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jeudi 16 décembre 2021

La science, la raison et la foi



Discutant avec un prêtre, je me fais reprocher de séparer la raison et la foi. Pourtant, ce n'est pas cela que j'ai dit : la difficulté que je voyais était la littéralité de la Bible, et les rapports de la science et de la foi.

Oui, ce qui m'étonne depuis longtemps, c'est que des scientifiques de talent tels que Michael Faraday aient adhérés à l'idée d'une lecture littérale de la Bible.
Et, presque évidemment, je  ne vois pas d'opposition entre la raison et la foi, car j'imagine bien -et ce serait une injure que de ne pas le faire- que les théologiens font usage de leur raison.

Lisant un texte qui traite de cette question, j'ai retrouvé cette idée, que j'avais oublié, selon laquelle Eddington, professeur auprès de qui l'abbé Georges Lemaître avait appris la physique, considérait que les notions, en sciences, formaient des "cycles" qui ne parvenaient jamais à atteindre la question fondamentale de la création. Lemaître ne partageait pas cette idée, mais il faisait une nette séparation entre ses travaux de physique relativiste et ses interrogations théologiques ; il évoquait "deux chemins".

Ce que je vois aussi à la lecture du texte que j'évoque, c'est que l'on ne devient pas plus bête à s'interroger un peu sur de grandes questions philosophiques, car on n'oubliera pas que même si la terminologie de "philosophie naturelle" est oubliée, il y a lieu de se souvenir qu'il y avait le mot "philosophie" dans cette dénomination

Oui, les sciences de la nature ne sont pas une simple exploration "technique" du monde, car, comme disait Rabelais, science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Certes, il faisait l'hypothèse de l'âme, mais on pourrait mettre à la place le mot "esprit".

Les sciences de la nature ne peuvent être très intelligentes si elles n'ont pas pour socle une réflexion méthodologique.

Admettons les deux chemis de Lemaître  : on peut faire  des sciences de la nature quelle que soit la foi que l'on a ou que l'on n'a pas. Et je reste avec mon interrogation : comment Faraday pouvait-il croire à la littéralité de la Bible ?

vendredi 7 décembre 2018

Se meubler l'esprit


Je viens de subir les litaniques "ah mon pauvre monsieur, tout va mal" d'une personne angoissée... et je me suis mal comporté : après une minute de ce régime, j'ai estimé que j'avais assez perdu mon temps, et j'ai mis fin à l'entretien. Cela n'est pas convivial, pas sociable, pas sympathique (au sens littéral du terme).
En réalité, cela ne date pas d'aujourd'hui que je déteste ces discussions de café du commerce, qui sont aussi inutiles que bêtes, et j'ai résolu, il y des décennies, de ne pas le supporter. Pourquoi ?
Parce que notre esprit est comme notre appartement, à savoir un lieu que l'on meuble. Chez soi, on décide la couleur des fauteuils, des couvertures, de la peinture des murs ; on choisit ce qui est affiché aux murs, et j'ajoute que ce n'est pas toujours une question d'argent, car en réalité il ne coûte pas plus cher d'avoir des murs blancs que jaune. Pour d'éventuels "tableaux", des reproductions d'une toile de Jérôme Bosch font tout aussi bien que l'oeuvre originale. Il s'agit surtout de décider ce que l'on se met sous les yeux, de ce que l'on veut voir.



Sur notre écran d'ordinateur, même question, et voici pourquoi il est si intéressant, pour comprendre autrui, de voir son écran.
Bref, "meubler" son environnement, de travail ou de vie, c'est décider de la vie que l'on veut mener.

Il en va de même avec notre  esprit, et j'aime assez voir telle lecture comparée à un tableau sur un mur. Si je lis des oeuvres intelligents, mon esprit brille intérieurement comme si l'on avait astiqué les cuivres. Et c'est d'ailleurs cet ensemble des informations que j'ai reçues - je préfère écrire : "décidé de recevoir"- qui fait mon environnement interne, qui me permet de m'y sentir bien. Certes, il me manque toujours une lecture, il me manque toujours de l'intelligence, mais j'ai bon espoir que du travail me permettra de
A contrario, écouter quelqu'un se plaindre des chiens écrasés, c'est se salir l'esprit.  Lire un livre minable, regarder une série lamentable, écouter une musique médiocre, c'est aussi se mettre dans l'esprit de la boue, des ordures, de la poussière. Tout ce que je souhaite éviter.

Bien sûr, nous savons que le monde est le monde, et il suffit de lire Aristophane pour s'apercevoir que la politique n'a guère changée, avec notre lot d'autoritaires et de malhonnêtes, de malfaisants, de fous, etc... mais il y a aussi les autres, les belles personnes, qui ont une sorte d'obligation morale, de faire rayonner autour d'eau du bel or, plutôt que de l'orviétan ou pire.
Mettons les belles personnes en avant, promouvons toutes celles et tous ceux dont la pensée élève l'esprit des autres.
Et bien sûr, fermons la porte et les fenêtres de nos esprits, afin de ne pas laisser entrer n'importe qui. J'ajoute que la métaphore s'arrête là : il n'est pas interdit d'être accueillant, mais de même que l'on dit qu'il était écrit à l'entrée de l'Académie, fondée à Athènes par Platon "Que nul n'entre s'il n'est géomètre", j'aurais tendance à proposer de n'ouvrir son esprit qu'à ceux qui ont décidé d'y apporter de quoi l'embellir.


A la réflexion, je crois que j'ai déjà évoqué cela, d'une autre façon, en parlant de politesse : la politesse, puisque cela consiste à se préoccuper du bien des autres, impose de filtrer nos lamentations et, bien plutôt, de préparer des bouquets de fleurs qui viendront égayer la demeure intérieure de nos interlocuteurs.


 N'est-ce pas ?

jeudi 10 mai 2018

Il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre



Je citais naguère, jusqu'en exergue d'un de mes livres, la devise du chimiste Michel-Eugène Chevreul : "Il faut tendre avec effort vers la perfection sans y prétendre". J'aimais cette idée d'un travail qui n'a pas de prétention, mais qui veut seulement - au fond, comme les séances d'amélioration de l'esprit de Michael Faraday- un petit mieux de la pensée. Et puis, j'aimais aussi cette idée qu'un travail acharné vient à bout de tout... ce qui est humain, sachant par ailleurs que la perfection n'est pas de ce monde, de sorte que l'on aurait été dans l'erreur de penser que l'on puisse atteindre la perfection. D'ailleurs, qui dit que l'imperfection n'est pas une caractéristique de la beauté ?


Tout cela était bien... mais je trouve, dans le livre Chevreul, un savant des couleurs, que cette devise que j'attribuais à Chevreul est prise à Malebranche, avec une variante : "On doit tendre avec effort à l'infaillabilité sans y prétendre".

J'y suis allé voir de plus près, et j'ai trouvé, dans Nicolas Malebranche (La Recherche de la Vérité, Livre Premier : Des Sens. https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_recherche_de_la_v%C3%A9rit%C3%A9/Livre_I) :
"S’il est donc vrai que l’erreur soit l’origine de la misère des hommes, il est bien juste que les hommes fassent effort pour s’en délivrer. Certainement leur effort ne sera point inutile et sans récompense, quoiqu’il n’ait pas tout l’effet qu’ils pourraient souhaiter. Si les hommes ne deviennent pas infaillibles, ils se tromperont beaucoup moins, et s’ils ne se délivrent pas entièrement de leurs maux ils en éviteront au moins quelques-uns. On ne doit pas en cette vie espérer une entière félicité, parce qu’ici-bas on ne doit pas prétendre à l’infaillibilité ; mais on doit travailler sans cesse à ne se point tromper, puisqu’on souhaite sans cesse de se délivrer de ses misères. En un mot, comme on désire avec ardeur un bonheur sans l’espérer, on doit tendre avec effort à l’infaillibilité sans y prétendre.
"Il ne faut pas s’imaginer qu’il y ait beaucoup à souffrir dans la recherche de la vérité ; il ne faut que se rendre attentif aux idées claires que chacun trouve en soi-même, et suivre exactement quelques règles que nous donnerons dans la suite. L’exactitude de l’esprit n’a presque rien de pénible ; ce n’est point une servitude comme l’imagination la représente ; et si nous y trouvons d’abord quelque difficulté, nous en recevons bientôt des satisfactions qui nous récompensent abondamment de nos peines ; car enfin il n’y a qu’elle qui produise la lumière et qui nous découvre la vérité."

Il est donc question ici d'infaillibilité, et non de perfection. C'est bien plus intéressant, car l'infaillibilité est accessible ; disons plus accessible que la perfection. Mais nos efforts, dit Malebranche, ne doivent pas nous rendre présomptueux, prétentieux...
D'ailleurs, il n'est pas anodin que cette discussion soit d'un prêtre, et qu'il soit en réalité question non pas de sciences de la nature, mais sans doute bien plus de position théologique ou morale.


dimanche 28 août 2016

Regarder avec les yeux de l'esprit

Dans les phrases écrites sur les murs de notre laboratoire, il y a celle-ci : "regarder avec les yeux de l'esprit".
Regarder avec les yeux de l'esprit ? Regarder, c'est généralement avec les yeux. Il y a d'ailleurs lieu de distinguer  regarder et voir, mais quand même, il s'agit d'un acte qui, normalement, conduit à percevoir à l'aide des yeux. Autrement dit, regarder avec les yeux de l'esprit  doit être interrogé. Et puis, l'esprit n'a pas d'yeux, puisque les y
eux sont ces  globes que nous avons sur l'avant visage. Mais la proposition invite à y penser  mieux et, surtout, elle invite à utiliser notre esprit comme nous utilisons  nos yeux. Il faut braquer notre intellect sur des objets et la comparaison a l'intérêt que l'on peut imaginer un faisceau lumineux soit focalisé soit diffus. il y a les yeux, il y a également la lumière.

La métaphore est intéressante, parce qu'elle permet d'y penser un peu plus.

jeudi 18 août 2016

Les six conseils de Michael Faraday

Vérifier ce que l'on nous dit.
Ne pas généraliser activement.
Avoir des collaboration.
Entretenir des correspondances.
Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées
Ne pas participer à des controverses.
Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune.

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence...
Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier  ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la  différence entre la technique et la technologie, entre  le technicien et le technologue.
À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the  mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

1. Ne pas généraliser hâtivement :  c'est  bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses  désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science  explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions,  des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions,  qui permettront de bâtir des théories.

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées :  cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ?  Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les  gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation.  De surcroît, écrire les idées impose de les formuler,  et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui.
On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos  théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots,  puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger  un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et  les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard.

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre,  proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego  puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles  personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des  théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit  se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes.
Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais  il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase.

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également  imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop.
Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs  ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher,  vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus.  Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même.

5. Vérifier ce que l'on  nous dit : là,  Faraday donne  encore une règle générale de vie, mais  je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a  été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde  de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances,  d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles,  était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher  d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à  des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs  d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait  été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait  l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser  redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des  blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus  des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de  sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste.

 6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur  l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux.
Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux  fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

samedi 6 juillet 2013

La communication... partout ?



Quand nous meublons notre appartement, c'est pour nous que nous le faisons : ce n'est pas tous les jours que l'on reçoit des amis, et les tableaux aux murs, les couleurs de ces derniers, les matières des sols... Tout cela vise à nous rendre la vie heureuse, parce que nous le percevons quand nous sommes chez nous. Autrement dit, meubler un appartement, c'est organiser une communication avec nous-même. 
 
De même, les livres que nous choisissons, les activités intellectuelles que nous avons, les conversations que nous menons, également, laissent des traces dans notre esprit, des souvenirs. 
Autrement dit, nos activités intellectuelles sont une façon de nous parler à nous-même. Nous nous "meublons" l'esprit. Cela a des conséquences : de même qu'une "croûte" sur les murs nous inflige la vision d'une horreur, augmentant notre inconfort, la contemplation de certaines émissions de la lucarne à décerveler nous abime l'esprit, nous salit... Il y a donc une responsabilité morale à bien choisir nos "consommations" (livres, émissions de radio ou autres, sites internet, journaux...) afin de nous élever l'esprit : souvenons-nous de Michael Faraday, l'un des plus grands physico-chimistes de tous les temps, qui allait le mercredi soir à son "club d'amélioration de l'esprit" (en plus du temple, mais c'est là une toute autre affaire, pour une autre fois). 
Tiens, tant qu'à me faire des ennemis : et si je signalais que le dernier numéro de la revue Pour la Science publie un article sur les arènes ? Aujourd'hui, il y a les stades. Hier comme aujourd'hui, le Prince donne au peuple (pour le calmer) du pain et des jeux. Voulons-nous vraiment tomber dans ce piège millénaire ?

 Mais la morale est ennuyeuse, et Aristophane semble du meilleur côté de la vie que Sophocle. Et puis, à quel titre pourrais-je me permettre d'ennuyer mes concitoyens, alors que ma vertu n'est certainement pas à la hauteur? 
Passons, donc, et revenons à la "communication", puisque c'est de cela dont ce billet discute. 
Nous "parlons" aux autres, et nous parlons à nous-mêmes. Une question, de ce fait : la communication serait-elle donc la totalité de la vie ? Y a-t-il autre chose que des actes de communication ?

mardi 5 mars 2013

Supplément d'âme

Supplément d'âme ? Le mot est beau... mais faut-il céder au charme d'une expression qui engage plus qu'on ne l'a décidé ?
Parler d'âme, c'est en supposer l'existence. L'âme, c'est quand même quelque chose de très connoté religieusement.
Je ne dis pas ici si je suis croyant ou non : je dis simplement que celui qui maîtrise la langue qu'il emploie sait que l'expression "supplément d'âme" se dit croyant.

Evidemment cet exemple n'est que représentatif de toute une catégorie de paroles, d'actes.