dimanche 11 février 2018

Jean Graille, spécialiste de la chimie des matières grasses, chercheur à Montpellier, m'envoie une recette de "Sanglier Cardinal de Fleury"... qui a l'air délicieuse, mais je suis heureux qu'il exagère quand même.



Le cardinal de Fleury ? André Hercule de Fleury, né à Lodève le 22 juin 16531 et mort à Issy-les-Moulineaux le 29 janvier 1743, était un ecclésiastique et homme d'État français, qui, de 1726 à 1743, a été le principal ministre du jeune roi Louis XV.
Pourquoi avoir nommé une recette en  son honneur ?  Jean Graille fait référence à la mozette et à la soutane rouge des cardinaux,  car la sauce de cette préparation est rouge. Mais le Cardinal de Fleury est aussi un Lodévois, né donc dans une région où les sangliers pullulent.

Voici la recette


Pour 1,5 kg de viande débarrassée du gras des nerfs et des tendons, puis coupée en morceaux de 2 à 5 cm environ de côté. Faire revenir les morceaux dans un faitout en présence de 50 g d’huile de coco vierge, puis arrêter le feu et passer à l’étape suivante.
Dans une grande poêle, mettre  deux oignons émincés et 50 g d’huile de coco vierge,  puis faire dorer ;  sans arrêter le feu ajouter 200 g de lardons fumés et 25 cL de vin blanc (de préférence du Viognier) et deux cubes de bouillons de bœuf délayés dans un minimum d’eau,  puis ajouter 1 litre de coulis de tomate tout en remuant.
Introduire cette préparation dans le faitout : il faut que les morceaux de viande soient bien recouverts. S'ils ne le sont pas, ajouter encore 1 litre de coulis de tomate et 25 cL de Viognier.
Ajouter trois gousses d’ail broyées, saler et poivrer généreusement avec du poivre noir du Sichuan fraichement moulu, ajouter un bouquet garni (thym, romarin et laurier) et enfin une cuillère à café de thé vert matcha.
Faire mijoter à feu doux avec le couvercle un peu déporté sur le faitout pendant 120 à 135 minutes, gouter un morceau de viande, celui ci doit être tendre.
Accompagner avec un riz léger).

Pourquoi cette recette est une "provocation" ?


En réalité, si nous lisons bien, nous voyons que le corps gras proposé par notre ami chimiste est de l'huile de coco vierge. J'entends nos défenseurs-de-l'environnement/avides-de-pouvoir-et-profitant-de-la-mode pour hurler, mêlant des arguments nutritionnels fautifs à des discussions écologiques ! Et j'en ris, bien évidemment, parce que je suis d'un naturel gai.
Puisje vois que notre ami propose du Viognier : il prêche pour sa paroisse, mais moi, en Alsace, j'aurais utilisé un bon gewurtztraminer... tant il est vrai que cette recette aurait pu être faite "bi uns", chez nous.
Puis je vois du poivre du Sichuan et du thé vert matcha. Je n'ai évidemment rien contre cela, bien au contraire, car je crois que cela contribue au goût unique de la recette. Mais cela devient ce que les Anglo-Saxons nomment du "fine dining". Et puis, est-ce bien "local" (notre ami habite l'Hérault) ?
Je termine avec les deux cubes de bouillon : que va-t-on entendre de nos puristes réactionnaires ? (même si je fais moi-même mes bouillons)

En réalité, j'aime beaucoup ce genre de provocations, par ces temps politiquement corrects... et c'est la raison pour laquelle je publie la recette de notre ami.

Vive la chimie !


PS. Plus sérieusement, on utilisera de l’huile d’olive verdale du moulin de Clermont l’Hérault, et un bouillon maison, me dit-il

Pourquoi les marchands de peur sont des êtres détestables

Nous vivons dans un monde qui réunit des individus variés : il y a les plus entreprenants, ceux qui souffrent physiquement, ceux qui ne souffrent pas, ceux qui sont gais, ceux qui sont tristes, ceux qui ont peur, ceux qui sont indifférents... Il y a des individus qui ont une religion, d'autres qui n'en ont pas. Certains veulent un monde meilleur après la mort, d'autres le veulent dès demain.

Bref, il y a beaucoup de diversité, mais c'est notre capacité à la surmonter pour faire une société cohérente, sereine, qui est notre seule chance de vie heureuse. Banissons le drame, la lutte, la guerre  si nous voulons vivre dans la paix, la sérénité, le bonheur.

Et c'est donc la raison pour laquelle je déteste les marchands de peur, qui veulent nous faire croire que notre alimentation est empoisonnée.
Certains de ceux-là proposent l'existence de "complots" : du grand capital, de l'industrie, que sais-je. Souvent, ils oublient... ou ne veulent surtout pas reconnaître que nous n'avons jamais si bien mangé, que nous sommes la première génération à ne pas avoir connu la famine, que notre espérance de vie qui s'allonge est en réalité la cause d'une démographie galopante qui engendre notamment la pollution. Souvent, ils oublient, ou ne veulent surtout pas admettre, que les vraies causes importantes de risque sont le tabac ou l'alcool, l'automobile, l'obésité, la grégarité, les accidents... Bien sûr, dans des statistiques de décès, on trouve des cancers ou des maladies cardio-vasculaires, mais de quels facteurs découlent-ils ?

Surtout, je déteste les marchands de peur ou, plus exactement, je ne veux pas leur faire l'honneur de les détester, mais je propose de les fuir, parce qu'ils abusent de la peur des plus faibles d'entre nous. Je vois peu de différence entre un journaliste qui vend de la peur et un marabout qui vend une guérison qu'il ne peut en réalité pas obtenir.

Je propose de renforcer l'éducation et l'instruction, qui sont notre meilleure arme contre le mensonge, la peur, l'intolérance.

Des billes d'huile ?

On m'interroge sur la possibilité de faire des perles d'alginates (ce que j'ai nommé des "degennes") contenant de l'huile.

Commençons par expliquer comment on produit classiquement des degennes, par la méthode "inverse" :
1. on dissout du lactate de calcium (ou un autre sel de calcium) dans un liquide qui a du goût, et que l'on veut encapsuler
2. on dissout de l'alginate de sodium dans une eau non calcaire
3. on fait tomber des gouttes du liquide avec le calcium dans le bain d'alginate de sodium : immédiatement, se forme à la surface une peau gélifiée
4. on rince à l'eau claire les degennes formés.

Mais avec de l'huile ? La question se pose, parce que ni l'alginate de sodium ni le lactate de calcium ne sont solubles dans l'huile... de sorte que nos amis sont bien démunis.
Des solutions ? Elles sont racontées dans mon article de mars 2013 de la Revue Pour la Science (n°425), et je n'ai pas le temps d'y revenir, mais j'en ajoute une ici :
1. faire des billes d'huile congelées, très froides
2. les tremper dans un bain contenant du calcium, afin que cette solution gèle en surface
3. mettre les billes ainsi couvertes dans le bains d'alginate.


Croire au probable ?

Dois-je croire au probable ? 
Encore une phrase écrite sur les murs de mon bureau, à ma propre attention... mais il n'est pas interdit que mes visiteurs y jettent un coup d'oeil, et plus si affinité.

Cette fois, il s'agit très explicitement de sciences de la nature, car cette phrase fait référence à une autre, plus connue, qui est « tenir le probable pour faux jusqu'à  preuve du contraire ».

En sciences de la nature, il y a cette étape essentielle d'induction à partir des lois quantitatives qui ont été obtenues à partir de caractérisations quantitatives des phénomènes  : on a des équations, et il faut maintenant identifier des mécanismes qui correspondent  à ces équations. Ce qui signifie identifier des objets, notions, concepts qui satisferont les équations. Cette étape est évidemment la plus difficile, et l'on ne saurait assez lire ou relire « La science et l'hypothèse » d'Henri Poincaré à ce propos.

Dans d'autres billets, j'ai expliqué comment on en vient à ces mécanismes, mais je propose de prendre ici une expérience historique, celle d'Otto Stern et Walther Gerlach, qui consiste à émettre des atomes d'argent dans l'entrefer d'un puissant champ magnétique.

L'idée est simple : dans une enceinte où l'on a fait le vide, on place une petite coupelle en matériau réfractaire, une résistance électrique qui va chauffer cette coupelle, et on dépose un peu d'argent dans la coupelle. Quand on chauffe, l'argent commence par fondre, puis il s'évapore, c'est-à-dire  que le atomes d'argent partent de la masse chauffée, comme des boulets de canon, dans toutes les directions de l'espace. Si l'on place en face de la coupelle  un écran percé d'un trou, on ne laisse passer qu'un faisceau d'atomes d'argent. On peut d'ailleurs mettre un deuxième écran percé plus loin, et l'on « collimate » alors bien mieux le faisceaux d'atomes d'argent.
Nous avons donc des atomes d'argent qui passent les uns après les autres par le second trou, et nous approchons un aimant du jet d'atomes d'argent. Puisque les atomes d'argent sont électriquement neutres,  on est conduit à penser que les atomes poursuivront leur chemin sans être perturbés par le champ magnétique… mais l'expérience, faite dans la première moitié du vingtième siècle, révéla que le faisceau d'atomes d'argent se sépare en deux faisceaux : on comprit finalement que les atomes d'argent se comportaient comme de petits aimants qui interagissent donc avec le champ magnétique appliqué et il fallut admettre l'existence d'un  concept nouveau, d'une idée nouvelle : certaines particules ont un «  moment magnétique », que l'on a nommé « spin ». Bien sûr, plus tard, il y eut des raffinements, et l'on compris qu'il  pouvait y avoir des spins de différents objets subatomiques, ce qui « expliquait » le moment  magnétique des atomes. La découverte fut à  l'origine de nombreuses techniques, telle la « résonance magnétique nucléaire », où l'on joue de l'interaction entre le moment magnétique des atomes et d'un champ magnétique, afin de connaître l’environnement des divers atomes.

Mais revenons à la phrase de mon mur, après nous en être considérablement éloigné : tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire. L'idée correspond aussi au fait que le diable est caché derrière chaque détail expérimental, derrière chaque calcul. Ailleurs, j'ai discuté la question des validations, et il ne s'agit pas seulement de vérifier que l'on ne s'est pas trompé, mais aussi d'être bien certain que nous n'avons pas pris nos désirs pour nos réalités. Lors des divers étapes de la recherche scientifique, nous sommes tentés de voir des lois, mais cette légitime tentation ne doit pas être hâtive, et il faut  s'assurer que nous voyons effectivement les lois que nous imaginons. Il vaut donc mieux ne pas conclure trop vite : si ces lois sont probables, elles ne sont que probables.

Tout cela étant dit, j'avais cette phrase « Tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire ». Elle ne m'allait pas, car elle était négative, et je crois que l'on peut être prudent sans être négatif. Avec l'âge, l’ensemble des erreurs que nous avons faites nous conduit souvient à douter plus que nous ne l'aurions fais plus jeunes, à être moins naifs, à discuter plus les faits.
Mais discuter ne signifie pas refuser, et c'est pour cette raison que je propose de ne pas mettre la négation d'emblée. C'est pour cette raison que je propose de poser seulement la question : devons-nous croire au probable ? Devons-nous admettre le probable ? Et là, je suis assez heureux, car j'assortis cette reformulation de l'idée selon laquelle une question est une promesse de réponse.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)