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Lors d'un précédent
billet, j'ai vanté l'intelligence remarquable de la méthode mise en
oeuvre par les sciences quantitatives. Ici, je voudrais faire part
d'une caractéristique merveilleuse et hélas trop méconnue des
sciences quantitative : la validation.
C'est quelque chose qui
n'est guère enseigné au collège, au lycée, ou même à
l'université. Au mieux, on nous dit qu'il faut « vérifier »
les calculs, en les refaisant, en faisant une estimation du résultat,
un ordre de grandeur, afin de voir que le résultat obtenu n'est pas
exorbitant. C'est bien insuffisant, toutefois.
Or la validation est
quelque chose de vraiment essentiel, et il faut répéter qu'il n'y a
pas de travail scientifique sans beaucoup de validation.
De quoi s'agit-il ? Il
s'agit de considérer, d'une certaine façon, que le diable est caché
derrière tout résultat expérimental, derrière tout calcul. De ce
fait, nous devons considérer a priori que nos résultats
scientifiques, sont faux.
Oui, nos propres
résultats, ces résultats que nous avons obtenus à la sueur de
notre front, sont biaisés, gauchis, erronés, fautifs... Malgré
tous le soin avec lequel nous avons préparé nos expériences,
malgré tout le temps que nous avons consacré à nos études, nous
devons craindre d'avoir laissé passer des erreurs, tels des poissons
dans un filet percé. De même pour les calculs : même s'ils
nous ont fait transpiré, même si nous avons séché pendant des
jours, nous devons craindre qu'ils soient faux.
En conséquence de quoi
nous devons trouver des moyens de tester les résultats
expérimentaux, les calculs.
Au minimum, au tout petit
minimum, une expérience doit être refaite plusieurs fois de suite.
Pour les calculs, c'est une autre affaire, bien plus intéressante,
et je propose de discuter cela une autre fois.
Revenons donc aux
expériences et à leurs résultat. Il s'agit donc de refaire les
expériences, mais pas de les refaire « automatiquement »,
telles des machines, pas les refaire à l'identique, sans quoi,
évidemment, les mêmes erreurs se produiront à nouveau. Il s'agit
de les refaire en exerçant un esprit critique, en remettant en
question tous les gestes qui ont été faits pour pour la production
du résultat. Non seulement nous devons pouvoir justifier toutes les
caractéristiques des expériences, mais nous devons douter de la
façon dont elles sont conduites, dont nous les avons nous-mêmes
conduites, et des résultats qui sont donnés
Un
exemple : la simple mesure d'une température. Ordinairement,
dans la vie quotidienne, on prend un thermomètre et on lit
l'indication qu'il donne. En science, le strict minimum consiste à
douter de la fiabilité de cet instrument de mesure, à le plonger
par exemple dans un récipient contenant de l'eau et de la glace (ce
que l'on nomme de la glace fondante), afin de vérifier que
l'indication est bien 0 °C, puis à plonger le même thermomètre
dans l'eau bouillante, afin de vérifier que l'on obtient bien cette
fois une indication de 100 °C.
Deux mesures, c'est une
indication, pas plus... alors que l'on s'intéresse à des valeurs
qui ne sont ni 0 ni 100, mais à toutes les valeurs dans cette gamme.
Avoir foi que que l'instrument donnera les bonnes mesures entre 0 et
100 alors qu'il donne seulement des mesures correctes pour 0 et pour
100 ? C'est la porte ouverte au diable.
Bref lors d'une
expérience, il y a lieu de douter de tout, toujours, tout le temps,
à tout moment, et l'on comprend que la répétition n'est qu'une
indication de plus, guère mieux. Le bon scientifique a des raisons
de mal dormir, car il ne doit compter que sur lui-même, se
surveiller, s'évaluer, se corriger, craindre le diable... Chaque
résultat doit être reproduit, discuté prudemment, obtenu par
d'autres moyens... validé en un mot.
Est-ce une prudence
excessive ? La question des « extractions » trouve que
non. Par exemple, récemment, dans notre groupe, nous avons mis au
point une nouvelle méthode d'analyse des sucres dans les tissus
végétaux, et, après un long travail, nous avons montré que la
meilleure méthode d'extraction de ces sucres, afin de les doser,
était fautive de près de 50 % !
D'autre part, toujours
dans notre laboratoire, des collègues qui s'intéressent aux
éléments métalliques dans les végétaux ont montré que même
avec l'utilisation d'eau régale bouillante (un mélange d'acide
nitrique et d'acide sulfurique concentrés) ne ne permettait pas de
séparer la totalité des métaux présents, en vue de leur analyse.
Les erreurs, dans ce cas atteignent environ 10 %.
Dix pour cent, alors que
nos méthode d'analyse sont juste à la partie par millième de
milliardième ! On voit bien qu'il il y a là de quoi travailler
beaucoup, et surtout, de quoi douter beaucoup, toujours, de nos
résultats.
Il y a lieu de valider, et
ce mot de validation doit absolument être prononcé très
répétitivement devant les élèves, les étudiants, qu'ils soient
en formation initiale ou en plein exercice de la science.