Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 15 septembre 2017
Les principes actifs ne sont pas tout !
Avec l'affaire du Levothyrox, je vois clairement qu'il y a une erreur à croire que les médicaments se réduisent à des principes actifs.
Commençons toutefois par ces derniers. Il est vrai que notre organisme regorge de « récepteurs », comme de petites serrures pour lesquelles il existe des molécules agissant comme des clés. Par exemple, nous avons la bouche, le palais, la langue faits de cellules, qui, pour certaines, portent à leur surface des récepteurs que peuvent « activer » les molécules de sucre, ce qui engendre l'émission d'un message vers le cerveau, qui reconnaît alors un goût sucré.
C'est aussi le cas des tissus de l'intérieur de l'organisme, vers lesquels le sang apportent des hormones, molécules circulantes qui ont une action biologique. Par exemple, le sucre est un « perturbateur endocrinien », puisqu'il conduit à des modifications des concentrations en cette hormone qu'est l'insuline.
Mais ne nous égarons pas, et revenons aux principes actifs de la pharmacie : ce sont donc des composés qui ont une action sur l'organisme. Et c'est la raison pour laquelle on en fait des médicaments. Hâtons-nous d'ajouter que ces composés bioactifs sont… bioactifs ! Ce ne sont pas des bonbons que l'on peut consommer négligemment, car s'ils ont une action bénéfique qui justifie qu'on les emploie, ils ont aussi des effets secondaires ! En effet, il est très courant qu'un composé qui a une action favorable en agissant sur un tissu (la thyroïde, par exemple) puisse avoir une action différente, éventuellement défavorable en agissant sur un autre tissu. Cela s'est vu avec une gravité particulière pour des composés antitumoraux, qui ont une action anti-proliférative, bénéfique donc, sur le tissu mammaire, mais qui ont une action néfaste sur les ovaires.
Bref, les médicaments ne sont pas des jouets, les principes actifs sont actifs. On doit les employer à bon escient, et il faut absolument des connaissances approfondies pour le faire. Réservons cela à des médecins bien formés, qui jugent non seulement de l'affection particulière que l'on veut traiter… mais aussi de tout l'état sanitaire des patients, car il peut y avoir des interactions médicamenteuses, d’autre part, et jusqu'à des interactions avec l'alimentation !
Par exemple, le monoglutamate de sodium n'est pas dangereux pour quelqu'un en bonne santé, mais il interfère avec des médicaments tonicardiaques, supprimant leur effet. Par exemple le pamplemousse est connu pour interagir avec quelques médicaments. Il ne s'agit pas d'une réduction de leur efficacité, mais d'une augmentation de la fréquence et de la gravité de leurs effets indésirables. Les médicaments concernés restent en nombre limité. Il s’agit notamment de certains médicaments contre le cholestérol, ou d’immunosuppresseurs, ou encore d'antiarythmiques, d'antidépresseurs, d'anticancéreux.
Et, pour terminer sur cette question des principes actifs, on ne doit pas s'étonner que la pharmacie cherche ses principes actifs dans les poisons ou venins : ce sont généralement des composés qui sont actifs… qui sont actifs. Et la dose fait tout ! Par exemple, alors qu'il serait très dangereux de consommer des infusions de digitale, où le composé nommé digitaline pourrait éventuellement être en très grande quantité, il devient plus sûr de prendre des médicaments à base de ce même composé nommé digitaline, la pharmacie ayant identifié les moyens de produire un médicament utile. Il y a une question de dose, donc, et les pharmaciens savent parfaitement, depuis très longtemps, que c'est la dose qui fait le poison.
D'où la question de la galénique
D'où la question de la « galénique », c'est-à-dire de la forme sous laquelle on administre un médicament. Bien sûr, il y a la qualité du « confort » qui est importante : c'est plus agréable de boire un verre d'eau pétillante et sucrée que d'avoir une injection par une seringue ! Mais la pharmacie ne choisit pas toujours. Et, notamment il faut considérer la dose de principe actif au cours du temps.
Souvenons-nous que la dose du principe actif ne doit pas dépasser un seuil, mais, d'autre part, nous voudrions ne pas être obligés de prendre des médicaments sans arrêt : la formulation doit arriver à ce tour de force de libérer le principe actif lentement, afin que, dégradé pendant qu'il est libéré, sa concentration dans l'organisme reste limité. Mieux encore, les interactions des principes actifs avec les excipients sont toutes différentes, parce que les composés et les excipients ont des constitutions moléculaires variées. C'est donc très difficile que de bien formuler les médicaments, ce qui est l'activité nommé « galénique ».
La question des génériques
Et cela nous permet d'arriver maintenant à la question des médicaments génériques. Oui, après un certain nombre d'années, les brevets des principes actifs tombent dans le domaine public, et des sociétés peuvent produire les principes actifs éventuellement moins chers que les sociétés qui ont passé des décennies à découvrir ces principes actifs, et qui ont fixé le prix de vente initial en tenant compte du financement des recherches nécessaires. Mais ces sociétés qui fabriquent des génériques n'ont pas pour autant la formule galénique qui permet à ces principes actifs d'agir comme ils le doivent ! Or nous avons vu que cela est essentiel !
Il n'est donc pas étonnant que les génériques ne soient pas toujours égaux aux médicaments initiaux, et l'affaire du Lévothyrox, où il n'est pas question de générique, mais de changement de forme galénique, vient nous le rappeler.
N'oublions pas la galénique !
jeudi 14 septembre 2017
Le public aurait peur de manger : ah bon ?
On me signale que le public aurait peur de manger. De fait, la presse bruit de telles idées (fantasmes?), une partie d'entre elle ne cessant de répéter (litanie, parce que les faits sont trop peu avérés ?) que les aliments seraient contaminés ou que l'on aurait peur des aliments en raison des risques sanitaires qu'ils feraient courir
Progressivement je me suis équipé d'une sorte de petit radar qui me fait dépister rapidement les généralisations abusives. Dire que le public a peur de son alimentation, qu'est-ce à dire vraiment ? Tout le public ? Certainement pas ! Une partie du public ? Combien ? Quelle proportion ?
En réalité, il y a de la malhonnêteté, ou de la naïveté, ou de l'ignorance, ou de la désinvolture, ou de la légèreté, à publier que le public aurait peur de son alimentation. Quant à publier que les aliments seraient contaminés, voilà donc une deuxième généralisation. Quels aliments ? Et puis, que signifie « contaminés » ?
Avec nos outils d'analyse moderne, nous pouvons détecter quelques molécules de n'importe quel composé dans n'importe quel échantillon d'aliment venant de n'importe où sur le Globe. Ces aliments sont-ils « contaminés » pour autant ? Cette question va évidemment avec la question suivante : la teneur en composés toxiques que l'on dépiste est-elle plus ou moins grande que par le passé ? Et puis, tant qu'on y est, il faut quand même savoir que tous les composés sont toxiques à des degrés divers, raison pour laquelle il n'y a pas d'aliments sains, mais des alimentations saines, avec une règle simple qu'il faut manger de tout en quantités modérées et faire de l'exercice modérément. Dans cette règle, il y a le « modéré » qui est tout, parce que c'est un adjectif, qui doit s'assortir immédiatement de la réponse à la question « Combien ? ».
Pour certains composés, telle l'eau, « modéré », cela signifie plusieurs kilogrammes. Pour d'autres composés, cela signifie bien moins, et, en général, on donne une indication de la toxicité avec un paramètre qui est le « DL50 », à savoir la dose à partir de laquelle la moitié d'un groupe de rats est tué. Cette dose s'exprime évidemment en masse par kilogramme de poids corporel, et plus les composés sont toxiques, plus cette valeur est faible. Ce qui est intéressant, c'est que des composés très toxiques, telle l'amanitoïdine des amanites phalloïdes, sont présents dans des aliments que nous jugeons admissibles, telle la girolle pour le composé précédemment nommé.
On voit donc que le « modéré » est quelque chose d'essentiel, mais on voit surtout que ce genre de discussions n'apparaît que très rarement dans les informations publiées. D'ailleurs, une partie (la mauvaise, évidemment) de la presse a souvent un bel aveuglement quand il s'agit de toxicité des aliments. Par exemple, pour la récente affaire des œufs, beaucoup de journalistes ont oublié de signaler qu'il s’agissait d'une question touchant principalement les œufs bio. Pourquoi cet oubli ? Parce que cela n'aurait pas été dans le sens du poil des lecteurs ? Je n'oublie pas que la presse doit vendre ses publications. Dans cette affaire, on a oublié de parler des risques réels, auquel cas on aurait pas dit grand chose, vu qu'on était bien au-dessous des seuils de toxicité, surtout quand les œufs entraient dans des produits transformés.
Mais mes amis auront observé que je ne parle pas de « la presse », mais d'une « partie de la presse » : on n'oubliera pas que s’il y a des journalistes sans vergogne, qui n'hésitent pas à vendre de la peur, au point que les instances professionnelles savent bien que la peur se vend mieux, ce qui est même enseigné dans les écoles de journalisme, il y a aussi des journalistes responsables, droits, intelligents. Ce qui pose la question à la fois de la confiance à accorder à des informations diffusées publiquement, et de la réglementation éventuelle de la diffusion des informations. Il n'y a pas aujourd'hui de permis de publier comme il y a des permis de conduire. N'importe qui peut dire ou écrire n'importe quoi, au nom de la sacro-sainte liberté de la presse. Cette même presse qui voudrait de la régulation sur les aliments refuse évidemment d'en avoir pour elle-même. Deux poids deux mesures.
Faut-il se faire du sang d'encre à propos de tout cela ? Je ne crois pas, car, d'une part, les enquêtes récentes montrent que le politique et la presse ne sont pas crus. Il y a seulement des langues et des plumes qui s'agitent, souvent en vue de gagner du pouvoir dans un cas, de vendre dans l'autre. Mais, d'autre part, il y a aussi le fait que le public, c'est-à-dire nous tous, ne cessons de boire (de l'alcool), de fumer, de manger des viandes (mal) cuites au barbecue, de manger du chocolat (gras plus sucre), de faire des excès, de faire insuffisamment d'exercice…
Le mieux que j'ai vu, de ce point de vue, c'est peut-être des connaissances qui fumaient des cigarettes bio ! Je n'ai jamais réussi à savoir si ces personnes étaient imbéciles, incultes ou malhonnêtes. Oui, malhonnête, car se donner des raisons pour justifier un comportement personnel que l'on sait mauvais est une forme de malhonnêteté. Mais je penche plutôt pour l'inculture, car je sais aujourd'hui que les mots « molécules », « composés », « toxicité », n'ont aucun sens, sauf inventé pour certains, de sorte que le maniement de ces mots par ces personnes est seulement une ignorance, ignorance qui conduit ces personnes à mettre sur le même plan des discours complètement fallacieux et des informations justes. Nos pauvres amis sont bien démunis pour vivre dans ce grand monde.
Mais je m'en voudrais de terminer sur cette note pessimiste, et je veux dire que je vois aussi beaucoup d'enfants qui ont soif d'apprendre, de connaître, d'étudier... C'est à nous de permettre à ces enfants d'être mieux que leurs parents, du point de vue de la connaissance, mais aussi de la morale, du jugement, de la raison, de la culture…
Il y a beaucoup à faire, et c'est là une entreprise merveilleuse qui commence à la naissance et ne s'achève jamais. Nos systèmes culturels doivent sans relâche accompagner nos amis à tous les stades de leur vie.
mardi 12 septembre 2017
Oeufs contaminés, par ma collègue Brugère-Picoux
Je suis heureux de soumettre à mes amis ce texte qui émane de Jeanne Brugère-Picoux :
"Œufs contaminés par du fipronil : une fraude scandaleuse mais sans risque
avéré pour le consommateur
L’annonce d’une contamination des œufs par le fipronil a beaucoup surpris la filière avicole puisque l’utilisation de ce produit était interdite sur tout animal (ou ses produits) pouvant être destiné à une consommation humaine.
Le fipronil est utilisé couramment comme insecticide chez les animaux de compagnie mais aussi comme produit biocide destiné à lutter contre les fourmis ou les cafards. L’utilisation frauduleuse de cet antiparasitaire était d’autant plus scandaleuse qu’il concernait un produit «bio» à base de plantes destiné à lutter contre les poux rouges dans les élevages de poules pondeuses ! Ainsi, contrairement aux affirmations de quelques écologistes ou organisations de protection animale, les élevages biologiques n’étaient pas les plus protégés par cette fraude.
Chronologie d’une fraude scandaleuse
La contamination des œufs néerlandais et belges daterait de novembre 2016 selon le ministre belge de l’agriculture Denis Ducarme. Cependant la première
notification de résultats non conformes pour le fipronil (taux de résidu dépassant la limite maximale de résidu ou LMR fixée en Europe à 0,005 mg/kg) date du 2 juin 2017 en Belgique. L’alerte avait été donnée à la suite d’un autocontrôle réalisé par une casserie à l'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), l’équivalent belge de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en France. Ces œufs provenaient d'une exploitation de poules pondeuses en Belgique. Cette détection fortuite conduit l’Afsca à bloquer la production de l’exploitation en cause dès le lendemain et la saisie des ovoproduits provenant de l’élevage, puis à leur destruction mi-juin.
Très rapidement un traitement contre les poux rouges avec le «Dega-16» est suspecté, ce produit néerlandais, à base de menthol et d’eucalyptus, étant distribué par la société «ChickFriend» dont les deux fondateurs font maintenant l'objet d'une enquête criminelle. Jusqu’à la fin du mois de juillet, les contrôles effectués en Belgique confirment la présence du fipronil dans les œufs sans que pour autant les autres pays européens en soient officiellement informés.
C’est seulement à partir du 4 août 2017 que le scandale est connu de tous avec
l’annonce de millions d’œufs retirés des rayons dans les supermarchés néerlandais et allemands. Le syndicat néerlandais des éleveurs de volailles compte alors
«plusieurs millions d’euros de pertes». Progressivement, la traçabilité des
ovoproduits permet de découvrir l’extension de la contamination dans 17 autres pays européens, dont la France ainsi qu’à Hong Kong. Plusieurs élevages néerlandais sont bloqués, les œufs sont détruits ainsi que les poules pondeuses.
En France, on a découvert progressivement que plusieurs établissements étaient concernés par des importations néerlandaises. Au 24 août 2017, on a pu ainsi identifier 14 établissements de transformation d’œufs ou d’ovoproduits, 2 centres de conditionnement d’œufs et 40 grossistes et les premières analyses réalisées ont permis de retrouver des produits contaminés (cf. encart ci-joint). Près de 45 tonnes d’ovoproduits pouvant être contaminés ont été ainsi importés en France. Des œufs en coquille contaminés ont été aussi importés. Il s’agissait de 196 000 œufs en provenance de Belgique qui ont été mis sur le marché entre le 16 avril et le 2 mai equi ont été consommés. Un deuxième lot (environ 48000 œufs), venant des Pays-Bas, portant le code 0 NL4365101(il s’agissait donc d’œufs «bio »), ont été mis envente entre le 19 et le 28 juillet chez LEADER PRICE qui a procédé au retrait des œufs encore en rayon dès qu’il a eu connaissance d’un risque de contamination (Paradoxalement, on peut remarquer que les œufs «bio» vendus par ce distributeuravaient été classés premiers au test réalisé par le journal «Que Choisir» paru le 28 août 2017, l’un des critères du test étant l’absence de contaminants comme la dioxine ou des produits vétérinaires sans spécifier lesquels).
Le fipronil est «modérément toxique»
Dès 2004, le fipronil utilisé pour l’enrobage des semis (sous le nom de REGENT) avait été suspecté d’être responsable d’une hausse de mortalité chez les abeilles françaises. Il fut alors interdit en France mais les rapports ultérieurs (dont celui de l’EFSA, l’agence européenne de sécurité alimentaire en 2013) n’ont jamais pu démontrer formellement cette toxicité pour les abeilles. Mais la controverse existe et il a fallu attendre 2014 pour que cette interdiction concerne aussi les autres pays européens pour plusieurs produits végétaux destinés à l’alimentation animale ou attractifs pour les abeilles.
En grande quantité, le fipronil est considéré comme «modérément toxique» pour l’Homme par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’Anses l’a confirmé dans son rapport du 10 août 2017.
Les cas d’intoxication connus chez l’Homme (d’origine accidentelle ou volontaire) n’ont pas permis d’observer les effets neurotoxiques signalés chez les animaux de laboratoire lors des essais de toxicité ou une mortalité mais tout au plus des troubles digestifs de gravité moyenne.
En tenant compte de la dose de fipronil la plus importante ayant été détectée dans un œuf contaminé (soit 1,2 mg/kg), l’Anses a calculé combien d’œufs pouvaient être consommés par jour pour que l’exposition reste inférieure à la dose de référence aiguë (ou acute reference dose, ARfD). Il s’agit d’un œuf ou de 10 œufs par jour pour un enfant ou un adulte respectivement. Ces doses peuvent être multipliées par 10 puisque des doses équivalentes à 10 ARfD n’ont pas permis d’observer un effet chez l’Homme, y compris chez l’enfant (soit, par exemple, près de 100 œufs fortement contaminés pour un adulte par jour). En ce qui concerne la viande, la concentration maximale retrouvée dans le muscle des poules a été de 0,175 mg/kg de muscle soit une consommation journalière de plusieurs kilogrammes de viande pour dépasser l’ARfD.
En ce qui concerne le risque lié à un effet cumulatif, il n’existe pas de données
permettant d’évoquer un tel risque pour les produits ayant été mis sur le marché en France. D’ailleurs, les analyses en cours sur tous les produits suspects d’avoir été contaminés et leur saisie si les traces de fipronil dépassent la LMR permettront de rassurer le consommateur.
Si le consommateur peut regretter que l’on n’ait pas eu immédiatement la liste de ces produits suspects, on peut aussi parfaitement comprendre que le Ministère de l’agriculture attende les résultats des analyses pour fournir cette liste ne concernant que les produits où la LMR est dépassée pour les retirer définitivement du marché, puisqu’il s’agit d’une fraude et non d’un risque
d’intoxication.
Seules les enquêtes en cours des circuits commerciaux des œufs et des ovoproduits, voire du produit «bio»frauduleux pourront démontrer l’importance de cette contamination en Europe et peut-être dans d’autres pays puis Hong Kong a été également touché. Il faut surtout espérer que la fraude n’aura eu lieu que dans la société néerlandaise ChickFriend incriminée et que le fipronil n’aura pas été utilisé dans d’autres circuits destinés à lutter contre les poux rouges, ectoparasites hématophages tant redoutés dans les élevages de pondeuses ou que d’autres produits interdits auront été utilisés. Cette dernière question se pose d’autant plus que la société ChickFriend est aussi incriminée depuis le 24 août 2017 pour avoir aussi distribué illégalement un autre produit comportant un insecticide, l’amitraze interdit dans les élevages de volailles, même pendant le vide sanitaire des bâtiments. Les enquêtes en cours permettront de connaître l’importance de ce nouveau risque de contamination dans les élevages avicoles en France.
En conclusion, ce problème des œufs contaminés au fipronil est un problème
essentiellement économique et non sanitaire pour la filière œuf et pour l’Europe et on ne connaît pas encore les conséquences économiques et judiciaires de ce
scandale. Cela n’est pas sans nous rappeler la contamination frauduleuse des
aliments destinés aux volailles par de la dioxine en Belgique il y a plusieurs années.
A l’époque le consommateur refusait de manger du poulet alors que la filière dinde, non boycottée, avait reçu les mêmes aliments contaminés...
Fipronil : liste des produits retirés de la vente en France
(http://agriculture.gouv.fr/fipronil-liste-des-produits-retires-de-la-vente-en-france
consulté le 28 août 2017)
Conformément à ses engagements, le ministère de l’Agriculture a publié une
première liste des produits commercialisés en France où des œufs contaminés ont été utilisés. Il s’agit de produits d’origine belge ou néerlandaise détectés soit dans le cadre d’un autocontrôle réalisé par les professionnels ayant reçu des œufs ou des ovoproduits suspects, soit dans le cadre d’un plan national de contrôles officiels
conduit par les services d’inspection des directions départementales en charge de la protection des populations. Ces produits ont été retirés du marché puisqu’il s’agit d’une fraude mais sans danger pour le consommateur. Ces produits n’ont pas été
rappelés car aucun n’a présenté une concentration de fibronil supérieure à la dose de référence aiguë (ARfD). Le ministère préviendra par un communiqué de presse si un dépassement de l’ARfD est observé.
La première liste publiée le 18 août correspondait à des gaufres fabriquées aux
Pays-Bas (17 produits). Cette liste a été complétée le 24 août. Elle comportait des aliments préparés avec des ovoproduits néerlandais pour la fabrication de pâtes en France mais aussi des produits d’origine belge : frangipane, muffins, brownies, pommes dauphines.
Une enquête est également en cours dans les élevages pour s’assurer de l’absence d’usage du fipronil en France.
Notes :
European Food Safety Authority, 2014. Reasoned opinion on the modification of maximum residue levels (MRLs) for fipronil following the withdrawal of the authorised uses on kale and head cabbage. EFSA Journal 2014;12(1):3543, 37
pp. doi:10.2903/j.efsa.2014.3543
Cette ARfD est la quantité maximale de substance active, exprimée en mg/kg poids corporel/jour, qui peut être ingérée par le consommateur pendant une courte période, c'est à dire au cours d'un repas ou d'une journée, dans la nourriture ou l'eau de boisson, sans effet néfaste pour sa santé
La LMR pour le fipronil a été déterminée pour aussi prévenir les risques induits par la consommation chronique de cette substance.
A la différence du fipronil, l’emploi de l’amitraze est autorisé dans certains élevages d’animaux de production comme, par exemple, les bovins.
"Œufs contaminés par du fipronil : une fraude scandaleuse mais sans risque
avéré pour le consommateur
L’annonce d’une contamination des œufs par le fipronil a beaucoup surpris la filière avicole puisque l’utilisation de ce produit était interdite sur tout animal (ou ses produits) pouvant être destiné à une consommation humaine.
Le fipronil est utilisé couramment comme insecticide chez les animaux de compagnie mais aussi comme produit biocide destiné à lutter contre les fourmis ou les cafards. L’utilisation frauduleuse de cet antiparasitaire était d’autant plus scandaleuse qu’il concernait un produit «bio» à base de plantes destiné à lutter contre les poux rouges dans les élevages de poules pondeuses ! Ainsi, contrairement aux affirmations de quelques écologistes ou organisations de protection animale, les élevages biologiques n’étaient pas les plus protégés par cette fraude.
Chronologie d’une fraude scandaleuse
La contamination des œufs néerlandais et belges daterait de novembre 2016 selon le ministre belge de l’agriculture Denis Ducarme. Cependant la première
notification de résultats non conformes pour le fipronil (taux de résidu dépassant la limite maximale de résidu ou LMR fixée en Europe à 0,005 mg/kg) date du 2 juin 2017 en Belgique. L’alerte avait été donnée à la suite d’un autocontrôle réalisé par une casserie à l'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), l’équivalent belge de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en France. Ces œufs provenaient d'une exploitation de poules pondeuses en Belgique. Cette détection fortuite conduit l’Afsca à bloquer la production de l’exploitation en cause dès le lendemain et la saisie des ovoproduits provenant de l’élevage, puis à leur destruction mi-juin.
Très rapidement un traitement contre les poux rouges avec le «Dega-16» est suspecté, ce produit néerlandais, à base de menthol et d’eucalyptus, étant distribué par la société «ChickFriend» dont les deux fondateurs font maintenant l'objet d'une enquête criminelle. Jusqu’à la fin du mois de juillet, les contrôles effectués en Belgique confirment la présence du fipronil dans les œufs sans que pour autant les autres pays européens en soient officiellement informés.
C’est seulement à partir du 4 août 2017 que le scandale est connu de tous avec
l’annonce de millions d’œufs retirés des rayons dans les supermarchés néerlandais et allemands. Le syndicat néerlandais des éleveurs de volailles compte alors
«plusieurs millions d’euros de pertes». Progressivement, la traçabilité des
ovoproduits permet de découvrir l’extension de la contamination dans 17 autres pays européens, dont la France ainsi qu’à Hong Kong. Plusieurs élevages néerlandais sont bloqués, les œufs sont détruits ainsi que les poules pondeuses.
En France, on a découvert progressivement que plusieurs établissements étaient concernés par des importations néerlandaises. Au 24 août 2017, on a pu ainsi identifier 14 établissements de transformation d’œufs ou d’ovoproduits, 2 centres de conditionnement d’œufs et 40 grossistes et les premières analyses réalisées ont permis de retrouver des produits contaminés (cf. encart ci-joint). Près de 45 tonnes d’ovoproduits pouvant être contaminés ont été ainsi importés en France. Des œufs en coquille contaminés ont été aussi importés. Il s’agissait de 196 000 œufs en provenance de Belgique qui ont été mis sur le marché entre le 16 avril et le 2 mai equi ont été consommés. Un deuxième lot (environ 48000 œufs), venant des Pays-Bas, portant le code 0 NL4365101(il s’agissait donc d’œufs «bio »), ont été mis envente entre le 19 et le 28 juillet chez LEADER PRICE qui a procédé au retrait des œufs encore en rayon dès qu’il a eu connaissance d’un risque de contamination (Paradoxalement, on peut remarquer que les œufs «bio» vendus par ce distributeuravaient été classés premiers au test réalisé par le journal «Que Choisir» paru le 28 août 2017, l’un des critères du test étant l’absence de contaminants comme la dioxine ou des produits vétérinaires sans spécifier lesquels).
Le fipronil est «modérément toxique»
Dès 2004, le fipronil utilisé pour l’enrobage des semis (sous le nom de REGENT) avait été suspecté d’être responsable d’une hausse de mortalité chez les abeilles françaises. Il fut alors interdit en France mais les rapports ultérieurs (dont celui de l’EFSA, l’agence européenne de sécurité alimentaire en 2013) n’ont jamais pu démontrer formellement cette toxicité pour les abeilles. Mais la controverse existe et il a fallu attendre 2014 pour que cette interdiction concerne aussi les autres pays européens pour plusieurs produits végétaux destinés à l’alimentation animale ou attractifs pour les abeilles.
En grande quantité, le fipronil est considéré comme «modérément toxique» pour l’Homme par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’Anses l’a confirmé dans son rapport du 10 août 2017.
Les cas d’intoxication connus chez l’Homme (d’origine accidentelle ou volontaire) n’ont pas permis d’observer les effets neurotoxiques signalés chez les animaux de laboratoire lors des essais de toxicité ou une mortalité mais tout au plus des troubles digestifs de gravité moyenne.
En tenant compte de la dose de fipronil la plus importante ayant été détectée dans un œuf contaminé (soit 1,2 mg/kg), l’Anses a calculé combien d’œufs pouvaient être consommés par jour pour que l’exposition reste inférieure à la dose de référence aiguë (ou acute reference dose, ARfD). Il s’agit d’un œuf ou de 10 œufs par jour pour un enfant ou un adulte respectivement. Ces doses peuvent être multipliées par 10 puisque des doses équivalentes à 10 ARfD n’ont pas permis d’observer un effet chez l’Homme, y compris chez l’enfant (soit, par exemple, près de 100 œufs fortement contaminés pour un adulte par jour). En ce qui concerne la viande, la concentration maximale retrouvée dans le muscle des poules a été de 0,175 mg/kg de muscle soit une consommation journalière de plusieurs kilogrammes de viande pour dépasser l’ARfD.
En ce qui concerne le risque lié à un effet cumulatif, il n’existe pas de données
permettant d’évoquer un tel risque pour les produits ayant été mis sur le marché en France. D’ailleurs, les analyses en cours sur tous les produits suspects d’avoir été contaminés et leur saisie si les traces de fipronil dépassent la LMR permettront de rassurer le consommateur.
Si le consommateur peut regretter que l’on n’ait pas eu immédiatement la liste de ces produits suspects, on peut aussi parfaitement comprendre que le Ministère de l’agriculture attende les résultats des analyses pour fournir cette liste ne concernant que les produits où la LMR est dépassée pour les retirer définitivement du marché, puisqu’il s’agit d’une fraude et non d’un risque
d’intoxication.
Seules les enquêtes en cours des circuits commerciaux des œufs et des ovoproduits, voire du produit «bio»frauduleux pourront démontrer l’importance de cette contamination en Europe et peut-être dans d’autres pays puis Hong Kong a été également touché. Il faut surtout espérer que la fraude n’aura eu lieu que dans la société néerlandaise ChickFriend incriminée et que le fipronil n’aura pas été utilisé dans d’autres circuits destinés à lutter contre les poux rouges, ectoparasites hématophages tant redoutés dans les élevages de pondeuses ou que d’autres produits interdits auront été utilisés. Cette dernière question se pose d’autant plus que la société ChickFriend est aussi incriminée depuis le 24 août 2017 pour avoir aussi distribué illégalement un autre produit comportant un insecticide, l’amitraze interdit dans les élevages de volailles, même pendant le vide sanitaire des bâtiments. Les enquêtes en cours permettront de connaître l’importance de ce nouveau risque de contamination dans les élevages avicoles en France.
En conclusion, ce problème des œufs contaminés au fipronil est un problème
essentiellement économique et non sanitaire pour la filière œuf et pour l’Europe et on ne connaît pas encore les conséquences économiques et judiciaires de ce
scandale. Cela n’est pas sans nous rappeler la contamination frauduleuse des
aliments destinés aux volailles par de la dioxine en Belgique il y a plusieurs années.
A l’époque le consommateur refusait de manger du poulet alors que la filière dinde, non boycottée, avait reçu les mêmes aliments contaminés...
Fipronil : liste des produits retirés de la vente en France
(http://agriculture.gouv.fr/fipronil-liste-des-produits-retires-de-la-vente-en-france
consulté le 28 août 2017)
Conformément à ses engagements, le ministère de l’Agriculture a publié une
première liste des produits commercialisés en France où des œufs contaminés ont été utilisés. Il s’agit de produits d’origine belge ou néerlandaise détectés soit dans le cadre d’un autocontrôle réalisé par les professionnels ayant reçu des œufs ou des ovoproduits suspects, soit dans le cadre d’un plan national de contrôles officiels
conduit par les services d’inspection des directions départementales en charge de la protection des populations. Ces produits ont été retirés du marché puisqu’il s’agit d’une fraude mais sans danger pour le consommateur. Ces produits n’ont pas été
rappelés car aucun n’a présenté une concentration de fibronil supérieure à la dose de référence aiguë (ARfD). Le ministère préviendra par un communiqué de presse si un dépassement de l’ARfD est observé.
La première liste publiée le 18 août correspondait à des gaufres fabriquées aux
Pays-Bas (17 produits). Cette liste a été complétée le 24 août. Elle comportait des aliments préparés avec des ovoproduits néerlandais pour la fabrication de pâtes en France mais aussi des produits d’origine belge : frangipane, muffins, brownies, pommes dauphines.
Une enquête est également en cours dans les élevages pour s’assurer de l’absence d’usage du fipronil en France.
Notes :
European Food Safety Authority, 2014. Reasoned opinion on the modification of maximum residue levels (MRLs) for fipronil following the withdrawal of the authorised uses on kale and head cabbage. EFSA Journal 2014;12(1):3543, 37
pp. doi:10.2903/j.efsa.2014.3543
Cette ARfD est la quantité maximale de substance active, exprimée en mg/kg poids corporel/jour, qui peut être ingérée par le consommateur pendant une courte période, c'est à dire au cours d'un repas ou d'une journée, dans la nourriture ou l'eau de boisson, sans effet néfaste pour sa santé
La LMR pour le fipronil a été déterminée pour aussi prévenir les risques induits par la consommation chronique de cette substance.
A la différence du fipronil, l’emploi de l’amitraze est autorisé dans certains élevages d’animaux de production comme, par exemple, les bovins.
samedi 9 septembre 2017
Un point d'histoire, à propos de cuisine moléculaire
Je reçois une demande d'explication, à propos de la cuisine moléculaire, et je fais une longue réponse :
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/09/un-point-dhistoire-propos-de-cuisine.html
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/09/un-point-dhistoire-propos-de-cuisine.html
Je crois qu'il est irresponsable et suicidaire de vouloir freiner l'évolution des arts.
Irresponsable, parce que priver notre jeunesse des lumières que nous avons est... irresponsable.
Suicidaire : une institution qui s'oppose à l'avancement de l'art se condamne à la péremption.
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/09/obscurantisme-academique.html
Mais, finalement, peut-être que l'interdiction favorisera le développement de l'art moderne : quand les parents interdisent, les enfants rebelles bravent l'interdiction !
Irresponsable, parce que priver notre jeunesse des lumières que nous avons est... irresponsable.
Suicidaire : une institution qui s'oppose à l'avancement de l'art se condamne à la péremption.
http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/09/obscurantisme-academique.html
Mais, finalement, peut-être que l'interdiction favorisera le développement de l'art moderne : quand les parents interdisent, les enfants rebelles bravent l'interdiction !
mercredi 6 septembre 2017
A propos de sociologie des sciences
Est-il utile de passer quelques mois dans un laboratoire pour comprendre ce que sont les sciences quantitatives ? Oui et non.
Oui, car on voit ce qu'est vraiment la science (à condition que ce ne soit pas de la technologie), mais non si l'on se contente de regarder, sans plonger dans le calcul.
Pour bien cadrer la discussion, je rappelle que les sciences quantitatives fonctionnent par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données de mesures en "lois" synthétiques, c'est-à-dire en équations
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois (parfois, les mécanismes ne sont autre que des noms collés sur des groupes de comportements)
- recherche d'une conséquence de la théorie constituée par l'ensemble des mécanismes retenus
- test expérimental de la conséquence théorique, en vue de la réfutation de la théorie, afin de l'améliorer.
A part le tout début du travail, le reste fait usage du calcul, et rien de la science quantitative ne se comprend sans comprendre le calcul. Dit autrement, comprendre la science quantitative, c'est comprendre la description précédente, ce qui est vite fait, mais, surtout, comprendre les relations entre les mesures et les mécanismes, par les équations qui sont au coeur de l'activité.
Alors oui, on peut venir passer quelques mois dans un laboratoire, pour en comprendre le fonctionnement, mais si l'on ne plonge pas dans les calculs, si ces calculs ne sont pas au centre de l'investigation, alors il y a le risque que l'on ne voit pas vraiment la science quantitative. Cela n'a aucune importance si l'on veut simplement satisfaire une curiosité, mais cela le devient si l'on fait de cette connaissance la base d'un travail ultérieur.
Or trop d'épistémologues (je n'ai pas dit "tous") sont des philosophes qui, à propos des sciences quantitatives, sont restés aux mots (de plus de trois syllabes, bien entendu : cela fait plus sérieux, plus "intellectuel"), sans plonger dans les équations. Bien sûr, les sociologues peuvent s'intéresser au groupe social constitué par les scientifiques et les relations qu'ils entretiennent avec le reste du monde, mais cela ne dit rien du contenu des sciences quantitatives : la validité de leurs travaux est limitée aux comportements humains... qui ne sont que peu différents des comportements dans d'autres groupes humains : avant d'avoir une activité scientifique, les scientifiques sont humains.
Oui, il y a l'humain, et le professionnel. Pour l'humain, c'est dit, mais pour comprendre le fonctionnement du professionnel, il y a des règles particulières, qui s'enracinent plus profondément dans les sciences, ou, dit plus clairement, qui ne se comprennent que si l'on comprend mieux les sciences, c'est-à-dire dans les équations.
Considérons par exemple la chimiométrie, qui est une discipline qui fait usage de mathématiques à propos de données d'analyse chimique. Il y a des débats pour savoir si seules les méthodes statistiques sont au coeur de la discipline, ou bien si d'autres types de mathématiques peuvent être utilisées. Il y a des débats pour savoir si la chimiométrie est une science ou une technologie, ou encore une technique. Il y a des débats pour savoir si les espoirs qu'on y met correspondent aux mots posés dans des appels d'offres, par exemple. Discuter de tout cela ? Comprendre les relations entre scientifiques quand elles sont centrées sur ces débats ? Il faut manifestement savoir de quoi l'on parle, plonger dans le détail des calculs, en comprendre la mécanique, la nature.
Je sais bien qu'un cas isolé ne fait pas une règle générale, mais j'ai du mal à m'empêcher de penser que le monde de la sociologie des sciences (faut-il un monde entier pour cela ?) devrait faire du ménage dans ses rangs. Et, comme les autres disciplines scientifiques, raidir un peu les règles de publication.
J'ai, en effet, reçu dans mon groupe de recherche une sociologue des sciences d'une des principales université du monde, dirigée par un ponte de la sociologie des sciences (on verra pourquoi je ne nomme personne précisément!). La personne était venue pendant six mois au laboratoire, et, mieux même, dans mon propre bureau. Je la tenais au courant de tout, je partageais avec elle les feuilles de calcul (qu'elle ne comprenait pas), les ébauches d'article, je l'emmenais avec moi quand je faisais des conférences, je répondais à ses questions en voiture, dans le métro… Évidemment, il est bien difficile de rester si longtemps sans « sourire », sans faire de l'ironie, de l'antiphrase… Et j'ai eu finalement la stupéfaction de voir imprimé dans sa thèse des blagues que je lui avait dites... et qu'elle avait prises au sérieux. Mais ces blagues n'étaient pas assorties de point d'ironie, et elles n'étaient pas prises comme telles : notre amie avait mis au pied de la lettre des idées évidemment insoutenables. Pis encore, je crois qu'elle n'avait rien compris à la science quantitative, parce qu'elle voyait cette dernière comme une sorte de récit, assorti de signes incompréhensibles pour elle, alors que les sciences de la nature sont précisément cela, le maniement d'équations qui tiennent si bien au phénomène.
Notre "collègue" aurait passé dix fois plus de temps avec nous que ses a priori n'auraient pas été changés. Pour comprendre la science, il faut donc faire l'effort de comprendre les équations qui sont véritablement la science, qui la structure, qui la déterminent… Oui, des explications patiemment données permettent de comprendre, à n'importe qui, mais seulement si ce n'importe qui a envie de comprendre le formalisme, s'y plonge. Pour les autres, la science est un récit, un conte qui, évidemment, n'a pas plus de validité que n'importe quelle histoire de fée ou de revenant.
Ce cas n'est pas isolé, et l'on voit trop d'articles ou de livres de sociologie ou de philosophie des sciences qui passent à côté de ce que sont vraiment les sciences quantitatives, ou qui présentent des "élaborations" où les scientifiques n'y retrouvent pas leur activité.
Comment améliorer les choses ? En introduisant du calcul dans le cursus des sciences de l'humain et de la société, en n'acceptant pas que la rigueur soit moindre que dans d'autres disciplines. Mais faut-il être plus exigeant dans ce champ que dans d'autres ? La question est épineuse, et compliquée par le fait que le discours de certaines sciences de l'homme et de la société est un discours en langage naturel, qui, de ce fait, peut être entendu par l'homme et la femme de la rue.
Oui, car on voit ce qu'est vraiment la science (à condition que ce ne soit pas de la technologie), mais non si l'on se contente de regarder, sans plonger dans le calcul.
Pour bien cadrer la discussion, je rappelle que les sciences quantitatives fonctionnent par :
- identification d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données de mesures en "lois" synthétiques, c'est-à-dire en équations
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois (parfois, les mécanismes ne sont autre que des noms collés sur des groupes de comportements)
- recherche d'une conséquence de la théorie constituée par l'ensemble des mécanismes retenus
- test expérimental de la conséquence théorique, en vue de la réfutation de la théorie, afin de l'améliorer.
A part le tout début du travail, le reste fait usage du calcul, et rien de la science quantitative ne se comprend sans comprendre le calcul. Dit autrement, comprendre la science quantitative, c'est comprendre la description précédente, ce qui est vite fait, mais, surtout, comprendre les relations entre les mesures et les mécanismes, par les équations qui sont au coeur de l'activité.
Alors oui, on peut venir passer quelques mois dans un laboratoire, pour en comprendre le fonctionnement, mais si l'on ne plonge pas dans les calculs, si ces calculs ne sont pas au centre de l'investigation, alors il y a le risque que l'on ne voit pas vraiment la science quantitative. Cela n'a aucune importance si l'on veut simplement satisfaire une curiosité, mais cela le devient si l'on fait de cette connaissance la base d'un travail ultérieur.
Or trop d'épistémologues (je n'ai pas dit "tous") sont des philosophes qui, à propos des sciences quantitatives, sont restés aux mots (de plus de trois syllabes, bien entendu : cela fait plus sérieux, plus "intellectuel"), sans plonger dans les équations. Bien sûr, les sociologues peuvent s'intéresser au groupe social constitué par les scientifiques et les relations qu'ils entretiennent avec le reste du monde, mais cela ne dit rien du contenu des sciences quantitatives : la validité de leurs travaux est limitée aux comportements humains... qui ne sont que peu différents des comportements dans d'autres groupes humains : avant d'avoir une activité scientifique, les scientifiques sont humains.
Oui, il y a l'humain, et le professionnel. Pour l'humain, c'est dit, mais pour comprendre le fonctionnement du professionnel, il y a des règles particulières, qui s'enracinent plus profondément dans les sciences, ou, dit plus clairement, qui ne se comprennent que si l'on comprend mieux les sciences, c'est-à-dire dans les équations.
Considérons par exemple la chimiométrie, qui est une discipline qui fait usage de mathématiques à propos de données d'analyse chimique. Il y a des débats pour savoir si seules les méthodes statistiques sont au coeur de la discipline, ou bien si d'autres types de mathématiques peuvent être utilisées. Il y a des débats pour savoir si la chimiométrie est une science ou une technologie, ou encore une technique. Il y a des débats pour savoir si les espoirs qu'on y met correspondent aux mots posés dans des appels d'offres, par exemple. Discuter de tout cela ? Comprendre les relations entre scientifiques quand elles sont centrées sur ces débats ? Il faut manifestement savoir de quoi l'on parle, plonger dans le détail des calculs, en comprendre la mécanique, la nature.
Je sais bien qu'un cas isolé ne fait pas une règle générale, mais j'ai du mal à m'empêcher de penser que le monde de la sociologie des sciences (faut-il un monde entier pour cela ?) devrait faire du ménage dans ses rangs. Et, comme les autres disciplines scientifiques, raidir un peu les règles de publication.
J'ai, en effet, reçu dans mon groupe de recherche une sociologue des sciences d'une des principales université du monde, dirigée par un ponte de la sociologie des sciences (on verra pourquoi je ne nomme personne précisément!). La personne était venue pendant six mois au laboratoire, et, mieux même, dans mon propre bureau. Je la tenais au courant de tout, je partageais avec elle les feuilles de calcul (qu'elle ne comprenait pas), les ébauches d'article, je l'emmenais avec moi quand je faisais des conférences, je répondais à ses questions en voiture, dans le métro… Évidemment, il est bien difficile de rester si longtemps sans « sourire », sans faire de l'ironie, de l'antiphrase… Et j'ai eu finalement la stupéfaction de voir imprimé dans sa thèse des blagues que je lui avait dites... et qu'elle avait prises au sérieux. Mais ces blagues n'étaient pas assorties de point d'ironie, et elles n'étaient pas prises comme telles : notre amie avait mis au pied de la lettre des idées évidemment insoutenables. Pis encore, je crois qu'elle n'avait rien compris à la science quantitative, parce qu'elle voyait cette dernière comme une sorte de récit, assorti de signes incompréhensibles pour elle, alors que les sciences de la nature sont précisément cela, le maniement d'équations qui tiennent si bien au phénomène.
Notre "collègue" aurait passé dix fois plus de temps avec nous que ses a priori n'auraient pas été changés. Pour comprendre la science, il faut donc faire l'effort de comprendre les équations qui sont véritablement la science, qui la structure, qui la déterminent… Oui, des explications patiemment données permettent de comprendre, à n'importe qui, mais seulement si ce n'importe qui a envie de comprendre le formalisme, s'y plonge. Pour les autres, la science est un récit, un conte qui, évidemment, n'a pas plus de validité que n'importe quelle histoire de fée ou de revenant.
Ce cas n'est pas isolé, et l'on voit trop d'articles ou de livres de sociologie ou de philosophie des sciences qui passent à côté de ce que sont vraiment les sciences quantitatives, ou qui présentent des "élaborations" où les scientifiques n'y retrouvent pas leur activité.
Comment améliorer les choses ? En introduisant du calcul dans le cursus des sciences de l'humain et de la société, en n'acceptant pas que la rigueur soit moindre que dans d'autres disciplines. Mais faut-il être plus exigeant dans ce champ que dans d'autres ? La question est épineuse, et compliquée par le fait que le discours de certaines sciences de l'homme et de la société est un discours en langage naturel, qui, de ce fait, peut être entendu par l'homme et la femme de la rue.
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