vendredi 26 mai 2023

Comment apprendre la science ?

 
 Apprendre la science ? 

La question est légitime, et on se propose de décortiquer un peu la chose. 

 

1. La science, mais c'est quoi ? La question est complexe, et il faudrait connaître bien la science pour répondre à la question (pardon, je fais ici état de mes insuffisances, mais ce n'est pas de la fausse modestie). 

Commençons par reconnaître que ici, par "science", on entend "science de la nature" (physique, physico-chimie, biologie....). 

C'est évidemment un abus, car on parle de science pour désigner les savoir : au siècle passé, il y avait des livres intitulés « La science du maître d'hôtel ».  Le plus possible, dans ce qui suit, je fais donc attention à la confusion possible, et je propose de considérer la question de l'apprentissage des sciences quantitatives seulement. 

Apprendre la science de la nature signifie donc apprendre à effectuer une recherche scientifique (quantitative), c'est-à-dire soit  (1) se poser des questions de stratégie scientifique (qu'explorer si l'on a l'objectif de faire des découvertes ?) ; soit (2) apprendre à mettre en oeuvre la méthode scientifique, décrite ailleurs []. 

En réalité, l'étudiant qui m'a interrogé pensait moins à "apprendre la science" qu'à apprendre des résultats des sciences, et, plus particulièrement, à appendre des résultats de physico-chimie. 

Comment savoir que la tension superficielle est la dérivée de l'enthalpie libre par rapport à l'aire ? Ou comment "apprendre" ce qu'est l'effet Marangoni ? 

 

2. Apprendre, savoir... Commençons par observer que, dans ces deux questions, il y a une fois le mot "savoir", et une fois le mot "apprendre". Apprendre conduit-il à savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que savoir ? 

Au premier abord, il y a la notion, le phénomène, décrit par des mots : par exemple, les spins des noyaux de protons, dans un champ magnétique externe, sont soit dans l'état "haut", soit dans l'état "bas". C'est un savoir supplémentaire que de connaître la proportion de spins dans chacun des deux états. 

Notons d'ailleurs que ce savoir là est plus "scientifique", puisque la science quantitative va de pair avec le nombre, le calcul, lequel fait du "récit scientifique" un discours tout à fait à part, tout à fait différent des explications du monde données par d'autres disciplines (histoire, géographie, poésie...). Cela étant, dire que l'on sait quelque chose est fait une déclaration très osée, car on peut savoir plus ou moins profondément, plus ou moins en détail. Par exemple, les étudiants qui viennent en stage dans notre groupe de recherche me disent "savoir peser", mais ils ne savent souvent que tarer la balance avant de poser sur celle-ci l'objet dont ils veulent déterminer la masse ; ils ignorent qu'ils doivent préalablement vérifier que la balance a été vérifiée, vérifier le centrage de la bulle dans le niveau, vérifier la balance à l'aide d'un étalon tertiaire, peser trois fois et savoir pourquoi il faut peser trois fois  au minimum... 

Bref, qui d'entre nous peut "savoir" ? Cet exemple conduit à penser qu'il vaudrait  mieux, humblement, poser la question d'apprendre plutôt que la question de  savoir. 

 

3. Connaissances et compétences Avançons dans notre analyse en observant que la question initiale rejoint celle  qu'avait posée un autre étudiant, qui réclamait des "exercices", à l'appui des  cours -pourtant détaillés et, j'espère, bien faits- que je lui avais donnés. Certes, les exercices sont "classiques", dans les cours, et l'on ménage d'ailleurs des séances de "travaux dirigés" afin d'explorer les cours à l'aide d'exercices et de problèmes. Mais sont-ils nécessaires ? Sont-ils utiles ? Ne peut-on travailler seul ? Apprendre seul ? 

 

Et comment ? Nous voilà donc revenus à la question initiale, après avoir frôlé la discussion  de la différence entre connaissance et compétence, et qui doit être clairement discutée. Imaginons que, suivant un texte que je cherche à comprendre pas à pas, j'en viens à lire la loi d'Einstein à propos de la viscosité d'une dispersion diluée de particules solides (ce serait l'occasion de me demander pourquoi j'ai retenu que η = η0 (1 + 2.5 φ). C'est une connaissance. Puis, le livre fermé, je redémontre cette loi : c'est une compétence. 

Comment passer de la connaissance à la compétence ? Dans cette affaire, il y a une question de mémorisation, et une question de compréhension... et de savoir. Mémoriser : on aurait intérêt à s'intéresser aux méthodes des universitaires, de l'Antiquité au Moyen Âge, quand, sans papier, on devait mémoriser beaucoup. Nos prédécesseurs ont mis au point des méthodes, à commencer par celle qui consistait à se construire une "maison intérieure", que l'on parcourait par la pensée en déposant des idées dans les pièces, afin de les retirer ensuite. On doit observer que cette mémorisation ne conduit pas à la compréhension, et, donc, à la compétence. Par exemple, si je connais la loi d'Einstein mais que j'ignore si la définition de la fraction volumique de la phase dispersée, la connaissance de la loi est inutile. Certainement un exercice me fera passer du temps sur la question, et me montrera ce que j'ai besoin de savoir pour mettre en oeuvre la connaissance : cela semble montrer que les exercices sont utiles pour transformer les connaissances en compétences. 

Cela étant, suis-je un utilisateur de voiture ou un garagiste ? Dans les deux cas, ma connaissance est différente, et ma compétence doit l'être aussi. Le fait est que nombre d'amis scientifiques de ma connaissance sont des garagistes, et qu'ils ne supporteront pas de connaître la loi d'Einstein, qu'ils voudront être capables de la retrouver par eux-mêmes, afin d'être certain d'en avoir la connaissance intime qui leur permettra d'en explorer les limites. Certains réécrivent les cours, ou les publications, prennent des notes. D'autres se contentent de lire lentement. D'autres encore font des exercices. D'autres encore... Là, je n'ai pas vu de méthode unique... de sorte que je suis bien désemparé, pour répondre à l'étudiant qui m'interrogeait. 

 

4. Une proposition Et si l'on créait une "banque de méthodes", afin de les analyser, et de retenir la ou les plus efficaces ? N'hésitez pas à laisser des commentaires, et à décrire votre propre façon d' « apprendre la science ». Si, en plus, vous pouvez justifier sans mauvaise foi pourquoi cette méthode est bonne, c'est encore mieux !

Qu'est-ce que cette innovation dont on rebat les oreilles ?

 
Dans un cours de master que j'ai donné à l'Ecole des Mines, la question de l'innovation m'a été posée, et  comme omnia definitio pericoloso est (toute définition est dangereuse), j'ai répondu en questionnant le mot, en disant que je n'étais pas bien certain de l'acception qu'il fallait lui donner, partagé entre la tentation de désigner ainsi la nouveauté technique et la proposition faite par d'autres de nommer ainsi l'objet qui « réussit ». 

Oui, j'ai bien lu quelque part cette définition : une innovation serait une nouveauté qui réussit. Elle ne me va guère, car qu'est ce que « « réussir » ? S'imposer comme un produit marchand ? A ce compte, on reconnaîtrait au football à la télévision des vertus que je ne vois guère ! 

La notion de réussite me gêne considérablement, car je ne suis pas sûr de partager les critères qui sont proposés. Oublions donc ce mercantilisme un peu bête, et cherchons mieux. 

Un collègue intéressant m'a dit un jour : l'innovation, c'est faire bien, faire mieux, faire autrement, faire autre chose. Pourquoi pas... mais pourquoi ? 

 

Comme souvent, je propose de revenir au mot, à son étymologie, son histoire. Que signifie « innovation » ? S'agirait-il de produire du nouveau ? L''utilisation du formalisme des systèmes dispersés (DSF, voir Hervé This, Formulation and new dishes, Cahiers de Formulation, vol. 16, EDP Science/Société des chimistes français, pp. 5-21. ), comme toute algèbre, conduit à l'introduction d'un nombre infini d'objets nouveaux, de sorte que, manifestement, la production de nouveauté n'a guère d'intérêt non plus. 

Insistons un peu, en fixant les idées par une image. Si nous produisons mécaniquement un nombre infini d'objets nouveaux, si nous les posons devant nous sur la table, la question n'est plus de produire un objet en plus ou en moins, mais plutôt de sélectionner des objets ainsi produits. Lesquels ? Cette fois, des critères (de choix) s'imposent. 

En cuisine, un critère (technique) est le soin, lequel n'a rien à voir avec la nouveauté. 

Un autre critère est le bon, soit le beau à manger, et là encore, mille artistes différents produiront mille représentations personnelles de la Vierge à l'Enfant. 

Un troisième critère est le « je t'aime », et là encore, d'autres choix seront sélectionnés (bien que des recouvrements soient possibles). 

 

Bref, la question se retourne donc vers ceux qui me la posent : quels sont vos critères ? Mes collègues de l'Ecole des Mines, comme moi, hésitent à employer le mot d'innovation, le sachant... miné. Ils parlent de conception. 

Pourquoi pas, mais où s'arrête la conception ? Les parents qui conçoivent l'enfant : que font-ils ? La conception est étymologiquement la représentation par la pensée. Les parents conçoivent l'enfant en le pensant, et ce n'est qu'une conséquence que la réunion de deux semences dont l'union est fructueuse. Dans cette acception, la conception est  un acte formel, qui doit faire l'objet de nos soins, et non une matérialisation qui s'apparenterait à toute la période de la grossesse, à la transformation  de l'ovule fécondée en enfant. Dans cette acception là, il faudrait se préoccuper des règles formelles qui permettent au programme de s'exécuter, en supposant que l'épigénétique, c'est-à-dire l'influence de l'environnement sur le déroulement particulier du programme, n'a pas d'effet. Ce serait dommage de se priver de cette source de variabilité et... d'innovation !

jeudi 25 mai 2023

La fête de la science.


Pour ce qui me concerne, je fête les sciences depuis plus de 20 ans.
Pendant la fête de la science, il y a des événements variés, mais j'ai l'impression que la plupart sont à l'attention des élèves, des collégiens, des lycéens... C'est là une acception très réduite de ce que peut être une fête de la science.

Pour les élèves des lycées hôteliers,  l'objectif sera de montrer à ces élèves que la science  est une chose merveilleuse. 

A quoi bon ? A leur faire comprendre que les techniques culinaires peuvent être rénovées par l'application des sciences ? C'est là de la morale, et non une  fête de la science. A partager un émerveillement pour la science ? Pourquoi pas,  car ces jeunes cuisiniers seront plus tard des  contribuables, qui devront  accepter (ou non) de subventionner la science nationale. 

Puis il y a les enseignants, pour discuter  la question des Ateliers expérimentaux du goût et des Ateliers science& cuisine. 

Là  l'enjeu est encore politique plutôt que festif : les Ateliers expérimentaux du goût ont été introduits dans les écoles primaires en 2000, et je ne cesse de diffuser la méthode, de l'expliquer,  afin que des professeurs de plus en plus nombreux la mettent en œuvre dans leur classe. 

En quoi cela fait-il une fête ? Plutôt que du prosélytisme, je crois qu'il sera plus avisé de partager avec le professeur qui se rendront à cette manifestation  le bonheur de la science, l'excitation des découvertes. Ce serait merveilleux si chacun d'entre nous sortait de cette séance avec les yeux qui brillent de bonheur, le cœur débordant d'envie d'étude, de connaissance... 

Puis, il y a les collégiens et les lycéens, et, là, la visite risque d'être utilitaire parce qu'ils ont à faire des « travaux personnels encadrés » (TPE ou  TIPE), et qu'il faudra évidemment leur donner les informations dont ils ont besoin pour leurs travaux, mais est-ce encore une fête ? 

 

Décidément, on en revient toujours à la même conclusion, pour qu'il y ait « fête de la science », il faut qu'il y ait partage d'une excitation intellectuelle, d'un émerveillement... Enfin, la question : et pour tous ceux qui ne sont pas élèves ? Toutes les actions que nous faisons sont ouvertes à tous.  Vive les sciences quantitatives produites, partagées, utilisées !

mercredi 24 mai 2023

La fête de la science.


On commence l'organisation de la fête de la science ? 

 

Pour ce qui me concerne, je fête les sciences depuis plus de 20 ans.
Pendant la fête de la science, il y a des événements variés, mais j'ai l'impression que la plupart sont à l'attention des élèves, des collégiens, des lycéens... 

 

C'est là une acception très réduite de ce que peut être une fête de la science. 

 

Pour les élèves des lycées hôteliers,  l'objectif sera de montrer à ces élèves que la science  est une chose merveilleuse. A quoi bon ? A leur faire comprendre que les techniques culinaires peuvent être rénovées par l'application des sciences ? C'est là de la morale, et non une  fête de la science. A partager un émerveillement pour la science ? Pourquoi pas,  car ces jeunes cuisiniers seront plus tard des  contribuab

 

Puis on peut parler  aux enseignants, pour discuter  la question des Ateliers expérimentaux du goût et des Ateliers science & cuisine. 

Là  l'enjeu est encore politique plutôt que festif : les Ateliers expérimentaux du goût ont été introduits dans les écoles primaires en 2000, et je ne cesse de diffuser la méthode, de l'expliquer,  afin que des professeurs de plus en plus nombreux la mettent en œuvre dans leur classe. En quoi cela fait-il une fête ? Plutôt que du prosélytisme, je crois qu'il sera plus avisé de partager avec les professeurs qui se rendront à cette manifestation  le bonheur de la science, l'excitation des découvertes. 

Ce serait merveilleux si chacun d'entre nous sortait de cette séance avec les yeux qui brillent de bonheur, le cœur débordant d'envie d'étude, de connaissance... 

 

Puis, il y a les collégiens et les lycéens, et, là encore, la visite risque d'être utilitaire parce qu'ils ont à faire des « travaux personnels encadrés » (TPE ou  TIPE), et qu'il faudra évidemment leur donner les informations dont ils ont besoin pour leurs travaux, mais est-ce encore une fête ? 

 

Décidément, on en revient toujours à la même conclusion, pour qu'il y ait « fête de la science », il faut qu'il y ait partage d'une excitation intellectuelle, d'un émerveillement... Enfin, la question : et pour tous ceux qui ne sont pas élèves ? Toutes les actions que nous faisons sont ouvertes à tous.  Vive les sciences de la nature produites, partagées, utilisées !

mardi 23 mai 2023

Questions de matériels

 Nous sommes dans un laboratoire de chimie, et nous observons les matériels qui s'y trouvent. Dans un laboratoire de  synthèse organique, il y a fort à parier que l'on trouvera des systèmes nommés évaporateur rotatifs. 

De quoi s'agit-il ? Ce sont des systèmes qui ont pour but d'éliminer des solvants sans chauffer, à  l'aide du vide. Une solution est placée dans un ballon en verre, lequel tourne pendant  que l'on fait le vide dedans. 

De ce fait, on peut même obtenir l'évaporation de l'eau à la température ambiante, par un phénomène tout à fait analogue à celui qui réduit la température de l'évaporation de l'eau en haut des  montagnes, et qui gêne donc certaines cuissons. 

 

À quoi bon ? Par exemple, imaginons que  nous placions des framboises, dans le ballon de l'évaporateur rotatif. Si nous faisons le vide, les composés les plus volatils des fruits seront extraits. Ils ne seront pas perdus pour autant, si l'on fait communiquer le premier ballon avec un deuxième ballon en verre, placé dans un bain de glace : les composés éliminés des fruits iront se recondenser dans le second ballon. C'est ainsi que, lorsque l'air aura été réintroduit, nous récupérerons dans le second ballon un concentré d'odeur parfois merveilleux. Tout peut y passer : le café,  du thé (ce qui laissera dans le premier ballon les composés astringents et amers),  des fruits, des légumes... 

Voici donc un nouvel outil, qu'il va falloir apprendre à utiliser. Dans la mesure où l'on concentre des composés, il faudra évidemment éviter de concentrer des composés toxiques, tels les composés odorants du basilic ou de l'estragon. Toutefois, il faut être prudent et non timoré, et la possibilité d'obtenir parfois des préparations toxiques ne doit pas nous empêcher de nous renseigner par avance sur les produits que nous obtiendrions et de préparer ceux-ci s'ils ne sont pas toxiques, bien évidemment !  De la même façon, la possibilité des accidents de voiture ne doit pas  nous empêcher de conduire en étant prudent, et la possibilité des crimes à l'aide d'un couteau ne doit pas nous empêcher d'utiliser celui-ci pour découper une volaille, n'est-ce pas ?

lundi 22 mai 2023

La méthode scientifique nous porte.

Je retrouve un exemple merveilleux : celui des soufflés. C'est une très vieille histoire, puisqu'elle remonte aux années 1980. 

Tout commence avec un soufflé, et une recette qui stipule d'ajouter les jaunes d'oeufs deux par deux. L'expérience faite alors semble montrer qu'il y a une différence entre l'ajout des jaunes tous ensemble ou un par un, mais elle conduit surtout à des caractérisations de soufflés : nous mesurons alors la température dans les soufflés, et nous reconnaissons des lois d'augmentation de la température où apparaissent des phénomènes étranges, que nous cherchons à interpréter. En particulier, nous voyons un ralentissement de l'augmentation de température à un certain moment de la cuisson, au coeur du soufflé, et nous nous demandons si des couches froides ne viennent pas à la hauteur du thermocouple. 

Afin de mieux comprendre ces phénomènes, nous cuisons des soufflés dans des récipients transparents, et nous voyons alors des bulles monter à la surface et crever à la surface des soufflés dans le four. 

À l'époque, la théorie stipulait que les soufflés gonflaient parce que les bulles d'air se dilataient à la chaleur. De ce fait, on n'aurait pas dû voir des bulles monter et crever à la surface ! La simple observation des phénomènes montra que ces bulles étaient probablement des bulles de vapeur. 

Comment tester cette hypothèse ? La méthode scientifique recommande d'abord des quantifications, et c'est ce qui fut fait. Des soufflés furent pesés avant et après la cuisson, et une différence de 10 grammes apparut. Dix grammes de quoi ? Dans un soufflé, il y a de la farine, des oeufs, du lait, éventuellement du fromage. La farine et la matière grasse ne s'évaporent pas, mais l'eau, oui, surtout quand la température extérieure est supérieure à 100°. Or le lait, les oeufs sont composés de beaucoup d'eau. 

 

Nouvelle hypothèse, donc : les soufflés gonflerait ce que de l'eau s'évaporerait. Et l'ancienne théorie ? En réalité, les deux phénomènes ont certainement lieu simultanément, et il importe surtout de passer à l'étape du calcul afin d 'y voir plus clair. 

Un calcul élémentaire montre que l'évaporation de l'eau on permettrait d'obtenir 10 litres de soufflé. En revanche, l'application de la loi des gaz parfaits, ou même d'une loi plus exacte, ne montre qu'un gonflement de 30 % . 

L'affaire est vite réglée... Toutefois, par acquis de conscience, il avait fallu contrôler les paramètres d'applications de la loi des gaz parfaits, et notamment, mesurer la pression dans les soufflés. 

Cela fut fait et les expériences confirmèrent que l'augmentation de pression était faible, ce qui se comprend facilement, parce que si la pression dans le soufflé augmente, alors il gonfle, se détendant dans un milieu à pression atmosphérique. 

Pourquoi les soufflés ne font-ils pas finalement des dizaines de litres ? Rappelons-nous ces bulles qui crevaient à la surface : une bonne quantité de vapeur est perdue. Là, on peut alors s'interroger, et se demander ce qui se passerait si l'on imperméabilisait la surface. 

L'expérience a été évidement été faite, et l'on a vu des soufflés gonfler bien plus que par le passé, preuve que cette conclusion n'était pas insensée. Nous voilà donc avec une nouvelle théorie, un modèle réduit de la réalité, puisqu'il ne décrit que certains phénomènes, et nous devons maintenant continuer à l'améliorer. 

Pourquoi ? Un technologue pourrait chercher à faire de meilleurs soufflés, à mieux caractériser, simplement. Pour un scientifique, la question est surtout de considérer que le soufflé est sans intérêt, que c'est surtout le support de la réflexion en vue de découvrir des phénomènes inconnus, des mécanismes inédits... Pour le scientifique, dans son travail scientifique, la cuisine n'a aucun intérêt, et c'est seulement la perche tendue à la recherche de connaissances qui peut l'intéresser. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas considéré des soufflés, mais la question reste posée : en quoi une étude des soufflés peut être contribuer à reculer les limites de la connaissance ?

Nous avons donc tenu notre séminaire de gastronomie moléculaire du mois de mai sur le thème du coup de buée et de l'eau dans le beurre des feuilletages.

 

Nous avons donc tenu notre séminaire de gastronomie moléculaire du mois de mai sur le thème du coup de buée et de l'eau dans le beurre des feuilletages. 
Commençons par le coup de buée : il s'agit de l'injection de vapeur que les boulangers font soit en début soit en fin de cuisson du pain. Pour le début de cuisson, ils disent que cela donne de la couleur, du brillant, et que cela favorise le gonflement parce que le coup de buée ralentirait le croûtage et permettrait donc que le pain gonfle mieux. 
En fin de cuisson, il y aurait une question de couleur et de brillant. 
Nous avons donc comparé différentes pâtes, pâte à pain, feuilletage, pâte à foncer, avec ou sans un coup de buée, en fin de cuisson, et nous avons comparé la couleur des produits obtenus : elle n'était pas différente. 
Évidemment, nous n'avons pas terminé la question et nous devrons poursuivre les travaux.
 
Pour ce qui concerne la question de l'eau dans le beurre du feuilletage, l'hypothèse était que plus il y a d'eau dans le beurre, plus le feuilletage gonfle. 
Habituellement, il y a un maximum de 18 % d'eau dans le beurre, mais rien ne nous empêche de malaxer du beurre avec de l'eau pour en faire entrer davantage. 
Et c'est ce que nous avons fait, pour comparer ensuite un feuilletage avec un beurre normal et un feuilletage avec un beurre additionné d'eau, les deux feuilletages étant ensuite cuits ensemble dans le même four.
Cette fois, nous avons observé que le feuilletage où le beurre avait été additionné d'eau avait plus gonflé que l'autre. 
 
En réalité, je ne tire pas de conclusion définitive de ces expérimentations, parce qu'il est bien difficile de faire des feuilletages tout à fait identiques, à un ingrédient prêt. D'autre part, nous avons comparé des feuilletages à  quantité de matière grasse égale, mais cela ne correspondait évidemment pas un volume de beurre égal. 
Bref, il y a lieu de poursuivre les explorations sur ces deux questions. 
 
À quoi bon, alors, avoir expérimenté ainsi ? Comme souvent, ces séminaires sont l'occasion de focaliser le questionnement, de le rendre public, de donner des résultats expérimentaux préliminaires et d'inviter chacun à poursuivre les expériences. 
J'espère toujours que nos amis seront ensuite obtenir d'autres résultats que nous pourrons partager.