mercredi 16 octobre 2019

Lavons-nous les mains !


Les TIAC ? Ce sont les "toxi-infections collectives : il faut au moins deux cas similaires de dérangements gastro-intestinaux. Les TIAC sont des maladies à déclaration obligatoire, car leur signalement permet de prendre des mesures rapides dans le cas de restauration collective. En France, la surveillance des TIAC est assurée par l’Institut de veille sanitaire via la déclaration obligatoire (DO) et les données provenant du Centre national de référence (CNR) des salmonelles, une des familles de bactéries les plus fréquemment incriminées dans des TIAC.
Tout cela étant dit, je ne crois pas inutile de rappeler que, depuis 2012, il y a  1200 cas de toxi-infections alimentaires par an en France. Environ 30 % d'entre elles résultent de repas familiaux, 30%  de repas dans des structures collectives et 40%  de repas en restauration commerciale.
Aux États-Unis, la cause principale identifiée est l'insuffisant lavage des mains du personnel des restaurants. On peut supposer que cette cause se retrouve à domicile.

De sorte que la  leçon est claire : lavons-nous les mains, avant de cuisinier, avant de manger !

mardi 15 octobre 2019

A propos d'oignons qui brunissent


À propos d'oignons qui brunissent, je vois évoquée une "caramélisation", ce matin. D'autres fois, je vois évoquées des "réactions de Maillard"... par des personnes qui ne savent pas ce que cela signifie.

Finalement, pourquoi les oignons brunissent-ils ? que peut-on en dire ? 

Je donne déjà la réponse  : il suffit de parler de brunissement, car c'est la seule façon vraiment juste de le faire, même si elle est d'une simplicité qui prévient la prétention d'utiliser des mots de plus de trois syllabes pour paraître savant.

Partons des faits : nous mettons des oignons dans un récipient et nous chauffons. C'est un fait qu'il brunissent, et c'est également un fait (que j'avais vérifié il y a plus de 20 ans) que l'ajout de sel peut changer considérablement la vitesse de brunissement et peut-être le brunissement lui-même. Mais oublions ce détail du sel pour l'instant, et posons la question : pourquoi ce brunissement ?

Commençons simplement en observant que  les oignons contiennent des composés variés et que, manifestement, des transformations moléculaires engendrent  des composés nouveaux, qui donnent la couleur brune.
Quels sont les composés initiaux ? Comme tous les tissus végétaux, les oignons sont faits majoritairement d'eau, puis de polysaccharides (pensons à la cellulose, chimiquement inerte, aux pectines et aux autres composés de la même famille), mais aussi de ces "petits"  sucres que sont le glucose, le fructose ou le saccharose (ce dernier étant le sucre de table),  des acides aminés, et mille autres composés.

Quand on chauffe, ces composés réagissent, par les mêmes réactions que celles que des chimistes pourraient faire dans des éprouvettes.

Par exemple,  les sucres peuvent caraméliser... mais on  gagnera à  se souvenir de la température de 140 degrés,  à partir de laquelle le brunissement commence de façon manifeste. Or, tant qu'il y a de l'eau dans les oignons, la température est limitée à 100 degrés,  et la caramélisation ne peut pas avoir lieu. En revanche, en surface, là où l'eau est évaporée, alors le brunissement par caramélisation peut se produire... mais je dis bien "peut" se produire, car personne ne l'a encore montré correctement.
Avec des acides aminés et des sucres, un brunissement d'une autre sorte peut résulter de réactions... mais pas par des réactions de Maillard, car les réactions de Maillard ne sont pas entre sucres et acides aminés, mais plutôt entre sucres et protéines. Si le brunissement découlait de réactions entre les sucres et les acides aminés, ce seraient des "réactions de  Fischer", et non des réactions de Maillard. Certes, dans les deux cas, les températures nécessaires sont plus basses que celles de la caramélisation, de sorte qu'elles pourraient expliquer le brunissement des oignons... mais il reste quand même à établir qu'elles ont lieu lors de la cuisson des oignons !  
Surtout, il peut y avoir également bien d'autres réactions, et j'en prends pour preuve le fait que des protéines chauffées à sec brunissent très vite,  je vous invite à mettre au four de la  farine (avec amidon et protéines), de la fécule (avec seulement de l'amidon), des protéines, du sucre. Chauffez, par exemple, à 200 degrés, et vous verrez rapidement les protéines brunir, puis les sucres. Le brunissement des protéines seules ? Il a lieu, donc, mais je ne sais pas par quelles réactions.

Pour en revenir aux oignons, on doit donc conclure que le brunissement résulte probablement de plusieurs réactions simultanées et j'insiste pour dire que je n'en ai cité jusque ici que quelques-unes d'envisageables... car il y en a bien d'autres  : des thermolyses, des pyrolyses, des oxydations, des déshydratations intramoléculaires des hexoses...
Finalement, laquelle de ces réactions est prépondérante ? Personne n'en sais rien, de sorte qu'il est totalement abusif de parler de "réactions de Maillard", ou même de "réactions de Fischer" ou encore de réactions de caramélisation.
A ce jour, la seule position intellectuellement soutenable est de parler ... de brunissement.

Ah, j'oubliais l'affaire du sel : non seulement j'ignore pourquoi cet effet, mais je ne connais pas de publication scientifique qui en ait établi le mécanisme. C'est un message optimiste que j'adresse aux jeunes scientifiques : ne croyez pas que le vieux aient déjà tout découvert, au contraire ! Tout reste à faire, pour comprendre les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires.

Les couverts ? A la française !


Pour nos amis, rien n'est trop bien, n'est-ce pas ? Quand nous les recevons, si nous les voulons heureux, nous sortons la plus belle des nappes, les plus beaux couverts, les plus beaux plats, les plus belles assiettes... Nous mettons littéralement les petits plats dans les grands, car c'est une façon de leur montrer combien nous nous soucions d'eux. Nous cherchons dans des livres ou en ligne les règles conventionnelles pour disposer les verres, afin de leur montrer que nous ne laissons rien au hasard.
Et il y a finalement la question des couverts,  qui se mettent - toujours conventionnellement - de chaque côté de l'assiette, la fourchette à gauche et le couteau à droite, par exemple. Mais il y a façon et façon. Et, en particulier, on distingue les couverts à l'anglaise et les couverts à la française.

Que faire ?

À l'anglaise, la fourchette a ses pointes vers le haut,  la lame la partie coupante vers l'assiette, et la cuillère montre sa concavité. Pour les couverts à la française, le couteau est toujours avec le bord coupant vers l'assiette, mais la fourchette est posée sur la pointe des dents et la cuillère montre son bombé.
Je préfère de loin la façon à la française, parce qu'elle se préoccupe mieux du bonheur de nos amis que les couverts à l'anglaire : de même que nous mettons le côté tranchant du couteau vers nous afin de protéger notre voisin de droite, nous mettons les pointes vers le bas, pour la fourchette, afin de ne pas offrir à nos vis-à-vis l'agressivité de ses pointes. De ce fait, la cuillère montre son bombé  pour des raisons de symétrie.
Cette façon de faire à la française a comme conséquence que les initiales les propriétaires sont  du côté visible, mais ce n'est qu'une conséquence.
L'essentiel, c'est la politesse, le bonheur que nous voulons donner.

Il faut donc absolument des couverts à la française. 


 

lundi 14 octobre 2019

Ni nutrition, ni toxicologie

J'en ai pris l'engagement, mais je le confirme ici : je ne veux plus parler de nutrition (encore moins de diététique), ni de toxicologie, et cela pour des raisons simples :

1. Je ne suis pas nutritionniste !

 
J'observe toutefois qu'il y a une différence essentielle entre la nutrition, qui est une science biologique, et la diététique, qui en est l'utilisation pratique, et qui s'apparente à une sorte de morale.
J'observe aussi que l'être humain est de parfaite mauvaise foi : il veut manger sain... et il n'hésite pas à "craquer" sur le chocolat, qui est quand même fait de sucre et de matière grasse ! Plus plus loin à ce sujet, mais pour le moment, je signale que mon livre Le terroir à toutes les sauces est précisément un traité de la mauvaise foi (notamment à table), transformé en livre de cuisine et en roman d'amour, avec des recettes alsaciennes (délicieuses) traditionnelles.... mais modernisées   : la mauvaise foi, vous dis-je.

Je ne dis pas que la nutrition n'est pas une activité scientifique passionnante, mais seulement que cela ne m'intéresse pas, et que ce n'est pas ma compétence. Je critique l'épidémiologie nutritionnelle mal faite, quand elle est biaisée ou quand elle conduit à de l'idéologie malsaine.
Et je reconnais l'importance de la diététique pour des cas particuliers, mais je refuse absolument un knockisme alimentaire, qui vise à considérer tout bien mangeant comme un malade qui s'ignore, et qui doit passer sous les fourches caudines de nutritionnistes ou de diététiciens.


2. Je ne suis pas toxicologue !

 
Certes, je suis de près les publications sur ce sujet, mais je m'étonne de voir les mêmes qui veulent manger sainement se bourrer de barbecues tout l'été (ah, les benzopyrènes cancérogènes), ou ne pas peler les pommes de terre (ah, ces délicieux glycoalcaloïdes toxiques). Bref, je dénonce des comportements incohérents.
Mais, surtout, je dénonce les discours idéologiques qui, fondés sur l'ignorance, risquent de conduire à de l'hygiénisme déplacé  ! Nous devons prendre des décisions rationnelles, considérer que notre alimentation n'a jamais été si saine. Nous ne devons pas confondre le danger et le risque. Nous ne devons accepter de réglementations que sur le risque. Et nous devons dénoncer à la vindicte publique ces salauds que sont les marchands de peur ou, pire, de cauchemars.
Répétons-le : jamais notre alimentation n'a été aussi saine !


3. Non seulement je ne suis ni toxicologue ni nutritionniste, mais en réalité, ces disciplines qui relèvent de la biologie sont très éloignées de ma "compétence", qui est la gastronomie moléculaire, science positive que j'aime beaucoup, et à laquelle je veux me consacrer.


Donc ne comptez pas sur moi pour vous parler d'autre chose que ce que je sais ! Certes, je fais précisément ma bibliographie, sur d'autres sujets que les miens, mais je veux me consacrer entièrement à la gastronomie moléculaire : cette discipline scientifique qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires !


Allez, c'est dit, et redit. Et j'utiliserai à l'avenir ce billet pour ceux qui m'interrogent hors de mon champ de compétence ! 

 


 

A propos de rigueur !


J'ai beaucoup hésité à faire ce billet, parce que le sujet est miné : il s'agit de discuter de la rigueur.

Pour les plus avachis, la rigueur est un défaut terrible, mais pour les plus stricts, c'est une grande qualité. Bien sûr, il y a des rigueurs rigoristes, un peu idiotes quand elles sont si conventionnelles quelle ne permettent pas l'ouverture à l'autre, la compréhension d'autrui, avec sa culture différente. Mais il y a quand même, aussi, la rigueur intellectuelle, et celle-là, je vois mal comment on pourrait la critiquer.
Cela étant, pour les gens comme moi, la rigueur, c'est immédiatement le suivi exact des règles de pensée, la logique ; et là, je vois mal comment, au moins pour les sciences de la nature, nous pourrions nous en dispenser. Certes, je sais bien que même la rigueur mathématique a évolué au cours des siècles, et que Legendre n'a pas toujours eu la rigueur de Carl Friedrich Gauss ; je sais que nombre de mathématiciens ont eu des pensées intuitives,  à commencer par Henri Poincaré, mais peut-être aussi Gauss lui-même, qui se refusait à publier ses démonstration avant qu'elles ne soient dans un état d'aboutissement aussi parfait que possible.
Je n'oublie pas non plus que la méthode scientifique n'est pas entièrement déductive, ce qui serait mortifère, mais bien inductive pour l'étape qui consiste à faire la théorisation à partir des lois, des équations, des ajustements : il y a lieu parfois d'introduire, dans la théorie, des idées que l'on cherche va ensuite à réfuter. Sans compter que la théorisation va parfois de pair avec l'introduction de nouveaux concepts, de nouvelles notions...

Mais il ne faut pas toujours tout relativiser, et ce moment particulier, intuitif, créatif, spontané dont je parle est un petit moment par rapport à l'ensemble des temps de travail nécessaires à la création des théories. Tout le reste se fait avec la plus grande rigueur.

Ceux qui parlent trop vite confondent parfois la méthode scientifique avec une méthode rigoureuse. Pour les sciences de la nature, la rigueur, le nombre, l'équation s'imposent absolument, mais pour une partie des sciences de l'humain et de la société, la rigueur, si elle n'est pas de même nature, est tout aussi nécessaire,  et mes amis de ces sciences-à sont parfaitement rigoureux.

En art, c'est bien autre chose... apparemment. On nous bassine avec ces fulgurances créatrices... mais peut-on croire que Rembrandt eut pu peindre ses toiles s'il n'avait pas été capable de maîtriser absolument la peinture ? Et Mozart aurait-il pu composer ses musiques s'il n'avait pas pensé avec une rigueur absolue, jusqu'aux tours musicaux qui, précisément, doivent échapper à raideur (je ne dis pas rigueur) de l'écriture musicale ? Croyez-vous que Flaubert ou  Rabelais auraient pu laisser "glisser" un seul mot de leur œuvre ?
Je vous invite à combattre cette idée veule, avachie, d'un art qui naîtrait d'un claquement de doigts sans une préparation immense, et cette fameuse intuition artistique me semble être au contraire le résultat d'un travail considérable, de hasards parfaitement maîtrisés... Bref de la plus grande des rigueurs.

Au fond, je me demande si l'avachissement n'est pas en réalité de la plus immense mauvaise foi quand il critique la rigueur, d'une grande malhonnêteté intellectuelle puisque, si la mauvaise foi est parfois tout empreinte d'humour, elle peut-être aussi parfaitement malhonnête.

Mais à ce stade, il nous faut vite relever les yeux de la boue, de la fange, pour aller considérer le bleu du ciel. Et voir que, pour les sciences de la nature, la rigueur n'est qu'un petit début. Pour l'identification des phénomènes, nous avons intérêt à bien les cerner, rigoureusement. Puis, dans la deuxième étape de la méthode scientifique, nous devons tout mesurer, caractériser quantitativement, et l'on sait toutes les discussions à propos des erreurs, des incertitudes, des dispersions des mesures... Avec la réunion des données en lois, en équations, aucune place pour le flou, et la rigueur devient mathématique. Tout comme pour la théorisation, qui conduit parfaitement logiquement à des théories. Et viennent ensuite les tentatives de réfutation, qui imposent encore la plus grande rigueur.
C'est là un des bonheurs des sciences de la nature : on fait les choses rigoureusement !


dimanche 13 octobre 2019

La science n'est pas la technologie (ni la technique), la découverte n'est pas l'invention


Les sciences ne sont pas les technologies, et l'existence des deux mots montre qu'il y a des différences, fussent-elles de connotations.  Mais, en réalité, ces différences sont considérables, et un esprit analytique s'évertuera à les chercher.

Pourtant, dans des discussions à propos de ces différences, certains se laissent aller à dire que prétendre à l'existence même d'une différence est rétrograde...
D'une part, c'est là un argument ad hominem, donc minable, et, d'autre part, nous feraient-ils l'injure de croire que j'ignore ce qui a été dit de toute cette affaire ? Au point d'en avoir fait un livre !






Ces personnes sont donc soit naïves, soit méprisables parce que méprisantes, soit malhonnêtes... et elles tombent  dans l'hubris le plus détestable... bien que là j'ai un doute sur le genre de ce dernier terme.

samedi 12 octobre 2019

Nous devons apprendre à discuter !

Hier j'ai discuté les manières de se comporter aimablement dans une discussion, et j'avais  notamment stigmatisé l'ego, la prétention.

Mais je m'aperçois, ce matin, que jamais on ne m'a enseigné, autrement, que par l'exemple, qu'il fallait éviter de parler de soi dans une conversation.


Certes j'ai appris par hasard cette formule "Le moi est haïssable", dans les Pensées de Blaise Pascal, mais à propos de discussion, j'en étais réduit à deux idées explicites : d'une part,  ne jamais parler de politique, de religion ou d'armée ; et, d'autre part, j'ai appris l'existence de ces manuels de conversation où figuraient des espèce de clichés pour être à l'aise en toutes circonstances.
Jamais on m'a dit explicitement comment contribuer à une discussion. Et je viens de vérifier auprès de jeunes amis qu'il en avait été de même pour eux.

Car il ne s'agit pas seulement éviter de parler de soi, mais aussi de savoir quoi dire.

Et c'est là où il y a une difficulté : le "quoi dire" se fonde sur tout le travail qu'on aura fait avant la discussion : dans les heures, jours, mois, années... 
Et je retrouve ici mon concept des "belles personnes", celles  que nous connaissons parfaitement mais qui nous surprennent, à chaque discussion, avec de nouvelles idées. Celles qui savent apporter sur la table du festin intellectuel les mets les plus délicats, les mieux choisis. Autre chose que des sandwichs vite faits. Non,  des produits leur travail, de leur réflexion, de leurs soins, de leur intelligence. Ces personnes ne se laissent pas aller à délivrer des pensées immédiates, médiocres, qui montreraient leur médiocrité, mais elles veulent au contraire  délivrer des objets bien finis, fignolés...

Oui, décidément, je crois que tous les parents et l'école devraient enseigner aux enfants  comment participer à une discussion.