Profitons de tout pour en faire notre miel
À propos de bonnes pratiques, je m'aperçois qu'il y a sans doute lieu de nous mettre en position de montrer l'exemple.
Je sors d'un questionnaire de l'école doctorale, qui discutait la question des conduites en laboratoire, sexistes par exemple. Le questionnaire avait peu d'intérêt, et il n'était pas très bien conçu, mais j'en ai surtout profité pour m'assurer que mes pratiques étaient conformes à mes valeurs.
Au fond, je me moque des recommandations de l'école doctorale si ma conscience les contredit, et l'important est surtout que mon comportement, au laboratoire, soit bien telle que je le décide, sur la base de valeurs qui sont principalement l'honnêteté et la droiture.
Autrement dit, ce questionnaire m'a seulement servi d'évaluateur, en ce sens que j'ai utilisés ses données comme des questions que je me suis posées... en faisant d'ailleurs, au passage, quelques critiques à l'école doctorale elle-même, qui doit s'améliorer sur certains points (les observations leur ont été poliment adressées).
Qu'ai-je répondu ? La première des choses, c'est quand même ce trio de termes, sécurité, qualité, traçabilité (dans cet ordre), et je crois que c'est une bonne pratique de les afficher et de les mettre en oeuvre sans faille.
Oui, dans les laboraoire, les plus avancés doivent montrer l'exemple, être d'une rigueur scientifique et humaine aussi parfaite que possible. Cela n'est pas toujours facile, car nous sommes pris entre des injonctions variées, de nos collègues, de nos institutions, de nos gouvernements... Et il y a lieu évidemment de ne pas suivre des règles édictées qui nous feraient déroger à la droiture.
Au contraire, nous devons gagner en humanité, en bienveillance, en révisant sans cesse les injonctions qui nous arrivent, en les évaluant, en les filtrant, afin de retenir les comportements les plus collectivement utiles, intéressants, humains...
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 9 mars 2023
Profitons de tout pour en faire notre miel
mercredi 8 mars 2023
A propos d'Edouard de Pomiane
Un historien m'interroge, voire m'interpelle, à propos d'Edouard Pojersky de Pomiane, dont j'ai dit qu'il avait écrit beaucoup d'erreurs.
Je l'ai renvoyé vers un article où j'ai présenté le personnage, mais il faut que j'insiste : que j'explique que Pomiane fut un grand vulgarisateur, un remarquable écrivain gastronomique, mais pas un grand scientifique, du point de vue de la connaissance scientifique de la cuisine (au sens des sciences de la nature). Ce qui n'est pas une critique, mais une observation factuelle que j'explique ici.
Pomiane était microbiologiste à l'Institut Pasteur et il s'est beaucoup intéressé à la cuisine, avec un esprit rationnel.
Il dit dans ses textes avoir expérimenté, mais on ne trouve pas de publications scientifiques à ce sujet. Il a eu un immense succès populaire, avec des livres et avec une émission de cuisine, car il était fin, intelligent, enthousiate, plein d'énergie et d'humour.
Dont acte. Mais cela ne suffit pas pour faire de la science : ne pas confondre science, vulgarisation, cuisine, littérature, journalisme !
En réalité, beaucoup de ce qu'il a écrit à propos de la physique et de la chimie des phénomènes culinaires est faux (je n'y peux rien, désolé), notamment parce qu'il n'était pas physicien ni chimiste, et que la cuisine n'est pas une affaire de microbiologie (sauf pour les questions de conservation ou d'hygiène).
Bien sûr, un microbiologiste a une formation scientifique, mais cela ne suffit pas toujours pour faire des travaux de physico-chimie.
De surcroît, la science, et notamment la gastronomie moléculaire, n'est pas dans le dogme, comme la vulgarisation scientifique, qui, elle, explique des théories, mais dans la réfutation.
Considérons un exemple : celui de la mayonnaise. Pomiane a des phrases extraordinairement ambiguës où il dit qu'il y a de l'eau et de l'huile mélangées intimement l'un dans l'autre en une émulsion. Certes, il y a de l'eau et de l'huile, et certes, la mayonnaise est une émulsion mais la description est mauvaise : il faut dire que des gouttelettes d'huile sont dispersées dans l'eau (une "solution aqueuse", plus exactement).
Disons-le encore plus simplement : on prend de l'eau, on y met une gouttelette d'huile, puis une autre, puis encore une autre, et l'on obtient de l'eau chargée de gouttelettes d'huile, si tassées qu'elles ne peuvent plus bouger : la sauce tout entière ne coule plus. Et ce système physico-chimique est nommé "émulsions".
Ce que je viens de dire, c'est de la vulgarisation, un peu du dogme, et je m'empresse d'ajouter que la science précisément, cherche plutôt à réfuter cela. La science n'est pas intéressés a asséner des propositions théoriques , mais, au contraire, elle cherche en quoi ces descriptions sont fautives.
Par exemple pour la mayonnaise, dans les années 1980, certains disaient encore que les gouttelettes d'huile dans l'eau étaient stabilisées (en réalité, c'est une métastabilité) par des phospholipides, cette fameuse "lécithine" dont beaucoup parlent sans savoir ce que c'est. En réalité, pour les mayonnaises, les protéines présentes dans le jaune sont beaucoup plus importantes que les lécithine et si l'on ne veut pas se perdre dans les détails, on commencera par dire que la mayonnaise est stabilisée par les protéines.
Certes, les deux composés agissent, mais le principal, ce sont les protéines.
Pour en revenir à Pomiane, sa confusion ne lui a pas permis de véritablement fonder la gastronomie moléculaire parce qu'il confondait aussi la technique, la technologie, la science et l'art.
Il introduisit sur le tard la "gastro-technie", mais si on le lit précisément, on voit que cette dernière est une espèce de chimère dont on ne sait pas exactement ce que c'est ; en tout cas, ce n'est pas de la science à lire ses définitions, ce n'est pas de la technique non plus et ce n'est pas de l'art. Serait de la technologie ? Je n'en suis pas non plus sûr si l'on lit les mots qu'il écrit;
Bien sûr, si l'on est excessivement charitable ou enthousiaste, on peut dire que l'on va passer sur les mots, mais alors, autant autant confondre tout de suite le tournevis et le marteau, la casserole et la fourchette, le poivre et le sel, la molécule et l'atome !
Non, les mots ont une signification et celui qui n'utilise pas le sens des mots dans un but de clarté est soit confus, soit volontairement poète. On a le droit d'être enthousiaste, on a le droit d'avoir de l'humour, on a le droit de tout ce qu'on veut dans les limites de la légalité bien sûr, mais on ne fera jamais de la science en confondant les émulsions avec les mousses, les gels avec les suspensions, les protéines avec les phospholipides, et cetera.
Déjà Jean-Anthelme Brillat-Savarin s'était posé en scientifique, alors qu'il était juriste (et se posait en "physiologiste, qu'il n'était pas), et il faut -on le sait- un exceptionnel "gastronome", au sens de la gastronomie littéraire. Scientifique de métier, Pomiane fut également un excellent gastronome littéraire, mais il faut prendre ses écrits en les interprétant, sans oublier son oeil souriant au-dessus de sa moustache.
À propos d'études et d'enseignement
J'ai largement dit que l'on ne pouvait pas enseigner, et je maintiens que l'on peut étudier si l'on est étudiant, mais que nous ne recevons des connaissances ou des compétences d'autrui (des professeurs) que si nous les prenons ; il n'y a pas, pour des enseignants ou les professeurs, la possibilité de les introduire de force ou non dans l'esprit des étudiants.
D'ailleurs, on voit que si le mot étudiant est univoque, je distingue deux termes, qui sont celui d'enseignant et celui de professeur. Le professeur "parle devant" ; il professe, il présente la beauté des matières qu'il traite, il conseille les chemins pour les étudier, indique des documents où l'on trouvera les informations nécessaires, il répond éventuellement à des questions.
D'autre part, l'enseignant doit faire ce qui est dans le mot "enseigner", et c'est là où je fais amende honorable, car l'histoire du mot enseignement dit bien qu'il s'agit de désigner, d'indiquer. L'enseignant et donc celui qui indique, sous-entendu ce qu'il y a à apprendre, là où on peut le trouver...
Il y a donc une petite différence, mais en tout cas l'enseignant peut enseigner, et c'est là où je me trompais : il ne peut pas faire rentrer la connaissance dans la tête d'un étudiant, mais il peut parfaitement désigner des endroits qui lui semblent utiles pour que les étudiants apprennent.
J'ai donc révisé ce que je disais et, si je présente des excuses à mes amis que j'ai induits en erreur, je suis très heureux d'avoir compris que je me trompais et surtout d'avoir corrigé mon erreur.
Immédiatement, je me suis mis en route pour corriger les textes que j'avais écrit à propos d'enseignement, supprimer ce qui était manifestement fautif, les désigner comme tels publiquement quand il y avait lieu.
Surtout, je suis en réalité très heureux d'avoir corrigé mes erreurs, car je vois une erreur corrigée comme un progrès : au lieu de rester dans mon erreur, je corrige au moins celle-là.
Je sais des étudiants qui ont été exaspéré par cela : à leur demande, je corrigeais leurs documents, puis j'y revenais et je corrigeais encore. N'aurais-je pas pu tout faire bien d'un coup ? D'une part, souvent, il y avait trop à corriger en un passage, sauf à tout changer, mais, surtout, posons la bonne question : pourquoi n'ont-ils pas fait le travail eux-mêmes ? Pourquoi se reposaient-ils paresseusement sur moi ?
Passons sur ces cas pathologiques, et revenons à mes propres erreurs : oui, je suis insuffisant, mais je me soigne, à savoir que je ne cesse de travailler pour dépister mes propres erreurs, et je suis alors content de le faire savoir, parce que j'ai l'espoir que je pourrai ainsi aider des amis.
A propos de crème à l'orange
On m'a interrogé hier à propos de crème au citron, à l'orange, au pamplemousse.
Et l'on m'a signalé que les crèmes à l'orange auraient été moins prises que les crèmes au citron, pour une même recette.
Mon interlocuteur m'a bien assuré que la recette qu'il avait été utilisée était à la même au gramme près, pour les divers agrumes... mais je ne vais certainement pas me lancer dans une interprétation d'un résultat que je n'ai pas vérifié moi-même.
Car j'ai trop vu, en 20 ans de séminaire de gastronomie moléculaire, des idées données par des participants du séminaire et qui étaient entièrement réfutées par l'expérience.
Je me souviens ainsi les discussions sur l'ail bleu, où certains participants nous disaient avec assurance comment faire bleuir de l'ail, qui, finalement, expérimentalement, n'a jamais bleui !
Parfois, ceux qui transmettent ces idées insuffisamment vérifiées, quand ils sont confrontés aux faits expérimentaux qui les réfutent, invoquent des conditions différentes. Pourquoi pas, mais, quand même, on comprendra que je sois prudent et que je veuille d'abord faire la vérification.
Par exemple dans un prochain cellulaire ; nous allons donc utiliser la recette qui nous sera donnée pour faire des tests précis et c'est seulement ensuite, si nous voyons un effet, et seulement si nous le voyons, que nous passerons un peu de temps à essayer de comprendre un phénomène qui pour l'instant reste tout à fait hypothétique.
mardi 7 mars 2023
Ne disons pas des choses que nous ne comprenons pas !
Je reçois parfois des messages bien obscurs, et je propose de nous assurer toujours de ce que nous disons, sous peine de dire... des choses que nos interlocuteurs ne comprennent pas.
Par exemple, ce matin, à propos de carottes : "C'est que l'agriculture avance. Les terpènes, et les metabolites sont bien dans l'agriculture régénératrice."
Oui, l'agriculture évolue, et oui, l'agronomie établit - pas toujours- l'intérêt de certaines pratiques. Cela étant, quel rapport avec les "terpènes" et les "métabolites" ? Observons que, tout d'abord, les métabolites (des végétaux, ici) sont les composés produits par les plantes leur de leur métabolisme.
Il y a des métabolites primaires ou secondaires.
Pour les métabolites primaires, ce sont des composés présents dans toutes les cellules d'une espèce végétale ou fongique, qui sont indispensables à la croissance, au développement et à la reproduction de l'espèce. Ce sont par exemple les sucres, ou les acides aminés.
Pour les métabolites secondaires, ce sont des composés, dont les molécules sont le plus souvent de petite taille, ne participant pas directement aux processus vitaux, produites par les organismes vivants de façon parfois très spécifique et contribuant à leur adaptation à l'environnement (par exemple moyens de défense, de communication intra- ou interspécifique).
Les terpènes ? Ce sont des composés très abondants dans les végétaux : on en connaît plus de 30 000. Et, pour beaucoup, ils contribuent à l'odeur des fleurs et des fruits, par exemple. Ainsi le limonène (+) est dans l'odeur des agrumes ; l'eugénol dans le clou de girofle, etc.
Mais pourquoi évoquer spécifiquement les terpènes ?
Quant aux métabolites, ils sont présents dans tous les végétaux... évidemment !
Mais mon interlocuteur voulait sans doute me dire que l'agriculture régénératrice aurait produit des végétaux avec plus de terpènes ou de métabolites ? C'est loin d'être établi ! Et mon confrère Léon Guéguen, qui a exploré cette question, n'a pas vu d'effet dans les décennies récentes.
Continuons de lire mon interlocuteur avec :
"Pensez vous que si le bicarbonate écarté les pesticides il pourrait de même écarté d autre molécules. Cela voudrait dire que le bouillon ou même la carrotte aurez des transformation différentes qu avec juste de l'eau salé. "
Là, il faut que je réécrive en interprétant :
"Pensez-vous que, si le bicarbonate écartait les pesticides, il pourrait de même écarter d'autres molécules ? Cela voudrait dire que le bouillon, ou la carotte, auraient des transformations différentes d'une cuisson des carottes dans de l'eau salée."
Et ma réponse est la suivante :
Tout d'abord, je ne comprends pas le mot "écarter", et je crois que cela n'a aucun sens de dire que le bicarbonate "écarterait" les pesticides lors de la cuisson de carottes dans l'eau.
D'ailleurs, quels pesticides ? Souvenons nous que 99 % des pesticides sont d'origine naturelle, naturellement produits par les plantes pour se protéger des prédateurs.
Quant aux pesticides utilisés par les agriculteurs, cessons un moment de les invoquer... surtout quand on n'y connait rien. Ils sont sur la surface des végétaux, mais mon interlocuteur lave-t-il ses carottes ?
Là, je sors d'une très rapide recherche bibliographique, et, à côté d'articles publiés dans des revues prédatrices (donc dont les articles doivent être rejetés a priori, je trouve :
Journal of Food Research; Vol. 1, No. 3; 2012
Processing Factors of Several Pesticides and Degradation Products in
Carrots by Household and Industrial Processing
Aurore Bonnechère, Vincent Hanot, Ruben Jolie, Marc Hendrickx, Claude Bragard, Thomas Bedoret, Joris Van Loco
Et je traduis le résumé de l'article (en anglais) :
Pour mesurer les quantités de résidus de pesticides sur des racines de carottes, des carottes ont reçu des pulvérisation, pendant la culture, de trois fongicides (boscalid, difenoconazole et tebuconazole), deux insecticides (chlorpyrifos et dimethoate) and un herbicide (linuron). Les formulations les plus concentrées ont été appliquées selon le guide des Bonnes Pratiques en Agriculture, afin d'obtenir des niveaux élevés de résidus. Puis les conditions de traitement ont été celles de l'industrie. Les effets des traitements de préparation des carottes ont été déterminés pour six pesticides et huit produits de dégradation. Le lavage diminuait la concentration en résidus de pesticides (pour tous les pesticides) d'environ 90 . C'était l'opération la plus efficace, suivie de près par l'épluchage. Le blanchiment augmentait de 50 % l'élimination des résidus.Après découpe et lavage, les concentrations étaient inférieures à 5 ppb. En revanche, la concentration en résidus n'était pas diminuée par des cuissons par micro-ondes. Inversement, les résidus (sauf le difenoconazole) étaient réduits par la stérilisation. L'enchaînement des procédés réduisait de plus de 90 % les traces de pesticides. Les produits de dégradation n'ont pas été en quantités suffisantes pour être dosés.
Et c'est un exemple parmi des milliers : j'invite mon interlocuteur à aller faire le travail de lire ces documents.
Je lis encore :
"J'ai lu pas mal de choses sur les metabolites primaires et secondaires."
Bien... et alors ?
Puis "Ça devient du sequencage d'adn". Et là, je ne comprends vraiment rien : qu'est-ce qui devient du séquençage d'ADN ? D'où sort cette affaire d'ADN, alors que nous parlons de l'effet du bicarbonate sur des carottes ?
Décidément, le message que je reçois est bien confus.
Puis :
"J ai lu cette article qui pourrait vous faire réfléchir. J ai vu aussi en ce moment on parle beaucoup de territoires avec l'agriculture. Chaque territoires ça culture grâce aux données que l on connaît."
Décidément, je dois être bouché, parce que je ne comprends pas ce que l'on me dit... d'autant que ce qui m'est envoyé n'est pas un article, mais une page internet d'Aprifel, l'organe de promotion des fruits et légumes... qui ne mentionne pas de bicarbonate.
Enfin, mon interlocuteur m'interroge :
"Petite question pourquoi la carotte au salon de l'agriculture.
Car lorsque l on connaît les progrès on peut encore ce poser plein de question et il nous manque mille milliard de réponse.."
Pourquoi la carotte au Salon de l'agriculture ? Disons que j'ai tenu un séminaire, le matin du 1er mars, sur la précision culinaire qui avait été décidée par les participants au séminaire précédent, comme c'est la règle. Puis fait une intervention sur la cuisine de synthèse le même jour à 14 h.
Une bonne pratique en matière d'expérimentation, c'est de s'assurer par avance, avant une expérience, que l'on a quelque chose d'obtenir un résultat.
Considérons, par exemple, l'étude d'une émulsion par résonance magnétique nucléaire, et supposons que nous nous intéressions au composé tensioactif qui assure l'émulsification. Si l'on utilise un spectromètre RMN domaine fréquence de 300 MHz, alors le minimum dosable pour un composé, sans cryosonde, est d'environ 0,1 mg pour 1 g d'échantillon.
Or il suffit de très peu de molécules tensioactives pour obtenir une émulsion. Il serait donc idiot, et peut-être pire, d'utiliser la RMN dans l'objectif considéré, si la quantité de tensioactif est inférieure à la quantité détectable.
C'est donc une bonne pratique que de s'assurer, avant une expérience, que nous aurons les 0,1 mg nécessaires pour faire le dosage.
Sans quoi, nous gaspillons du temps scientifique, de l'argent (pour le fonctionnement de l'appareil, pour les consommables, pour l'électricité, le chauffage...).
Nous sommes comptables de l'argent qui nous est confié pour nos études, et c'est donc une bonne pratique que de ne pas nous lancer dans des études inutiles.
Faisons-nous maintenant l'avocat du diable en disant que rien est inutile et que la chance sourit aux esprits préparés. Serait-il possible, par exemple, que, lors de cette expérience inutile, nous apprenions des faits qui correspondent à une découverte ? Bien sûr, à partir des résultats de l'expérience ratée, nous pouvons essayer d'aller voir plus plus loin que le phénomène qui n'a pu être mesuré. Bien sûr, nous pouvons profiter des données qui ont été obtenues pour faire des calculs qui n'étaient pas ceux qui étaient initialement envisagés. Mais c'est alors par un hasard très grand que nous pourrions vraiment faire une découverte scientifique.
Je connais des cas où cela est arrivé et, en particulier, quand Nicolas Kurti et ses collègues ont découvert la désaimantation adiabatique nucléaire, parce qu'ils ont augmenté -contrairement à toute rationalité apparente- l'intensité du courant utilisé dans un montage expérimental qui ne fonctionnait pas, et qu'ils ont vu un tout autre phénomène que celui qu'ils étudiaient.
Il y a aussi tout un livre du chimiste Jean Jacques, L'imprévu, ou la science des objets trouvés, qui évoque des découvertes faites par sérendipité. Mais à bien lire Jean Jacques, on verra quand même que c'est l'attention à tous les détails, et l'intérêt pour le non-découvert, la focalisation sur les étrangetés du monde, et non pas la négligence, qui ont engendré des découvertes.
Il y a cette phrase ancienne selon laquelle "la chance sourit aux esprits préparés", et il y aurait lieu de discuter du mot "chance".
lundi 6 mars 2023
Le respect du contrat
A propos du choix du phénomène dont on va explorer les mécanismes, il y a, en germe tout le débat de sur différence entre les sciences de la nature et la technologie.
Les sciences de la nature explorent les mécanismes des phénomènes, tandis que la technologie veut améliorer la technique.
Ce sont des objectifs qui sont a priori très différents, même s'il est vrai que l'on peut explorer des phénomènes qui ont, par ailleurs, un intérêt technologique.
Par exemple, on peut vouloir mettre au point des matériaux supraconducteurs à température ambiante, et c'est là une étude technologique qui conduira à être capable de produire de tels matériaux, une fois qu'ils ont été identifiés.
Mais la science n'a pas cela pour objectif : elle a pour objectif d'explorer le phénomène de supraconduction. Et tant mieux si, lors de cette exploration, on arrive à des idées qui permettent aux technologues de trouver des matériaux supraconducteurs à température ambiante, mais ce n'est pas l'objectif.
Cet exemple que j'ai pris est absolument universel, car il y a une vraie différence entre chercher les mécanismes et chercher des applications, en dépit de tout ce qui a été dit du contraire et qui ne m'a jamais convaincu, à commencer par les théories épistémologiques idéologiques.
Si nous faisons de la science, il peut pratiquer de se concentrer sur la perspective des découvertes que nous allons faire alors que nous explorons un phénomène, mais ce serait une mauvaise pratique que de faire de la technologie, de viser l'invention.
En revanche, si nous faisons une étude technologique, alors ce serait une erreur, voire une faute, que de lancer une étude scientifique au sens précédent, car ce n'est pas ce n'est pas cela le contrat qui nous a été proposé.
Je crois que le respect du contrat qui a été proposé au scientifique est une bonne pratique scientifique.