mercredi 22 mai 2024

Je ne sais pas, mais je cherche


L’expérience montre qu'il y a des personnes dont les réponses sont négatives ou défensives. Elles ne répondent qu'un sec : « Je ne sais pas ». C'est comme si l'on avait donné un coup dans un édredo

n : il encaisse le choc, s'enfonce. Comme si l'on avait refermé une porte au nez de nos amis. Avec une telle réponse, il n'y a pas de discussion, et il y a l'aveu d'une faiblesse. Je propose évidemment quelque chose de beaucoup plus positif à savoir que je ne sais pas, mais que je cherche. Ce qui signifie aussi : je suis honnête et j'avoue que je ne sais pas, mais sans perdre une seconde, je me mets en quête de la réponse. 

Évidemment cette formule « Je ne sais pas mais je cherche » n'est qu'une sorte d'illustration d'une attitude générale, notamment pour les sciences de la nature. Ces dernières sont une activité difficile, et il sera prétentieux de dire que l'on sait, de sorte qu'il est bien plus juste de dire que nous ne savons pas, mais cette ignorance n'est pas une faute si elle est assortie d'une activité soutenue de recherche : je ne sais pas mais je cherche. 

Cette discussion vaut également pour les examens que passent nos étudiants. Bien souvent, dans un examen, on peut ne pas savoir, surtout quand la question ne teste pas des connaissances de cours, mais plutôt des compétences, qui font usage de ces connaissances de cours sans se résumer à elles.
Par exemple, supposons que l'on interroge un candidat sur l'abaissement du point de congélation de l'eau quand on y met un composé « antigel ». La « loi de Raoult » stipule que cet abaissement est proportionnel à la concentration du produit antigel divisé par sa masse molaire. Évidemment un candidat qui saurait cela aurait au moins le mérite de le savoir, mais ce serait mieux encore qu'il sache le démontrer, et un candidat qui ne le sait pas ne le sait pas, mais on peut espérer qu'il puisse le retrouver. L'examinateur est donc moins intéressé par la formule que par la démonstration. Là il faudrait sans doute considérer qu'il y a encore deux niveaux : savoir le démonter, ou avoir une idée de la démonstration. En l'occurrence, l'idée de la démonstration tient dans la reconnaissance du fait qu'à l'équilibre entre différentes phases, le potentiel chimique des diverses phases est égal, ce qui revient en fait à dire que l'énergie n'est pas plus élevée en un point particulier du système.
Qu'est-ce que le potentiel chimique ? Ce serait bien que le candidat sache dire que c'est l'énergie par quantité de matière, mais peu importe. Ce qui importe surtout, c'est qu'il soit dans une dynamique positive : il peut chercher, analyser à voix haute, soliloquer, montrer qu'il sait tirer un fil de connaissance à partir d'une pelote très enchevêtrée. Il cherche, analyse, mobilise ses connaissances à la recherche de celles qui sont les plus pertinentes. Je ne sais pas, mais je cherche.

mardi 21 mai 2024

Le 13e workshop de gastronomie moléculaire et physique vient de s'achever

Le 13e workshop de gastronomie moléculaire et physique vient de s'achever à Palaiseau. Il réunissait plus d'une cinquantaine de personnes de plus de 10 pays sur le thème Consistances et texture

Il était organisé par Roisin Burke, Alan Kelly, Christophe Lavelle et moi-même, dans le cadre des activités du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-INRAE et sous le patronage de l'Académie d'Agriculture de France. 

Pendant 2 jours, les spécialistes des questions de consistances et de textures (notamment des rhéologistes) ont donc présenté leurs travaux récents sur le thème retenu, après qu'il avait été initialement bien expliqué par Paul Menut, de l'UMR Sayfood.
Plusieurs doctorants ont rapporté des résultats préliminaires et ont discuté des stratégies de leurs recherches. Des chercheurs ont présenté des travaux en cours, discuté des hypothèses scientifiques. 

Après ces deux jours d'intenses discussions, Reine Barbar et Roisin Burke ont organisé une session pour le projet européen Tradinnovation, des étudiants de Montpellier et de Kaslik présentant des résultats obtenus dans le cadre de ce programme. 

Finalement, nous avons discuté le développement de l'International journal of molecular and physical gastronomy,  et nous avons fait le point sur le prochain concours international de cuisine note à note. 

 

Nous avons terminé en décidant le programme du prochain workshop, en mai 2025 : la création d'aliments sains et durables, notamment par utilisation d'imprimantes alimentaires 3D, 4D, 5D, 6D

lundi 20 mai 2024

Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui nous dispensent de réfléchir.

 Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui nous dispensent de réfléchir.
Cette phrase est de Henri Poincaré, remarquable mathématicien français, venu de Nancy et qui eut un cousin qui devint président de la république. 

Mais un président de la république n'est rien : il y en a tous les cinq ans ; ils passent. Alors que le Poincaré mathématicien restera dans l'histoire de la pensée humaine pour toujours, tant il était extraordinaire, tant il fit progresser la connaissance, et les mathématiques en particulier. Un président de la république est un administrateur, remplaçable. Un mathématicien de génie comme Henri Poincaré est un individu irremplaçable, notamment parce que les mathématiques sont œuvres de création. 

Etre un des plus grands mathématiciens de tous les temps, cela est vraiment beaucoup. D'ailleurs, Henri Poincaré ne se contentait pas d'être un extraordinaire mathématicien ; il était aussi un très bon épistémologiste. Son livre La science et l’hypothèse est non seulement simple, limpide, mais aussi clairvoyant et d'une rare intelligence. En écrivant ces mots, je ne peux m'empêcher de penser que je devrais le relire un fois de plus, pour mettre plus de distance avec ce texte ancien (j'ai toujours peur des éblouissements), mais je dois avouer que chaque fois que j'ai fait l'exercice, j'ai trouvé bien peu à redire. Notamment, la phrase de Poincaré que je discute ici me semble très juste. Douter de tout : c'est une attitude commode et un peu bête ! Il est trop facile de réserver son jugement à tout bout de champ, et, un mouvement positif doit nous conduire parfois à dépasser les doutes. Mais je me reprends : à vrai dire, la critique que l'on pourrait faire à ce début de phrase est que le mot « doute » n'est pas bien défini. On a vu, dans un autre billet, que je distingue un doute mortifère, bête, et un doute positif, qui est en réalité une façon de chercher plus loin, positivement. Poincaré évoque seulement le premier des deux doutes, de sorte qu'on pourrait lui faire reproche de ne pas avoir distingué les deux doutes que j'évoque (on se rappelle que je cherche non pas à abattre les idoles, mais à trouver dans leurs discours ces idées fausses qui y sont quasi nécessairement). 

Tout croire c'est évidemment d'une naïveté navrante. Oui, c'est un fait que le monde nous soumet d'innombrables idées fausses qu'il faut évidemment savoir rejeter. Rejeter ? Dénoncer ? C'est là une idée politique que je laisse pour le moment. Mais il est vrai que tout croire est commode, paresseux. Et pour en arriver à la fin de la citation de Poincaré, oui, il s'agit bien de réfléchir. Il s'agit de prendre les idées, de les ruminer, de les discuter, d'en débattre, de les confronter, tout comme un orfèvre chercherait à savoir le titre d’un métal précieux. On pourrait dire d'ailleurs qu'il s'agit d’analyser, de décomposer pour mieux comprendre les parties, mais pas seulement pour voir les parties ; il s'agit aussi de voir les relations entre ces parties, c’est-à-dire de voir la structure intime. Finalement, partant de l'idée de Poincaré, je propose de distinguer deux mots et d'introduire le mot « analyse », dans l'affaire. Mais je ne veux pas oublier que Poincaré était un être exceptionnel, et si sa phrase peut être commentée, je propose que nous la gardions dans son idées générale, qui consiste à faire mieux.

dimanche 19 mai 2024

Ça y est le réflexe est pris.

 

Alors que je discutais de questions didactiques, j'ai été conduit à parler de mauvais professeurs que j'avais eus et dont le comportement m'indigne encore aujourd'hui... mais immédiatement, j'ai pris la précaution de dire qu'à côté de ces mauvais professeurs, il y avait eu tous les bons  professeurs, envers lesquels j'étais parfaitement reconnaissant, durablement.

Certes, il y a un peu d'exagération dans les deux cas... notamment parce que, en vérité, je n'écoute pas les professeurs et que je préfère faire mon chemin moi-même. Ce qui n'est d'ailleurs peut-être pas un bon exemple à donner. Mais c'est là une autre affaire.

Surtout, ce que je veux observer, c'est que, pour une fois,  j'ai été capable d'éviter une généralisation, et, d'autre part, que je me suis décollé de la boue pour regarder le ciel bleu.
C'est là le fruit d'un entraînement constant, mais salutaire : oui, à côté d'individus paresseux, autoritaires, insuffisants, que sais-je ?, il y a tous ceux qui s'efforcent de faire bien et que nous devons à la fois féliciter et encourager,  remercier aussi.

Encourager est, des trois mots, celui que je retiens  surtout, car même quand tout est bien, il y a possibilité de faire mieux, et j'appelle depuis longtemps de mes vœux des discussions didactiques, notamment pour l'enseignement supérieur.

J'écris cela alors que je sors de la rédaction d'un texte qui montre l'importance de l'évaluation par les pairs, et que je ne vois pas pourquoi le monde de ce qui est nommé enseignement devrait s'échapper à cette évaluation. Ou plus exactement, pourquoi ne monde ne pourrait pas bénéficier d'une telle évaluation, car je maintiens que l'évaluation par les pairs est un facteur d'amélioration. D'amélioration collective et d'amélioration personnelle. Cest un atout, et, là encore, j'écris ma reconnaissance à ceux qui acceptent de passer du temps sur mes manuscrits que je soumets à des revues scientifiques, sur mes idées, à tous ceux qui font  des propositions positives, afin de m'aider à améliorer mes écrits.

Bien sûr il y a des évaluateurs pénibles, méchants, etc. ...,  mais il y a tous les autres qui sont merveilleux et à qui j'exprime maintenant ma reconnaissance sincère.

samedi 18 mai 2024

Soyons attentifs : une chose à la fois

 
C'est assez merveilleux de voir combien, pour des tâches précises, on a intérêt à avoir toute son attention focalisée sur l'une de celle-ci en particulier. 

 

On enseigne aux étudiants à travailler en parallèle : il faut à la fois gagner sa vie,  apprendre les cours, faire les exercices, chercher un stage,  régler les questions administratives, avoir une vie sociale, etc. De sorte que, pour les aider, on leur apprend à faire des diagrammes de Gantt, des rétroplannings, et autres "bidules" de gestion du temps. 

Pourtant, imaginons que l'on ait disposé deux tâches partiellement ou totalement simultanées : il y a lieu de bien comprendre que l'on ne pourra pas les faire simultanément. Elles seront successives, dans un temps qui devra être divisé. Bref, il y avait le premier ordre, mais, une fois celui-ci réglé, il faut y regarder de plus près, passer au deuxième ordre, avant éventuellement de passer au troisième ordre. 

Et voici pourquoi (métaphoriquement) : alors que nous sommes lancés dans une grande série d'analyses par résonance magnétique nucléaire, il y a une foule de choses à faire et à penser : prendre les tubes sans les casser, y déposer un tube capillaire qui contient un échantillon de référence, conserver une trace écrite du numéro du tube que l'on a pris, ouvrir un nouveau fichier d'analyse, régler toute une série de paramètres, lancer l'analyse, retirer le tube capillaire en y prenant le plus grand soin car il est extrêmement précieux, laver ce dernier, stocker les échantillons déjà analysé, et cetera. 

On voit qu'il y a beaucoup de choses à faire simultanément et d'ordres différents : il faut penser à certaines choses, effectuer certains gestes... 

Pour les étapes critiques, il y a lieu d'être particulièrement prudent,  car les tubes capillaires sont très fragiles, par exemple et les tubes d'analyse sont coûteux. 

Bref il y a lieu de faire très attention à toute cette série de choses qu'il faut faire. mais le point est le suivant : si l'on pense à autre chose que ce que l'on fait, l'expérience nous montre que nous nous trompons et que nous ferions mieux de faire les choses les unes après les autres, proprement, correctement, soigneusement, lentement.

Le problème, c'est que la Terre ne s'arrête pas de tourner pendant nos analyses : il y a le téléphone qui sonne, un collègue qui vient poser une question, et cetera. 

Mais il est hors de question de nous détourner de détourner votre attention pendant la moindre seconde quand nous avons une tâche critique. Il faut faire cette dernière parfaitement sous peine de catastrophe. 

Eins no'm andra, comme on dit en alsacien

vendredi 17 mai 2024

Comment être un bon évaluateur

 
Ce matin, je dois assister à une soutenance publique d'étudiants et je m'interroge sur la manière de m'y prendre. 

Si je suis factuel, je relèverai des imperfections et l'appréciation sera finalement dévastatrices. 

Or, plus j'essaie de m'améliorer moi-même, et plus je suis capable de dépister des imperfections de mon propre travail... mais aussi dans le travail des autres. Et leur accumulation peut devenir exorbitante, rédhibitoire. 

Puis-je être charitable ? Encourageant ? Cela signifierait que je masquerais ma pensée et cela n'est guère supportable. 

Puis-je relativiser, et essayer de comparer ce qui me sera présenté à ce que je sais que les étudiants présentent en moyenne ? Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne solution parce que à ce rythme, un étudiant médiocre dans un groupe médiocre se verra féliciter de qualités qu'il n'a pas. 

Bref, je m'interroge. 

La question est la même que celle que je me pose quand  je vais manger dans un bon restaurant : parce que je suis intéressé par ce qui est servi, je prends des photographies, je note les caractéristiques de ce qui m'est servi. Et, au-delà du "c'est bon", j'observe  un trait de sauce qui déborde, un taillage  involontairement imparfait, etc.,  et c'est ainsi que souvent, mes comptes rendus, pourtant factuels, restent incommunicables aux cuisiniers. 

J'ajoute que pour ce qui concerne ma propre cuisine, je suis parfaitement capable de faire le même exercice... et que je le fais sans cesse. 

Bref  être seulement factuel est souvent bien délicat, et il ne faut pas s'étonner que l'on ait fait voir la ciguë à Socrate, qui, pourtant, n'allait même pas jusqu'à cette analyse factuelle, mais se limitait à poser des questions à ses interlocuteurs, tel que ferait un évaluateur : afin de s'assurer que la personne qui lest évaluée s'est elle-même posée ces questions là. 


Des aliments "véritables" ?

 Aujourd'hui, lors de notre 13e workshop international de gastronomie moléculaire, quelqu'un a prononcé l'expression "véritables aliments" et cela m'a rappelé une conférence que j'avais faite à Édimbourg devant un public mêlé, avec des scientifiques et des cuisiniers : dans l'assistance, en face de moi sur la gauche, un chef avait réagi très violemment à ma présentation de la cuisine de synthèse, dont la version artistique a pour nom cuisine note à note. 

Ce chef s'était entêté à dire que tout cela, ce n'était pas de véritables aliments, de vrais aliments,  et quand je lui demandais ce qu'étaient de véritables aliments, il n'avait que de pauvres arguments, considérant environ, sans s'en rendre compte, qu'il définissait ainsi des aliments qu'il mangeait quand il était enfant. 

À ce compte, il n'y a guère de dialogue possible, car les aliments des uns  enfants ne sont pas les aliments des autres. D'ailleurs, vu la description qu'il me faisait de ses aliments d'enfance, je jugeait, moi,  que ces choses abominables n'étaient pas  de vrais aliments mais de bien pauvres choses... ce qui augmentait sa colère (dont je me moquais : on a le ridicule que l'on veut). 

Dépassons cette querelle un peu idiote et posons-nous véritablement la question : que sont de vrais aliments ? Un aliment, c'est un système physico-chimique qui s'inscrit dans une culture, qui nourrit le corps et l'esprit, et il est vrai que nous ne mangeons que ce que nous connaissons, l'être humain étant infligé d'un comportement de primate nommé néophobie alimentaire : nous reconnaissons comme comestible ce que nous avons appris à manger, notamment quand nous  étions enfants. Mais  notre alimentation  ne se réduit pas à cela car l'être humain est également équipé d'omnivorité, c'est-à-dire de la capacité de diversifier notre alimentation et de bénéficier de plus de diversité, surtout à des époques où la nourriture manquait parfois. 

Bref, nous sommes éduqués avec certains aliments, ceux que nous ont transmis notre famille, notre culture, notre environnement, et ceux qui se sont ajoutés grâce aux rencontres sociales, notamment. 

D'ailleurs il faut ajouter que nos aliments ne sont nos aliments traditionnels ne sont pas une garantie de sécurité, nombre d'aliments traditionnels ayant été montré toxiques. Ajoutons  que les individus qui mangent lesdits aliments traditionnels avérés toxiques ne sont pas prêts à les abandonner :  ils veulent "manger sain", comme ils disent, mais la tradition leur fait manger des choses qui, si elles étaient montrées de façon nouvelle, seraient absolument récusées.

 Bref, la notion de "vrai aliment" est une notion difficile et, dans ces cas-là, il y a toujours eu lieu non pas de chercher à mieux définir mais d'abord de savoir s'il y a une existence de la chose : de même qu'il n'existe pas des carrés ronds, de même qu'il n'existe pas de père Noël, il n'existe peut-être pas de "vrais aliments". 

En oubre,  un aliment c'est ce que l'être humain mange et l'être humain mange au fond ce qu'il veut, qu'il s'agisse de cuisine du Moyen-Âge, de la Renaissance, classique, de cuisine contemporaine, de cuisine française, de cuisine asiatique, et cetera. Dans cet éventail se trouve évidemment la cuisine moléculaire, mais aussi la cuisine note à note tout cela, c'est le corpus des aliments. Ils sont "vrais" dans la mesure où ils existent et rien de plus, rien de moins