque confiance à un individu qui a déjà à son actif plusieurs découvertes, mais qu'il y a lieu de résister aux envies des autres. Bien sûr, on peut mettre en oeuvre les idées précédentes, lors de l'implémentation de tels programmes... mais qui nous garantit de leur utilité réelle, en termes scientifiques, et non de communication ? 

Plus positivement, nous avons vu plusieurs stratégies possibles, et l'on peut se demander s'il en existe d'autres ? 

Je rêve de l'organisation d'une rencontre entre des gens honnêtes et intelligents, qui oublieront leur ego, leur respectabilité, leur envie d'argent ou de pouvoir, et qui viendront étaler sincèrement leur stratégie personnelle, afin que nous puissions enrichir ce tout petit catalogue de stratégies scientifiques. Observons que nous sommes encore loin de l'identification d'un phénomène en particulier ! Mais il y a peut-être lieu de considérer que les êtres humains ont bien le droit d'avoir des goûts différents : pour les grandes synthèses théoriques, pour le détail des mécanismes, pour les systèmes vivants, pour la production d'objets utiles à la collectivité… Cela, c'est pour la détermination du champ général où les phénomènes seront identifiés. 

Mais il reste, et je me répète, la question du choix particulier des phénomènes qui seront le point de départ du travail scientifique. Dans notre colloque honnête sur cette première étape de la recherche, il y aurait donc lieu de distinguer une première partie de stratégie, puis une deuxième partie consacrée aux champs d'étude, et une troisième partie sur l'identification particulière des phénomènes à considérer. Bien sûr, on peut continuer de faire comme toujours , à savoir que les jeunes scientifiques arrivent un peu au hasard dans un laboratoire, y sont formés, s'accrochent à une activité qui leur donne des compétences particulières, poursuivent dans cette direction, acquièrent des compétences complémentaires lors de travaux post-doctoraux, et suivent une voie très conjecturelle. 

Ce type de formation est-il efficace ? Voilà la question à laquelle j'aimerais que les institutions scientifiques répondent honnêtement, en oubliant les monitions du ministre, lequel passe et est remplacé par un autre ministre, en oubliant l'inertie du paquebot de la recherche scientifique, avec les grands programmes dont il n'a toujours pas été démontré qu'ils sont efficaces. 

J'attends de la sincérité et de la réflexion partagée, notamment avec les meilleurs d'entre nous. Pas les meilleurs en termes de publications, car on détourne facilement les critères d'évaluation en déclinant une bonne idée à l'infini, mais plutôt ceux qui ont à leur actif plusieurs réussites exemplaires ; la collectivité leur sera à jamais reconnaissante de l'avoir aidée.

samedi 10 février 2024

Les rillettes

 
Les rillettes sont un système physique ou chimique vraiment merveilleux.

Pour faire les rillettes de canard, par exemple, prenons une cuisse et cuisons-la longuement avec de la matière grasse, par exemple de la graisse de canard.
Allons-y doucement, en agitant régulièrement la préparation. Le muscle se défait progressivement parce que la chaleur dégrade le tissu collagénique, cette espèce de ciment qui lie les fibres musculaires.
De la sorte, les fibres musculaires, dont l'intérieur a coagulé à la chaleur, se dispersent dans la matière grasse fondue.

A cette étape, on a un système physico-chimique nommé suspension, car il correspond à la dispersion d'objets solides (les fibres coagulées) dans un liquide.

Mais la graisse de canard, comme le saindoux pour des rillettes de porc, est une matière très intéressante parce qu'elle liquide à une certaine température mais solide à basse température plus basse. Aux températures intermédiaires, il y a une certaine proportion de cette graisse qui est à l'état liquide, emprisonnée dans le reste à l'état solide, ce que l'on nomme formellement un gel.
Plus la graisse est chaude, plus la proportion de liquide est élevée, évidemment.

Mais la température ambiante, quand les rillettes sont faites, alors on a une dispersion des particules solides dans un gel de matière grasse. Où se trouvent les fibres musculaires ? Elles sont sans doute beaucoup plus grosses, plus longues que les parties respectives de liquide ou de solide et c'est donc un étonnant système que nous pouvons alors déguster.

vendredi 9 février 2024

Les endives rendent de l'eau ?


Vous accusez les endives de rendre de l'eau ? C'est la capillarité qui est en jeu.

Commençons par cet épisode -complètement inventé par Jean-Anthelme Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût - qui raconte qu'un chanoine ne mangeait des épinards que s'ils avaient été cuits pendant une semaine dans du beurre, laissant penser que les épinards se seraient gorgés de ce bon beurre de cuisson. 

En réalité, le beurre ne peut pas entrer dans le tissu végétal,  mais il peut venir entre les feuilles amollies par la cuisson. Et le phénomène qui l'y fait venir est nommé "capillarité" : ce même phénomène fait monter l'encre entre les poils d'un pinceau, il fait monter l'eau contre le bord du verre, et cetera. 


Ce phénomène physique s'explique évidemment par de la chimie : les molécules de l'eau, par exemple, établissent des liaisons avec les atomes qui composent la paroi du verre, et ces forces permettent, sur des petites distances, de faire monter l'eau contre la paroi.
C'est la même chose dès qu'il y a une crevasse, un trou et les deux lèvres d'une fente, par exemple, attirent des molécules d'un liquide. Parfois c'est bénéfique et parfois on s'en passerait bien, comme quand l'eau s'infiltre dans les fissures de la route et brise la chaussée lors des gels et des dégels. Je profite pour justifier une erreur commune : il n'est pas vrai en toute rigueur que la glace prenne plus de place (à masse constante) que l'eau liquide, mais il est exact que la densité de l'eau présente un minimum à 4 degrés.

Mais revenons à nos épinards :  par capillarité, la matière grasse fondue, le beurre fondu se place entre les feuilles, et il les fait d'ailleurs coller nouvelle preuve de l'existence des forces inter-moléculaires dont je parlais.

Et nous pouvons revenir maintenant aux endives qui sont faites de feuilles. Quand on les braise dans du liquide, l'eau vient se mettre entre les feuilles, et même des endives très bien égouttées ont leurs feuilles solidarisées par cette eau.
De sorte que, par la suite, les endives risquent de relâcher leur eau de capillarité, par exemple dans une sauce qu'on ajouterait.

Comment éviter tout cela ? Par exemple en cuisant dans autre chose que de l'eau  : directement dans la sauce, car la sauce, c'est de l'eau au premier ordre, mais de l'eau qui a du goût, de l'eau qui peut avoir de la consistance...

Dans la Cuisine du marché (mais je doute que Bocuse ait vraiment écrit lui-même ce livre), Paul Bocuse recommande une première cuisson des endives à l'eau afin d'enlever ensuite les composés amers qui auront été extraits, mais les sélectionneur d'aujourd'hui nous font des endives qui n'ont plus cette amertume que l'on devait t'enlever, ou combattre avec du sucre. C'est peut-être dommage, car le goût des endives s'en est trouvé réduit... mais notre cuisine simplifiée : le premier étuvage n'est plus nécessaire, et l'on peut cuire dans la sauce, comme je le propose plus haut.

jeudi 8 février 2024

Les symptômes sont des pistes pour nous améliorer

Épisode amusant récemment : un stagiaire de notre groupe de recherche arrive après l'heure convenue, parce que dit-il son réveil n'a pas sonné. 

Je lui explique que, pour mes rendez-vous importants, je mets deux réveils afin que le second pallie le premier le cas échéant. 

En réalité, cette stratégie que j'ai est très générale. Pour un calcul, il y a lieu de faire une validation, pour une mesure, il y a lieu de faire des répétitions, et ainsi de suite : pour que mon pantalon ne tombe pas, je mets une ceinture et des bretelles. 

En réalité, l'épisode est tout à fait bienvenu, parce qu'il permet d'expliquer à cet étudiant un point méthodologique qu'il avait négligé. Je me moque complètement que l'étudiant arrive à 8h ou à 9h ou à 10h et cetera, et c'est simplement pour lui que je vois, grâce à cet épisode, la possibilité de changer quelque chose dans sa vie, de grandir en quelque sorte. 

Le réveil qui ne sonne pas est une métaphore du calcul faux, de l'expérience biaisée, et cetera. Très généralement, je propose à mes jeunes amis, en fin de journée, d'identifier les "symptômes", à savoir tous ces petits moments où ils ont défailli. Cela peut aller d'un mot qu'on n'a pas lu dans une phrase,  à trébucher dans les escaliers parce qu'on était insuffisamment attentif, à un lapsus dans une discussion scientifique, à la confusion de deux notions scientifiques voisines, à la détection d'une connaissance que nous n'avons pas et que nous nous aurions dû avoir, une compétence que nous avons insuffisamment... 

Pour tout cela, il est question d'être de bonne foi, et d'être à l'affût de tous ces petits symptômes car leur analyse permet ensuite de mettre en œuvre des soins, et remèdes, des corrections, des améliorations. 

 

Très généralement, je préfère observer que je suis insuffisant et trouver des moyens de supprimer mes insuffisances les unes après les autres. Je ne prétends pas pouvoir les supprimer toutes, mais je j'aime assez faire mienne la phrase que le chimiste Michel-Eugène Chevreul disait : il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre.

Soyons clairs, expliquons

Un médecin se plain à moi qu'un patient qu'il ne connaissait pas, mais qui avait pris rendez-vous plusieurs semaines plus tôt, lui demande une ordonnance pour un examen complémentaire, et je lui explique que la personne n'est peut-être pas en tort, et qu'il y a lieu de lui expliquer pourquoi cela n'est pas possible.
La raison en est que la prescription d'un examen complémentaire imposerait un décryptage des résultats lors d'une consultation qui devrait être peut-être très proche et qui n'a pas été programmée. 

Le même médecin m'explique qu'un autre patient a abusivement demandé une ordonnance pour un médicament  : abusivement puisqu'il n'a pas vu la personne en consultation depuis 2 ans.
Je lui demande de m'expliquer la difficulté et je reçois l'explication suivante, parfaitement juste :   prescrire un médicament nécessite de connaître l'état présent de la personne.
Le médecin a donc parfaitement raison de refuser cette ordonnance ou, plus exactement, de la conditionner à une consultation 

Mais dans les deux cas, le médecin a tort s'il n'explique pas les raisons de son refus. Car il ne s'agit pas de  refus arbitraires,  mais d'impossibilités médicales. En revanche,  du côté des patients, il n'y a pas de raison que cela soit connu, que cela soit su, et la réponse du médecin nécessite donc une explication. 

 

Je prends cet exemple médecin parce qu'il en va de même pour les enseignements de physico-chimie et plus généralement de méthodologie universitaire. Quand nous demandons aux étudiants de faire des synthèses bibliographiques, nous avons l'obligation de leur expliquer comment faire de telles synthèses, et une obligation de l'expliquer de façon pratique, concrète, détaillée. De même, quand nous demandons aux étudiants de rédiger un rapport, nous avons l'obligation de leur expliquer comment rédiger un rapport. Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur ces explications détaillées... ce qui évidemment nous conduit nous-même à disposer d'une méthodologie bien claire, explicite, et maîtrisée.


J'ajoute en souriant que nombre de mes collègues ne sont pas parfaitement aguerris à la rédaction et j'en prends pour preuve des décennies de rédaction en chef ancienne de la revue Pour la science, où les textes que nous recevions de scientifiques pourtant parmi les meilleurs étaient étaient souvent bien insuffisants. 

 

Bref, il y a lieu d'expliquer comment rédiger, il faut s'expliquer cela en détail, souligner les fautes les plus courantes, et c'est seulement à condition que nous ayons bien expliqué tout cela que nous pourrons faire remarquer à nos amis qui n'ont pas appliqué les règles qui leur ont été données. 

En revanche, une fois les règles données, avec une méthode facile à appliquer, celui ou celle qui écrit est tenu d'appliquer ces règles sous peine d'une évaluation défavorable. 

Il en va de même, au fond, pour les matières scientifiques. Par exemple, nous ne pouvons pas sanctionner un étudiant de ne pas savoir calculer un pH si le calcul de pH ne lui a pas été expliqué précédemment. Mais si cela a été fait, alors nous devons, dans le cas où il ne sait pas calculer le pH, le renvoyer à des études qu'il a déjà faites et ne pas perdre de temps à pallier les insuffisances de l'étudiant. 

 

Ce dernier cas m'amène à discuter le fait que nombre d'étudiants ont oublié ce qu'ils ont appris dans les années précédentes. Cela n'est pas extrêmement grave, mais dénote quand même un apprentissage insuffisant à l'époque.
Et pour pallier l'insuffisance actuelle, il y a lieu de les renvoyer vers l'étude qu'ils ont faite, les documents dont ils ont disposés, et nous ne devons pas à nouveau palier des insuffisances, perdre du temps à cela. 

En revanche, il n'y a pas de raison d'être particulièrement remonté contre ces étudiants et il suffit de leur dire qu'il y a lieu de se replonger dans des études anciennes. 


Tout cela, c'est ce que l'on nommerait de la pédagogie si nos interlocuteurs étaient des enfants et que l'on doit simplement nommer de la didactique quand ce sont des adultes.

Des sciences exactes ?

 
Dans un débat avec des amis des sciences de l'humain et de la société, j'ai été confronté à l'expression "sciences exactes" : la terminologie est de mes amis, et pas de moi, qui ai décidé de ne parler que de sciences de la nature, dont j'exclus les mathématiques, puisqu'elles sont d'une autre nature, même si demeure ce grand débat entre mathématiques découvertes et mathématiques inventées. 

Sciences exactes ? Je propose de ne pas confondre le savoir (ou prétendu tel, surtout en matière de sciences) et la recherche du savoir, à laquelle je propose de réserver le nom de science. La science, dans cette définition, est donc la recherche de savoir. 

Sciences exactes ? Il me semble qu'il y a là une difficulté de même nature que dans "sciences humaines", à savoir un emploi ambigu de l'article. 

Commençons par sciences humaines : c'est un pléonasme, car la science est une activité de l'être humain, et de nul autre. Généralement, ce pléonasme est une périssologie. 

Sciences de l'homme ? C'est mieux, mais la femme ? 

Sciences exactes ? Cela voudrait indiquer que certaines activités de recherche du savoir sont "exactes" ? Que serait donc une activité exacte ? Selon le TLF (le seul qui vaille), le terme "exact" signifie "Conforme aux règles prescrites, aux normes, à la convenance, aux usages, qui s'y conforme".
Nos amis des SHS qui parlent de sciences exactes pour les sciences de la nature voudraient-ils alors dire que leur propre activité n'est pas conforme à leurs propres règles ? Qu'elles ne suivent aucune norme ? Je croyais pourtant -on me l'a assez répété- que les historiens avaient leur méthode, tout comme les sociologues, ou les géographes ? Les philosophes ? Laissons-les de côté, afin de ne pas compliquer un débat qui n'est déjà pas parfaitement clair (quelle méthode commune entre Héraclite, Platon, Nietzsche ou Meyerson ?). 

Pour les sciences de la nature, oui, il y a des canons, lentement élaborés, et qui se retrouvent aujourd'hui dans la structure des publications scientifiques, qui collent à la description que je propose (et qui n'a toujours pas été réfutée ou critiquée), à savoir :
- observation d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données quantitatives en lois synthétiques
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois
- recherche de prévisions expérimentales testables
- test expérimental en vue d'une réfutation de la théorie proposée
- et ainsi de suite. 

Toutefois, cette conformité des sciences de nature ne peut conduire les scientifiques de la nature (on voit que je distingue la science et ceux qui la font, sans quoi on tombe souvent dans des erreurs terribles) à prétendre à l'exactitude de leurs descriptions du monde, pas plus que les sciences de la nature ne prétendent à la description exacte du monde, et encore moins à la "Vérité" ! Il faut user d'une rhétorique vraiment nauséeuse, détestable -celle de l'homme de paille- pour le faire penser. Bref, je propose que nous abandonnions tous l'expression "sciences exactes". Pour les sciences de la nature, je propose que nous utilisions l'expression "sciences de la nature" ou "sciences quantitatives", à moins qu'une nouvelle expression reste à inventer ?