dimanche 10 décembre 2023

La cuisson au lave vaisselle

 

 Il y a plusieurs décennies, quand j'ai cherché à populariser la cuisson à basse température, en amélioration du braisage, à l'aide de thermocirculateurs de laboratoire, j'ai également voulu proposer une méthode simple, sans appareillage supplémentaire, pour les particuliers, et j'avais proposer de regarder autour de soi pour chercher les endroits où il y avait de telles basses températures. 

Pour mémoire, les voici à nouveau : je les redonne parce que je me suis aperçu que de nombreux participants des séminaires de gastronomie moléculaire n'en avaient pas connaissance. 

Basses températures, tout d'abord : cela signifie des températures capables de modifier au minimum la consistance des aliments, par exemple 61 degrés pour coaguler des protéines du blanc d'oeuf, ou bien 55 degrés pour dissoudre le tissu collagénique qui fait les viandes dures. 

Observons autour de nous. En été, c'est le soleil qui chauffe, mais en hiver, c'est le radiateur. Quelle température au soleil ? Quelle température sur un radiateur ? Si le soleil n'est pas réglable (bien que l'on puisse concentrer ses rayons comme dans le grand four solaire des Pyrénées), les radiateurs le sont, et je vous invite à y déposer un thermomètre ou des oeufs, pour savoir si les radiateurs peuvent cuire. 

Dans les foyers, il y a d'autres sources de chaleur : le ballon d'eau chaude, le lave vaisselle, le lave linge... Dans la cuisine, il y a bien sûr les plaques, le four. Toutes ces sources de chaleur sont équivalentes pour ce qui concerne les protéines, par exemple : ces dernières se moquent de savoir si la chaleur a été apportée par un lave-vaisselle, par un four, par de l'eau dans une casserole. De sorte que toutes ces sources sont utilisables dès que la température dépasse une certaine valeur. 

Bien sûr, il faut prendre des précautions, à savoir qu'il faut éviter de faire proliférer les micro-organismes pathogènes, et, mieux, il faut les tuer par une température supérieure à 60 degrés appliquée pendant plus de 15 minutes. Tout cela étant dit, il devient évident de cuire au lave-vaisselle : on cuit pendant qu'on lave, de sorte que l'on économise de l'énergie. 

 

En pratique, c'est tout simple : on enveloppe des oeufs dans du film alimentaire, afin que le liquide qui circule dans le lave-vaisselle n'entre dans les oeufs, en passant par les pores de la coquille, et on fait un cycle de lavage au lave la vaisselle. De la sorte, les oeufs seront chauffés, et éventuellement cuits si la température de l'eau est suffisante. Evidemment si vous avez un programme de machine à laver la vaisselle qui n'atteint pas 61-62 degrés, les oeufs ne cuiront pas, et il faudra passer à un programme qui chauffera à une température supérieure. Et si ce programme monte à 75 degrés ? Là, la coagulation sera différente, et vous ne pourrez pas obtenir des oeufs cuits à 67 degrés, puisqu'ils seront cuits à 75 degrés : c'est le degré maximum de chauffage qui compte. Votre lave vaisselle n'étant pas fait pour la cuisson des oeufs, ce sera donc une chance si vos oeufs sont bien cuits. 

Pour la machine à laver le linge, il y a le problème de la rotation du tambour : secoués, les oeufs risquent de faire une omelette, de sorte que ce moyen semble moins pratique que le lave vaisselle, bien que le réglage de températures soit plus facile. 

Il vous reste donc le four, s'il est réglable de cinq en cinq degrés. C'est ainsi que je fais mes propres cuissons à basse température. Par exemple, pour des oeufs, j'en mets une boite dans le four, je règle la température, et je pars faire autre chose, en minutant la cuisson pendant une heure.
Ce moyen consomme-t-il beaucoup d'énergie ? il faut d’abord savoir que les rendements énergétiques sont meilleurs quand les écarts de températures (sous-entendu entre la température ambiante et la température à laquelle l'aliment est porté) sont faibles. Inversement plus l'écart est grand, plus le rendement est faible. Autrement dit, avec des cuisson à haute température, il y a bien plus de pertes d'énergie qu'à basse température. D'autre part, les fours modernes sont à la norme européenne verte, bien mieux thermostatés que par le passé. Un four moderne chauffe peu la pièce, de sorte que même si la cuisson est longue, l'énergie totale dépensée est faible. Et puis, il y a le fait que le nombre d'oeufs que l'on peut cuire tous ensemble dans un four n'est limité que par la taille du four ! On peut empiler des boites d'oeufs, et c'est ainsi que, il y a deux ans, nous avons cuit mille oeufs d'un coup, tous à basse température, tous cuits de façon identique. 

 

Jusqu'ici j'ai parlé beaucoup des oeufs, mais il faut maintenant évoquer les ingrédients qui méritent d'être ainsi cuits à basse température. Le foie gras donne des résultats exceptionnels, le poisson aussi, qui, ne contenant que très peu de ce tissu collagénique qui durcit les tissus animaux, ne doit pas durcir, sécher à la cuisson. La cuisson à basse température, d'ailleurs, c'est comme un pochage très bien conduit, ce qui était si difficile à obtenir par le passé. Ou comme un braisage perfectionné... ce qui nous conduit à signaler que la basse température convient bien aux viandes très tendres, par exemple des suprêmes de volaille. Pour les viandes dures, la dureté étant due à ce tissu collagénique déjà évoqué, il faut attendrir, c'est-à-dire dissoudre le tissu collagénique. 

Cela demande beaucoup de temps, de sorte que le lave vaisselle convient mal, alors que le four est très pratique : accumulons les cocottes et cuisons plusieurs viandes simultanément à viande à basse température. Quand l'heure du repas arrive, on en sort une et l'on finalise le plat. 

Attention à certaines viandes, qui peuvent être parasitées : le porc, le cheval, le sanglier. Pour ces dernières,vous cuirez à une température suffisante pour tuer les parasites, environ 85 degrés pour le porc. 

Attention aussi avec les légumes, car la cuisson à basse température donne alors de mauvais résultats : pour les légumes, la coagulation des protéines est un phénomène secondaire, et que, au contraire, les basses températures risquent d'activer des enzymes qui durcissent les tissus végétaux. Pour les légumes, il faut surtout dégrader les pectines des parois cellulaires, et, à cette fin, atteindre des températures d'environ 85 degrés. Au total, beaucoup de possibilités pour bien cuire... si l'on s'interroge sur les procédés de cuisson, au lieu d'appliquer des procédés traditionnels comme des automates.

samedi 9 décembre 2023

Attention au "tangent skimming"

Lors de travaux d'analyse chimique, les appareils produisent fréquemment des "spectres", avec de très nombreux signaux. 

Pensons à  une ligne horizontale qui se met parfois à partir vers le haut avant de revenir à  la ligne de base, ce qui forme une sorte de paysage avec des plaines qui séparent des montagnes. 

 Les constructeurs d'appareils d'analyse chimique équipent ces appareils de programmes pour aider les utilisateurs, et ces programmes analysent les spectres du mieux possible.
Toutefois, j'espère ici aider les étudiants en leur signalant que l'automatisation a ses écueils. Et la présente discussion veut en montrer un. 

Souvent les programmes d'interprétation des spectres mettent en oeuvre une méthode nommée "tangent skimming», qu'ils appliquent quand un signal comporte un épaulement. 

Dans un tel cas, le programme qui applique un algorithme de "tangent skimming" cherche la droite tangente au signal le plus grand, et il prend la partie qui se situe au dessus de cette tangente (en analyse chimique, c'est la surface des signaux qui est généralement importante). 

On comprend que cette procédure soit déficiente : autant elle est acceptable pour le grand signal de gauche, autant elle est mauvaise dans le petit signal (épaulement), où plus de la moitié du signal peut être perdue ! 

Décidément, le diable étant caché derrière le moindre détail expérimental, à  nous d'avoir le courage, l'intelligence, de le débusquer. Et c'est ainsi que l'analyse chimique, au lieu d'être une routine sans intérêt, devient un travail passionnant. Et si cela valait pour toutes les activités ? Et si l'ennui venait moins de l'uniformité que de la désinvolture ? Et ne pourrions nous admettre enfin que le monde n'a aucun intérêt, et que l' "intelligence" que l'on y trouve n'est autre que celle qu'on y a mise ?

La confection des macarons

 
On ne cesse de m'interroger à propos de macarons : c'en est une folie… ancienne, puisque les macarons des Soeurs, à Nancy, sont célèbres, tout comme les macarons de Commercy, produits par des moines dès 791 ! 

Aujourd'hui, le succès ne se dément pas, et l'on voit des tarifs prohibitifs, pour ces objets qui se résument à du blanc d'oeuf, du sucre, de la poudre d'amandes. 

Comment les préparer ? Pour ces préparations, je propose de ne pas séparer le spéculatif de l'opératif : c'est ainsi que nous marcherons sur le chemin de la perfection. 

Commençons par examiner la méthode de fabrication. Les quantités sont données pour 100 pièces environ. 
1. Préparations préliminaires.
- prendre 210 grammes de blancs d'oeufs : on nous dit de laisser les blancs d'oeufs à température ambiante, et aussi de prendre de vieux blancs, mais jusqu'à démonstration expérimentale, ce n'est pas nécessaire
- tamiser 240 grammes de poudre d’amande,
- tamiser 240 grammes de sucre glace
- faire un « tant pour tant » (TPT) en mélangeant le sucre glace et la poudre d’amande : on nous dit que les produits doivent être bien secs, qu'il faudrait les mettre même à l'étuve la veille, et, surtout, ne pas cuire de l'eau à proximité, mais là encore, cela reste à vérifier
- séparer 270 grammes de sucre semoule en deux parties
- garnir les plaques à pâtisserie de papier cuisson
- préchauffer le four à 150°C chaleur statique.
2. Monter les blancs en neige.
- mettre les blancs d’œufs dans la cuve du batteur.
- battre les blancs au fouet, très doucement de façon à ce que les blancs se fluidifient
- lorsque les blancs forment une mousse et qu’il n’y a plus de liquide, verser lentement la première partie du sucre semoule sur les blancs sans cesser de battre en deuxième vitesse
- au bout d’un certain temps les blancs deviennent compacts et forment une corne ferme sous le fouet ; sinon continuer de battre les blancs.
- verser doucement la deuxième partie du sucre, puis « serrer » les blancs et fouettant en troisième vitesse : on obtient une meringue très ferme. En fin de montage les blancs forment un bec ferme. Lorsque l’on retire le fouet des blancs en dessous du fouet les blancs forment une stalactite et la masse des blancs forme une stalagmite.
- ajouter le colorant et l’extrait de parfum. Bien mélanger. 
3. Macaroner la pâte.
- mettre le TPT sur les blancs montés et meringués.
- avec une corne ou une spatule, mélanger lentement, d’un mouvement circulaire les blancs et le TPT afin d’obtenir une pâte homogène.
- changer de technique. Mélanger la pâte en l’aplatissant avec la corne en étoile dans la cuve, puis alternativement la rassembler. Renouveler l’opération pour obtenir une pâte assouplie, brillante et légèrement liquéfiée. [c'est le macaronage ; il ne faut pas avoir peur de bien travailler, beaucoup ; la meringue se liquéfie un peu, et la pâte devient bien brillante] 
4. Coucher les macarons.
- sur les plaques garnies de papier cuisson, pocher des petits tas de pâte réguliers [en quinconce]. Une fois étalée la pâte doit faire 4 cm environ. Taper légèrement la plaque sur le plan de travail [pour « chasser les bulles d’air » des macarons].
- laisser croûter la surface des macarons pendant ¾ d’heure environ.
- pendant le croûtage des macarons ne pas faire de buée dans la pièce.
- la croûtage est terminé lorsque le dessus du macaron ne colle plus au doigt au toucher. 
5. Cuire les macarons.
- dans un four préchauffé à 200°C chaleur statique, enfourner une seule plaque à la fois. - cuire les macarons de 12 à 14 minutes. La cuisson est parfaite lorsque la collerette (ou le pied) est solidaire du chapeau. 

 

Pour comprendre les opérations, rien ne vaut d'abord une description au premier ordre. 

 

Pour commencer, quand on fouette des blancs d'oeufs, le fouet introduit des bulles d'air dans le liquide qu'est le blanc d'oeuf, et l'on obtient une mousse. Pas une « émulsion », comme le disent certains cuisiniers mal informés (une émulsion, c'est une dispersion de matière grasse dans un liquide), mais bien une mousse. Et l'opération qui consiste à produire une mousse est un « foisonnement », du terme « foisonner ». Bref, le fouet pousse des bulles d'air dans le liquide, mais contrairement à l'eau pure, où ces bulles ne subsistent que quelques dixièmes de seconde, les bulles d'un blanc d'oeuf battu en neige subsistent assez longtemps pour cuisiner. La mousse n'est pas stable, mais « assez stable », et plus on bat ferme, plus la mousse est stable. Si l'on ajoute du sucre à cette mousse, les grains de sucre se dissolvent dans le liquide qui sépare les bulles d'air. Cela a pour effet que le liquide devient plus visqueux (pensons à de l'eau qui devient du sirop quand on lui ajoute du sucre), de sorte que le liquide entre les bulles a moins tendance à couler, ou, du moins, qu'il coule moins vite ; on pourrait dire, ce qui revient au même, que les bulles d'air montent moins vite vers la surface du liquide (pensons à une bulle d'air dans du miel). Une pincée de sel ? Elle ne sert à rien… sauf à augmenter le goût, à faire ressortir mieux le goût de l'amande, par exemple. La mousse étant formée, on ajoute alors la poudre d'amande : c'est un solide pulvérulent, qui ne se dissout pas dans l'eau, mais se disperse dans la mousse. Puis on forme des tas : rien de particulier à signaler. 

Le croûtage, en revanche, est l'opération qui semble essentielle pour la réalisation des macarons. Surtout la cuisson : la chaleur qui monte de la plaque évapore de l'eau, ce qui engendre à la fois un socle dur, et un gonflement initial. Parfois la poussée de cette vapeur fissure les macarons ! Puis la surface durcit, quand l'eau des parois de bulles s'évapore. Toutefois, à mesure que la chaleur pénètre dans les macarons, les protéines dissoutes dans l'eau coagulent (on se souvient qu'il y a de l'oeuf), stabilisant définitivement la structure alvéolée des macarons. Et l'eau de l'intérieur, aussi finit par s'évaporer : de la durée de cuisson dépend la tendreté ou le croquant des macarons. Hop, une crème entre deux coques, et le macaron parisien est là !

vendredi 8 décembre 2023

Bocuse nous a trompés

Le restaurant Paul Bocuse parle d'un "lièvre à la royale façon Antonin Carême"... mais je suis allé voir dans Carême (5 tomes)... et il n'y a rien de cela. 

 

Paul Bocuse nous as trompé : ce qu'il nomme "lièvre à la royale" ne mérite pas ce nom.
 
Voir https://nouvellesgastronomiques.com/tout-savoir-sur-le-lievre-a-la-royale/ et aussi https://nouvellesgastronomiques.com/cuisiner-a-la-royale/

 

Quelles méthodes pour la technologie ?

 
Je m'étais promis de revenir un jour sur la question de la méthodologie de la technologie. 

 

Commençons par analyser la question : la technologie, c'est l’amélioration des techniques. On voit au moins deux possibilités : soit on utilise des résultats scientifiques nouveaux dont on fait l'application, soit on fonctionne de façon autonome, différemment. 

 

Mais cela est bien abstrait ; considérons deux exemples.

Est paru il y a peu un article qui dit comment différents aliments désodorisent l'haleine, après que l'on a mangé de l'ail (j'en ai fait une chronique dans la revue Pour la Science). Les collègues qui ont fait cette étude ont dosé quatre composés soufrés dans l'haleine de personnes qui ont d'abord mangé de la purée d'ail cru, puis ont consommé divers ingrédients alimentaires : menthe, fruits, des légumes, crus ou cuits, etc. Il y avait là une question technique, pratique, et un début de travail, une sorte de débroussaillage, technologique, tant il est vrai que les aliments sont des mélanges complexes de composés et que, une fois les tests faits, il faudra déterminer quels composés peuvent être à l'origine d'une éventuelle désodorisation. Evidemment, quand le travail aura été fait, on pourra fabriquer des préparations que l'on vendra accompagnés de la mention «fait disparaître l'odeur d'ail dans l'haleine ». Contrairement à des marchands d'orviétan, on sera alors habilité à faire valoir une efficacité réelle du produit, et il faudra beaucoup de communication pour parvenir à s'enrichir. Mais la démarche est saine. Ici, le transfert technologique est donc du deuxième type : pas de science. Observons que l'on aurait pu faire autrement, à savoir explorer soit le mécanisme fondamental de production de l'haleine chargée, soit des interactions des composés soufrés et d'autres composés. 

 

Un autre exemple : un article du musicologue français Jean-Claude Risset sur les escaliers d'Escher musicaux. Cette fois, on voit le musicologue prendre l'idée de cet escalier qui monte à l'infini, due au graveur hollandais Maurits Escher, et la transposer, la transférer, dans le domaine musical. Il ne s'agit pas de technique, mais on passe d'un champ artistique à un autre. Il y a transfert ? Pensons au transfert ! Si l'on est passé d'un art à un autre, cela signifie peut-être que l'on peut passer du deuxième art à un troisième, un quatrième ? Quels sont les arts ? La sculpture, la peinture, la musique, la littérature... la cuisine ! 

Et c'est ainsi que j'avais proposé, il y a plusieurs années, des escaliers d'Escher gustatifs : je renvoie vers mon livre <a href="http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/l/librairie-cours-de-gastronomie-mol-culaire-na-1-17422.php" target="_blank">Science, technologie technique</a> (Editions Quae/Belin) pour ceux qui voudraient mettre en œuvre cette nouvelle technique, et je propose seulement, ici, d'analyser la méthode technologique mise en œuvre. 

On a observé, analysé un transfert entre deux arts, et il n'a pas fallu être très intelligent pour généraliser, pour se poser la question de ce transfert. Tout tenait dans « transferts entre champs artistiques », et c'est donc par la dénomination que s'est faite l'invention. La reconnaissance d'un transfert technologique a conduit à l'imagination, à l'invention d'un transfert analogue. On a donc, en quelque sorte, copié la méthode initiale du transfert, et c'est donc à cette première méthode qu'il nous faut revenir. 

Qu'a fait Risset ? Il s'est émerveillé d'une réalisation du graveur hollandais, et il a voulu la reproduire dans un champ particulier, qui était celui de la musique. Il a donc travaillé, et réussi à faire le transfert. Sa méthode (pas le travail, bien évidemment) était donc le « transfert entre champs », alors que ma propre méthode était plutôt la « généralisation de la méthode du transfert entre champs » plutôt que le transfert entre champs lui-même. 

Passer d'un champ à un autre, reprendre des méthodes qui ont déjà eu du succès et se donner un peu de mal pour les appliquer : voilà deux éléments méthodologiques que nous pouvons conserver, dans un répertoire qu'il faudra élargir. Il faudra aussi en faire de l’enseignement. C’était là le propos du livre précédemment cité, qui, en réalité, est un manuel de technologie, au moins pour la seconde partie, puisque la première fait l'analyse des relations entre science, technologie et technique, analyse toujours bienvenue tant il est vrai que c'est en creusant, en prenant de la peine, que l'on y voit plus clair !

jeudi 7 décembre 2023

Comment éviter que les jaunes d'oeufs ne cassent quand on fait une galette de sarrasin ?

 La question m'a été posée par un industriel et la solution est évidente, bien que le problème soit permanent. 

Commençons par le problème : en Bretagne on produit des galettes à partir de farine de blé noir et d'un peu d'eau ou de lait, du sel. La pâte assez liquide est versée à la louche sur le bilic, c'est-à-dire une plaque épaisse de fonte chauffée et préalablement graissée ; à l'aide d'une petite raclette, on fait une couche de pâte aussi mince que possible. Quand une face est cuite, on retourne la galette et l'on dépose au choix du fromage du jambon et de l’œuf. Il existe des galettes de différents types, mais celles à l’œuf miroir doivent avoir le jaune intègre, non crevé ce qui n'est pas facile, car lors des manipulations il arrive souvent que la mince pellicule qui entoure le jaune d’œuf se rompe. 

Comment l'éviter ? Observons tout d'abord que cette question est importante : le jaune d’œuf cru a un goût tout à fait étonnant, remarquable, suave voluptueux, et l'on comprend qu'il serait intéressant de le conserver intègre, car si la peau crève, alors le jaune s'étale, forme une couche mince qui coagule, et le goût est perdu. La solution ? On gagnera à se souvenir qu'un œuf cuit à 67° conserve e un jaune non pas liquide, mais avec une consistance de pommade, tandis qu'il conserve son goût de jaune cru ! 

De ce fait, on pourrait très bien faire les galettes de blé noir différemment de ce que l'on a toujours fait : en ajoutant, à la fin de la cuisson, les jaunes d’œufs préalablement cuits à 67 degrés. De la sorte, ces derniers ne se rompraient pas lors des manipulations. C'est la la solution que j'ai donnée à un industriel, et je me réjouirait s'il en faisait bon usage... mais je veux immédiatement donner l'idée à mes amis crêpiers !

A propos de liaison des sauces

 
À propos de liaison de sauce, j'ai déjà distingué des émulsions, des mousses, des suspensions, et cetera, mais je m'aperçois que je ne suis pas allé à la racine de la chose : l'idée, c'est qu'on part d'eau, ou plus exactement d'eau qui a du goût, ce que les chimistes nomment des solutions aqueuses, obtenue par cuisson de tissu animaux végétaux dans de l'eau, dans du vin, et cetera.
Cette solution aqueuse est souvent très fluide, avec peu de viscosité, et on voudrait lui en donner afin qu'elle nappe les morceaux en gardant une consistance plus fluide que celle d'une purée, par exemple.

Autrement dit, il faut ralentir le mouvement de l'eau.

Et cela se fait  :
- soit en dispersant dans l'eau de longues molécules qui se lit aux molécules d'eau, tels des polysaccharides ou des protéines, fautivement nommés hydrocolloides,
- ou bien en dispersant des structures variées dans l'eau afin que cette dernière soit très encombrée. C'est le cas pour les liaisons par des protéines telles que le jaune d'œuf ou le sang, qui coagulent à la chaleur, formant des structures dispersées dans l'eau
C'est le cas aussi de l'émulsification, avec des gouttelettes de matière grasse également dispersées dans l'eau, comme on le fait quand on monte une sauce au beurre.
On peut imaginer aussi la dispersion de bulles d'air, un foisonnement qui peut engendrer une mousse... et l'on sait bien qu'un blanc battu en neige, par exemple, ne coule pas.

Bref, les possibilités classiques de liaison se retrouvent toutes dans cette description. Les liaisons à la farine ou à l'amidon se trouvent dans la catégorie des suspensions, mais cette fois, ce ne sont pas des particules solides qui sont dispersés ; plutôt des grains d'amidon empesés, c'est-à-dire en réalité des petits gel.
Notons que l'on peut aussi obtenir le même type de système si l'on fabrique d'abord une gelée et que l'on mixe dans le liquide : on dispersera alors des micro-gels dans la solution aqueuse pour faire ce que j'ai nommé les "debyes".

Je dois pas oublier de revenir sur un point de détail avec les sauces "confortables", c'est-à-dire celle qui sont liées par addition de gélatine :  cette fois il s'agit d'une protéine et non pas d'un polysaccharide mais les molécules de gélatine se lient également aux molécules d'eau et donnent aux sauces une viscosité de bonne aloi.