Il y a plusieurs décennies, quand j'ai cherché à populariser la cuisson à basse température, en amélioration du braisage, à l'aide de thermocirculateurs de laboratoire, j'ai également voulu proposer une méthode simple, sans appareillage supplémentaire, pour les particuliers, et j'avais proposer de regarder autour de soi pour chercher les endroits où il y avait de telles basses températures.
Pour mémoire, les voici à nouveau : je les redonne parce que je me suis aperçu que de nombreux participants des séminaires de gastronomie moléculaire n'en avaient pas connaissance.
Basses températures, tout d'abord : cela signifie des températures capables de modifier au minimum la consistance des aliments, par exemple 61 degrés pour coaguler des protéines du blanc d'oeuf, ou bien 55 degrés pour dissoudre le tissu collagénique qui fait les viandes dures.
Observons autour de nous. En été, c'est le soleil qui chauffe, mais en hiver, c'est le radiateur. Quelle température au soleil ? Quelle température sur un radiateur ? Si le soleil n'est pas réglable (bien que l'on puisse concentrer ses rayons comme dans le grand four solaire des Pyrénées), les radiateurs le sont, et je vous invite à y déposer un thermomètre ou des oeufs, pour savoir si les radiateurs peuvent cuire.
Dans les foyers, il y a d'autres sources de chaleur : le ballon d'eau chaude, le lave vaisselle, le lave linge... Dans la cuisine, il y a bien sûr les plaques, le four. Toutes ces sources de chaleur sont équivalentes pour ce qui concerne les protéines, par exemple : ces dernières se moquent de savoir si la chaleur a été apportée par un lave-vaisselle, par un four, par de l'eau dans une casserole. De sorte que toutes ces sources sont utilisables dès que la température dépasse une certaine valeur.
Bien sûr, il faut prendre des précautions, à savoir qu'il faut éviter de faire proliférer les micro-organismes pathogènes, et, mieux, il faut les tuer par une température supérieure à 60 degrés appliquée pendant plus de 15 minutes. Tout cela étant dit, il devient évident de cuire au lave-vaisselle : on cuit pendant qu'on lave, de sorte que l'on économise de l'énergie.
En pratique, c'est tout simple : on enveloppe des oeufs dans du film alimentaire, afin que le liquide qui circule dans le lave-vaisselle n'entre dans les oeufs, en passant par les pores de la coquille, et on fait un cycle de lavage au lave la vaisselle. De la sorte, les oeufs seront chauffés, et éventuellement cuits si la température de l'eau est suffisante. Evidemment si vous avez un programme de machine à laver la vaisselle qui n'atteint pas 61-62 degrés, les oeufs ne cuiront pas, et il faudra passer à un programme qui chauffera à une température supérieure. Et si ce programme monte à 75 degrés ? Là, la coagulation sera différente, et vous ne pourrez pas obtenir des oeufs cuits à 67 degrés, puisqu'ils seront cuits à 75 degrés : c'est le degré maximum de chauffage qui compte. Votre lave vaisselle n'étant pas fait pour la cuisson des oeufs, ce sera donc une chance si vos oeufs sont bien cuits.
Pour la machine à laver le linge, il y a le problème de la rotation du tambour : secoués, les oeufs risquent de faire une omelette, de sorte que ce moyen semble moins pratique que le lave vaisselle, bien que le réglage de températures soit plus facile.
Il vous reste donc le four, s'il est réglable de cinq en cinq degrés. C'est ainsi que je fais mes propres cuissons à basse température. Par exemple, pour des oeufs, j'en mets une boite dans le four, je règle la température, et je pars faire autre chose, en minutant la cuisson pendant une heure.
Ce moyen consomme-t-il beaucoup d'énergie ? il faut d’abord savoir que les rendements énergétiques sont meilleurs quand les écarts de températures (sous-entendu entre la température ambiante et la température à laquelle l'aliment est porté) sont faibles. Inversement plus l'écart est grand, plus le rendement est faible. Autrement dit, avec des cuisson à haute température, il y a bien plus de pertes d'énergie qu'à basse température. D'autre part, les fours modernes sont à la norme européenne verte, bien mieux thermostatés que par le passé. Un four moderne chauffe peu la pièce, de sorte que même si la cuisson est longue, l'énergie totale dépensée est faible. Et puis, il y a le fait que le nombre d'oeufs que l'on peut cuire tous ensemble dans un four n'est limité que par la taille du four ! On peut empiler des boites d'oeufs, et c'est ainsi que, il y a deux ans, nous avons cuit mille oeufs d'un coup, tous à basse température, tous cuits de façon identique.
Jusqu'ici j'ai parlé beaucoup des oeufs, mais il faut maintenant évoquer les ingrédients qui méritent d'être ainsi cuits à basse température. Le foie gras donne des résultats exceptionnels, le poisson aussi, qui, ne contenant que très peu de ce tissu collagénique qui durcit les tissus animaux, ne doit pas durcir, sécher à la cuisson. La cuisson à basse température, d'ailleurs, c'est comme un pochage très bien conduit, ce qui était si difficile à obtenir par le passé. Ou comme un braisage perfectionné... ce qui nous conduit à signaler que la basse température convient bien aux viandes très tendres, par exemple des suprêmes de volaille. Pour les viandes dures, la dureté étant due à ce tissu collagénique déjà évoqué, il faut attendrir, c'est-à-dire dissoudre le tissu collagénique.
Cela demande beaucoup de temps, de sorte que le lave vaisselle convient mal, alors que le four est très pratique : accumulons les cocottes et cuisons plusieurs viandes simultanément à viande à basse température. Quand l'heure du repas arrive, on en sort une et l'on finalise le plat.
Attention à certaines viandes, qui peuvent être parasitées : le porc, le cheval, le sanglier. Pour ces dernières,vous cuirez à une température suffisante pour tuer les parasites, environ 85 degrés pour le porc.
Attention aussi avec les légumes, car la cuisson à basse température donne alors de mauvais résultats : pour les légumes, la coagulation des protéines est un phénomène secondaire, et que, au contraire, les basses températures risquent d'activer des enzymes qui durcissent les tissus végétaux. Pour les légumes, il faut surtout dégrader les pectines des parois cellulaires, et, à cette fin, atteindre des températures d'environ 85 degrés. Au total, beaucoup de possibilités pour bien cuire... si l'on s'interroge sur les procédés de cuisson, au lieu d'appliquer des procédés traditionnels comme des automates.