mardi 20 juin 2023

Rien n'a changé

 En ces temps de foire d'empoigne (en réalité, rien n'a changé : relisons Aristophane), je continue de m'interroger : pourquoi des individus intelligents (par définition, les êtres humains le sont : c'est mon parti pris) attaquent-ils la cuisine note à note ? 

 

Je crois avoir finalement avoir compris qu'ils ont peur non pas de cette cuisine elle-même, mais de ses conséquences : on mangerait de la chimie, ce serait la victoire des multinationales sur les petits producteurs, il y aurait des risques de contrefaçons, et ainsi de suite...

Je sais bien, pourtant, qu'il n'est pas utile de vouloir réfuter des craintes ou des a priori, mais je sais aussi que "ce que je dis trois fois est vrai" (Lewis Carroll), et que la répétition a essentiellement pour fonction la production d'un bruit que l'on finit par accepter. 

Evidemment, cela risque d'agacer certains de mes amis... mais je suis bien certain que ceux-là me pardonneront : s'ils sont mes amis... 

 

Restent les autres, qu'il faut exposer à des faits justes si l'on veut éviter qu'ils n'entendent que des sons de cloche fêlées (là, de l'ironie : je ne devrais pas). 

 

Bref, pour ceux qui craignent que le "terroir" (un mot à bien décoder) ne soit balayé par la cuisine note à note, je veux dire que ce n'est pas le cas  ! Prenons l'exemple de la fraction phénolique totale du jus de raisin : le produit obtenu par nanofiltration de jus de raisin d'un cépage Syrah de Faugère n'a rien à voir avec le produit obtenu à partir d'une Syrah de Pech Rouge  ou de Laurens. Et, si les terroirs existent (ils existent parfois, mais pas toujours : voir les travaux de l'INRA), alors ceux du bas de la pente et ceux de la pente seront également différents. Car le cépage se retrouve, d'un point de vue moléculaire (un mot pour éviter ce "chimique" qui fait peur, je ne comprends pas pourquoi) dans les "impuretés" : quand on analyse deux vins de Syrah de deux terroirs différents, la composition chimique (cette fois, je n'hésite pas, allez savoir pourquoi) est essentiellement identique, à des "impuretés" près, qui changent essentiellement le goût ! 

 

Bref, n'ayons pas peur : la cuisine note à note ne balayera pas les terroirs, et le fractionnement ou le craquage que l'on fera à la ferme conservera (si l'on travaille bien) l'intérêt d'une petite production. 

 

Argument suffisant ? Je sais que non, et c'est pourquoi j'y reviendrai... avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle : après tout, je n'ai rien à vendre, moi !

lundi 19 juin 2023

Blablareau au laboratoire

 Merci à Blablareau d'être venu au laboratoire. Il  m'a interrogé sur plusieurs points, et je suis heureux de partager des vidéos qu'il a produit, avec son collègue cameraman et monteur

 

La semaine dernière  : 

https://www.youtube.com/watch?v=ssV5u8hMqfc



Et cette semaine : 

https://www.youtube.com/watch?v=m3LOdr9qWJw


Et la semaine prochaine : 



bon visionnage, vive la chimie !

L'origine des mets

Il est amusant d'observer que l'on s'interroge rarement sur  l'origine des mets actuels. Pourtant il a bien fallu que   ceux-ci surviennent un jour. Pas nécessairement d'un coup,  mais peut-être progressivement.
 

Ce fut le cas, je crois, pour la mayonnaise, qui nous semble être apparue comme un dérivé d'une très vieille sauce française nommée rémoulade. Mais c'est là  une autre histoire, pour une autre fois.
 

 

La crêpe ? Il existe un tableau célèbre de Brueghel qui représente une noce paysanne. On voit des assiettes pleines de bouillie, et une hypothèse court, selon laquelle une bouillie épaisse  (je ne parle pas de la viscosité, mais de l'épaisseur de la couche déposée dans l'ustensile de cuisson) qui aurait séché aurait ainsi engendré une crêpe, une galette.
 

Evidemment, il sera bien difficile d'établir une telle hypothèse, et il vaut mieux ne pas avoir trop d'espoir. Pas trop d'espoir, mais de l'espoir quand même, sans quoi nous resterions paresseusement les bras croisés, à ne pas chercher. Or c'est la recherche qui nous pousse à trouver, pas nécessairement ce que nous cherchons, mais bien d'autres choses passionnantes. C'est là une attitude philosophique : pour être heureux, on peut se fixer comme but d'aller vers le sommet d'une montagne, mais surtout si cette montagne est très haute, il n'est pas utile d'être malheureux pendant tout le chemin en se disant que le sommet est encore loin ; il vaut peut-être mieux se réjouir de la beauté du paysage, avancer activement, découvrir de nouveaux endroits au cours de cette promenade, qui nous mènera peut-être au sommet, peut-être pas. 

Je disais donc que nous ne saurions peut-être jamais si la galette est un dérivé d'une bouillie, ou si un dieu existe. Mais nous pouvons nous interroger. Sutor non supra crepidam : cuisinier pas plus haut que la casserole, chimiste pas plus haut que la cornue... 

 

Tiens : le soufflé. Des livres de cuisine anciens nous disent que c'est l'oeuf qui fait souffler, ce qui semble montrer que les cuisiniers du passé ont déjà fait une observation plus générale que pour le soufflé en particulier, et il est vrai que de nombreuses préparations soufflent quand elles contiennent de l'oeuf. En revanche, ce que les cuisiniers du passé n'avaient pas compris, c'est que ce n'est pas l'oeuf qui fait souffler, mais l'eau qui est contenue dans   l'oeuf : 90 % du blanc d'oeuf, c'est de l'eau ; 50 % du jaune, c'est de l'eau. Or un gramme d'eau qui s'évapore fait environ un litre de vapeur. Je vous en ai déjà parlé. Regardons donc maintenant la cuisine actuelle, et traquons les préparations où un gonflement survient  :  les gâteaux, les soufflés... même les crêpes, où se forment parfois de très petits trous, qui servent alors de cheminée pour une vapeur qui s'échappe... Nos aliment étant fait majoritairement d'eau, et la cuisine mettant beaucoup en oeuvre des chauffages, il n'est pas étonnant de la vapeur apparaisse (regardons au-dessus des viandes qui grillent) et que des gonflements surviennent, dans les soufflés par exemple. 

 

Tout cela étant posé, nous pouvons revenir à la question de l'invention des mets, ou de leur découverte. 

Ici, l'évocation de ces deux mots fait penser que l'invention serait  un acte délibéré, conscient, alors que la découverte  serait plus aléatoire, comme quand on observe un joli caillou brillant sur le bord du chemin. Cette discussion particulière nous renvoie à des questions de stratégie scientifique, où la découverte  est l'objectif. La métaphore culinaire doit-elle nous faire penser que  la découverte scientifique  survient un peu par hasard ? 

Je ne suis pas certain, car nombre de très grands scientifiques n'ont pas été l'homme  (ou la femme) d'une seule découverte, mais de plusieurs. Apparemment il y a donc à penser que « la chance sourit aux esprits préparés », comme disait Louis Pasteur ; et il serait peut-être bon, alors, dans cette hypothèse très particulière, de contribuer à l'éducation des jeunes scientifiques en enseignant à ouvrir les yeux, à voir les beautés du monde  que les autres n'avaient pas vues. 

Pour voir, il y a mille façons, et les méthodes modernes d'observation (accélérateurs de particules,  faisceau de neutrons,  rayons X,  spectroscopie de résonance magnétique nucléaire...) s'imposent. S'il s'agit de voir, apprenons à regarder. 

 

Et c'est ainsi que la physico-chimie est belle !

dimanche 18 juin 2023

Des travaux en cours

Chers Amis

Le monde ne se résume certainement pas à mon petit environnement, 2023 n'est pas été si mal :

- nous avons continué ces "séminaires de gastronomie moléculaire" mensuels, commencés il y a 23 ans... et reçu beaucoup de messages reconnaissants du monde culinaire

- la cuisine note à note s'est développée explosivement, et c'est un mouvement qui s'amplifie

- nous avons réfléchi (activement) à lutter contre les marchands de peur, notamment dans le cadre de l'Académie d'agriculture de France

- nous avons largement expliqué que la science (quantitative) ne se réduit pas à la technologie ou à la technique, que les "technosciences" n'existent pas

- nous avons testé des méthodes pédagogiques adaptées à ce monde moderne où la connexion est possible, et eu l'occasion de proposer des rénovations de l'enseignement scientifique

- nous avons vu les "Pôles régionaux "science & culture alimentaire" poursuivre leur action socialement utile

- nous avons poursuivi la promotion de l'Etude, de la Connaissance, de la Gourmandise raisonnée

- nous avons cherché plus de Lumière par des blogs, des sites....

- nous avons poursuivi nos études scientifiques, avec de nombreux collègues du monde entier, et des étudiants qui avaient envie d'apprendre (quel bonheur 

- nous avons poursuivi le développement de la gastronomie moléculaire, dans des pays variés du monde

- nous avons reçu la nouvelle promotion de l'Institut des Hautes Etudes de la Gastronomie

- nous avons poursuivi ces publications mensuelles de la revue Pour la Science, avec de bons échos de lecteurs-amis

 

Beaucoup de ces actions ont bénéficié de votre aide, de votre soutien, et je vous adresse un grand merci.

mercredi 14 juin 2023

Green washing : ne soyons pas naïf

L'industrie alimentaire doit vendre, et les citoyens ne sont pas naïfs au point de l'ignorer : ils se méfient. 

La publicité vient matraquer des messages, mais la presse ajoute sa voix au dialogue, en dénonçant des pratiques parfois contestables.
 

 

Ces temps-ci, les services de marketing ont une nouvelle idée, celle du  « clean label » : dans les listes d'ingrédients effectivement employés pour la fabrication des produits alimentaires, ils cherchent à éviter les ingrédients que la réglementation a classés dans la liste des E : E pour « européen ».
Il s'agit de ce que l'on nomme les "additifs". Comme il est interdit de ne pas signaler ces produits, certains industriels cherchent à ne pas employer les ingrédients de cette liste.
Et, comme on n'utilise pas ces ingrédients pour le plaisir, mais parce qu'ils ont des fonctions (épaissir, comme le fait la farine dans une sauce ; colorer comme le fait le safran dans une paëlla ; conserver, comme le vinaigre dans les cornichons...),  ces industriels cherchent à remplacer les ingrédients en E par des ingrédients « naturels ».
 

Par exemple, le  Centre technique de la conservation des produits agricoles (CTPCA) écrit que « la réduction des additifs est une attente des consommateurs pour des produits plus naturels ». En conséquence, il propose à ses adhérents de « substituer des additifs par des ingrédients naturels à fonctionnalité spécifique », tels l’huile de romarin ou  l’extrait de céleri comme conservateurs, des anthocyanes des végétaux comme colorants naturels, des extraits de thé vert comme antioxydants...
 

C'est pur mensonge ! L'huile de romarin, que l'on extrait du romarin par une étape d'extraction, n'est pas plus naturelle que du dioxyde de soufre, que l'on obtiendrait en brûlant du soufre ramassé sur les flans d'un volcan, par exemple, et le sel, que l'on obtient dans des marais salants ou dans des mines, n'est pas moins ni plus naturel. D'ailleurs, comment mesurerait-on le degré de naturel ?
 

Et c'est ainsi que l'on en vient à parler, très mensongèrement, de « clean label » ! Par exemple, en février 2012,  la revue P***s, qui donne une idée de l'industrie alimentaire, avait un article dont le titre était : « Salon CFIA : le plein de nouveautés clean label. » Et c'est vrai que de nombreuses industries cherchent à « faire naturel »... notamment afin de communiquer sur ce thème ! 

Considérons, par exemple, les farines  « fonctionnelles » du groupe L***n obtenues par traitement  des farines de blé par la chaleur : certes, on obtient ainsi de  bonnes capacités de liaison et de texturation, mais on ne me fera pas croire que ces farines sont « naturelles » ! D'ailleurs, le blé est une plante très artificielle, qui a été obtenue après de longs siècles de sélection (artificielle, donc). Et la farine a été obtenue après (1) culture ; (2) récolte ; (3) mouture : naturelle ? Non, au moins trois fois non ! 


Dans la pratique, que l'on me comprenne bien, je n'ai rien contre ces farines fonctionnelles, ou d'autres produits du même type, mais le remplacement des additifs classiques (amidons chimiquement modifiés, hydrocolloïdes) par ces farines n'est-il pas pure communication ? 


Et puis, méfions-nous des solutions « vertes » :  je suis heureux de faire état d'un appel à l'aide, hier, par une journaliste dont le plafond puait, parce qu'il avait été peint avec une peinture « verte », à la caséine : dans un endroit un peu humide, les micro-organismes qui se trouvent dans les bonnes conditions de température faisaient pourrir la peinture (je lui ai recommandé de poncer, de traiter à l'eau de Javel, et de repeindre avec une bonne peinture de synthèse... inventée précisément pour éviter ce genre de désagrément). 


Des fibres de peau  d’orange comme rétenteur et stabilisateur d’eau ? Pourquoi pas. Des fibres isolées du blé ou du lupin pour optimiser la texture de la viande hachée et des saucisses ? Pourquoi pas, mais quel nom donner aux produits ? Pardon, je me reprends : quel nom honnête ? Des protéines laitières pour la charcuterie ? Pourquoi pas, mais est-ce encore de la charcuterie ? Des fonds de sauce obtenus  par cuisson, puis réduction de matières premières « naturelles » (viandes, légumes, produits de la mer) : pourquoi pas, si les conditions de conservation s'y prêtent. 


Plus généralement, la tendance à plus de sécurité alimentaire ne peut être critiquée : ce serait idiot de le faire. En revanche, il faut de l'honnêteté, non ? Ce qui pose problème, c'est que du « clean label » au « greenwashing » (ou écoblanchiment) ou, pire, au « naturewashing » (naturoblanchiment), il n’y a qu’un pas que certaines entreprises n’hésitent pas à faire. Le greenwashing est un procédé marketing que des entreprises utilisent pour se donner une image (seulement une image : ne confondons pas avec la réalité) écologique et responsable. 


Toutefois l'objectif est toujours le même : « par ici mes belles oranges pas chêres ! ».  L’objectif est de promouvoir une marque ou un produit en mettant en avant des pratiques écologiques qui ne sont guère significatives. Il faut bien reconnnaître qu'il s'agit de manipulation marketing, et de mascarade écologique. Le « naturewashing », c’est la mise en œuvre de stratégies de communication pour faire  croire que les méthodes de fabrication  sont « traditionnelles » ou « naturelles ». C'est détourner le mot « naturel »  de sa signification.   Et, bien souvent, tout cela s'assortit de prix plus élevés : ne soyons pas naïfs !

Lisons

J'ai relu  la biographie de Gay-Lussac par Maurice Crossland (Editions Belin, Paris).

 C'est un livre intéressant, qui raconte bien comment Louis Joseph Gay-Lussac fut à la fois bourgeois et savant, scientifique et technologue. 

Tout le travail de Gay Lussac pose cette question lancinante des relations de la science et de la technique, via la technologie. Mieux encore, le travail de Gay-Lussac pose la question des relations de la physique et de la chimie. 

 

Gay-Lussac commença ses travaux avec Berthollet, en examinant la dilatation des gaz. A l'époque, il y avait cette question de l'affinité entre les corps, et cette étude sur la dilatation des gaz était une façon d'aller explorer l'affaire. Toutefois, stricto sensu, puisqu'il n'y a pas de transformation moléculaire (avec notre langage et nos notions actuelles), il ne s'agissait pas de chimie, mais de physique. 

Pour des raisons conjoncturelles, Gay-Lussac fut élu à l'Académie des sciences dans la classe de physique, et non de chimie. Mais c'était un simple manque de place, pas plus, et François Arago a dit plus tard de Gay Lussac : « C'est un bon physicien, mais un excellent chimiste ». On sent là cette espèce de sentiment de supériorité déplacé qu'ont certains qui manipulent les équations, envers ceux qui expérimentent avec les molécules. 

La « gueguerre » n'est pas nouvelle, et l'on en trouve des échos jusque dans nos enseignements. Par exemple, récemment, dans un master de physico-chimie, il était tout à fait étonnant d'observer que nombre d'étudiants se sont intéressés à des questions telles que la loi de Gibbs, la force de Laplace, et autres descriptions physiques, alors que, pourtant formés à de la chimie et à de la biochimie, qu'ils devaient donc maîtriser bien mieux, ils n'allaient pas tenter de comprendre les mécanismes en termes moléculaires. 

Oui, les grandes lois synthétiques ont une beauté, mais elles ne doivent pas nous faire oublier que ce sont des mécanismes qui nous intéressent. Sans quoi nous en restons bloqués à un stade précoce de la méthode scientifique, laquelle va de l'observation à l'observation en passant par les étapes que sont la quantification des phénomènes, la réunion des données en lois synthétiques, la recherche des mécanismes et la constitution des théories, la recherche des conséquences de ces théories, et la recherche d'expériences pour tester les théories.

 A la réflexion, on retrouve là un défaut fréquent des travaux scientifiques un peu médiocres, qui s'arrêtent aux lois et oublient d'aller chercher le couronnement de leurs travaux dans les interprétations. Dans les stages, par exemple de mastère, et même dans les thèses, les jeunes scientifiques se donnent de beaucoup de mal pour quantifier les phénomènes, pour chercher des lois, mais, généralement, la partie interprétation, certes toujours menacée par le manque de temps puisqu'elle arrive en fin de travail, est négligée. Elle est négligée pour des questions contingentes, mais aussi parce que c'est une question difficile, ou, plus exactement, une question à la quelle nous ne nous sommes pas assez entraînés. 

On en conclut qu'il serait bon que l'enseignement scientifique insiste sur cette question cruciale. Je vous invite à lire cette biographie de Gay-Lussac.

Des tics

Ayant été conduit à entendre la radio, je me suis amusé que l'un des intervenants mette des "voilà" environ tous les trois mots,  tandis que son interlocuteur enchaînait la moindre de ses phrases par "et cetera". 

 

Non seulement le "voilà" était un tic, mais c'était un mot sans signification, une espèce de boulet que la personne, prétentieusement intellectuelle traînait, comme une démonstration de son insuffisance et une confirmation de sa prétention. 

Pour le et  caetera, c'était pire, car dans nombre de phrases à la fin desquelles il était prononcé, il n'y avait précisément pas d'énumération à donner. 

 

De tels mots font suite aux "du coup" ou "effectivement" dont nous avons été affligés ces dernières années. 

 

Quels seront les prochains ?