Une question m'est posée :
"A propos de l'avenir de la cuisine note à note : cette cuisine vous paraît devoir s'imposer, pour pallier le manque d'énergie, d'eau, tout en répondant aux besoins croissants d'alimentation. N'êtes vous pas aussi un peu "marchand de peur" ? Et si je suis votre prévision de l'avenir de la cuisine, le poireau ou la fraise seront ils demain un produit de luxe ?
Une réponse succincte :
Pour le "marchand de peur", non, je ne fais rien craindre : c'est une certitude que le modèle alimentaire doit changer, et la cuisine note à note est une solution très positive. Pourquoi serait-elle anxiogène ? La perspective de nouveaux goûts, c'est quand même une promesse de bonheur, non ?
Oui, d'autre part, si la population continue d'augmenter, la fraise et le poireau seront des objets de luxe, comme l'est la morue aujourd'hui, les ortolans, etc.
Mais, au fait, pourquoi être accroché à la fraise et au poireau? Le sommes nous tant que cela à au musicien Marin Marais ? La plupart des jeunes le connaissent même pas ! Et puis, le poireau... Un de perdu, des milliards de retrouvés ! Pourquoi nous intéresserions-nous au poireau ?
La fraise ? La moitié arrivent pourries, quand on n'a pas de jardin. J'ai toujours peur du fétichisme qui s'emparent de nous.
Tiens, les livres : dans mon petit ordinateur, j'ai toute l'oeuvre de Diderot, Voltaire, Proust, Rabelais, Flaubert... Pourquoi aurais-je des objets en papier qui prennent la poussière sur des bibliothèques, où je pourrais mieux faire, en accrochant des tableaux ? J'adore les "livres"... mais pas pour les objets (fétichismes), mais pour le texte intelligent qu'ils contiennent.
Donc pas de peur à avoir, mais du travail à faire. Ca, c'est merveilleux!
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 20 janvier 2012
mardi 17 janvier 2012
On me demande des recettes de cuisine note à note ?
Recettes note à note
Apéritif : Feuille morte
A 600 mL d'eau, ajouter 40 mL d'éthanol, 0,0001 g de phosphate de calcium, 0,001 g de phosphate de sodium, 0,3 g de tanins oenologiques, 3 g de glucose, 1 goutte d'une solution diluée de paraéthyl phénol.
A 600 mL d'eau, ajouter 40 mL d'éthanol, 0,0001 g de phosphate de calcium, 0,001 g de phosphate de sodium, 0,3 g de tanins oenologiques, 3 g de glucose, 1 goutte d'une solution diluée de paraéthyl phénol.
Apéritif Effervescence :
Préparer une solution de glucose (20 g) dans de l'eau (500 mL), ajouter 20 % d'éthanol et une cuilleré à soupe de polyphénols.
Puis au moment de servir, verser une petite cuillerée d'un mélange acide tartrique/bicarbonate de sodium (2:1)
Note à noeuf (adapté de Frédéric Lesourd, Chef à l'Ecole du Cordon bleu Paris)
1. L'orange
Faire un total de 60 g avec :
une pointe de couteau de carotène beta
une cuillerée de lécithine de soja
de l'eau
de l'huile de tournesol émulsionnée vigoureusement
des agrégats de protéines obtenus par le procédé suivant :
- dilution d'un blanc d'oeuf dans autant d'eau
- ajout de sel (salting out)
- filtration des fractions précipitées
- chauffage de ces fractions à 100 °C jusqu'à coagulation
une pincée de sel
une cuillerée de glucose
quelques gouttes de vinaigre cristal
2. Le bleu
Dans 200 mL d'eau chaude, saler, dissoudre 10 feuilles de gélatine, une goutte de bleu patenté, puis aussitôt le fouetter très vigoureusement afin d'obtenir une quantité considérable de mousse.
Dans 200 mL d'eau chaude, saler, dissoudre 10 feuilles de gélatine, une goutte de bleu patenté, puis aussitôt le fouetter très vigoureusement afin d'obtenir une quantité considérable de mousse.
Verser cette mousse à la louche dans des bols tapissés d'un film plastique alimentaire, et les mettre au frais (la mousse va gélifier).
3. Le support :
A la poele, cuire de la fécule de pomme de terre jusqu'à couleur blonde ou brune (en remuant bien) à sec. Plutôt vers le blond, car on a ainsi un goût de champignon.
3. Le support :
A la poele, cuire de la fécule de pomme de terre jusqu'à couleur blonde ou brune (en remuant bien) à sec. Plutôt vers le blond, car on a ainsi un goût de champignon.
Mettre une partie de cette fécule torréfiée dans un saladier avec du gluten et de l'eau, travailler pour faire une boule, l'étendre au rouleau et prélever des disuqes 7 cm à l'emporte pièce. Les cuire sur papier sulfurisé à 180°C pendant 20 min.
4. Le gauss
Sur un film transparent, étaler du surimi en couche mince (2 mm), puis au pinceau, mettre une couche de la graisse ainsi préparée :
– dans un réfrigérateur, mettre de l'huile d'olive et attendre une cristallisation qui sédimente ; décanter, et récupérer la partie solide
– colorer cette partie avec un colorant alimentaire rouge
Mettre au froid, puis plier en deux répétitivement jusqu'à obtenir un pavé de 5 cm d'épaisseur. Mettre au grand froid, puis couper des parallélépipèdes très minces.
5. La sauce wöhler
4. Le gauss
Sur un film transparent, étaler du surimi en couche mince (2 mm), puis au pinceau, mettre une couche de la graisse ainsi préparée :
– dans un réfrigérateur, mettre de l'huile d'olive et attendre une cristallisation qui sédimente ; décanter, et récupérer la partie solide
– colorer cette partie avec un colorant alimentaire rouge
Mettre au froid, puis plier en deux répétitivement jusqu'à obtenir un pavé de 5 cm d'épaisseur. Mettre au grand froid, puis couper des parallélépipèdes très minces.
5. La sauce wöhler
- fondre à chaud 100 g glucose, 2 g acide tartrique, dans 20 mL d'eau,
- ajouter 2 g de polypénols
- porter à ébullition
- lier avec fécule de pomme de terre (environ une cuillerée à café)
- hors du feu émulsionner de la graisse récupérée dans la partie liquide de l'huile fractionnée
- ajouter solution de diacétyle
- mettre une goutte d'une solution de 1-octen-3-ol dans de l'huile.
Dressage :
Poser disque de farine torréfiée
Dessus, bleu démoulé face plate vers le haut
Poser dessus l'orange
En biais, parallélépipède de gauss
En biais, parallélépipède de gauss
Autour, un trait de sauce wöhler
Un Patrick Terrien
Pour 15 portions (de 35 g chacune)
200 g de petit lait (extrait d’une clarification de beurre)
200 g d’eau
30 g de lait en poudre
10 g de yaourt poudre
4 g de sel
4 g de carraghénane iota
1 g d'agar agar
100 g d'huile neutre à ajouter en fin de préparation
1 goutte d'une solution diluée d'heptanone (0,2 g dans 10 g).
1. Récupérer le petit lait d’une clarification de beurre, passer au chinois étamine
2. Ajouter les autres ingrédients (sauf la matière grasse) sur feu moyen en mélangeant au fouet doucement, au frémissement (avant ébullition), retirer du feu et ajouter la matière grasse…
3. passer au chinois et mouler. Refroidir
Servir avec un caramel déglacé avec une solution de sotolon.
Ou bien avec des fibres récupérée d'un pressage de persil, hachées (ou coton hydrophile haché), puis blanc d'oeuf, séché à l'air libre ou à tiède, et on enduit le solide broyé grossièrement avec une dissolution de sotolon dans l'huile.
Fibré
Prendre de la farine de blé. Faire une lixiviation pour récupérer l'amidon.
Ajouter eau et poudre de blanc d'oeuf, et faire passer le mélange dans une filière pour les faire tomber dans de l'eau bouillante salée.
Après 3 min, récupérer les spaghettis.
Les aligner dans un moule à cake, et couler une solution d'eau+agar-agar+monoglutamate de sodium+arome poulet + sel+ glucose. Laisser prendre, puis couper par le travers des pavés.
Accompagner d'une conglomèle avec eau, glucose, bêta carotène.
Les aligner dans un moule à cake, et couler une solution d'eau+agar-agar+monoglutamate de sodium+arome poulet + sel+ glucose. Laisser prendre, puis couper par le travers des pavés.
Accompagner d'une conglomèle avec eau, glucose, bêta carotène.
Servir avec une sauce faite de la façon suivante :
- dans une casserole, mettre 1 verre d'eau
- sur le feu, faire bouillir, ajouter une feuille de gélatine préalablement trempée dans l'eau froide et 1 verre de graisse neutre (voir plus haut). En fin d'émulsion, mettre 3 gouttes de truffarome.
- dans une casserole, mettre 1 verre d'eau
- sur le feu, faire bouillir, ajouter une feuille de gélatine préalablement trempée dans l'eau froide et 1 verre de graisse neutre (voir plus haut). En fin d'émulsion, mettre 3 gouttes de truffarome.
Perles de pomme, opaline, granité citron (Pierre Gagnaire)
- le petit lait : mélanger acide citrique et lait froid, chauffer jusqu'à coagulation, filtrer sur linge humide, réserver frais
- perles de pomme : avec seringue faire tomber gouttes de solution eau + lactate de calcium + arôme artificiel pomme verte dans un bac d'eau avec de l'alginate de sodium (dissous au mixer), retrirer les perles formées
- Peligot de glucose : cuire l'eau et le glucose jusqu'à caramel brun, couler sur un silpat pour le refroidir, réduire en poudre fine, déposer une plaque à empreinte 6 cm de diamètre, saupoudrer le peligot de glucose sur 2 mm d'épaisseur, retirer la plaque à emprieinte, enfourner four chaud, refroidir, conserver au sec
- granité citroné: faire fondre glucose dans l'eau, ajouter acide citritique, arome citron, mettre à congeler, écraser à la fourchette quand c'est solide, afin d'obtenir un granité
Dressage : dans une assiette creuse, mettre un fond de granité, puis des perles, et par dessus trois disques superposés de péligot.
Vauquelin citrique :
Ajouter 10 % en masse de poudre de blanc d'oeuf dans de l'eau, puis 1 cuillerée d'acide citrique et 1 cuillerée à soupe de glucose. Monter comme un blanc en neige et servir dans des verres, en le passant ou non au four à micro-ondes.
Sablés torréfiés
Dans une casserole, mettre fécule de pomme de terre et chauffer en remuant jusqu'à brunissement.
Verser la fécule torréfiée dans un saladier, et ajouter du saccharose (sucre de table), matière grasse, un peu d'eau, et une cuillerée à soupe de poudre de blanc d'oeuf, une cuillerée de gluten. Malaxer, faire de petites billes et les cuire 10 min à four très chaud (220°C).
Verser la fécule torréfiée dans un saladier, et ajouter du saccharose (sucre de table), matière grasse, un peu d'eau, et une cuillerée à soupe de poudre de blanc d'oeuf, une cuillerée de gluten. Malaxer, faire de petites billes et les cuire 10 min à four très chaud (220°C).
Disque de caramel au polyphénol (Pierre Gagnaire)
Cuire 100 g de fondant et 70 g de glucose 70 g jusqu'à 120°C
Ajouter 3 g de polyphénols totaux, puis reprendre la cuisson du sucre jusqu'à 155°C.
Stopper la cuisson en ajoutant10 g de beurre de cacao
Verser sur papier sulfurisé et abaisser 1 mm
Les Cours 2012 de gastronomie moléculaire :
Voici les liens pour la vidéo d'annonce de gastronomie moléculaire 2012
podcast général : http://podcast.agroparistech.fr/groups/agroparistech/weblog/b4252/Annonce_du_cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
podcast gastronomie moléculaire : http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/b3cee/Annonce_du_cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
dailymotion : http://www.dailymotion.com/video/xnq8fd_annonce-du-cours-de-gastronomie-moleculaire-2012_tech
podcast général : http://podcast.agroparistech.fr/groups/agroparistech/weblog/b4252/Annonce_du_cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
podcast gastronomie moléculaire : http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/b3cee/Annonce_du_cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
dailymotion : http://www.dailymotion.com/video/xnq8fd_annonce-du-cours-de-gastronomie-moleculaire-2012_tech
dimanche 15 janvier 2012
Questions et réponses
Il n'est pas inutile de faire état d'une réponse du jour, à un email que je reçois :
"Cher Monsieur This,
Elève de première étudiant à Limoges, je vous avais précédemment contactée à propos de notre TPE sur la cuisine note à note.
Nous avons trouvé beuacoup de renseignements sur vos sites mais avec l'avancée de notre travail nous avons quelques questions qui restent sans réponse. Nous vous serions reconnaissants d'y répondre.
D'abord, quel est votre avis concernant la polémique sur l'utilisation d'additifs dans la cuisine moléculaire? Ce débat concerne-t-il également la cuisine note à note?
Ensuite, comment envisagez-vous l'avenir de la cuisine note à note? D'après vous est-elle plutôt destinée aux laboratoires, ou aux cuisines des gastronomes ou encore aux particuliers?
Enfin, que pensez-vous de la cuisine moléculaire? Est-elle seulement l'effet de mode dont parlent certains?"
La réponse est la suivante :
La polémique sur les additifs ? Le peuple a peur de ce qu'il ne connaît pas, et les journalistes ne sont pas tous honnêtes. Les "marchands de peur" se font connaître bien plus que ceux qui n'ont rien à vendre.
Je m'étonne que les mêmes qui refusent des additifs (sachant que le caramel en est un) ne cherchent pas à éviter les barbecues... qui déposent des benzopyrènes cancérogènes sur les viandes !!!!! Voir aussi http://hervethis.blogspot.com/2012/01/denoncons-les-marchands-de-peur.html
Je m'étonne que les mêmes qui refusent des additifs (sachant que le caramel en est un) ne cherchent pas à éviter les barbecues... qui déposent des benzopyrènes cancérogènes sur les viandes !!!!! Voir aussi http://hervethis.blogspot.com/2012/01/denoncons-les-marchands-de-peur.html
L'avenir de la cuisine note à note ? C'est pour tout le monde, parce qu'il y aura bientôt
- une crise de l'énergie
- une crise de l'eau
- 9 milliards d'humains à nourrir
Cela sera exposé les 30 et 31 janviers, et les cours seront podcastés.
La cuisine moléculaire, une mode ? Oui ! Il s'agissait de rénover les techniques culinaires, et c'est fait, puisque même les cuisiniers les plus "réacs" utilisent des siphons, du chocolat chantilly, des gélifiants extraits des algues, de la cuisine basse température. Passons vite à la suite : la cuisine note à note !
vendredi 13 janvier 2012
jeudi 12 janvier 2012
Dénonçons les marchands de peur!
Il y a des pensées nauséabondes et des pensées salutaires. Léon Guéguen
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra, publie dans Choledoc une version modifiée d'un article qu'il avait publié dans Sciences et Pseudo Sciences, le journal de l'AFIS :
"Une surenchère médiatique de livres, films et articles de presse fait de plus en plus endosser par l’agriculture, notamment conventionnelle, la responsabilité de la prétendue toxicité des aliments et de l’apparente incidence croissante de diverses maladies, dont les cancers. Même une revue de consommateurs dont l’objectivité scientifique devrait être le fil rouge de la ligne éditoriale, emboite le pas par des titres accrocheurs comme « Manger sain » ou « Périls en l’assiette ». La parole est alors donnée à des journalistes ou médecins semeurs d’anxiété tandis que les avis des experts scientifiques indépendants sont systématiquement ignorés lorsqu’ils sont rassurants ou pas « politiquement corrects ». Le but est de faire peur, car cela fait vendre !
Et pourtant l’espérance de vie, à tout âge et en meilleure santé, ne cesse de croître (3 mois par an en France) et, contrairement à des déclarations prématurées, et dont d’aucuns semblaient paradoxalement se réjouir, augmente toujours aussi aux Etats-Unis selon le dernier rapport du National Center for Health Statistics (1), malgré des régimes alimentaires souvent déséquilibrés
et l’épidémie d’obésité.
Les résidus chimiques dans notre assiette
Bien sûr, l’alimentation n’est pas innocente et des comportements alimentaires extrêmes ont indéniablement des effets délétères sur la santé (excès de calories, de sel ou d’alcool, végétalisme strict, déficiences ou carences...) mais, plus que l’équilibre nutritionnel, ce sont les aliments qui sont suspectés, surtout pour les
« résidus chimiques » qu’ils véhiculent. Le meilleur exemple est le rapport récemment publié (2)par l’association « Générations Futures » avec plusieurs partenaires écologistes sur le menu-type (constitué selon les recommandations du Programme national Nutrition-Santé) de l’enfant de 10 ans, révélant la consommation sur une seule journée de 128 « résidus chimiques » provenant de 81 substances différentes. Un message délibérément alarmiste par les grands nombres énoncés et par la cible sensible des enfants Et pourtant, paradoxalement, ce constat devrait plutôt être rassurant puisque la LMR (limite maximale de résidu) n’est presque jamais dépassée (1,5 % des cas) Les méthodes modernes d’analyse et les appareils de mesure de plus en plus performants permettent de détecter des traces de tout et par-tout, ce qui ne signifie pas que ces traces sont dangereuses ! Avec le progrès, « le zéro devient de plus en plus petit » !
Les consommateurs devraient aussi être rassurés par le rapport de l’Anses (3) publié le 30 juin 2011 donnant les résultats de l’étude nationale de surveillance des expositions alimentaires aux substances chimiques, deuxième étude de l’alimentation totale (EAT 2) des Français. Portant sur 212 types d’aliments et 445 substances chimiques recherchées, l’évaluation de l’exposition de la population générale a été faite à partir des données de consommation alimentaire de l’étude Inca-2 menée par l’Afssa entre 2005 et 2007. Les analyses (230 000 résultats obtenus par une douzaine de laboratoires de référence) ont porté sur la partie comestible des aliments préparés « tels que consommés », par exemple lavés ou épluchés dans le cas de la plupart des fruits et légumes.
Les conclusions de l’étude sont particulièrement rassurantes puisque tout risque de dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) est écarté pour 85 % des substances étudiées et que, pour plus de 95 % des résidus des 283 substances actives phytopharmaceutiques considérées, les taux sont conformes à
la réglementation. Le rapport conclut que « de manière générale, ces résultats témoignent d’un bon niveau de maîtrise sanitaire au regard des seuils réglementaires et des valeurs toxicologiques disponibles ».
Malgré des VTR récemment réévaluées à la baisse, seules quelques substances présentent un risque de dépassement le plomb, le cadmium, l’arsenic inorganique et l’acrylamide. Pour quelques autres substances le risque existe
seulement en cas de consommation excessivee certains aliments : méthylmercure (thon), dioxines et PCB (poissons gras), une mycotoxine (céréales mal conservées), le diméthoate (insectide pour cerisier), les sulfites (vin) et parfois le cuivre (vin, raisin, tomate, pomme de terre traités par du sulfate de cuivre).
Doit-on remettre en cause les doses journalières admissibles ?
Bien sûr, à défaut d’autre argument, il est de bonne guerre de remettre en cause, et parfois avec un aplomb désarmant, des LMR calculées à partir des DJA (dose journalière admissible) pourtant établies par des groupes internationaux d’experts qui ne sont pas tous, comme il est trop facile de le décréter, « à la solde de l’industrie chimique ».
Autre argument récurrent l’effet « cocktail » de : l’association de plusieurs substances chimiques. Il est vrai que la connaissance de ces éventuelles synergies ou additivités est insuffisante mais les preuves de leur existence manquent aussi. Quoi qu’il en soit, des effets à cibles différentes (par exemple cancérogènes, neurotoxiques ou perturbateurs endocriniens) ne s’additionnent pas et, compte tenu de la très grande marge de sécurité adoptée pour fixer les DJA et les LMR (avec des facteurs de 100 à 10 000), il y a de la place pour de telles synergies sans effet délétère sur la santé ! Enfin, si l’on considère les centaines de substances présentes à l’état de traces (naturelles ou de synthèse dans les aliments, inhalées et provenant de l’environnement, déposées sur la peau ), la mise en évidence de telles synergies devient expérimentalement quasi impossible. De plus, si l’on suspecte des synergies qui amplifient les effets nocifs, il faudrait alors aussi envisager de possibles antagonismes qui les atténuent !
Comme l’absence de preuve d’un effet n’est pas la preuve d’une absence d’effet, il n’est évidemment pas question d’affirmer a priori l’innocuité totale à long terme de toute faible dose, notamment pendant des phases critiques comme la période
fœtale et périnatale. Plusieurs organismes français de recherche (Inserm, Inra) et de biosurveillance (InVS, Anses), un grand projet européen (REACh) et des structures internationales (dont le Comité mixte FAO/OMS) s’en préoccupent, notamment pour des perturbateurs endocriniens (phtalates, alkylphénols, parabènes, composés perfluorés ou polybromés) actuellement de plus en plus sur la sellette, voire en cours d’interdiction (bisphénol A), malgré l’insuffisance reconnue des preuves épidémiologiques de leur toxicité chez l’homme.
Ces études épidémiologiques, qui doivent porter sur de très grands nombres de cas, sont longues, difficiles et coûteuses. Elles conduisent à suspecter un produit mais rarement à démontrer sa nocivité. Et comment attribuer, en évitant les
biais d’interprétation, l’éventuel effet à long terme d’une substance chimique isolée parmi les centaines de produits auxquels nous sommes exposés Serions-nous alors condamnés à appliquer systématiquement le principe de précaution et bientot ne plus rien manger ?
Quelle est la part de l’agriculture dans cette pollution chimique ?
Les produits chimiques utilisés pour la production végétale sont les engrais minéraux et les pesticides (insecticides, fongicides, herbicides). Les premiers
sont des aliments de la plante pour lesquels le terme « résidu » est impropre puisqu’il s’agit d’éléments minéraux comme l’azote, le phosphore et le potassium naturellement présents. Même les nitrates, parfois accumulés par excès dans certains légumes, sont inoffensifs et plusieurs étude récentes leur attribuent même des effets bénéfiques sur la santé (4,5). Les seconds sont des médicaments qui peuvent avoir des effets indésirables et c’est pourquoi leurs résidus dans les aliments sont la principale préoccupation des consommateurs. Là aussi, il ne faudrait pas faire l’amalgame, comme le font les marchands de peur, entre les doses reçues par les agriculteurs qui appliquaient ces produits souvent sans protection suffisante (et qui ont encouru des risques avérés pour leur santé) et les doses résiduelles consommées qui sont de l’ordre du million de fois plus faibles (surtout après lavage, épluchage ou cuisson).
De plus, le nombre de substances autorisées a été diminué par cinq depuis 30 ans, toutes les molécules les plus dangereuses ont été interdites (sels arsenicaux, composés organomercuriels, DDT, HCH et autres organochlorés ) et plusieurs dizaines d’autres molécules sont en cours de retrait dans le cadre du Plan Ecophyto 2018.
Le dernier rapport de l’EFSA sur les résidus de pesticides dans les aliments a été publié en novembre (The 2009 European Union Report on Pesticide Residues in Food. EFSA Journal, 2011, 9, 2430). Il montre que la situation évolue favorablement en Europe puisque la LMR n’a été dépassée en 2009 que dans 1,2 % des produits et qu’aucun résidu de pesticide n’a été détecté dans 99,7 % des aliments d’origine animale (lait, viande, œuf).
Dans la liste citée par l’étude très ponctuelle de « Générations futures » concernant le menu-type de l’enfant (2), les pesticides ne sont impliqués que
dans environ un tiers des 128 « résidus » décelés. Toutes les autres contaminations ne sont pas imputables à l’agriculture et proviennent de l’environnement (dioxines/furanes, PCBs, retardateurs de flamme, éléments traces toxiques, plastifiants des emballages, constituants des peintures, des
détergents, des substances biocides de la maison ou du jardin, du mobilier, des textiles, des cosmétiques, des jouets, des gaz de combustion...) ou
de la transformation industrielle ou culinaire des aliments (acrylamide, benzopypyrène ). Cela est confirmé par l’étude EAT2 de l’Anses (3), la plus
importante jamais réalisée en France, puisque parmi les quelques résidus chimiques incriminés, seul relève des pratiques agricoles intensives un
insecticide (le diméthoate). Aucun autre cas de contamination à risque sanitaire n’est imputable à l’agriculture conventionnelle. En effet, pour le cadmium, seuls les phosphates naturels autorisés en agriculture biologique sont souvent riches en cadmium (la teneur limite fixée est plutôt laxiste et équivaut à environ 30 mg par kg de phosphate), ce qui n’est pas le cas des phosphates traités et purifiés, pauvres en cadmium, utilisés en agriculture conventionnelle.
Les perturbateurs endocriniens potentiels les plus incriminés ne sont pas majoritairement d’origine agricole. Enfin, il ne faut pas non plus attribuer à
la production agricole l’ajout, volontaire et contrôlé, d’arômes et de divers additifs alimentaires (conservateurs, colorants, auxiliaires de fabrication ) auto-
risés, qui ne sont pas des polluants et dont l’innocuité est garantie. Il faut aussi souligner que les contaminants inhalés (amiante, particules fines,
solvants...) sont bien plus dangereux que ceux de nos aliments car ils ne sont pas dégradés par la digestion ou partiellement arrêtés par la barrière intestinale.
L’agriculture biologique est-elle la solution ?
Faut-il manger Bio pour se protéger des résidus chimiques ? Rien n’est moins sûr et les études comparatives ne permettent pas de le démontrer (6). En effet, si le risque d’y trouver des résidus de pesticides de synthèse est logiquement très faible, les aliments Bio contiennent aussi des dizaines de « résidus chimiques ». Comme les autres, ils sont exposés (parfois plus pour les productions de plein-air ou par l’emploi d’engrais organiques ou de phosphates naturels) à diverses contaminations (7). Il s’y ajoute les résidus de pesticides « naturels » autorisés (mais souvent ignorés dans les enquêtes), notamment le cuivre, dont certains
sont neurotoxiques (roténone récemment interdite) ou perturbateurs endocriniens (azadirachtine de l’huile de neem), et les centaines de toxines naturelles de défense produites par les plantes non traitées (8). Quels sont donc les « résidus » les moins toxiques Ceux qui résultent de l’usage contrôlé de substances chimiques homologuées, réglementées et aux effets bien étudiés ou bien les résidus « naturels » de produits de traitement non homologués (parce que naturels) ou fabriqués par la plante et dont les effets sur la santé sont souvent
inconnus ou ignorés Par exemple, pourquoi focaliser les craintes sur les perturbateurs hormonaux de synthèse en oubliant les phytoestrogènes natu-
rellement bien plus abondants dans certains aliments comme le soja, voire les parabènes naturels présents dans divers végétaux Encourager la consommation d’aliments Bio dans le but de « purifier » l’assiette des enfants serait donc illusoire et opposer agriculture conventionnelle et agriculture biologique sous prétexte de sécurité sanitaire des aliments n’a pas de sens.
Par ailleurs, serait-ce souhaitable d’offrir aux enfants une alimentation totalement « chimiquement aseptisée » ? En effet, il faudrait aussi mieux étudier et considérer l’éventuel « effet hormesis », genre d’immunisation par une exposition prolongée à de très faibles doses, dont l’effet protecteur est bien connu dans le cas des substances potentiellement allergènes, voire de la radioactivité...
Résidus chimiques et cancer
Le principal épouvantail agité pour faire craindre les aliments est évidemment le cancer. Il est vrai que, selon les dernières données de l’InVS (9, 10) et du
Circ, son incidence a considérablement augmenté depuis 30 ans et, si l’on soustrait les causes liées à la démographie et au vieillissement de la popula-
tion, cette augmentation serait de l’ordre de 40 %.
Or, le seul cancer de la prostate suffit presque à expliquer l’augmentation chez les hommes (et résulte pour une grande part d’un surdiagnostic par un dépistage massif), tandis que le tabac et le dépistage systématique du cancer du sein seraient majoritairement en cause chez les femmes (11, 12). Il reste donc peu de place (quelques %) pour les causes liées à l’environnement, et il s’agit alors
surtout de situations professionnelles (particules diverses dont l’amiante, poussières et vapeurs chimiques, éventuellement pesticides chez les agriculteurs ). Aucun rapport d’experts récent n’a mis en cause les traces résiduelles de pesticides des aliments dans l’augmentation du risque de cancer.
Même pour les agriculteurs, les plus exposés aux pesticides, la grande enquête Agrican (Agriculture et Cancer), entreprise par la MSA et soutenue, entre autres, par l’Anses et plusieurs organismes et associations de lutte contre le cancer, qui vient d’être publiée (13), a montré que leur espérance de vie était plus grande que la moyenne nationale et que la fréquence de décès par cancer était plus
faible de 27 % par rapport à la population générale. Bien qu’ayant été obtenues sur une cohorte de plus de 50 000 hommes déclarant avoir utilisé des pesticides, ces données sont tellement contraires aux idées reçues qu’elles ne manqueront
pas d’être mises en doute, voire « canardées », par des médias hostiles à l’agriculture conventionnelle.
Enfin, n’est-il pas paradoxal de conseiller de suivre les recommandations du PNNS de consommer 5 fruits ou légumes par jour en sachant que 98 % de ces aliments ne sont pas Bio et que près de la moitié contiennent donc des résidus détectables de pesticides de synthèse ? Tous les effets bénéfiques des fruits et légumes ont été constatés sur des produits conventionnels qui représentent plus de 97 % des quantités consommées ! Alors ?
Nourrir le monde sans produits chimiques ?
Enfin, il faut savoir, question de bon sens, qu’une production alimentaire mondiale suffisante ne pourra pas être assurée sans le recours aux engrais minéraux pour obtenir des rendements décents et sans un minimum de produits phytosanitaires pour éviter les énormes pertes de récoltes. Ceux qui proclament à l’envi, en citant partiellement les déclarations d’un rapporteur spécial de l’ONU (14), que l’on pourrait doubler le rendement des céréales « sans aucun intrant chimique », omettent de préciser qu’il s’agit des régions du monde où ce rendement est actuellement de l’ordre de 1 tonne par hectare (il est en France de 7-8 tonnes pour le blé et de plus de 9 tonnes pour le maïs) Même dans les meilleures conditions de mise en œuvre sur des sols fertiles, l’agriculture biologique permet difficilement des rendements du blé supérieurs à 3,5 tonnes par hectare. Alors, n’est-il pas préférable, pour nourrir le monde, de favoriser des modes d’agriculture moins dogmatiques, raisonnée, intégrée, HVE (à haute valeur environnementale) ou « écologiquement intensive » qui préservent aussi l’environnement sans renoncer à tout intrant « chimique » et donc sans forte diminution des rendements ?
Pour conclure
L’exposition aux polluants chimiques alimentaires ou atmosphériques, qu’ils soient artificiels ou naturels, a toujours existé et était incomparablement moins (voire pas du tout) évaluée et contrôlée, et bien plus dangereuse, il y a 50 ans. Alors, soyons donc positifs et n’écoutons pas les faiseurs d’opinion en quête de notoriété médiatique dont les messages anxiogènes (les seuls qui se vendent bien) sont la cause d’une épidémie d’angoisse, d’orthorexie et d’hypochondrie qui, pouvant atteindre le stade de la psychose collective, est bien plus néfaste à la santé que les infimes traces chimiques résiduelles dans notre assiette !
Léon Guéguen
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra
(1) National Center for Health Statistics.
Deaths: prelimirary data for 2009.,
vol. 59, numéro, 4, mars 2011.
(2) Associations Générations futures,
HEAL, RES et WWF-France.
Menus toxiques : enquête sur les
substances toxiques présentes dans
notre alimentation, déc. 2010.
www.menustoxiques.fr
(3) Anses
Etude de l’alimentation totale des
Français (EAT2). Etude nationale de
surveillance des expositions alimen-
taires aux substances chimiques
(2006-2010). Rapport de juin 2011.
www.anses.fr
(4) L’Hirondel JL, Avery AA, Addiscott TM
Dietary nitrate: where is the risk?
Environ Health Perspect, 2006, 114 :
A458-459.
(5) Hord NG, Tang Y, Bryan NS
Food sources of nitrates and nitrites:
the physiological context for potential
health benefits.
Am J Clin Nutr, 2009, 90 : 1-10.
(6) Dangour AD, Lock K, Hayter A et al
Nutrition-related health effects of
organic foods: a systematic review.
Am J Clin Nutr, 2010, 92: 203-210.
(7) Guéguen L, Pascal G.
Le point sur la valeur nutritionnelle
et sanitaire des aliments issus de
l’agriculture biologique.
Cah Nutr Diétét, 2010, 45 : 130-143.
(8) Winter CK, Davis SF
Organic Foods
J Food Sci, 2006, 71 : R1174-2124.
(9) Belot A, Grosclaude P, Bossard N
et al.
Cancer incidence and mortality in
France over the period 1980-2005.
Rev Epidemiol Santé Publ, 2008, 56 :
159-175.
(10) Belot A, Velten M, Grosclaude P
et al.
Estimation nationale de l’incidence et
de la mortalité par cancer en France
entre 1980 et 2005.
Institut de Veille sanitaire, 2008, 132p.
(11) Jordan B.
L’incidence sans cesse croissante des
cancers...
Sciences et pseudo-sciences, 2006,
274 : 34-37.
(12) Estève J.
Le rôle de l’épidémiologie dans la
controver se « environnement et
cancer ».
Sciences et pseudo-sciences, 2009,
286 : 12-21.
(13) Agrican (Agriculture et cancer)
Rappor t de la MSA soutenu p ar
l’Anses, la Ligue contre le cancer, la
Fondation de France.
Juin 2011.
(14) De Schutter O.
Agroécologie et droit à l’alimentation.
Rapport, mars 2011. www.srfood.org
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra, publie dans Choledoc une version modifiée d'un article qu'il avait publié dans Sciences et Pseudo Sciences, le journal de l'AFIS :
"Une surenchère médiatique de livres, films et articles de presse fait de plus en plus endosser par l’agriculture, notamment conventionnelle, la responsabilité de la prétendue toxicité des aliments et de l’apparente incidence croissante de diverses maladies, dont les cancers. Même une revue de consommateurs dont l’objectivité scientifique devrait être le fil rouge de la ligne éditoriale, emboite le pas par des titres accrocheurs comme « Manger sain » ou « Périls en l’assiette ». La parole est alors donnée à des journalistes ou médecins semeurs d’anxiété tandis que les avis des experts scientifiques indépendants sont systématiquement ignorés lorsqu’ils sont rassurants ou pas « politiquement corrects ». Le but est de faire peur, car cela fait vendre !
Et pourtant l’espérance de vie, à tout âge et en meilleure santé, ne cesse de croître (3 mois par an en France) et, contrairement à des déclarations prématurées, et dont d’aucuns semblaient paradoxalement se réjouir, augmente toujours aussi aux Etats-Unis selon le dernier rapport du National Center for Health Statistics (1), malgré des régimes alimentaires souvent déséquilibrés
et l’épidémie d’obésité.
Les résidus chimiques dans notre assiette
Bien sûr, l’alimentation n’est pas innocente et des comportements alimentaires extrêmes ont indéniablement des effets délétères sur la santé (excès de calories, de sel ou d’alcool, végétalisme strict, déficiences ou carences...) mais, plus que l’équilibre nutritionnel, ce sont les aliments qui sont suspectés, surtout pour les
« résidus chimiques » qu’ils véhiculent. Le meilleur exemple est le rapport récemment publié (2)par l’association « Générations Futures » avec plusieurs partenaires écologistes sur le menu-type (constitué selon les recommandations du Programme national Nutrition-Santé) de l’enfant de 10 ans, révélant la consommation sur une seule journée de 128 « résidus chimiques » provenant de 81 substances différentes. Un message délibérément alarmiste par les grands nombres énoncés et par la cible sensible des enfants Et pourtant, paradoxalement, ce constat devrait plutôt être rassurant puisque la LMR (limite maximale de résidu) n’est presque jamais dépassée (1,5 % des cas) Les méthodes modernes d’analyse et les appareils de mesure de plus en plus performants permettent de détecter des traces de tout et par-tout, ce qui ne signifie pas que ces traces sont dangereuses ! Avec le progrès, « le zéro devient de plus en plus petit » !
Les consommateurs devraient aussi être rassurés par le rapport de l’Anses (3) publié le 30 juin 2011 donnant les résultats de l’étude nationale de surveillance des expositions alimentaires aux substances chimiques, deuxième étude de l’alimentation totale (EAT 2) des Français. Portant sur 212 types d’aliments et 445 substances chimiques recherchées, l’évaluation de l’exposition de la population générale a été faite à partir des données de consommation alimentaire de l’étude Inca-2 menée par l’Afssa entre 2005 et 2007. Les analyses (230 000 résultats obtenus par une douzaine de laboratoires de référence) ont porté sur la partie comestible des aliments préparés « tels que consommés », par exemple lavés ou épluchés dans le cas de la plupart des fruits et légumes.
Les conclusions de l’étude sont particulièrement rassurantes puisque tout risque de dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) est écarté pour 85 % des substances étudiées et que, pour plus de 95 % des résidus des 283 substances actives phytopharmaceutiques considérées, les taux sont conformes à
la réglementation. Le rapport conclut que « de manière générale, ces résultats témoignent d’un bon niveau de maîtrise sanitaire au regard des seuils réglementaires et des valeurs toxicologiques disponibles ».
Malgré des VTR récemment réévaluées à la baisse, seules quelques substances présentent un risque de dépassement le plomb, le cadmium, l’arsenic inorganique et l’acrylamide. Pour quelques autres substances le risque existe
seulement en cas de consommation excessivee certains aliments : méthylmercure (thon), dioxines et PCB (poissons gras), une mycotoxine (céréales mal conservées), le diméthoate (insectide pour cerisier), les sulfites (vin) et parfois le cuivre (vin, raisin, tomate, pomme de terre traités par du sulfate de cuivre).
Doit-on remettre en cause les doses journalières admissibles ?
Bien sûr, à défaut d’autre argument, il est de bonne guerre de remettre en cause, et parfois avec un aplomb désarmant, des LMR calculées à partir des DJA (dose journalière admissible) pourtant établies par des groupes internationaux d’experts qui ne sont pas tous, comme il est trop facile de le décréter, « à la solde de l’industrie chimique ».
Autre argument récurrent l’effet « cocktail » de : l’association de plusieurs substances chimiques. Il est vrai que la connaissance de ces éventuelles synergies ou additivités est insuffisante mais les preuves de leur existence manquent aussi. Quoi qu’il en soit, des effets à cibles différentes (par exemple cancérogènes, neurotoxiques ou perturbateurs endocriniens) ne s’additionnent pas et, compte tenu de la très grande marge de sécurité adoptée pour fixer les DJA et les LMR (avec des facteurs de 100 à 10 000), il y a de la place pour de telles synergies sans effet délétère sur la santé ! Enfin, si l’on considère les centaines de substances présentes à l’état de traces (naturelles ou de synthèse dans les aliments, inhalées et provenant de l’environnement, déposées sur la peau ), la mise en évidence de telles synergies devient expérimentalement quasi impossible. De plus, si l’on suspecte des synergies qui amplifient les effets nocifs, il faudrait alors aussi envisager de possibles antagonismes qui les atténuent !
Comme l’absence de preuve d’un effet n’est pas la preuve d’une absence d’effet, il n’est évidemment pas question d’affirmer a priori l’innocuité totale à long terme de toute faible dose, notamment pendant des phases critiques comme la période
fœtale et périnatale. Plusieurs organismes français de recherche (Inserm, Inra) et de biosurveillance (InVS, Anses), un grand projet européen (REACh) et des structures internationales (dont le Comité mixte FAO/OMS) s’en préoccupent, notamment pour des perturbateurs endocriniens (phtalates, alkylphénols, parabènes, composés perfluorés ou polybromés) actuellement de plus en plus sur la sellette, voire en cours d’interdiction (bisphénol A), malgré l’insuffisance reconnue des preuves épidémiologiques de leur toxicité chez l’homme.
Ces études épidémiologiques, qui doivent porter sur de très grands nombres de cas, sont longues, difficiles et coûteuses. Elles conduisent à suspecter un produit mais rarement à démontrer sa nocivité. Et comment attribuer, en évitant les
biais d’interprétation, l’éventuel effet à long terme d’une substance chimique isolée parmi les centaines de produits auxquels nous sommes exposés Serions-nous alors condamnés à appliquer systématiquement le principe de précaution et bientot ne plus rien manger ?
Quelle est la part de l’agriculture dans cette pollution chimique ?
Les produits chimiques utilisés pour la production végétale sont les engrais minéraux et les pesticides (insecticides, fongicides, herbicides). Les premiers
sont des aliments de la plante pour lesquels le terme « résidu » est impropre puisqu’il s’agit d’éléments minéraux comme l’azote, le phosphore et le potassium naturellement présents. Même les nitrates, parfois accumulés par excès dans certains légumes, sont inoffensifs et plusieurs étude récentes leur attribuent même des effets bénéfiques sur la santé (4,5). Les seconds sont des médicaments qui peuvent avoir des effets indésirables et c’est pourquoi leurs résidus dans les aliments sont la principale préoccupation des consommateurs. Là aussi, il ne faudrait pas faire l’amalgame, comme le font les marchands de peur, entre les doses reçues par les agriculteurs qui appliquaient ces produits souvent sans protection suffisante (et qui ont encouru des risques avérés pour leur santé) et les doses résiduelles consommées qui sont de l’ordre du million de fois plus faibles (surtout après lavage, épluchage ou cuisson).
De plus, le nombre de substances autorisées a été diminué par cinq depuis 30 ans, toutes les molécules les plus dangereuses ont été interdites (sels arsenicaux, composés organomercuriels, DDT, HCH et autres organochlorés ) et plusieurs dizaines d’autres molécules sont en cours de retrait dans le cadre du Plan Ecophyto 2018.
Le dernier rapport de l’EFSA sur les résidus de pesticides dans les aliments a été publié en novembre (The 2009 European Union Report on Pesticide Residues in Food. EFSA Journal, 2011, 9, 2430). Il montre que la situation évolue favorablement en Europe puisque la LMR n’a été dépassée en 2009 que dans 1,2 % des produits et qu’aucun résidu de pesticide n’a été détecté dans 99,7 % des aliments d’origine animale (lait, viande, œuf).
Dans la liste citée par l’étude très ponctuelle de « Générations futures » concernant le menu-type de l’enfant (2), les pesticides ne sont impliqués que
dans environ un tiers des 128 « résidus » décelés. Toutes les autres contaminations ne sont pas imputables à l’agriculture et proviennent de l’environnement (dioxines/furanes, PCBs, retardateurs de flamme, éléments traces toxiques, plastifiants des emballages, constituants des peintures, des
détergents, des substances biocides de la maison ou du jardin, du mobilier, des textiles, des cosmétiques, des jouets, des gaz de combustion...) ou
de la transformation industrielle ou culinaire des aliments (acrylamide, benzopypyrène ). Cela est confirmé par l’étude EAT2 de l’Anses (3), la plus
importante jamais réalisée en France, puisque parmi les quelques résidus chimiques incriminés, seul relève des pratiques agricoles intensives un
insecticide (le diméthoate). Aucun autre cas de contamination à risque sanitaire n’est imputable à l’agriculture conventionnelle. En effet, pour le cadmium, seuls les phosphates naturels autorisés en agriculture biologique sont souvent riches en cadmium (la teneur limite fixée est plutôt laxiste et équivaut à environ 30 mg par kg de phosphate), ce qui n’est pas le cas des phosphates traités et purifiés, pauvres en cadmium, utilisés en agriculture conventionnelle.
Les perturbateurs endocriniens potentiels les plus incriminés ne sont pas majoritairement d’origine agricole. Enfin, il ne faut pas non plus attribuer à
la production agricole l’ajout, volontaire et contrôlé, d’arômes et de divers additifs alimentaires (conservateurs, colorants, auxiliaires de fabrication ) auto-
risés, qui ne sont pas des polluants et dont l’innocuité est garantie. Il faut aussi souligner que les contaminants inhalés (amiante, particules fines,
solvants...) sont bien plus dangereux que ceux de nos aliments car ils ne sont pas dégradés par la digestion ou partiellement arrêtés par la barrière intestinale.
L’agriculture biologique est-elle la solution ?
Faut-il manger Bio pour se protéger des résidus chimiques ? Rien n’est moins sûr et les études comparatives ne permettent pas de le démontrer (6). En effet, si le risque d’y trouver des résidus de pesticides de synthèse est logiquement très faible, les aliments Bio contiennent aussi des dizaines de « résidus chimiques ». Comme les autres, ils sont exposés (parfois plus pour les productions de plein-air ou par l’emploi d’engrais organiques ou de phosphates naturels) à diverses contaminations (7). Il s’y ajoute les résidus de pesticides « naturels » autorisés (mais souvent ignorés dans les enquêtes), notamment le cuivre, dont certains
sont neurotoxiques (roténone récemment interdite) ou perturbateurs endocriniens (azadirachtine de l’huile de neem), et les centaines de toxines naturelles de défense produites par les plantes non traitées (8). Quels sont donc les « résidus » les moins toxiques Ceux qui résultent de l’usage contrôlé de substances chimiques homologuées, réglementées et aux effets bien étudiés ou bien les résidus « naturels » de produits de traitement non homologués (parce que naturels) ou fabriqués par la plante et dont les effets sur la santé sont souvent
inconnus ou ignorés Par exemple, pourquoi focaliser les craintes sur les perturbateurs hormonaux de synthèse en oubliant les phytoestrogènes natu-
rellement bien plus abondants dans certains aliments comme le soja, voire les parabènes naturels présents dans divers végétaux Encourager la consommation d’aliments Bio dans le but de « purifier » l’assiette des enfants serait donc illusoire et opposer agriculture conventionnelle et agriculture biologique sous prétexte de sécurité sanitaire des aliments n’a pas de sens.
Par ailleurs, serait-ce souhaitable d’offrir aux enfants une alimentation totalement « chimiquement aseptisée » ? En effet, il faudrait aussi mieux étudier et considérer l’éventuel « effet hormesis », genre d’immunisation par une exposition prolongée à de très faibles doses, dont l’effet protecteur est bien connu dans le cas des substances potentiellement allergènes, voire de la radioactivité...
Résidus chimiques et cancer
Le principal épouvantail agité pour faire craindre les aliments est évidemment le cancer. Il est vrai que, selon les dernières données de l’InVS (9, 10) et du
Circ, son incidence a considérablement augmenté depuis 30 ans et, si l’on soustrait les causes liées à la démographie et au vieillissement de la popula-
tion, cette augmentation serait de l’ordre de 40 %.
Or, le seul cancer de la prostate suffit presque à expliquer l’augmentation chez les hommes (et résulte pour une grande part d’un surdiagnostic par un dépistage massif), tandis que le tabac et le dépistage systématique du cancer du sein seraient majoritairement en cause chez les femmes (11, 12). Il reste donc peu de place (quelques %) pour les causes liées à l’environnement, et il s’agit alors
surtout de situations professionnelles (particules diverses dont l’amiante, poussières et vapeurs chimiques, éventuellement pesticides chez les agriculteurs ). Aucun rapport d’experts récent n’a mis en cause les traces résiduelles de pesticides des aliments dans l’augmentation du risque de cancer.
Même pour les agriculteurs, les plus exposés aux pesticides, la grande enquête Agrican (Agriculture et Cancer), entreprise par la MSA et soutenue, entre autres, par l’Anses et plusieurs organismes et associations de lutte contre le cancer, qui vient d’être publiée (13), a montré que leur espérance de vie était plus grande que la moyenne nationale et que la fréquence de décès par cancer était plus
faible de 27 % par rapport à la population générale. Bien qu’ayant été obtenues sur une cohorte de plus de 50 000 hommes déclarant avoir utilisé des pesticides, ces données sont tellement contraires aux idées reçues qu’elles ne manqueront
pas d’être mises en doute, voire « canardées », par des médias hostiles à l’agriculture conventionnelle.
Enfin, n’est-il pas paradoxal de conseiller de suivre les recommandations du PNNS de consommer 5 fruits ou légumes par jour en sachant que 98 % de ces aliments ne sont pas Bio et que près de la moitié contiennent donc des résidus détectables de pesticides de synthèse ? Tous les effets bénéfiques des fruits et légumes ont été constatés sur des produits conventionnels qui représentent plus de 97 % des quantités consommées ! Alors ?
Nourrir le monde sans produits chimiques ?
Enfin, il faut savoir, question de bon sens, qu’une production alimentaire mondiale suffisante ne pourra pas être assurée sans le recours aux engrais minéraux pour obtenir des rendements décents et sans un minimum de produits phytosanitaires pour éviter les énormes pertes de récoltes. Ceux qui proclament à l’envi, en citant partiellement les déclarations d’un rapporteur spécial de l’ONU (14), que l’on pourrait doubler le rendement des céréales « sans aucun intrant chimique », omettent de préciser qu’il s’agit des régions du monde où ce rendement est actuellement de l’ordre de 1 tonne par hectare (il est en France de 7-8 tonnes pour le blé et de plus de 9 tonnes pour le maïs) Même dans les meilleures conditions de mise en œuvre sur des sols fertiles, l’agriculture biologique permet difficilement des rendements du blé supérieurs à 3,5 tonnes par hectare. Alors, n’est-il pas préférable, pour nourrir le monde, de favoriser des modes d’agriculture moins dogmatiques, raisonnée, intégrée, HVE (à haute valeur environnementale) ou « écologiquement intensive » qui préservent aussi l’environnement sans renoncer à tout intrant « chimique » et donc sans forte diminution des rendements ?
Pour conclure
L’exposition aux polluants chimiques alimentaires ou atmosphériques, qu’ils soient artificiels ou naturels, a toujours existé et était incomparablement moins (voire pas du tout) évaluée et contrôlée, et bien plus dangereuse, il y a 50 ans. Alors, soyons donc positifs et n’écoutons pas les faiseurs d’opinion en quête de notoriété médiatique dont les messages anxiogènes (les seuls qui se vendent bien) sont la cause d’une épidémie d’angoisse, d’orthorexie et d’hypochondrie qui, pouvant atteindre le stade de la psychose collective, est bien plus néfaste à la santé que les infimes traces chimiques résiduelles dans notre assiette !
Léon Guéguen
Directeur de Recherches honoraire de l’Inra
(1) National Center for Health Statistics.
Deaths: prelimirary data for 2009.,
vol. 59, numéro, 4, mars 2011.
(2) Associations Générations futures,
HEAL, RES et WWF-France.
Menus toxiques : enquête sur les
substances toxiques présentes dans
notre alimentation, déc. 2010.
www.menustoxiques.fr
(3) Anses
Etude de l’alimentation totale des
Français (EAT2). Etude nationale de
surveillance des expositions alimen-
taires aux substances chimiques
(2006-2010). Rapport de juin 2011.
www.anses.fr
(4) L’Hirondel JL, Avery AA, Addiscott TM
Dietary nitrate: where is the risk?
Environ Health Perspect, 2006, 114 :
A458-459.
(5) Hord NG, Tang Y, Bryan NS
Food sources of nitrates and nitrites:
the physiological context for potential
health benefits.
Am J Clin Nutr, 2009, 90 : 1-10.
(6) Dangour AD, Lock K, Hayter A et al
Nutrition-related health effects of
organic foods: a systematic review.
Am J Clin Nutr, 2010, 92: 203-210.
(7) Guéguen L, Pascal G.
Le point sur la valeur nutritionnelle
et sanitaire des aliments issus de
l’agriculture biologique.
Cah Nutr Diétét, 2010, 45 : 130-143.
(8) Winter CK, Davis SF
Organic Foods
J Food Sci, 2006, 71 : R1174-2124.
(9) Belot A, Grosclaude P, Bossard N
et al.
Cancer incidence and mortality in
France over the period 1980-2005.
Rev Epidemiol Santé Publ, 2008, 56 :
159-175.
(10) Belot A, Velten M, Grosclaude P
et al.
Estimation nationale de l’incidence et
de la mortalité par cancer en France
entre 1980 et 2005.
Institut de Veille sanitaire, 2008, 132p.
(11) Jordan B.
L’incidence sans cesse croissante des
cancers...
Sciences et pseudo-sciences, 2006,
274 : 34-37.
(12) Estève J.
Le rôle de l’épidémiologie dans la
controver se « environnement et
cancer ».
Sciences et pseudo-sciences, 2009,
286 : 12-21.
(13) Agrican (Agriculture et cancer)
Rappor t de la MSA soutenu p ar
l’Anses, la Ligue contre le cancer, la
Fondation de France.
Juin 2011.
(14) De Schutter O.
Agroécologie et droit à l’alimentation.
Rapport, mars 2011. www.srfood.org
Inscription à :
Articles (Atom)