On me signale le cas d'une mère qui se plaint que son fils de 21 ans ne sache pas faire cuire des spaghettis et lui demande comment cuire la partie des spaghettis qui se trouve à l'extérieur de la casserole.
On peut bien sûr se mettre du côté de la mère et déplorer qu'un individu de 21 ans en soit encore à poser une telle question, mais je propose plutôt d'identifier que la mère n'a pas fait son travail éducatif correctement si elle a laissé son enfant atteindre l'âge de 21 ans en se posant de telles questions.
On voit bien, derrière cela, le schéma d'une mère qui a cuisiné toute sa vie pour sa famille, excluant en quelque sorte ses enfants de la cuisine au lieu de les faire participer. On voit une mère qui n'a pas pris le temps de permettre à ses enfants de s'émerveiller des mille phénomènes culinaires qui ont lieu lorsqu'on prépare les aliments. On voit une mère qui se met dans une position de victime alors qu'elle est coupable d'avoir confisqué de la culture. On voit une mère qui a conservé son petit pouvoir culinaire au lieu de le partager.
Bref je ne me joindrai pas au concert des déplorations mais surtout, je vais inviter tous les parents à faire participer les enfants aussi rapidement aux tâches domestiques. Mettons les baby relax sur le plan de travail pour que nos enfants voient nos gestes, voient les transformations extraordinaires qui ont lieu quand on cuisine. Parlons de ce qui est en jeu : la technique, l'art, la socialité. Ne confisquons pas le bonheur de la culture technique, artistique, sociale !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 13 mai 2024
Parents indignes !
Ceux qui coupent la parole pour dire des choses moins intelligentes que ce qu'on va dire n'ont pas raison
Sortant d'une discussion avec un jeune homme qui me sollicite parce qu'il a besoin d'aide, je m'aperçois qu'il n'est pas capable d'attendre la fin de mes phrases et qu'il m'interrompt pour dire assertivement des choses qu'il croit que je pense et qui sont en réalité bien moins intelligentes que ce que je me prépare à dire.
Je crois que c'est vraiment une mauvaise stratégie : non seulement il n'a pas brillé, mais, pis, il est apparu à la fois prétention et pas malin.
Ce n'est pas la première fois que je rencontre un étudiant qui a un tel comportement, et je m'interroge : pourquoi certains de nos jeunes amis font-ils ainsi ? Est-ce voulu ? Est-ce involontaire ? J'en sais certains qui ont une volonté de paraître intelligents, rapides ; j'en sais d'autres qui sont inquiets, dans un milieu familial ou universitaire qui met beaucoup de pression ; j'en sais de prétentieux ; et il y a sans doute d'autres sortes.
En tout cas, je ne suis pas sûr que leur manière soit bonne, et j'espère que ce message leur parviendra... et qu'il sera entendu, parce que je suis absolument convaincu que ce comportement leur nuit.
Il faut être clair !
Relisant mon livre Précisions culinaires, je m'interroge à propos du style qui y est mis en oeuvre, car je vois dans ce texte déjà publié beaucoup d'énergie, beaucoup de vie ; le texte nous bouscule, respire, s'agit... mais peut-être au détriment de la clarté.
Or c'est bien cela qui est l'essentiel : la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public. Bien sûr, dans ce livre en particulier, "j'annonce bien la couleur", mais, en disant cette dernière partie de phrase, je montre exactement les limites de mon écriture : "annoncer la couleur" est une expression imagée, mais qui me parle en réalité qu'à ceux qui la connaissent. D'ailleurs, la traduction automatique en ligne montre, par son médiocre résultat, combien cette expression peut être difficile à interpréter.
Qu'est-ce qu'annoncer la couleur ? Annoncer la couleur, cela signifie dire à l'avance ce dont on va parler. Pourquoi ne pas le dire ainsi ? Oui utiliser l'expression "annoncer la couleur" donne de la vie, du relief, mais au détriment de la clarté.
Et c'est là un des petits symptômes du livre dont je parle. En réalité, je vois que ce livre est également un peu elliptique du point de vue culinaire, car mes analyses une fois faites sont posées mais pas expliquées. Le livre gagnerait à entrer un peu dans les détails de ce point de vue. Bien sûr, je pars de textes culinaire dont je fais l'exégèse. Mais en commençant s'est-il bien toujours ce dont il s'agit ? Pourquoi ne pas profiter de ce texte pour expliquer davantage ?
Jeudi et vendredi prochain
À partir de mercredi après-midi, les participants du 13e International workshop on molecular and physical gastronomy vont se réunir pour la 13e de ces rencontres.
Le thème choisi est consistances et textures.
C'est un fait que, pour la cuisine, la question des consistance et des textures est absolument essentielle mais il y a lieu d'expliquer la différence entre ces deux termes et cela sera fait en termes quantitatifs, formels, en début de réunion.
Disons déjà la chose, en considérand une piscine plein d'eau. L'eau est un liquide qui a donc la consistance d'un liquide : il s'écoule, sa viscosité faible, et cetera.
Si l'on plonge correctement dans la piscine, alors il
n'y a pas de bruit et l'eau s'écarte devant nous.
En revanche, si l'on fait un plat, alors qu'il y a un grand bruit et
l'on perçoit comme un solide.
Dans un cas comme dans l'autre, l'eau a sa consistance avec des molécules qui bougent d'une certaine façon, mais la texture est ce que nous en percevons selon notre interaction avec la matière.
Il en va de même pour les aliments. Par exemple un morceau de chocolat sera fondant si on laisse si on le laisse fondre en bouche et il sera croquant si on le croque. De même pour une pâte feuilletée qui sera croustillante si on la mâche immédiatement mais qui s'amollira et perdra sa croustillance si l'on si on la consomme trop lentement.
L'intelligence de l'artisan et de l'artiste culinaire c'est de bien comprendre cela. Pour la gastronomie moléculaire, il y a lieu d'explorer ses phénomènes, de comprendre les consistances, et de comprendre les textures et c'est en se fondant sur des observations culinaires que nous analyserons les choses.
Voilà pourquoi nos amis vont nous rejoindre à
Palaiseau bientôt
Le prochain séminaire
Bonne nouvelle : le Lycée Guillaume Tirel, à Paris, qui accueille
les séminaires de gastronomie moléculaire, et contribue ainsi à
l'avancement de l'artisanat et de l'art culinaire (en raison des
résultats expérimentaux que nous y produisons) peut nous recevoir le 22
mai, de 16 à 18 heures, en remplacement du 15, qui est la date de début
du 13 e IWMPG (doc joint).
égale) ?
constants ?
A quoi bon des travaux pratiques, dans les enseignements scientifiques ?
Faut-il des travaux pratiques ?
La question des travaux pratiques est régulièrement discutée dans l'enseignement supérieur, car ces séances pédagogiques coûtent évidemment plus cher que des cours théoriques, où l'on se contente d'un tableau, naguère noir, aujourd'hui blanc. On ne manquera pas, à ce propos, de rappeler la disparition des "préparateurs", qui étaient des assistants des professeurs, chargés de préparer les expériences qui illustraient les cours : avec la disparition de ces derniers, les professeurs ont dû faire eux-mêmes les expérimentations... qui ont finalement entièrement disparu.
Restent donc les travaux pratiques. Sont-ils bien nécessaires ? La question s'est posée il y a quelques années, quand certaines universités anglaises ont voulu les supprimer... et il a fallu que des lauréats du prix Nobel annoncent qu'ils rendraient leur diplôme en cas de suppression des travaux pratiques pour que les universités retirent leurs projets. Mais il y a eu un chantage, et non un vrai débat.
La question mérite d'être posée, comme d'ailleurs toutes les questions "qui fâchent" : faut-il vraiment que les étudiants fassent des travaux pratiques ? On observera d'abord que la science expérimentale est... expérimentale ! Il faut des données expérimentales pour que, ultérieurement, des élaborations théoriques puissent s'ériger.
On observera ensuite que les étudiants font des "stages", dont l'objectif officiel (voir le site du Ministère de la recherche) est la transformation de connaissances en compétences : on pourrait alors imaginer que les entreprises soient en charge de former les étudiants aux manipulations pratiques... à cela près que cette formation est une charge considérable (souvenons-nous du point de départ : le coût), qui mobilise des personnels, et que les entreprises seraient alors en droit non pas de rémunérer les stages, mais, au contraire, de revendiquer le versement de sommes au titre de la formation qu'elles dispensent.
On observera que les étudiants qui nous arrivent en stage, au niveau du Master, ne savent souvent pas changer un plomb, scier, visser, percer, etc., les cours de technologies des collèges et des lycées ayant échoué à leur donner ces compétences (c'est un fait, pas une critique), sauf évidemment (peut-être) dans les filières technologiques.
Enfin, on observera, par une métaphore juste et puissante, que l'on peut avoir reçu tous les conseils théoriques du monde, on ne jouera au tennis ou au violon qu'après un très long entraînement pratique. Que notre intelligence y trouve ou non son compte, c'est ainsi : nos mains doivent apprendre, et il n'est pas vrai que la tête soit toute puissante.
Bref, il faut donc des séances de travaux pratiques. Sur la base de cette conclusion irrémédiable, nous pouvons maintenant chercher à organiser ces derniers, pour qu'ils soient efficaces, mais on observera, en reprenant l'exemple du tennis ou du violon, que le temps passé doit être considérable. Et on se souviendra que c'est en vertu de tels raisonnements que Louis Joseph Gay-Lussac, puis son élève Justus von Liebig, organisèrent des formations pour les étudiants en chimie.
On n'oubliera pas que le grand Antoine Laurent de Lavoisier parvint à ses avancées scientifiques par une parfaite maîtrise de ses expérimentations : la "balance de Fortin" ou son aéromètre étaient des outils célèbres dans toute l'Europe scientifique, avant que Louis Joseph Gay-Lussac ou Jons Berzélius ne deviennent les plus grands chimistes de leur temps, leurs analyses étant également bien plus précises que celles de leurs contemporains.
Mens sana in corpore sano.
La beauté des sciences de la nature
Pourquoi les scientifiques se lèvent-ils le matin ? On pressent des réponses variées, mais c'est un fait que, pour beaucoup, il y a cette extraordinaire "beauté", qui a fait dire à certains, tel le mathématicien français Henri Poincaré, qu'il faut faire de la science en artiste.
L'art, la beauté... De la beauté en science ? Où se trouverait-elle ?
Pour le comprendre, je propose de revenir à une hypothèse que j'avais émise lors de la préparation de mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", hypothèse selon laquelle "ce qui est construit est beau". C'est un fait que notre esprit humain reconnaît des "formes", au sens de Platon, des "structures" : à partir d'étoiles désordonnées dans le ciel, nous "retrouvons" une casserole, un W... Nous voyons une construction où il n'y en pas pas, en réalité. # Pour la musique, il en va de même : une suite de notes très désorganisées nous paraîtra incohérente, "laide", alors qu'un enchaînement tel que do, do, do, ré, mi, ré, do, mi, ré, ré, do nous fera fondre de nostalgie (on a reconnu le début d'Au clair de la lune). Plus généralement, je propose de regarder ce qui se rapporte à nos perceptions sensorielles : souvent, la beauté est associée à la structure. Bien sûr, il y a des limites : l'odeur d'excrément est reconnaissable... mais pas "belle". Ou encore, un plat trop salé sera... trop salé. Mais conservons notre hypothèse, même assortie de limitations, pour ce qu'elle vaut : une hypothèse de travail.
La beauté par le prisme de mon hypothèse
La science ? Pour y revenir ? C'est une activité intellectuelle, et non une stimulation sensorielle, mais, au fond, la perception des sensations ne vient-elle pas au cerveau, tout comme la compréhension des structures du monde ? Or les sciences de la nature font l'hypothèse que le monde est écrit en langage mathématique... ce qui est le royaume de la structure !
Par exemple, quand on énonce la "loi de Stefan", selon laquelle un corps rayonne de l'énergie (pensons au fer à cheval rougi) en proportion de la température absolue à la puissance quatrième, on voit une "structure" du monde. Pourquoi cette proportion ? Pourquoi cette puissance quatrième, et pas première, ou dixième, ou d'un ordre non entier ? Il y a quelque chose de fascinant à voir le monde se conformer à des lois simples, au lieu d'être parfaitement désordonné. Bien sûr, on sait que les théories sont toutes approximatives, et que la loi de Stefan n'est pas absolument exactes, mais quand même : pourquoi une correspondance si étroite entre le monde et la proportion de la puissance quatrième ?
Le mystère, la beauté. Ce que nous avons vu avec le rayonnement des corps vaut pour tous les champs des sciences de la nature : l'adéquation remarquablement précise du monde aux lois mathématiques avec lesquelles les sciences de la nature décrivent le monde est une fascination constante. L'acte de foi selon lequel le monde est écrit en langage mathématique est en réalité la base de la beauté que nous voyons. Pour partager notre émerveillement, il faut donc bien montrer à nos amis cette adéquation. Pour le raisonnement qui conduit aux lois, ce sera pour plus tard.