lundi 29 décembre 2014

Que faire dans une école d'ingénieur ou dans une université ?

Beaucoup de mes jeunes amis qui sont admis dans des écoles d'ingénieurs en suivent les cours. Disons plus exactement : "se contentent d'en suivre les cours". Est-ce une bonne chose ?

Bien sûr, les équipes pédagogiques sont composées d'enseignants-chercheurs, personnes remarquables puisqu'elles ont été choisies pour occuper ces fonctions. Comme on dit depuis le XII e siècle, Dieu a couronné le monde en créant le professeur d'université...
Toutefois mon expérience d'étudiant m'a montré que certains de nos enseignants ne méritaient pas toute l'immense considération que nous  avions pour  eux a priori. La Loi du Petit Wolfgang stipule que, parmi un groupe humain, il y a une proportion que l'on voudrait... mieux qu'elle n'est. Dans les professeurs que nous avons, il y en a effectivement de merveilleux, intelligents, bienveillants... et d'autres qui pourraient faire plus d'efforts (je reste poli).

De surcroît, les "négociations" qui ont toujours lieu, entre les divers champs disciplinaires, pour la constitution d'un cursus pédagogique, conduisent parfois à des propositions pédagogiques qui  s'éloignent de ce que l'on voudrait idéalement, pour les étudiants. Par exemple, je vois nombre d'étudiants en école de chimie qui ne font presque plus de mathématiques, alors que les méthodes de calcul s'imposent pour traiter les systèmes complexes tels que les objets technologiques actuels. Est-ce bien raisonnable de cesser cet enseignement dès  les concours passés ? Peut-on raisonnablement admettre que les mathématiques  qui sont apprises en Classes préparatoires suffisent pour la suite de la carrière professionnelle ?
Pour l'université, d'ailleurs, la question est la même... à cela près que la dose de mathématiques est généralement encore plus réduite.
 Et des ingénieurs, dans des écoles de "physique", de mécanique, d'optique, etc. peuvent-ils ignorer la chimie, ou, du  moins, n'en savoir que le peu  qu'ils ont appris lors de leurs études ? Plus généralement, quelles compétences doivent être celle d'un jeune ingénieur, fraîchement diplômé, qui cherche à proposer ses talents, ses forces, son intelligence ?


 La question est rude, et l'expérience prouve que nos jeunes amis se reposent très  souvent sur le cursus qui leur est proposé. Ils se contentent de suivre les cours.
Mais faut-il que de futurs cadres laissent ainsi passer une occasion de décider de leurs connaissances et compétences ? Doivent-ils accepter de se laisser "ballotter" par leur école  ? En entrant dans cette dernière (idem pour l'université, entre le L2 et la fin du mastère), ne peuvent-ils se choisir un chemin, ou, du moins, s'assurer que celui qu'on leur propose est convenable, pour le projet professionnel qu'ils ont ? Faut-il être une oie que l'on gave ?

Je propose de penser qu'un cadre, c'est quelqu'un qui sait donner du travail à lui-même  et aux  autres. Sinon, il n'est pas un cadre, mais un exécutant. Or dans une école d'ingénieur, on doit apprendre... à être un ingénieur, donc un cadre !
Il n'y a que trois ans pour apprendre cela : pas de temps à perdre !

dimanche 28 décembre 2014

La Loi du Petit Wolfgang

Quand le petit Wolfgang était petit, et qu'il allait à l'école primaire, il s'étonnait.
Tout d'abord, on lui demandait d'apprendre des récitations, mais on ne lui disait pas comment. Oui, après tout, son père ne lui  avait-il pas dit qu'il allait à  l'école pour apprendre (notamment) ? Il était plein de courage, d'ardeur, d'enthousiasme, même... mais quand il devait apprendre une récitation, comment devait-il s'y prendre  ? Les professeurs n'étaient-ils là  que  pour noter des résultats, ou bien devaient-ils enseigner ? Il y  eut, à ce propos, des échanges  assez vifs entre parents et enseignants.
Même chose pour apprendre à écrire avec un stylo : comment doit-on le tenir ? Surtout, comme pour la question précédente, y a-t-il des méthodes meilleures que d'autres ? Sur quelles bases se fonder pour le savoir ? Comment le savoir ? Comment éviter les idiosyncrasies (jamais un mot n'a si bien eu une connotation) des enseignants ? Le petit Wolfgang était désemparé, ou résigné.
Puis il y eut ce moment où il comprit qu'il avait une obligation de résultats, et qu'il n'allait peut-être pas à l'école pour apprendre, pour avoir la joie d'apprendre. Et, une fois cette étape dépassée, de bonnes notes obtenues, pour contenter tout son entourage, il s'étonna,  et revint un jour de l'école en disant : "Sur 30 enfants dans la classe, 27 ne font rien. Que vont-ils devenir ?".
Oui, la question est excellente. Que vont-ils devenir, sachant que leur comportement face à  l'enseignement ne change guère avec les années ?
La réponse est connue. Ils vont devenir adultes, ils vont devenir techniciens, artistes, juristes, médecins, ouvriers, ingénieurs, vendeurs... enseignants, même !
Oui, sur les 27 de la classe, ils vont devenir enseignants... de sorte que l'étudiant doit avoir une stratégie d'apprentissage qui en tienne compte ! Tout comme l'enseignant face à  un groupe de 30 élèves, de 30 étudiants.
D'ailleurs, moi-même qui vous écrit, n'ai-je pas 27 sur 30 de moi-même dont j'ai un peu honte ?

samedi 27 décembre 2014

L'intelligence ? Un devoir, une politesse, une amitié...

La politesse, c'est se préoccuper des autres, contribuer, avec nos forces
personnelles, à leur faire une vie aussi rayonnante que possible. Nous avons
donc une première obligation : soumettre à leur jugement des idées aussi
plaisantes que possible, au lieu de semer le doute, l'inquiétude, la peur, la
colère...
Toutefois cela n'est pas suffisant. Je crois que la bonne monnaie doit chasser
la mauvaise, et que nous devons aussi essayer de contribuer à leur
embellissement spirituel. Le physico-chimiste britannique Michael Faraday
allait, une fois par semaine, dans un club d'"amélioration de l'esprit", et il
s'entraînait à s'élever l'esprit. Dans la même veine (mais sutor non supra
crepidam
, bien sûr), je me souviens vous avoir entretenu du concept de "belles personnes", ceux et celles qui nous apportent, dans la discussion, de quoi nous élever.
Notre condition humaine est terrible : nous sommes des animaux tiraillés par la faim, le froid, la peur des "prédateurs", le sexe... Nous sommes en proie à la
lie, la boue du monde, et le diable est tapi derrière chaque geste, chaque
interaction sociale, chaque parole... A nous de le mettre en déroute, par
l'intelligence que nous pouvons mettre dans ce que nous faisons, et notamment dans les discussions que nous avons avec les autres.

Décidément, l'intelligence est une politesse que nous devons à nos
interlocuteurs, n'est-ce pas ?

L'intelligence ? Un devoir, une politesse, une amitié...

La politesse, c'est se préoccuper des autres, contribuer, avec nos forces
personnelles, à leur faire une vie aussi rayonnante que possible. Nous avons
donc une première obligation : soumettre à leur jugement des idées aussi
plaisantes que possible, au lieu de semer le doute, l'inquiétude, la peur, la
colère...
Toutefois cela n'est pas suffisant. Je crois que la bonne monnaie doit chasser
la mauvaise, et que nous devons aussi essayer de contribuer à leur
embellissement spirituel. Le physico-chimiste britannique Michael Faraday
allait, une fois par semaine, dans un club d'"amélioration de l'esprit", et il
s'entraînait à s'élever l'esprit. Dans la même veine (mais sutor non supra
crepidam
, bien sûr), je me souviens vous avoir entretenu du concept de "belles
personnes", ceux et celles qui nous apportent, dans la discussion, de quoi nous
élever.
Notre condition humaine est terrible : nous sommes des animaux tiraillés par la
faim, le froid, la peur des "prédateurs", le sexe... Nous sommes en proie à la
lie, la boue du monde, et le diable est tapi derrière chaque geste, chaque
interaction sociale, chaque parole... A nous de le mettre en déroute, par
l'intelligence que nous pouvons mettre dans ce que nous faisons, et notamment
dans les discussions que nous avons avec les autres.
Décidément, l'intelligence est une politesse que nous devons à nos
interlocuteurs, n'est-ce pas ?

mercredi 24 décembre 2014

Superstition

Je retrouve ce texte qui me dit "il faut utiliser le terme "superstition" avec beaucoup de prudence"... et je me dis qu'il commence mal : "il faut", "on doit", "il ne faut pas", "on ne doit pas"... sont des termes... interdits ;-) dans notre Groupe de gastronomie moléculaire, où nous préconisons plutôt l'usage de la raison.
D'ailleurs le texte en question continue avec "Il convient", qui n'est guère mieux.

Plus loin, le texte nous dit "Les recettes "médicales" à base de tisane que l'on peut trouver chez certains guérisseurs relèvent-elles de la superstition ou d'une connaissance séculaire des vertus médicinales de plantes"  ? Là, j'ai répondu, dans un billet précédent, que les médecines anciennes méritent de ne pas être dénommées des "médecines" avec des guillemets, mais simplement des "médecines". Et ces dernières se jugent à leur efficacité. L'aspirine est une modification d'une connaissance ancienne, à savoir que les extraits de saule étaient (un peu) efficaces contre les fièvres. Mais la pharmacie a appris à faire mieux, en transformant l'acide salicylique en acide acétylsalicylique. De même pour la digitaline, des digitales : la pharmacie a appris à l'extraire et la doser mieux que dans des tisanes !

Plus loin : "Les "prophéties" concernant le temps à venir relèvent-elles de la superstition ou d'une connaissance intuitive de certains mécanismes naturels?" Là, on peut observer que notre auteur met des guillemets (à nouveau) à "prophétie"... mais sont-ils nécessaires ? Une prophétie, dès 1119, c'est une prédiction faite par inspiration divine. Le terme est donc mal employé. A moins que l'usage ait été voulu, auquel cas ce serait la rhétorique du dragon chinois : on crée un dragon de papier, puis on le pourfend afin de montrer que l'on est l'égal de Saint Georges. Pour le point technique, il est mal venu de parler de prophétie, car il s'agit seulement d'observations répétées, et de l'observation de régularités. Là encore, on retrouve une situation analogue  à celle  de la pharmacie... et là encore, on peut s'émerveiller des progrès  de la météorologie moderne, par rapport aux savoirs anciens, souvent périmés.

Mais j'arrive maintenant au point essentiel : "Les "esprits forts" qui aiment utiliser le mot de  superstition en parlant des croyances populaires feraient bien de constater que ce qu'ils appellent "la superstition" et que nous  préférons appeler quête de l'irrationnel, se retrouve dans toutes les couches sociales de la population. La cause principale de ces phénomènes n'est pas l'ignorance, comme le pensent ces descendants des philosophes du siècle des Lumières. Si ces croyances populaires, que l'on trouve surtout aux grandes étapes de la vie, aux grands moments du calendrier traditionnel, et qui concernent la ferme et ses dépendances, ont gardé une certaine vitalité, c'est parce qu'elles apportent une réponse à des questions vitales que les nommes se posent. A notre avis, à la base de nombreuses croyances populaires, il y a l'angoisse de l'homme."

Voilà un gros morceau, qui mérite des commentaires. D'abord, notre homme fait une pétition de principe, en accusant tous les "esprits forts" de confondre superstition et croyances populaires. On peut être un esprit fort un peu subtil, et bien distinguer les superstitions, d'une part, et les croyances populaires... mais notre homme ne savait pas utiliser les bons mots, quand il s'agissait de prévision, de prédiction ou de prophétie, alors pourquoi serait-il plus subtil ici ?
Je propose de distinguer les trois termes superstition, croyances populaires, quête de l'irrationnel. La quête, c'est une quête ; pas un simple besoin, comme il aurait pu le dire si sa pensée avait été plus aiguisée.
Ce penchant (d'accord, je connote) pour l'irrationnel, cette forme de la pensée magique (d'accord, j’interprète) est-il de toutes les couches sociales ? Pourquoi pas : on voit mal pourquoi il ne serait pas répandu partout... d'autant que je suis de ceux qui ne voient pas dans la "richesse" un parallèle avec l'intelligence, la raison, etc.
Autre pétition de principe, quand il accuse les "esprits forts" de croire que les superstitions seraient fondées sur l'ignorance. Ne pourrait-on invoquer l'insécurité fondamentale de l'individu, plus simplement ? Ou la pensée magique ?
Enfin, et surtout, il nous dit que les croyances apportent une réponse à des questions "vitales" : vitales, vraiment ? Pardonnez à quelques esprits forts de bien vivre sans ces réponses ! D'autre part, une réponse mauvais reste une réponse mauvaise : n'aurions-nous pas intérêt à chercher de bonnes réponses ?
Et puis, pour en terminer : l' "angoisse de l'homme"... Ah, la fameuse angoisse de l'homme : je ne dénie pas à cet homme d'être angoissé, mais qu'il me pardonne de ne pas l'être. Le pape Jean-Paul II avait bien raison à de dire à des hommes de ce type "N'ayons pas peur"... mais je crois que le conseil est inutile. Mon père parle bien de "sécurité de base", ce sentiment de bien être dans la vie qu'ont certains individus qui ont été aimés convenablement quand ils étaient enfants. Les autres auront-ils peur toute leur vie ? Si c'est le cas, je les plains. Vive le verre (plus qu') à moitié plein. Trink, comme disait notre bon Rabelais !

samedi 20 décembre 2014

Les questions étincelles


Evidemment, cette idée a des rapports avec le concept des "belles personnes", que j'avais  développé naguère : ces personnes qui poussent l'amitié qu'elles vous portent en vous surprenant, chaque rencontre, par de nouvelles idées qu'elles vous soumettent. Elle a sa part de naïveté qui lui fait échapper à la rouerie de trop de personnes que l'on prétend intelligentes, mais qui, tels les rhéteurs dénoncés par Platon, sont des esprits faux, méchants, malhonnêtes, en un mot. Mais on se souvient que je propose de garder en tête que "le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". 
Revenons aux questions étincelles. Je les oppose aux questions étouffoirs, ces questions dont la réponse est factuelle, à ras de terre, cette victoire des géants contre les dieux de la mythologie alémanique, cette poussière du monde de Shitao. J'insiste : les questions étouffoirs sont des transmissions d'information sans plus de valeur que les bits qui les codent. Quelle heure est-il ? Comment ça va ? Vous avez vu ce film ? Vous avez lu ce livre ? Des conventions, qui révèlent, en creux, que  nos interlocuteurs n'ont pas d'égard pour nous, en un mot qu'ils ne nous aiment pas.  
Sortons de la fange, redressons-nous, et repartons dans le clair azur de notre monde de questions étincelles. Ce sont les questions qui nous font penser, les questions qui nous poussent à entreprendre, à explorer, à travailler... C'est ainsi que je vois, idéalement, une thèse de sciences de la nature : le directeur de thèse pose une question, des questions, et le doctorant fait son chemin, en quête de réponses... ou pas. Disons seulement "en quête", et cela suffira. Les questions étincelles : des cadeaux  que l'on nous a fait, des échos de ce "Enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier". Elles sont, je crois, la base d'un bon enseignement : celui qui n'occupe pas inutilement les emplois du temps, celui qui fait confiance aux  étudiants, qui iront sur un chemin balisé, mais qui marcheront d'eux-mêmes, sans qu'on les tire vers l'abattoir.  
On le voit, je ne mégote pas avec les métaphores, pour discuter cette question des questions étincelles, mais c'est que je veux y mettre de la vie, du... feu ! 

vendredi 19 décembre 2014

Rattraper une béarnaise (Mon histoire de cuisine)

Avec un poisson, une belle béarnaise ?

C'est l'occasion de rectifier des erreurs de l'enseignement culinaire. D'une part, une béarnaise n'est pas une émulsion, mais surtout une suspension émulsionnée : quand on chauffe, l'oeuf coagule, formant de petits grumeaux, qui donnent de la viscosité, comme dans une crème anglaise. Certes, il y a une émulsion, puisque le beurre ajouté fond, et qu'il est émulsionné par le fouet.

Emulsionnné : nous sommes bien d'accord, à savoir que c'est la dispersion de matières grasse dans un liquide, et non pas la dispersion de bulles d'air, ce qui fait une mousse, et non une émulsion.
Dans les béarnaises, quand on s'y prend d'une certaine façon, en foisonnant l'oeuf et le liquide, avant d'ajouter le beurre, on peut obtenir une mousse. Laquelle s'ajoute à la suspension. Et la sauce finalement obtenue est alors une suspension foisonnée et émulsionnée.

Enfin, il y a la question des émulsions qui seraient stables ou instables. Une émulsion n'est jamais stable ! Toujours instable !  Certes, il y en a qui sont plus stables que d'autres, mais toutes finiront par se séparer, par crémage et sédimentation. Aux étudiants de Master, ici, à l'AgroParisTech, j'enseigne comment stabiliser des émulsions (voir les "cours en ligne", publics et gratuits), mais les calculs seraient hors de propos. Je me contente de signaler que ces questions sont discutées largement dans "Mon Histoire de Cuisine", paru aux Editions Belin.