jeudi 4 mai 2023

Les méthodes structurent

Les règles de vie du merveilleux Michael Faraday étaient :
1. prendre des notes,
2. vérifier ce que l'on nous dit,
3. entretenir des correspondances,
4. avoir des collaborations,
5. ne pas participer à des controverses,
6. ne pas généraliser hâtivement
Avec cela, on va quand même bien mieux !

Oui, je retrouve ce matin, dans des notes,  les règles de Michael Faraday et je me dis, vu la manière de vivre de nombreuses personnes que je le rencontre, qu'il y a quand même lieu de commencer par cela ;  le reste viendra plus tard.

Ces règles me sont devenues si familières que j'oublie de les propager,  mais c'est une erreur :  à chaque génération, il faut répéter qu'il y a des moyens simples d'amélioration... à condition évidemment que l'on cherche à s'améliorer. Pour les autres... laissons tomber.

Reprenons donc l'histoire : il y avait un jeune homme d'une famille extraordinairement pauvre, à Londres, au début du 19e siècle, si pauvre que, enfant, il n'avait qu'un morceau de pain pour toute la semaine. Cet homme, Michael Faraday, était dans une communauté très religieuse nommée sandémaniens.
L'enfant vivait en étant saute ruisseau, ce qui signifie qu'il portait les journaux d'abonnés à abonné, puisqu'à l'époque c'est le même journal qui servait à plusieurs.
Un librairie éditeur, immigré français, Georges Riébault, pris pitié de l'enfant et l'embaucha comme  apprenti relieur.
Et c'est ainsi que  le jeune homme  eut entre les mains un livre d'un clergyman, Isaac Watts, qui donnait les règles ci dessus.
Il eut aussi à relier le livre de vulgarisation scientifique d'une femme, Jeanne Marcet,  qui proposait des expériences de chimie. Le jeune homme fut fasciné par les expériences décrites, et ils les reproduisit avec les moyens du bord.
Puis il fit partie d'un club d'amélioration de l'esprit, qui se réunissait un soir par semaine en plein cœur de Londres et où les participants apprenaient à parler, à écrire...
 

Et c'est ainsi que Faraday mit en oeuvre les six conseils d'Isaac Watts ;  toute sa vie.
Le premier conseil était d'avoir un petit calepin pour noter des idées  :  aujourd'hui, nous avons un téléphone sur lequel nous pouvons dicter afin de récupérer des textes.
Il y avait un conseil qui était de d'entretenir des correspondances car ainsi, on apprend à formuler ses idées, à les organiser pour autrui, pour ceux à qui on s'adresse.
Il y avait un conseil qui stipulait de vérifier ce qu'on nous dit.
Un autre de ne pas généraliser activement.
Un autre d'avoir des collaborations...
 

Et c'est ainsi que, avec ces six conseils, Michael Faraday devint le plus grand chimiste de tous les temps. Je passe sur le détail de l'histoire que j'ai déjà raconté ailleurs, et je me concentre ici sur ce fait que nombre de nos jeunes amis devraient bien faire leur ces méthodes qui permirent à Faraday de faire mieux que beaucoup. Chers amis et cher moi-même, commençons donc par avoir un calepin sur vous pour noter nos idées, par entretenir des correspondances, non pas pour parler dans le vide mais au contraire pour apprendre à formuler nos pensées ; apprenons à ne pas généraliser activement, à vérifier ce qu'on nous dit, apprenons à avoir des collaborations... 


Ce sera un bon début pour faire ensuite mieux.

Jeux de couleur

Je vous recommande vivement cette expérience qui consiste à broyer les pétales d'une rose rose avec un peu d'eau, dans un mortier de cuisine, à l'aide d'un pilon. 

On obtient une pâte un peu molle, toujours rose, que l'on peut filtrer. À ce stade, il est bon de considérer le matériel expérimental : le mortier et le pilon se trouvent cuisine, mais le filtre  aussi, puisqu'il sert à préparer le café. Les roses, elle, se trouvent sur le balcon. Donc aucune « débauche » expérimentale. 

Revenons à   notre le liquide parfaitement transparent, (parfaitement ?), coloré en rose. 

Nous  ajoutons une goutte de vinaigre cristal, incolore et transparent... et soudain la coloration change complètement. Allons chez le droguiste, demandons lui un peu de soude, et ajoutons-la :  la coloration change encore (vous voyez : je fais exprès de ne pas dire comment, afin de ne pas vous gâcher le plaisir de l'expérience, tout comme il est malséant de raconter la chute d'un roman à un ami). 

Ce  même type de changements peut s'observer avec des framboises que l'on trempe  dans de  l'acide chlorhydrique ou dans une solution de soude. Ne mangez évidemment pas les framboises ainsi traitées... à moins de les avoir bien neutralisées (acide chlorhydrique plus soude, cela fait du sel!) et que les produits utilisés soient de qualité alimentaire (pas d'impuretés toxiques). 

Tous ces changements de couleur sont dus à des composés phénoliques, tels qu'il en existe dans les tissus végétaux colorés en rouge, en bleu, en violet, en noir : fraises, groseille, framboises, cassis, myrtilles... Selon l'acidité des milieux qui contiennent ces composés, ces derniers ont des couleurs  différentes, de sorte que les plantes peuvent « décider » de certaines couleurs, en ajustant leur acidité. 

D'ailleurs, si vous ajoutez des ions (fer, aluminium, étain, cuivre...) vous verrez d'autres changements de couleur. Plus généralement, les couleurs de ces composés phénoliques changent avec l'environnement des molécules. 

Mais il y a mieux : un  chimiste nommé Raymond Brouillard, qui travaillait à l'université de Strasbourg, a effectué des travaux remarquables  sur ces composés phénoliques. Il a notamment montré que certains végétaux, certaines fleurs, contiennent des composés phénoliques qui sont liés par paires, à l'aide d'une sorte de charnière moléculaire. Selon les circonstances,  ces paires  peuvent se replier sur elles-mêmes, comme on ferme livre, et chaque moitié change la couleur de l'autre, parce que l'environnement moléculaire des éléments des paies change. Remarquable mécanisme donc que celui qui fut mis au point par l'évolution biologique...

mercredi 3 mai 2023

La question de la couleur, pour la cuisine de synthèse

 Dans la série des questions relatives à la cuisine note à note, je propose aujourd'hui d'examiner les questions de couleur. 

 

Pour l'instant, avec la cuisine classique, le problème était assez simple : on prenait un ingrédient alimentaire qui avait une couleur, et l'on se limitait à essayer de conserver cette couleur, ou à la modifier de  façon un peu (très peu, en réalité) contrôlée. 

Il faut bien avouer  que la cuisine classique  n'a pas merveilleusement réussi, de ce point de vue, puisque  la question de conserver le beau vert des légumes vert reste toujours posée, sans véritable solution, que la couleur des betteraves et des choux rouges change  inéluctablement quand  on les cuit ou quand on varie l'acidité du milieu, que l'on ne contrôle pas les changements de couleur des fruits rouges, que les cornichons jaunissent dans leur bocal de vinaigre... 

Soyons honnêtes :  les compétences du monde alimentaire en matière de couleur ne sont pas épatantes. 

Pour preuve, cette demande qui est arrivée dans notre groupe de recherches il y a quelques années d'un très gros industriel de l'alimentaire pour étudier la couleur verte des légumes verts. Évidemment, on sait des choses, et la chimie a considérablement exploré les chlorophylles, les caroténoïdes, les composés phénoliques de la famille des anthocyanes, les bétalaïnes... 

 

Toutefois la question demeure : dans des environnements chimiques complexes, en présence d'acides, de métaux,  par exemple, ces composés réagissent quand ils sont chauffés, lors de la cuisson, et des réactions ont lieu, que l'on ne sait pas bloquer. 

Avec la cuisine note à note, le problème se pose différemment, parce que, si la cuisson sert à faire  apparaître des composés nouveaux, pourquoi ne pas utiliser ces composés nouveaux d'emblée, et éviter cette cuisson qui va changer la couleur des pigments initialement présents ? Ce type d'idées (je dis bien ce type d'idées et non pas cette idée, parce que je généralise immédiatement)  mérite d'être testé. Testé expérimentalement, théoriquement,  mais il y a un travail à faire. La question est donc posée : comment déterminerons-nous la couleur des de mets note à note ?

mardi 2 mai 2023

Dans un précédent billet, j'ai discuté la question des académies, et, notamment, l'utilité -que je crois considérable, et je m'en suis expliqué - de l'Académie d'agriculture de France. 

Cette académie a de nombreuses fonctions, comme toute organisation qui mérite de subsister,  mais l'une d'elles ne semble essentielle : publier  les comptes rendus de ses séances publiques, et aussi des articles  qui relèvent de son objet, de ses travaux. 

Chaque mercredi, l'Académie d'agriculture de France organise effectivement une séance publique, gratuite, sur un thème relevant  des travaux de l'une de ses dix sections (la section 8  s'intéresse à l'alimentation humaine). 

Lors de ces séances, après une introduction du président,  un académicien ouvre la séance en présentant l'importance et l'intérêt du thème considéré, en posant des questions qui sont essentielles à notre collectivité, également. Puis, le plus souvent, trois conférenciers disposent chacun de 20 minutes, pour discuter un apport, une réflexion, une contribution à la résolution des questions essentielles qui concernent nos collectivités, à la lueur de leur compétence très particulière. Après quoi un autre membre de l'Académie (le plus souvent) tire des conclusions. Il propose des pistes de travail, des  réflexions, invite à  la création de groupes  de travail et de discussions, car il est bien rare que,  pour les questions difficiles concernées, un individu isolé puisse résoudre tous les problèmes. 

Un exemple  : le froid  actuel est-il durable ? Si l'on prend la question par le petit bout la lorgnette, cela revient à se demander s'il est possible que nous ayons longtemps chacun un réfrigérateur à  domicile. Pourquoi ne pas avoir un réfrigérateur à domicile ? Parce que les fluides réfrigérants ne sont pas anodins pour l'environnement, parce que les réfrigérateurs particuliers consomment beaucoup d'énergie, et que, de même que nous n'avons pas chacun une centrale électrique pour produire l'énergie dont nous avons besoin, il n'est peut-être pas nécessaire d'avoir chacun un réfrigérateur. On pourrait penser à  l'équivalent du chauffage central, mais pour le froid. Cela n'est qu'un exemple et l'on peut se demander si les considérations environnementales ne vont pas pousser nos sociétés à édicter des lois très strictes sur l'usage du froid. Ce n'est pas pour demain, mais probablement pour après-demain, et il n'a pas une minute à perdre : des experts, des spécialistes, des techniciens, des technologues, des scientifiques doivent s'interroger, doivent travailler pour un résoudre ce problème. 

En attendant il est tout à fait essentiel qu'une institution mette la question sur la place publique, fasse partager  les préoccupations, afin que le public (dont je suis !) comprenne l'importance de ces travaux et que, et ce même public, qui est le contribuable et qui, donc, finance les recherches,  décide (ou non)  de soutenir les travaux engagés... afin que nous   ne soyons pas démunis demain sur les grandes question relatives par exemple  à l'environnement, mais aussi à l'alimentation, l'agriculture, aux forêts... Vive l'Académie d'agriculture de France, n'hésitez pas à lire ses Comptes rendus... ou visionner ses séances !

lundi 1 mai 2023

Un projet ? C'est quelque chose que l'on envisage de faire, et non pas quelque chose que l'on fait !

Nous sommes bien d'accord : si j'annonce, le lundi, le programme de la semaine, ce n'est pas parce que je "reprends" le travail ce jour-là. De mon côté, rien ne s'est arrêté, et c'est seulement le "monde" qui refait son apparition au laboratoire après deux jours d'absence. 

 

Cela étant, pourquoi ne pas, effectivement, se demander le lundi ce qui fera l'objet des travaux dans les prochains jours ? La périodicité de la journée est intéressante, puis celle de la semaine (un ordre de grandeur au-dessus), puis le mois, puis le trimestre, puis l'année. 

Evidemment, comme nous en discutons avec les étudiants actuellement au laboratoire, ces rendez vous sont l'occasion d'évaluations... car on ne dira pas assez qu'une évaluation ne doit pas être une sanction, mais plutôt l'occasion de se mettre un pas en arrière de soi-même, et d'évaluer, donc, les actions entreprises. Autrement dit, il faudrait, le lundi, ne pas se contenter de voir ce que l'on va faire, mais surtout de voir ce qui a été fait, et quels ont été les résultats. 

La semaine passé, nous avons discuté de "projets". Ah, les projets... Sur "toutes les ondes", il y a eu "effectivement » à toutes les sauces, puis il y « voilà », et il y a aussi, partout, les mots  « excellence » et « projet ». Il suffit d'écouter  la radio : il y a quelques années le mot « effectivement» apparaissait presque à toutes les phrases dans les bouches qui s'ouvraient, hélas, de façon excessive ou inutile, sur les ondes radio. Aujourd'hui, c'est le mot « voilà », ou "du coup". Il est partout, il n'ont guère de sens, et une fois qu'on les repérés, ils deviennent extrêmement pénibles. 

Ces temps-ci, les étudiants en sciences quantitatives arrivent avec un tic du  même tabac : il y a ce mot « projet » qui sort à jet continu. 

Un projet ? C'est quelque chose que l'on envisage de faire, et non pas quelque chose que l'on fait ! 

De la part d'un étudiant, je suis heureux de recevoir un projet avant que le travail se fasse, mais je préfère de beaucoup qu'il me parle ensuite d'un travail, d'un programme qu'il met en  oeuvre, des tâches qu'il planifie... 

Ah,  le mot travail ! Au risque de paraître pétainiste, il nous faut quand même reconnaître que,  par ces temps de plomb où le mot « loisir » est partout, ce mot « travail » n'est plus aussi bien considéré qu'il le devrait. Pourtant, quel bonheur que  de faire un travail que l'on aime ! 

Les  systèmes d'enseignement doivent le dire, le redire.  Il pourront assortir leur monitions de  cette phrase merveilleuse : nous sommes ce que nous faisons.

dimanche 30 avril 2023

En marchant rue Saint Jacques

 Nous sommes partis de la Seine ;  nous avons monté la rue Saint-Jacques, laissant sur la gauche le Collège de France, le lycée Louis le grand, traversant la rue Gay-Lussac, passant devant  l'église Saint-Jacques du Haut Pas, et, peu après sur la droite, un bâtiment qui n'a vraiment rien de particulier. 

Toutefois,  la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde. Ce bâtiment, au quatrième étage, était occupé par Françoise et Boris Dolto. 

Tout le monde  connaît la psychanalyste Françoise Dolto, qui s'intéressa notamment aux enfants. 

Elle épaula mon père, Bernard This,  quand celui-ci créa d'abord le Centre Etienne Marcel (le premier centre de psychopédagogie), puis la première Maison verte, dans le 15e arrondissement, près de Dupleix, ce lieu d'accueil des futurs parents, des très jeunes enfants, des enfants in utero même, maison qui préfigura l'ensemble des autres lieux analogues, aujourd'hui répartis dans toute la France. 

Françoise Dolto se fit  connaître  par l'intelligence de ses réponses à  la radio, et aussi par le courant qu'elle suscita, les énergies qu'elle contribua à à canaliser... 

Toutefois on oublie  souvent que son mari, Boris Dolto, était un personnage au moins aussi remarquable. Il fut notamment le créateur d'une grande école de kinésithérapie, rue Cujas, pas loin de son domicile. 

A certains intellectuels, la kinésithérapie semble moins prestigieuse que la psychanalyse, mais elle est sans doute bien plus répandue en France et dans les autres pays. Tout  village a  son kinésithérapeute, à côté de son médecin,  mais tous les villages n'ont pas de psychanalyste, qu'on le regrette ou non.  Et  cela explique pourquoi Boris Dolto fut si important.

 Tout cela pour un bâtiment obscur de la rue Saint-Jacques ! Décidément, la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde

samedi 29 avril 2023

Cannelés

Nous avons  déjà souvent envisagé les soufflés, mais aujourd'hui, je propose de considérer des cousins de ces derniers : les cannelés. 

Ce sont des  petits gâteaux, de forme tronconique, avec des ondulations de la surface (dues au rainurage du moule),  de couleur superficielle très soutenue, avec un bel  alvéolage. Ils coûtent une  fortune, alors que leur préparation est d'une simplicité extrême. 

 

En effet,  il s'agit simplement de pâte à crêpe  que l'on dépose dans des moules et que l'on fait  cuire pendant très longtemps  (presque une heure) dans un four très chaud. 

 

Comment  une pâte à crêpes peut-elle faire des cannelés gonflés ? Pourquoi sont-ils d'une couleur soutenue ? Pourquoi sont-ils alvéolés ? 

Pour la couleur, c'est le plus simple : puisque les moules à cannelés sont en métal, la matière qui est en contact des bords des moules  est portée à une température quasi égale à celle du four, par conduction, soit entre 160 à 200 degrés selon les recettes. Pas étonnant qu'il y ait de la couleur. 

Pour l'alvéolage, l'analyse des soufflés nous  donne la clé du phénomène   : la pâte à crêpes contenant beaucoup d'eau, cette dernière est évaporée à bien plus de 100° au contact des parois, de sorte qu'une croûte se forme et que beaucoup de vapeur apparaît  ;  un gramme d'eau liquide évaporée fait un litre de vapeur, de sorte qu'il y a largement de quoi faire gonfler les cannelés. 

De plus, la pâte étant un peu épaisse, les bulles de vapeur sont piégées dans l'intérieur de la préparation, ce qui fait l'alvéolage. La recette ? 

 

De la pâte à crêpes, dans un moule, dans un four chaud, pendant longtemps, presque une heure. Tout simple, n'est ce pas ? 

PS. Sans oublier le sel, le sucre et le rhum !