dimanche 28 janvier 2018

Dans la familles "fantasmes"...

Ces temps-ci, les activistes anti-technique de tous poils font du bruit... quand on est abonné aux réseaux sociaux, mais on n'oubliera pas que le phénomène est anecdotique... puisqu'il n'est pas nouveau, et j'invite nos politiques à ne pas gober n'importe quelle lubie irrationnelle ou idiosyncratique, en n'oubliant pas que le peuple français s'est déchiré quand on a installé les premiers chemins de fer, qui devaient "faire tourner le lait des vaches", ou encore quand il s'est agi de voler : les familles s'entredéchiraient à propos du "vol du plus lourd que l'air". Risible.

En matière alimentaire, aussi, il y a eu des fantasmes, des craintes... Ainsi l'écrivain Gustave Lerouge avait imaginé une gelée parfumée sur mesure qui aurait nourri, et le chimiste Marcellin Berthelot avait prédit que, en l'an 2000, la chimie aurait résolu le problème de l'alimentation, par des "tablettes nutritives".
Si le premier est excusable, parce que la littérature propose de la fiction, le chimiste ne l'est pas, parce qu'il aurait dû connaître la quantité d'énergie maximale stockable dans une tablettes : bien trop peu pour nourrir, puisqu'il faut au minimum 360 grammes de matière grasse, quotidiennement, pour avoir assez d'énergie... sans compter que nous avons besoin aussi d'eau, de protéines et de saccharides, dont la densité énergétique est inférieure à celle de l'huile. Bref, de très grosses tablettes !
Mais on se souvient que Marcellin Berthelot était un arriviste... qui est arrivé (voir l'excellent Berthelot, ou l'autopsie d'un mythe, par J. Jacques), et qu'il agitait surtout de la philosophie chimique grandiloquente pour asseoir son prestige auprès des non scientifiques, alors même que ses pairs lui contestaient la primauté de nombre de ses prétendues découvertes ou même jugeaient bien légères ses "avancées".

Mais passons rapidement, car il y a tant de belles personnes, en science : Michael Faraday, André Ampère, Henri Poincaré... Et revenons à notre question des fantasmes alimentaires. Les tablettes ou les pillules nutritives ? Un fantasme. La vitalose ? Un fantasme.

Et celui-ci, dû à Anatole France, dans La rôtisserie de la reine Pédauque :

"On se nourrira alors d'extraits de métaux et de minéraux traités convenablement par des physiciens. Ne doutez point que le goût n'en soit exquis et l'absorption salutaire. La cuisine se fera dans des cornues et dans des alambics, et nous aurons des alchimistes pour maîtres-queux. N'êtes- vous point bien pressés, messieurs, de voir ces merveilles ?"

Non, cher Anatole France, on ne se nourrira pas d'extraits de métaux... parce que nous ne sommes pas des "hommes de fer". Notre nourriture est parallèle à notre composition chimique : notre organisme est fait d'environ 70 pour cent d'eau, et le reste, ce sont des molécules "organiques", faites, dans l'ordre d'abondance décroissant, de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote. Très peu de métal dans cette affaire.
Les métaux ? Très peu, même s'ils sont essentiels, tel le fer dans l'hémoglobine, le zinc dans des enzymes, ou le cobalt dans la vitamine B12... Les minéraux ? Nous ne sommes pas faits de silice, et le silicium (la silice, c'est de l'oxyde de cet élément) n'est pas pour grand chose, ce qui fait que le sable, inerte, est rejeté. L'argile, qui entre dans ces autres fantasmes que sont le golem, par exemple ? Des silicates ou des aluminosilicates, avec du calcium, du potassium, etc. qui ne sont pas abondants dans notre organisme... et n'ont donc guère de place dans notre alimentation.

 La cuisine dans des cornues ou des alambics ? Là, en revanche, pourquoi pas, puisque c'est déjà le cas avec les évaporateurs rotatifs qui font de si beaux extraits ! Mais des alchimistes pour maîtres-queux ? Certainement pas, comme on va le voir.
L'alchimie était le nom donné, jusqu'à l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert environ, à cette activité de recherche de la constitution de la matière. Puis se détacha une activité rationnelle, scientifique, qui est la chimie, tandis que des individus restaient collés à des recherches plus ésotériques ou spéculatives, avec la recherche d'un Grand Oeuvre, et autres espoirs que je crois vains.
Autrement dit, les alchimistes n'ont rien à voir avec l'alimentation. En revanche, la chimie ? Puisque c'est une science, ce n'est pas une technique, et il serait faux de dire que la cuisine pourra devenir de la chimie : une technique doublée d'un art (parfois) ne sera jamais une science.

Donc pas de fantasmes, fondés sur l'ignorance des faits ou sur un usage mal approprié des mots !







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

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