lundi 2 novembre 2020

 

Il y a une figure rhétorique nommée "dragon chinois" : elle consiste à créer un problème qui n'existe pas puis à le pourfendre pour montrer combien on est courageux. 
C'est un peu cela que je trouve dans un texte qui m'arrive à propos de la confection de la crème anglaise sans thermomètre. Oui, peut-on faire une crème anglaise sans thermomètre ? 
 
Commençons immédiatement par dire que pendant des siècles, personne n'a besoin de thermomètre pour faire une crème anglaise ! Au fond vraiment il n'y a rien de plus simple que la crème anglaise, puisque l'on bat des jaunes d'oeufs avec du sucre, puis que l'on ajoute du lait et que l'on chauffe jusqu'à obtenir un épaississement. 
Normalement, la proportion de jaunes d'oeufs est de 16 pour un litre de lait,  avec environ autant de sucre que de jaune, et on peut évidemment donner du goût à tout cela avec une pincée de sel et de la vanille que l'on aura fait notamment infuser dans le lait avant de verser celui-ci sur le mélange de jaunes et de sucre qui ont été battus, jusqu'à blanchir, ce qui correspond au "ruban". 
 
Si l'on sert cette crème anglaise immédiatement, alors il suffit de la cuire jusqu'au point souhaité, puis de la servir. Si on doit la faire attendre, surtout en dehors d'un réfrigérateur, alors il vaut mieux la chauffer suffisamment pour éviter des désagréments microbiologiques, et c'est pour cette raison que l'on conseille parfois l'utilisation d'un thermomètre. Mais on peut observer que l'épaississement constitue un thermomètre suffisant, et l'on peut même ajouter qu'une pincée de farine permet de faire bouillir la crème anglaise sans qu'elle grummelle. Bien sûr elle prend alors un léger goût d'oeuf cuit... mais onn'est quand même pas obligé de faire bouillir comme une brute et l'on peut s'arrêter au premier bouillon. 
 
Ceux qui veulent plus de précision pourront aller consulter l'excès l'excellent ouvrage de Madame Saint-Ange, et l'on verra d'ailleurs que cette dernière n'utilise pas de thermomètre ! 
Oui, décidément, il y a des cuistres, qui prennent les cuisiniers pour des imbéciles : Sutor non supra crepidam

Des féculents dans les boudins blancs ?

Cette fois, le billet se trouve ici : https://nouvellesgastronomiques.com/dans-les-boudins-blancs-feculent-ou-pas-par-herve-this/

vendredi 30 octobre 2020

Quelques questions "personnelles"


Alors que je prévois une discussion en visio avec des "jeunes collègues" qui font des travaux sur la gastronomie moléculaire, on me demande si je peux également répondre à des questions "personnelles.

Et ma réponse :

Pour les questions personnelles, avez vous vu les pages spécifiques ?  C'est là : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/et-plus-encore/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles

Cela étant, oui, tout peut être évoqué le 4 : les gens honnêtes n'ont rien à cacher, et, au contraire, ils ont des valeurs à diffuser. Dans mon cas, la principale tient dans ces dictons alsaciens :
1. Mir sin was mir macht
2.  Dr Schaffe het sussi Frucht un Wurscht
Mais il y a toute la liste complète des "valeurs" inscrites sur la porte de mon bureau.


D'autre part, on me demande si j'ai des "rituels". Et l'on ne sera pas étonné que je réponde avec le (1). Et j'ajoute le (2) :

Des rituels ?
1. Le mot est contestable, puisqu'il renvoie au rite :
 Ensemble de prescriptions qui règlent la célébration du culte en usage dans une communauté religieuse.

2. Je me suis donné, en revanche, des habitudes : dès que je me lève, je me mets à travailler avec un café. Ou encore : quand je vais de Montparnasse au laboratoire, chaque jour, à pied, et quand je rentre du laboratoire à Monptparnasse, je dicte des billets de blog (sauf quand j'en profite pour des évaluations personnelles ou des recherches de concepts).
Et encore : tous les soirs, je fais mon "email du soir", structuré (voir le modèle).


On me demande également des "conseils".

Des conseils : décidez de tout ce que vous faites par vous-mêmes, rationnellement. Et n'écoutez pas les conseils.
Mais surtout n'oubliez pas que : Mir sin was mir macht (nous sommes ce que nous faisons).
Bien sur, dans le détail il y a mille choses, qui vont de la maîtrise du calcul (les "maths", comme disent certains) à la précision du langage, mais cela ferait trop (une chape de plomb : voir les documents que je remets aux jeunes amis en stage)


Puis des livres ou des films qui auraient changé ma vie ?

Et pourquoi pas des tableaux, des musiques, etc.? Mais  bon :

Les livres ou films qui ont changé ma vie ? Un seul : un livret de vulgarisation de la chimie qui accompagnait ma boite de chimie, à l'âge de six ans... et ce livre est d'ailleurs très mal fait et très mauvais.
Cela dit  : je ne suis pas du genre à lire des livres et encore moins voir des films, car je m'ennuie ; personnellement, j'ai tant à produire, et cela m'amuse tellement plus !


Enfin, on me demande si j'ai des modèles ou des mentors.

Des modèles ou des mentors ? Plutôt crever ! Je suis grand : je tiens sur mes deux jambes. Je ne veux pas prendre les habits que l'on me tend, mais me faire mon propre cadre... qui devra être changé sans cesse, pour le mieux. Rien de pire que l'immobilisme (pour moi). D'ailleurs, il y a dans mon bureau un panneau : "je suis insuffisant, mais je me soigne : puisque tout ce qui est humain est imparfait, ne nous arrêtons pas de chercher des améliorations".
Chevreul, lui, disait : il faut tendre avec efforts vers l'infaillibilité sans y prétendre.


 

jeudi 29 octobre 2020

Un pseudo sur les réseaux sociaux ? C'est louche

 
Parfois (mais rassurez-vous, très rarement), mes billets de blogs et des twitts me valent des critiques... de personnes qui ne signent leur message que d'un pseudonyme. Cela a de quoi surprendre, car, en contrepartie, mes "amis" qui "aiment" billets ou twitts signent le plus souvent de leur vrai nom.
Mais au-delà de ces constatations, je me dis qu'il y a quelque chose d'étrange à utiliser un pseudonyme pour participer à des débats publics. A-t-on honte de ce que l'on dit ? Et, quand on critique, n'y a-t-il pas une certaine lâcheté à dénoncer ou à critiquer  masqué ? D'autant que les messages négatifs sont parfois à la limite de la diffamation. Personnellement, je n'ai pas de temps à répondre à des roquets, mais quand même, même les chiens qui aboient le font sans se cacher.
Et pour les éloges : pourquoi les faire cachés, au fond ?
Oui, plus généralement, pourquoi ne pas signer de son vrai nom, quand on est parfaitement honnête ?


mercredi 28 octobre 2020

Les ions minéraux et l'organisme

 
Oui, je me suis publiquement engagé à ne parler ni de toxicologie ni de nutrition, mais des amis me demandent si l'on peut boire de la neige fondue... et la réponse est non.
Mais comme je me suis engagé, je me limite à donner ici un "abstract" d'un livre scientifique sur ce thème, et à en livrer ensuite la traduction en français :

D'abord, ce qui a été publié par  Rosborg et al., Drinking Water Minerals and Mineral Balance pp 1-24 :
 

Minerals and drinking water play an important role in the body. There are around 20 essential minerals for humans. Their origin is mostly the bedrock, and they can all be present to high or low concentrations in ground as well as surface water. Normal weight adults need 2.0–2.5 L/day of water for proper hydration, and it is known for centuries that water can be a source of minerals, where they are present as ions, in general readily absorbable. In the eighteenth and nineteenth century well off people in Europe went to health resorts to drink specific mineral waters containing sufficient levels of one or more essential minerals, water chosen for a specific health disorders. On the other hand, case histories from alpine climbing or polar expeditions which used melted snow as the only source of drinking water, with no minerals at all in it, appeared in scientific literature in mid twentieth century. The symptoms were derived from acute water and mineral imbalance and water intoxication, and include weakness, fatigue, convulsions, unconsciousness, and even death. Such water is comparable to RO (Reverse Osmosis) treated, desalinated water of today. Low levels of specific mineral elements have been proven to cause some diseases and symptoms. Thus, districts of Norway had high frequencies of softening of bone tissue among domestic animals (later identified as P deficient soils and water), and parts of China had increased levels of heart failure (low Se in soils and water). Dental remains of Native Americans from parts of Kentucky indicate Mn and Zn deficient soils and water, as cultivated maize had extremely low levels. During the twentieth century, hard water, with elevated levels of especially Ca, Mg and HCO3, presently with focus on Mg, is proven protective against diseases, especially cardiovascular diseases, but also diabetes, osteoporosis and even cancer.

Et en voici la traduction :

Les minéraux et l'eau potable jouent un rôle important dans l'organisme. Il existe environ 20 ions minéraux essentiels pour l'espèce humaine. Ils proviennent principalement des roches terrestres et peuvent tous être présents à des concentrations élevées ou faibles dans les eaux souterraines et de surface. Les adultes de poids normal ont besoin de 2,0 à 2,5 L/jour d'eau pour s'hydrater correctement, et l'on sait depuis des siècles que l'eau peut être une source de minéraux, où ils sont présents sous forme d'ions, en général facilement absorbables. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Européens aisés en Europe se rendaient dans des stations thermales pour boire des eaux minérales spécifiques, contenant des niveaux suffisants d'un ou plusieurs minéraux essentiels, choisie pour des troubles de santé spécifique. D'autre part, des troubles ont été signalés  au milieu du XXe siècle chez des alpinistes ou des membres d'expéditions polaires dont la neige fondue était la seule source d'eau potable, sans aucun minéral. Les symptômes étaient dus à un déséquilibre aigu de l'eau et des minéraux et à un déséquilibre ionique de l'eau ; il s'agissait de  faiblesse,  fatigue,  convulsions, inconscience, et même la mort. Cette eau est comparable à l'eau traitée par osmose inverse (RO) et dessalée d'aujourd'hui. Il a été prouvé que de faibles niveaux d'éléments minéraux spécifiques sont à l'origine de certaines maladies et symptômes. Ainsi, dans certains districts de Norvège, les animaux domestiques présentaient des fréquences élevées de ramollissement du tissu osseux (on a identifié que les sols et les eaux étaient déficients en phosphore), et, dans certaines régions de Chine, l'incidence augmentée des insuffisances cardiaques était  due à de faibles teneurs en sélénium dans les sols et  dans les eaux. Les restes dentaires d'Amérindiens de certaines régions du Kentucky révèlent des déficiences en manganèse et en zinc, dans les sols, les eaux, le maïs cultivé. Au cours du XXe siècle, l'eau dure, avec des niveaux élevés de calcium, magnésium et hydrogénocarbonate (un effort est fait aujourd'hui pour le magnésium) s'est avérée protectrice contre les maladies, en particulier les maladies cardiovasculaires, mais aussi le diabète, l'ostéoporose et même le cancer.

Voilà : ne buvons pas trop de neige fondue !

mardi 27 octobre 2020

De... l'information ?

 
De l'information ? Ne soyons pas naïf  : il y a ceux qui donnent, et ceux  qui reçoivent. 

Ceux qui émettent : pourquoi le font-ils ? quelle est leur intention ? pourquoi ont-ils choisi d'émettre un message plutôt qu'un autre  ? 

 

Ces questions doivent être posées avant que nous n'acceptions de recevoir des messages... et cela serait bon qu'elles soient présentées dès l'école.
Car on ne doit pas oublier que les émetteurs ont souvent bien décidé, s'ils ont quelques compétences, non seulement ce qu'ils voulaient délivrer, mais aussi la façon d'émettre ce qu'ils ont décidé d'émettre, et qu'ils ont anticipé l'effet de leur message sur leurs interlocuteurs.
Bien sûr, il y a des émetteurs moins compétents que d'autres, plus simplets, mais quand même, nous aurions lieu de nous méfier de ce que nous recevons.
Oui, qu'il s'agisse d'articles de journal, d'émissions de radio, d'émissions de télévision, nous devons apprendre à nous interroger sur les objectifs de ceux qui prétendent de donner des "informations". Et il y a lieu d'être particulièrement circonspect quand ceux qui émettent prétendent que les informations délivrées sont "neutres", "factuelles". 


Mais on m'a compris, et je n'insiste pas. Je conclus rapidement en recommandant le visionnage, encore et encore, de cet épisode du merveilleux film "Le président", ou Jean Gabin, qui joue le président du Conseil, fait  un beau discours... auquel assistent deux journalistes ; après le discours, il y a un échange, et la décision est prise non pas de relater le beau discours du président du Conseil... mais l'intervention réactionnaire du minable auquel le président du Conseil avait répondu.
Bien sûr, c'est une fiction... mais, vraiment ?  

Ce n'est pas vrai !


Dans une revue scientifique "reculée", je trouve un article qui dit des choses fausses à propos des "chiffres significatifs", à savoir ceux que l'on DOIT afficher quand on fait des sciences de la nature ou de la technologie. Il faut dénoncer ces mauvais textes... et donner l'information juste.
 

Commençons par le mauvais texte, dont je donne d'abord la version originale, puis une traduction en français :
"Depending on the accuracy of the tools we employ in our research, each variable is measured within a certain degree of precision. For example, in most clinical studies on adults, age is measured in years. Generally, measuring the age with more accuracy in such studies is neither necessary nor of any particular importance. However, we might measure blood pH in the same study with two or even three digits after the decimal point because minute changes in blood pH are associated with serious clinical implications.
Statistical software programs commonly used in the analysis of research data, however, calculate the results with a predefined precision, say, three digits after the decimal point, no matter how accurately the raw data were measured. Therefore, the software would report the mean of both of the mentioned variables, age and pH, with three digits after the decimal point.
The question arises: how should we report these statistics in scientific articles? Apparently, there is no consensus on this issue. For example, some references suggest that in reporting statistics (eg, means and standard deviations [SDs]) not to use precisions higher than the accuracy of the measured data (1); many researchers recommend to use only one decimal place more than the precision used to measure the variable (2,3); and, some mention that although means should not be reported to no more than one decimal place more than that of the raw data, SDs may need to be reported with an extra decimal place (4)."

 
Et la traduction : 

 "Selon la précision des outils de mesure que nous employons dans nos recherches, chaque variable est mesurée avec une certaine précision. Par exemple, dans la plupart des études cliniques des adultes, l'âge est mesuré en années. Généralement, il n'est ni nécessaire ni important de donner plus de précisions. En revanche, dans les mêmes études, on peut mesurer le pH du sang avec deux ou même trois chiffres après la virgule, parce que de minimes changements du pH sanguin peuvent être associés à d'importants changements physiologiques. Les programmes de statistiques communément dans l'analyse scientifique calculent toutefois les résultats avec une précision prédéfinie, par exemple trois chiffres après la virgule, quels que soient les variables traitées. Aussi les logiciels afficheraient tant l'âge que le pH avec ces trois chiffres décimaux.
La question se pose : comment afficher ces données statistiques dans les articles scientifiques ? Apparemment, il n'y a pas de consensus à ce propos. Par exemple, certaines références proposent que, pour donner des informations statistiques (par exemple la moyenne et l'écart-type), on ne doit pas utiliser une précision plus grande que la précision des données mesurées  ; de nombreux chercheurs  recommandent de n'utiliser d'un chiffre décimal de plus que la précision des résultats ; et certains mentionnent que les moyennes doivent être affichées avec seulement une décimal de plus que les données brutes, alors que l'écart-type ne doit pas être affichés avec cette décimale supplémentaire".


 

Tout cela est faux !

1. tout d'abord, il n'est pas question de "variables", mais de grandeur

2. d'autre part, utiliser des logiciels tout faits est le signe  d'une médiocre pratique scientifique... car on ne maîtrise rien

3.  il n'est pas vrai qu'il n'y a pas de consensus : l'affichage des données est parfaitement codifié par le Bureau international des poids et mesures, qui a produit le "GUM"

4. on ne doit afficher que des "chiffres significatifs", et j'ai déjà souvent discuté la question

5. il ne s'agit pas d'aller voir qui fait quoi, idiosyncratiquement, quand on fait de la science, mais d'examiner les consensus

6. parler de "statistiques" pour évoquer des moyennes et des écarts-types, cela fait chic, mais pas bien nécessaire.

7. un pH avec trois décimales ? je doute vraiment du travail de nos auteurs, surtout quand les solutions considérées (le sang) contiennent des protéines !

 

Et je vous épargne la suite de l'article

 

Décidément, il y a des articles qui peuvent faire perdre beaucoup de temps à ceux qui ont le désir de faire de la bonne science !