Depuis des années, je vois la communauté scientifique française
hésiter entre les mots saveur, goût, odeur, arôme, flaveur même.
Récemment, alors que, au terme d'une discussion serrée avec un collègue
(et ami), j'avais réussi à lui faire dire qu'il nommait "flaveur" la
somme de l'odeur rétrosanase et de la saveur, j'ai eu la surprise de
voir son voisin de laboratoire écrire dans une revue scientifique
française que la flaveur était la somme de toutes les sensations,
texture comprise.
C'est la cacophonie ! Comme si un dieu jaloux
des progrès de la physiologie sensorielle voulait mettre la discorde,
alors que s'érige une tour de Babel. Il est temps de mettre les termes à
plat, et de s'entendre enfin sur des mots qui nous permettront de
travailler ensemble.
Pour cela, il faut des faits. Et ces fait sont les suivants :
- il y a une différence entre la sensation et la perception
-
même les noms des mets influencent notre perception : si l'on pense à
un citron, on se met à saliver, et le milieu "tampon" qu'est la salive
change ensuite la perception de l'acidité
- les "odeurs" perçues par le nez, sans mise en bouche, contribuent à la perception de l'aliment
- la couleur contribue à la perception de l'aliment
- en bouche, des composés se lient à des récepteurs des papilles, et donnent la sensation nommée "saveur"
- en bouche, des composés odorants montent par les fosses rétronasales par l'arrière de la bouche
-
en français, on nomme "arôme" l'odeur des plantes aromatiques, de sorte
que les composés odorants perçus par voie rétronasale ne peuvent être
nommés "arômes"
- l'aliment libère des composés qui peuvent se
lier aux récepteurs du nerf trijumeau, dans la bouche et le nez
(piquants, frais...)
- la mastication donne une sensation de
"texture", qui est une interprétation de la consistance (un morceau de
chocolat est croquant quand on le croque, mais fondant si on le laisse
fondre)
- il existe des récepteurs des acides gras insaturés à longue chaîne, décrochés des triglycérides par des enzymes lipases
- la bouche est équipée de capteurs thermiques
- en français, le goût d'un aliment est ce que l'on perçoit, à savoir une synthèse
Voilà,
j'en oublie peut-être (par exemple, la perception donnée par les ions
calcium, dans la mesure où cette perception ne serait pas une saveur),
mais peu importe.
Ce que l'on voit :
- c'est que
le mot "arôme" est déjà pris, en français : pour désigner les sensations
produites par l'olfaction rétronasale, il faut introduire un autre mot
si l'on veut désigner l'odeur rétronasale; au fait, pourquoi pas "odeur
rétronasale" ?
- pour nommer les composés odorants, s'il y a le
choix entre composés d'odeur et composés d'arômes, il vaut mieux
"composés d'odeurs", puisque les arômes ne sont qu'une catégorie
d'odeurs (celle des plantes aromatiques"
- on pourrait nommer
"flaveur" la somme des saveurs et des odeurs rétronasales... mais à quoi
bon ? Cela n'est ni mesurable, ni perceptible
- en tout ça, l'usage du mot flaveur pour goût est fautif, ou irréfléchi (je n'arrive pas penser qu'il soit simplement snob)
J'invite mes collègues à corriger tout cela, mais la logique de la chose me semble une garantie de sa solidité.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 2 décembre 2017
De la levure chimique ? La terminologie est fautive et nous valons mieux que cela !
On me connaît : je suis de ceux que le summum de l'intelligence,
c'est la bonté et la droiture. Droiture, honnêteté, loyauté... Rien de
pire, donc, que la déloyauté, qui est en réalité une forme de
malhonnêteté.
Et c'est la raison pour laquelle j'insiste : nous ne devons pas nommer "levures chimiques" des préparations qui, si elle n'ont rien de mal en elle-même, ne sont pas des levures, mais des poudres levantes. A utiliser le nom usurpé de levures, nous serions sur la pente de la déloyauté.
Bon, cela, je l'ai dit plusieurs fois déjà. Pourquoi suis-je en train d'y revenir ? Parce que je trouve en ligne une recette de génoise qui comporte de la poudre levante. C'est encore une malhonnêteté, comme si l'on confondait le pain de campagne et la brioche. Une génoise, ce n'est pas un gâteau levé par de la poudre levante, mais une préparation qui doit sa consistance très particulière au battage des oeufs entiers. Avec de la poudre levante, on fait quelque chose d'approchant, mais de différent. Tout comme on fait de la rémoulade et non pas de la mayonnaise quand on utilise de la moutarde.
La génoise ? On bat longuement des oeufs entiers avec du sucre, on ajoute beurre fondu et farine, puis on cuit. On obtient une préparation très foisonnée, avec une alvéolation bien particulière.
Au fait : on bat des oeufs entiers ? Oui, et cela peut paraître paradoxal, mais n'est-ce pas ce que l'on fait aussi pour les omelettes soufflées (qui ne sont pas l'apanage de la mère Poulard) ? D'ailleurs, pour bien comprendre pourquoi les génoises ne doivent pas contenir de poudre levante, je vous invite à comparer une omelette soufflée faite seulement d'oeufs battus, et une omelettes soufflée où l'on aurait mélangé des jaunes d'oeufs à des blancs en neige : rien à voir !
Et c'est la raison pour laquelle j'insiste : nous ne devons pas nommer "levures chimiques" des préparations qui, si elle n'ont rien de mal en elle-même, ne sont pas des levures, mais des poudres levantes. A utiliser le nom usurpé de levures, nous serions sur la pente de la déloyauté.
Bon, cela, je l'ai dit plusieurs fois déjà. Pourquoi suis-je en train d'y revenir ? Parce que je trouve en ligne une recette de génoise qui comporte de la poudre levante. C'est encore une malhonnêteté, comme si l'on confondait le pain de campagne et la brioche. Une génoise, ce n'est pas un gâteau levé par de la poudre levante, mais une préparation qui doit sa consistance très particulière au battage des oeufs entiers. Avec de la poudre levante, on fait quelque chose d'approchant, mais de différent. Tout comme on fait de la rémoulade et non pas de la mayonnaise quand on utilise de la moutarde.
La génoise ? On bat longuement des oeufs entiers avec du sucre, on ajoute beurre fondu et farine, puis on cuit. On obtient une préparation très foisonnée, avec une alvéolation bien particulière.
Au fait : on bat des oeufs entiers ? Oui, et cela peut paraître paradoxal, mais n'est-ce pas ce que l'on fait aussi pour les omelettes soufflées (qui ne sont pas l'apanage de la mère Poulard) ? D'ailleurs, pour bien comprendre pourquoi les génoises ne doivent pas contenir de poudre levante, je vous invite à comparer une omelette soufflée faite seulement d'oeufs battus, et une omelettes soufflée où l'on aurait mélangé des jaunes d'oeufs à des blancs en neige : rien à voir !
Les würtz
Dans les années 1990, j'avais inventé les würtz, en analysant la
crème fouettée. Et c'est ainsi que j'avais obtenu de nouveaux systèmes…
qui ont du goût.
Par exemple, quelques auteurs de livres de cuisine ont utilisé de la gélatine pour faire tenir de la crème fouettée. Gomme adragante ou gélatine : tels étaient les deux produits les plus cités. La crème apportait la moussabilité ; la gomme adragante ou la gélatine la tenue, par la formation d’un gel, dans le second cas.
Analysons : une mousse est une dispersion de bulles d’air dans un liquide (pour les mousses liquides) ; si le liquide gélifie, une fois la mousse formée, la mousse liquide devient une mousse solide, parce que les bulles d’air sont alors prisonnières du gel, lequel est une dispersion d’un liquide dans un solide.
Au total, la mousse tient alors durablement.
Que faire de cette analyse ? Observons que le système composé de la crème et de la gélatine a deux raisons de mousser : d’une part, certaines protéines de la crème sont moussantes, mais aussi la gélatine ! Pour faire une mousse, en effet, il suffit d’eau, d’air et d’un agent moussant, c’est-à-dire de se lier à la fois à l’air et à l’eau, et, de plus, de former un raison à la surface des bulles.
La gélatine a ces propriétés, comme le montre l’expérience qui consiste à fouetter de l’eau où l’on a dissout de la gélatine. La quantité de mousse que l’on peut obtenir ? Des litres !
Evidemment, l’eau utilisée peut avoir du goût. Par exemple, on peut faire une mousse de bouillon, mais aussi une mousse de jus d’orange, de vin, etc.
Et cette mousse, une fois formée, tiendra en raison de la gélification de la gélatine.
En pratique ? Dans un liquide chaud bien dégraissé, dissoudre quelques pour cent (en masse) de gélatine (feuille ou poudre), puis fouetter longuement en faisant mousser. Laisser au froid, puis utiliser pour composer une œuvre.
Une recette ?
Pour 200 g de jus d’agrume, 5 g de gélatine, 100 g de sucre
Par exemple, quelques auteurs de livres de cuisine ont utilisé de la gélatine pour faire tenir de la crème fouettée. Gomme adragante ou gélatine : tels étaient les deux produits les plus cités. La crème apportait la moussabilité ; la gomme adragante ou la gélatine la tenue, par la formation d’un gel, dans le second cas.
Analysons : une mousse est une dispersion de bulles d’air dans un liquide (pour les mousses liquides) ; si le liquide gélifie, une fois la mousse formée, la mousse liquide devient une mousse solide, parce que les bulles d’air sont alors prisonnières du gel, lequel est une dispersion d’un liquide dans un solide.
Au total, la mousse tient alors durablement.
Que faire de cette analyse ? Observons que le système composé de la crème et de la gélatine a deux raisons de mousser : d’une part, certaines protéines de la crème sont moussantes, mais aussi la gélatine ! Pour faire une mousse, en effet, il suffit d’eau, d’air et d’un agent moussant, c’est-à-dire de se lier à la fois à l’air et à l’eau, et, de plus, de former un raison à la surface des bulles.
La gélatine a ces propriétés, comme le montre l’expérience qui consiste à fouetter de l’eau où l’on a dissout de la gélatine. La quantité de mousse que l’on peut obtenir ? Des litres !
Evidemment, l’eau utilisée peut avoir du goût. Par exemple, on peut faire une mousse de bouillon, mais aussi une mousse de jus d’orange, de vin, etc.
Et cette mousse, une fois formée, tiendra en raison de la gélification de la gélatine.
En pratique ? Dans un liquide chaud bien dégraissé, dissoudre quelques pour cent (en masse) de gélatine (feuille ou poudre), puis fouetter longuement en faisant mousser. Laisser au froid, puis utiliser pour composer une œuvre.
Une recette ?
Pour 200 g de jus d’agrume, 5 g de gélatine, 100 g de sucre
- Faire chauffer le jus avec le sucre (en chauffant le moins possible, afin de conserver la "fraîcheur" du jus)
- Dans le liquide chaud, incorporer la gélatine ramollie à l’eau froide (s'assurer qu'elle est bien dissoute)
- Foisonner en posant le récipient sur de la glace : on obtient une mousse légère, extrêmement goûteuse.
Ne pas confondre science et cuisine
Ce matin, un correspondant m'écrit, ainsi qu'à plusieurs cuisiniers, ne me demandant :
Dans le cadre d'un projet personnel et professionnel, je souhaiterai obtenir un entretien avec l'un de vos Gastronome Moléculaire afin de récolter des renseignements sur ce métier.
Gastronome
moléculaire ? D'abord, je m'étonne que le correspondant écrive à des
cuisiners pour leur demander des renseignements sur la gastronomie
moléculaire... parce que les cuisiniers ne savent pas bien ce dont il
s'agit !
Je rappelle que la gastronomie moléculaire est une discipline
scientifique, qui ne se confond pas avec la "cuisine moléculaire", qui
est une activité de cuisinier.
Donc toute opinion de mes amis cuisiniers à ce propos serait nulle et non avenue : chacun son champ.
D'autre part, pourquoi un cuisinier s'intéresserait-il au métier de la gastronomie moléculaire, qui consiste à résoudre des équations, ce qui n'est vraisemblablement pas son intérêt ni sa compétence ?
D'autre part, pourquoi un cuisinier s'intéresserait-il au métier de la gastronomie moléculaire, qui consiste à résoudre des équations, ce qui n'est vraisemblablement pas son intérêt ni sa compétence ?
Pour
ce qui me concerne, je peux répondre quand même que, puisque la
gastronomie moléculaire est une activité scientifique, le métier est le
métier de "chercheur". Ce métier s'exerce soit dans des instituts de
recherche (Inra, CNRS, Cirad...), soit dans des universités (maître de
conférence, professeur).
Ces
métiers sont parfaitement cadrés par les textes légaux, puisque, dans
les deux cas, il s'agit de métiers qui ont (aujourd'hui) le métier de
fonctionnaire. Bien sûr, cela vaut pour la France, et, dans d'autres
pays, les chercheurs peuvent avoir des statuts différents.
Quelle formation pour exercer ce métier ? Une formation scientifique, évidemment. Une thèse, aussi, par exemple.
Et
pour des questions plus ponctuelles (combien d'heures nous travaillons,
pourquoi nous avons choisi ce métier, etc.), il y a des réponses dans
la partie "Questions et réponses" de mon site https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses
vendredi 1 décembre 2017
Quand aurons-nous enfin de la "cuisine note à note" ?
Venu par internet:
A votre avis, quand la cuisine note à note sera-t-elle mise en place dans notre alimentation de la vie quotidienne ? Sera-t-elle accessible à tous?
Ma réponse :
Quand la cuisine note à note sera-telle partout ? J'espère le plus vite possible, mais je peux aussi être raisonnable, et faire les observations suivantes :
- j'ai commencé à utiliser des ustensiles de laboratoire pour faire la cuisine en 1980, et c'est à partir de 1985 que j'ai commencé à évoquer cette idée en public, ce qui correspondait à ce que j'ai nommé plus tard (en 1999) la "cuisine moléculaire"
- c'est en 1994 qu'un chef étoilé a commencé à dire qu'il faisait cette cuisine moléculaire
- et aujourd'hui, les basses températures sont partout, et les siphons se vendent dans les supermarchés les plus populaires, tandis que des gélifiants "nouveaux" sont présents partout (en France)
Il a donc fallu environ 35 ans pour une belle évolution. Supposons que ce soit pareil pour la cuisine note à note, et :
- sachant que je l'ai proposée confidentiellement en 1994
- sachant que je l'ai nommée en 1997
- sachant que j'ai commencé à la montrer en public après 2002
- sachant que Pierre Gagnaire a été le premier à la servir dans un restaurant en 2009
je prévois qu'il faudra encore environ 20 ans. Donc 2035.
Sera-t-elle accessible à tous ? Je vais tout faire pour... puisque c'est l'objectif !
A votre avis, quand la cuisine note à note sera-t-elle mise en place dans notre alimentation de la vie quotidienne ? Sera-t-elle accessible à tous?
Ma réponse :
Quand la cuisine note à note sera-telle partout ? J'espère le plus vite possible, mais je peux aussi être raisonnable, et faire les observations suivantes :
- j'ai commencé à utiliser des ustensiles de laboratoire pour faire la cuisine en 1980, et c'est à partir de 1985 que j'ai commencé à évoquer cette idée en public, ce qui correspondait à ce que j'ai nommé plus tard (en 1999) la "cuisine moléculaire"
- c'est en 1994 qu'un chef étoilé a commencé à dire qu'il faisait cette cuisine moléculaire
- et aujourd'hui, les basses températures sont partout, et les siphons se vendent dans les supermarchés les plus populaires, tandis que des gélifiants "nouveaux" sont présents partout (en France)
Il a donc fallu environ 35 ans pour une belle évolution. Supposons que ce soit pareil pour la cuisine note à note, et :
- sachant que je l'ai proposée confidentiellement en 1994
- sachant que je l'ai nommée en 1997
- sachant que j'ai commencé à la montrer en public après 2002
- sachant que Pierre Gagnaire a été le premier à la servir dans un restaurant en 2009
je prévois qu'il faudra encore environ 20 ans. Donc 2035.
Sera-t-elle accessible à tous ? Je vais tout faire pour... puisque c'est l'objectif !
Qu'est-ce que la "science des aliments" ?
Une jeune collègue vient me voir... et la discussion (amicale) me
montre qu'elle confond science et technologie... au point qu'elle ne
comprend même pas qu'il puisse y avoir une différence.
Elle m'argumente l'expression "science des aliments", mais n'a pas questionné l'expression. Car qu'est-ce que la "science des aliments" ? On se souviendra toujours, dans une telle discussion, qu'il y a une confusion possible entre le mot "science", au sens de "savoir" ou de "recherche de connaissances", le mot "connaissances" étant pris dans toute sa généralité, et le mot "science" au sens de "science de la nature", laquelle cherche les mécanismes des phénomènes, procédant par identification des phénomènes, quantification, productions de lois synthétiques, recherche inductive de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois et réfutation des théories produites.
Qu'est-ce qu'une "science des aliments", dans la seconde acception du mot "science" ? C'est manifestement autre chose que la production d'aliments, ce qui, du point de vue technique, est proche de la cuisine, et ce qui, du point de vue technologique, est une technologie, et pas de la science !
Autrement dit, la science de l'aliment, au sens des sciences de la nature, est une activité qui cherche les mécanismes des phénomènes qui ont lieux quand on construit les aliments, quand on les consomme, quand on les caractérise, quand on les recycle, que sais-je ? Mais, dans cette acception du mot "science", il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de la technologie, puisque cette activité diffère des sciences de la nature par ses objectifs et ses méthodes.
Bref, ma jeune collègue n'a pas assez précisément identifié ses objectifs, ni ses moyens. Je ne répéterai jamais assez que que le "de quoi s'agit-il ?" de Henri Cartier-Bresson était essentiel, quelle que soit l'activité !
Elle m'argumente l'expression "science des aliments", mais n'a pas questionné l'expression. Car qu'est-ce que la "science des aliments" ? On se souviendra toujours, dans une telle discussion, qu'il y a une confusion possible entre le mot "science", au sens de "savoir" ou de "recherche de connaissances", le mot "connaissances" étant pris dans toute sa généralité, et le mot "science" au sens de "science de la nature", laquelle cherche les mécanismes des phénomènes, procédant par identification des phénomènes, quantification, productions de lois synthétiques, recherche inductive de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois et réfutation des théories produites.
Qu'est-ce qu'une "science des aliments", dans la seconde acception du mot "science" ? C'est manifestement autre chose que la production d'aliments, ce qui, du point de vue technique, est proche de la cuisine, et ce qui, du point de vue technologique, est une technologie, et pas de la science !
Autrement dit, la science de l'aliment, au sens des sciences de la nature, est une activité qui cherche les mécanismes des phénomènes qui ont lieux quand on construit les aliments, quand on les consomme, quand on les caractérise, quand on les recycle, que sais-je ? Mais, dans cette acception du mot "science", il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de la technologie, puisque cette activité diffère des sciences de la nature par ses objectifs et ses méthodes.
Bref, ma jeune collègue n'a pas assez précisément identifié ses objectifs, ni ses moyens. Je ne répéterai jamais assez que que le "de quoi s'agit-il ?" de Henri Cartier-Bresson était essentiel, quelle que soit l'activité !
Reproduire la nature avec la cuisine note à note ? Non !
Un "craintif" qui venait de découvrir la cuisine note à note me demandait "A quoi cela sert-il de reproduire des carottes" ?
Il faisait référence à une série de deux diapositifs que j'avais projetées, et que voici :
Le discours qui leur correspond est le suivant. D'abord, je dis qu'une carotte (mais cela est vrai de n'importe quel ingrédient culinaire classique) est composée d'un grand nombre de molécules, appartenant à un certain nombre de catégories (que l'on nomme des "composés") : eau, cellulose, pectine, sucres, acides aminés... Dans la racine de carotte, ces molécules se sont disposées les unes par rapport aux autres d'une certaine façon, qui fait apparaître une carotte.
Mais si l'on dispose de ces composés séparément, on peut aussi les organiser différemment, et faire un objet bien différent d'une carotte. Tout aussi comestible, mais bien différent : et c'est la seconde image.
Notre "craintif" en a conclu que l'on voulait reproduire une carotte. Comment a-t-il tiré cette conclusion qui n'est pas la mienne ? Je ne sais pas... mais j'ai essayé évidemment de lui expliquer que, si l'on peut effectivement refaire une carotte, cela n'a guère d'intérêt, et il vaut mieux aller explorer des organisations différentes, pour produire des aliments nouveaux !
D'ailleurs, j'ai essayé de lui expliquer que la reproduction est toujours critiquée : la photocopie de la Joconde ne sera pas la Joconde. Et même si l'on faisait "mieux" -par exemple avec un vernis qui ne soit pas craquelé-, on reprocherait à la copie... d'être une copie.
Oui, décidément, la cuisine note à note a mieux à faire que reproduire les carottes, les viandes, ou les vins (facile, dans ce dernier cas). Il y a l'enjeu de produire des mets nouveaux, et cela est passionnant.
Que conclure, à propos de notre "craintif ? Je suis hésitant. D'abord, l'expérience me montre que, de même que l'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, on ne parvient pas à rassurer des gens qui ont peur. Alors faut-il perdre son temps à essayer ? Je suis preneur de vos conseils...
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