Apprendre la science ?
La question est légitime, et on se propose de décortiquer un peu la chose.
1. La science, mais c'est quoi ? La question est complexe, et il faudrait connaître bien la science pour répondre à la question (pardon, je fais ici état de mes insuffisances, mais ce n'est pas de la fausse modestie).
Commençons par reconnaître que ici, par "science", on entend "science de la nature" (physique, physico-chimie, biologie....).
C'est évidemment un abus, car on parle de science pour désigner les savoir : au siècle passé, il y avait des livres intitulés « La science du maître d'hôtel ». Le plus possible, dans ce qui suit, je fais donc attention à la confusion possible, et je propose de considérer la question de l'apprentissage des sciences quantitatives seulement.
Apprendre la science de la nature signifie donc apprendre à effectuer une recherche scientifique (quantitative), c'est-à-dire soit (1) se poser des questions de stratégie scientifique (qu'explorer si l'on a l'objectif de faire des découvertes ?) ; soit (2) apprendre à mettre en oeuvre la méthode scientifique, décrite ailleurs [].
En réalité, l'étudiant qui m'a interrogé pensait moins à "apprendre la science" qu'à apprendre des résultats des sciences, et, plus particulièrement, à appendre des résultats de physico-chimie.
Comment savoir que la tension superficielle est la dérivée de l'enthalpie libre par rapport à l'aire ? Ou comment "apprendre" ce qu'est l'effet Marangoni ?
2. Apprendre, savoir... Commençons par observer que, dans ces deux questions, il y a une fois le mot "savoir", et une fois le mot "apprendre". Apprendre conduit-il à savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que savoir ?
Au premier abord, il y a la notion, le phénomène, décrit par des mots : par exemple, les spins des noyaux de protons, dans un champ magnétique externe, sont soit dans l'état "haut", soit dans l'état "bas". C'est un savoir supplémentaire que de connaître la proportion de spins dans chacun des deux états.
Notons d'ailleurs que ce savoir là est plus "scientifique", puisque la science quantitative va de pair avec le nombre, le calcul, lequel fait du "récit scientifique" un discours tout à fait à part, tout à fait différent des explications du monde données par d'autres disciplines (histoire, géographie, poésie...). Cela étant, dire que l'on sait quelque chose est fait une déclaration très osée, car on peut savoir plus ou moins profondément, plus ou moins en détail. Par exemple, les étudiants qui viennent en stage dans notre groupe de recherche me disent "savoir peser", mais ils ne savent souvent que tarer la balance avant de poser sur celle-ci l'objet dont ils veulent déterminer la masse ; ils ignorent qu'ils doivent préalablement vérifier que la balance a été vérifiée, vérifier le centrage de la bulle dans le niveau, vérifier la balance à l'aide d'un étalon tertiaire, peser trois fois et savoir pourquoi il faut peser trois fois au minimum...
Bref, qui d'entre nous peut "savoir" ? Cet exemple conduit à penser qu'il vaudrait mieux, humblement, poser la question d'apprendre plutôt que la question de savoir.
3. Connaissances et compétences Avançons dans notre analyse en observant que la question initiale rejoint celle qu'avait posée un autre étudiant, qui réclamait des "exercices", à l'appui des cours -pourtant détaillés et, j'espère, bien faits- que je lui avais donnés. Certes, les exercices sont "classiques", dans les cours, et l'on ménage d'ailleurs des séances de "travaux dirigés" afin d'explorer les cours à l'aide d'exercices et de problèmes. Mais sont-ils nécessaires ? Sont-ils utiles ? Ne peut-on travailler seul ? Apprendre seul ?
Et comment ? Nous voilà donc revenus à la question initiale, après avoir frôlé la discussion de la différence entre connaissance et compétence, et qui doit être clairement discutée. Imaginons que, suivant un texte que je cherche à comprendre pas à pas, j'en viens à lire la loi d'Einstein à propos de la viscosité d'une dispersion diluée de particules solides (ce serait l'occasion de me demander pourquoi j'ai retenu que η = η0 (1 + 2.5 φ). C'est une connaissance. Puis, le livre fermé, je redémontre cette loi : c'est une compétence.
Comment passer de la connaissance à la compétence ? Dans cette affaire, il y a une question de mémorisation, et une question de compréhension... et de savoir. Mémoriser : on aurait intérêt à s'intéresser aux méthodes des universitaires, de l'Antiquité au Moyen Âge, quand, sans papier, on devait mémoriser beaucoup. Nos prédécesseurs ont mis au point des méthodes, à commencer par celle qui consistait à se construire une "maison intérieure", que l'on parcourait par la pensée en déposant des idées dans les pièces, afin de les retirer ensuite. On doit observer que cette mémorisation ne conduit pas à la compréhension, et, donc, à la compétence. Par exemple, si je connais la loi d'Einstein mais que j'ignore si la définition de la fraction volumique de la phase dispersée, la connaissance de la loi est inutile. Certainement un exercice me fera passer du temps sur la question, et me montrera ce que j'ai besoin de savoir pour mettre en oeuvre la connaissance : cela semble montrer que les exercices sont utiles pour transformer les connaissances en compétences.
Cela étant, suis-je un utilisateur de voiture ou un garagiste ? Dans les deux cas, ma connaissance est différente, et ma compétence doit l'être aussi. Le fait est que nombre d'amis scientifiques de ma connaissance sont des garagistes, et qu'ils ne supporteront pas de connaître la loi d'Einstein, qu'ils voudront être capables de la retrouver par eux-mêmes, afin d'être certain d'en avoir la connaissance intime qui leur permettra d'en explorer les limites. Certains réécrivent les cours, ou les publications, prennent des notes. D'autres se contentent de lire lentement. D'autres encore font des exercices. D'autres encore... Là, je n'ai pas vu de méthode unique... de sorte que je suis bien désemparé, pour répondre à l'étudiant qui m'interrogeait.
4. Une proposition Et si l'on créait une "banque de méthodes", afin de les analyser, et de retenir la ou les plus efficaces ? N'hésitez pas à laisser des commentaires, et à décrire votre propre façon d' « apprendre la science ». Si, en plus, vous pouvez justifier sans mauvaise foi pourquoi cette méthode est bonne, c'est encore mieux !