vendredi 24 novembre 2023

Du général au particulier, ou du particulier au général ?

Un étudiant m'interroge sur la stratégie à avoir, car, dans certaines circonstances, je lui avais conseillé d'aller du général au particulier, et, dans d'autres cas, du particulier au général. 

Ma réponse est essentiellement que pour des activités différentes, il n'y a pas lieu d'avoir la même méthode, que l'on ne tient pas un marteau comment tient un tournevis,  que selon les cas l'un ou l'autre s'impose. 

Par exemple, quand on veut construire un texte, un discours, un roman, un rapport, et cetera, il s'agit d'avoir un plan général avant de fignoler les détails. Il faut une organisation et ensuite on peut se préoccuper de chaque point particulier. 

En revanche, pour la recherche scientifique, on part toujours d'un phénomène que l'on explore et c'est ensuite qu'il y a cette merveilleuse étape de l'induction qui a été si bien discuté par Henri Poincaré par d'autres : l'induction, ce n'est pas la déduction, mais, au contraire, cela consiste à  partir de particulier et d'arriver à au général. 

La science veut aussi, comme le disaient Lavoisier, Gay-Lussac ou Chevreul, notamment, trouver des catégories générales à partir des cas particuliers, et l'on va alors  du particulier vers le général. 

 

Deux activités très différentes, deux méthodes très différentes

jeudi 23 novembre 2023

Je viens de m'apercevoir que mes billets discutent souvent des questions épistémologiques ou d'analyses culinaires. Pourquoi si peu de science, alors que ma passion pour la recherche scientifique est « primordiale », fondatrice ?

  Je viens de m'apercevoir que mes billets discutent souvent des questions épistémologiques ou d'analyses culinaires. Pourquoi si peu de science, alors que ma passion pour la recherche scientifique est « primordiale », fondatrice ? 

Autrement dit, pourquoi n'y a-t-il pas, dans ces billets, la présentation de résultats personnels ? Pourquoi si peu de « vulgarisation » ? Bien sûr, il y a ce fait que, essayant de faire de la bonne recherche scientifique, je m'interroge pesamment sur mes pratiques en vue de les améliorer : on ne fonde pas la production de connaissances nouvelles sur des données douteuses. Toutefois il n'en reste pas moins que le Groupe AgroParisTech-INRA de gastronomie moléculaire obtient de nombreux résultats scientifiques, que nous publions dans des revues professionnelles, et que j'ai très peu présentés ces résultats dans ces pages. 

Autre raison : je suis toujours bien plus intéressé par les problèmes posés, les questions dont nous n'avons pas la réponse, que par les solutions que nous avons trouvées, sauf si ces dernières sont en plein cours de l'activité. 

Certes, lors de mes conférences, je suis bien « obligé » de présenter les résultats, ce que je fais d'ailleurs d'une manière très idiosyncratique, sans faire état des innombrables particularités expérimentales auxquelles je tiens pourtant absolument et qui, seules, permettent d'obtenir des résultats de qualité. Comme le dit un ami, « donnée mal acquise ne profite à personne », de sorte qu'il est essentiel de bien « serrer les boulons », c'est-à-dire nous assurer que nos expérience sont faites aussi bien que possible, validées, contrôlées, vérifiées... très longuement. 

Cela explique notamment que notre groupe publie si peu : avant de nous taper sur la poitrine avec fierté (prétention?), je préfère multiplier les angles d'études, ruminer les quelques résultats obtenus, les confronter à d'autres, valider les résultats, etc. Je ne dis pas que nous sommes exemplaires, mais il est exact que nous faisons de notre mieux. 

 

Tout cela étant dit, un ami m'a demandé d'expliquer au moins un résultat récent, et je profite d'une publication récente dont je n'ai pas honte pour répondre à sa sollicitation. 

 

Dans ce travail, il s'agissait d'explorer les performances d'une méthode analytique que j'ai inventée il y a quelques années et que j'ai nommée spectroscopie de résonance nucléaire quantitative in situ.
Ouf ! C'est bien long, et il faut expliquer ce dont il s'agit. Commençons par la « spectroscopie de résonance de résonance magnétique nucléaire ». Spectroscopie : cela signifie que nous produisons des « spectres », c'est-à-dire des groupes de signaux que nous devons apprendre à déchiffrer. Résonance : pensons à une balançoire sur laquelle se trouve un enfant que l'on pousse. Si nous poussons par petites poussées très fréquentes, la balançoire n'ira pas loin. Si nous poussons par petites poussées trop espacées dans le temps, là non plus la balançoire ne se balancera guère. En revanche, si nous poussons au bon moment, c'est-à-dire exactement quand la balançoire est entièrement revenue vers nous et qu'elle commence à repartir vers l'avant, alors nous aurons un mouvement qui s'amplifiera, s'amplifiera… C'est cela, la « résonance ». Magnétique ? Cela signifie que l'on ne pousse pas mécaniquement, mais avec un champ magnétique. Nucléaire ? Là, il faut signaler que, contrairement à ce qu'un public apeuré pourrait croire, il n'y a pas de matériaux radioactifs dans cette affaire, car le mot « nucléaire » signifie seulement « relatif au noyau », sous entendu au noyau des atomes.
Finalement la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire est une méthode d'étude de la matière que je trouve éblouissante, car elle est très élégante : en substance, on plonge un échantillon dans un fort champ magnétique, puis on applique un second champ magnétique perpendiculaire au premier ; on le supprime et l'on enregistre, par un effet analogue à celui qui allume les lampes d'un vélo équipé d'une dynamo, le retour à l'équilibre (magnétique) des noyaux d'atomes figurant dans les molécules qui constituent l'échantillon.
Soyons pratiques : on place un tube contenant de l'eau dans un aimant. L'eau, c'est un ensemble d'objets tous identiques (pardon pour ceux qui savent, mais il y a les autres : nos amis qui ont besoin d'explications), et que l'on a décidé de nommer des molécules. Pour un composé particulier (l'eau, ou bien l'éthanol, ou encore le saccharose, ou la glycérine, etc.), toutes les molécules sont identiques. Et, pour l'eau, les molécules d'eau sont toutes faites d'un atome d'oxygène qui est lié, de part et d'autre, à deux atomes d'hydrogène. Chaque atome est fait d'une partie « centrale », que l'on nomme le noyau, et d'une partie « périphérique », avec des électrons. Il se trouve que les noyaux des atomes d'hydrogène se comportent comme de petits aimants qui s'alignent soit dans le même sens que le champ magnétique dû à l'aimant, soit dans le sens opposé. Là, tout va bien : le système est à l'équilibre. Enroulons maintenant un fil électrique (par exemple un fil de fer, ou de cuivre, par exemple) en une bobine (comme une bobine de fil de couturière), et plaçons cette bobine perpendiculairement à l'aimant. Faisons circuler un courant électrique dans la bobine : cela produit un champ magnétique perpendiculaire au premier. Ce champ magnétique agit sur les aimantation des noyaux des atomes d'hydrogène, et les « bascule ». Puis, quand on cesse de faire passer du courant électrique dans la bobine, l'aimantation des noyaux d'atomes d'hydrogène revient à l'équilibre à une certaines vitesse. Lors de ce retour, un courant électrique apparaît dans la bobine (rappelons-nous l'histoire de la dynamo de vélo), et c'est ce courant électrique que l'on enregistre. Or les noyaux d'atomes ne reviennent pas tous à l'équilibre à la même vitesse, si l'on peut dire, de sorte que le courant électrique qui est enregistré laisse apparaître des comportements différents. Pas pour les molécules d'eau, mais pour d'autres molécules où les atomes d'hydrogène sont liés de façon différente à d'autres atomes de la molécule, souvent des atomes de carbone ou d'oxygène. Par exemple, si l'on a mis dans le tube non pas de l'eau mais de l'éthanol, alors on peut distinguer des atomes d'hydrogène de différentes sortes : les molécules d'éthanol sont toutes faites de deux atomes de carbone liés entre eux ; le premier est attaché, également, à trois atomes d'hydrogène, tandis que le second est attaché à deux d'hydrogène et à un atome d'oxygène qui, lui, est également attaché à un atome d'hydrogène.
On voit ainsi des atomes d'hydrogène de trois « sortes », ou, plus justement, des atomes d'hydrogène qui sont dans trois environnements atomiques différents.
Et c'est ainsi que les « spectres » que l'on enregistre laissent apparaître des signaux électriques de trois sortes, de sorte que, par cette méthode, on « voit » les atomes d'hydrogène dans les molécules de l'échantillon ! Oui, il suffit de deux champs électriques et d'un peu d'intelligence pour « voir atomes ». Extraordinaire, non ?
Ajoutons, pour terminer, que l'on peut faire de même avec les atomes de carbone, de fluor, etc. L'analyse par spectroscopie de résonance magnétique nucléaire (on dit « RMN », en abrégé) est une technique déjà classique, et il existe différentes sortes d'appareils. Certains analysent les liquides, d'autre les solides, par exemple. 

Dans notre laboratoire nous avons utilisé un appareil de RMN dédié aux liquides pour analyser... tout d'abord des haricots verts. Les haricots verts, alors qu'ils sont solides ? Mon idées, il y a plusieurs années, était de penser que les haricots sont solides, certes, mais plein de liquide. Oui, les haricots, mais aussi les carottes, les navets, les fruits, les légumes, les viandes, les poissons… sont solides en apparence, mais ils sont liquides, à l'échelle microscopique. Ou, plus exactement, ce sont des « gels », puisqu'ils sont majoritairement composés de liquide, piégé dans une « matrice » solide. Et c'est pour cette raison que j'ai proposé d'appliquer la RMN des liquides aux haricots verts entiers, ou aux autres aliments. Au lieu faire ce qui était classiquement fait, c'est-à-dire broyer les haricots vert, filtrer le liquide et l'analyser par RMN des liquides, j'ai proposé de mettre directement les haricots dans les tubes d'analyse et d'appliquer les mêmes procédures que pour l'analyse de liquides. Il a été très simple, une fois la difficulté intellectuelle passée, de montrer que cette méthode d'analyse « in situ » permet d'analyser le contenu liquide des carottes, oignons, etc.
Nous en étions là quand j'ai voulu savoir les performances de cette nouvelle méthode d'analyse in situ. Avec une jeune collègue remarquable, Elsa Bauchard, nous avons appliqué la méthode à des carottes : elle a découpé dans des carottes des échantillons très petits (quelques centimètres de long, une section d'environ un millimètre carré) et nous avons analysé ces échantillons par RMN in situ quantitative.
Première observation : la méthode est très répétable, et très précise : sur ces échantillons minuscules, nous parvenons parfaitement à doser les sucres qui sont présents dans les carottes, ou les acides aminés, par exemple. Les sucres ? Les végétaux contiennent tous du glucose, du fructose, et du saccharose, ou sucre de table. Les acides aminés ? Ce sont les constituants des protéines qui font une large partie des viandes, par exemple. Évidemment, dans notre laboratoire, puisque nous faisons de la recherche scientifiques, les adjectifs et adverbes sont interdits, de sorte que, dans nos travaux scientifiques, nous n'avons pas utilisé les termes « précis » ou « répétable » : nous avons quantifié cette précision, cette répétabilité, et c'est cela que nous avons récemment publié.
Bref, notre méthode est très bonne, et en tout cas bien meilleure que les méthodes précédentes. Toutefois, ce qui est mieux, c'est que, quand on découpe les morceaux de carottes dans les parties différentes de la carotte, dans la partie supérieure ou dans la partie inférieure, vers le cœur ou vers la périphérie, on peut doser les sucres dans les différentes parties, et observer les variations de la concentration en ces divers sucres dans la carotte. Quand je dis « sucre » je dois ajouter immédiatement que tous les composés organiques en solution dans le tissu végétal sont analysables, à condition d'être en quantité suffisante. Mais il y a déjà beaucoup d'information à analyser, et donc beaucoup de découvertes à faire. Je ne poursuivrai sans doute pas les études de cette méthode pendant des décennies, mais elle est maintenant raisonnablement au point, et nous pouvons l'utiliser pour des analyses intéressantes de tissus variés. 

 

Terminons en discutant la question de la science et de ses relations avec la technologie. L'amélioration d'une technique est une question technologique. Cela étant, dans notre cas, nous avons appliqué la nouvelle méthode à une question de connaissance pure : à savoir la répartition des sucres dans une racine de carotte. C'était là un travail scientifique. Je ne cherche pas à tout prix à imposer à mes amis des étiquettes, mais je crois qu'il est plus juste de reconnaître honnêtement la nature des choses. Notre idée initiale était-elle technologique ou scientifique ? Elle était certainement technologique, mais ma passion pour les sciences a automatiquement détourné ce travail vers la science : nous savons maintenant comment les sucres se répartissent dans une carotte. Et nous pouvons passer à la question suivante !

mercredi 22 novembre 2023

Une question ? Une réponse.

Comment utiliser de la broméline pour attendrir la viande ? 

Comment utiliser la broméline sur une pièce de bœuf ? Et comment éviter que la viande n'ait un goût de salade de fruit ? 

La broméline est une enzyme que l'on trouve notamment dans l'ananas frais. C'est une protéase, c'est-à-dire une protéine qui a la capacité de couper les autres protéines (pas toutes, bien sûr, mais quand même). Notamment, elle peut couper les protéines de type collagène, actine et myosine qui constituent 60 pour cent des viandes. 

Bref, on peut l'utiliser pour attendrir des viandes… comme l'avaient découvert les Indiens d'Amérique, mais avec la papaye (l'effet est le même, bien que l'enzyme soit cette fois la papaïne) : ils enveloppaient les viandes dans des feuilles de papaye. Pour l'ananas, il suffit d'utiliser une seringue pour injecter du jus d'ananas frais à l'intérieur, et il faut laisser agir un temps qui dépend du résultat que vous voulez obtenir. Après plusieurs heures, on obtient parfois comme une sorte de hachis à l'intérieur. 

Comment éviter le goût de fruit ? Soit utiliser une petite quantité de jus, en sachant que les enzymes sont des catalyseurs, à savoir qu'elles ne sont pas détruites quand elles agissent, et qu'il faut seulement leur donner du temps pour diffuser, ou bien utiliser l'enzyme séparée du jus : la papaïne, la ficine (de la figue), la broméline (de l'ananas)… tout cela s'achète !

mardi 21 novembre 2023

Fâchons-nous rapidement

 Il vaut mieux se fâcher très vite avec ceux avec qui l'on se fâcherait un jour : cela simplifie les choses. 

Avec le billet qui suit, je risque de perdre des amis... ou pas : je compte sur les vrais amis pour me rectifier si je suis dans l'erreur. Pardonnez mon esprit un peu faible, et contribuez s'il vous plaît à l'amélioration de mon esprit (Michael Faraday avait ainsi un "club d'amélioration de l'esprit). 

 

Bref, commençons le calcul : Soit une personne qui travaille 35 heures par semaine, 47 semaines par an, pendant une carrière de 40 ans: n:= 35*47*40; n := 65800. 

Cette personne (qui n'aime pas beaucoup son travail) passe du temps à ne pas l'exercer (tâches administratives, pauses, discussions avec collègues, arrêts de travail...), ce qui réduit son temps effectif d'un facteur deux (en réalité, j'ai fait des statistiques, et ce serait plutôt 3, mais soyons charitable): f:=2; f := 2 n/f; 32900.

 On compare avec quelqu'un qui aime son travail, et fait donc 105 heures par semaines, pendant 52 semaines par an (pourquoi s'arrêter de faire ce que l'on aime?), toujours sur 40 ans de carrière : Nmax := 105*52*40; Nmax := 218400. 

 

 Le rapport entre les deux est : Nmax/(n/f); 312 --- 47 evalf(%); 6.638297872 # Soit, une avance, en années, de : (40*%)-40; 225.5319149. 

 Si le facteur 2 semble exagéré, supposons qu'un quart seulement du temps de (1) ne soit pas efficace. L'avance reste de : (40* (Nmax/(n/(4/3))))-40; 6440 ---- 47 evalf(%); 137.0212766

 

 Soit un siècle et demie d'avance pour une vie! 

 

Erigeons cela en loi générale : imaginons qu'un élève commence à aimer les mathématiques en classe de Sixième. Il arrivera en Maths Spé avec 50 ans d'avance environ sur les autres. Et ainsi de suite. Décidément, "D'r Schaffe het süssi Wurzel un Frucht", comme on dit en Alsace (le travail a des racines et des fruits délicieux). Je vous avais bien que ce serait politiquement incorrect. Qui me remet dans le droit chemin ?

lundi 20 novembre 2023

Distiller, en cuisine ?

Dans un billet précédent, j'ai évoqué les pertes qui se font au-dessus des casseroles, et j'ai promis de considérer des manières de les éviter. 

 

Dans ce billet, je propose de considérer deux techniques voisines, bien que, différents : l'hydrodistillation et la distillation fractionnée. 

 

L'hydrodistillation est une technique simple : on récupère les vapeurs qui s'échappent d'une casserole chauffée, on les refroidit et l'on obtient de l'eau un peu parfumée, et, surtout, qui porte à sa surface un liquide d'apparence huileuse, nommé « huile essentielle ». 

Pour faire une hydrodistillation en cuisine, une cocotte minute suffit : au lieu de cuire sous pression, on adapte à la soupape de sécurité un tuyau et l'on refroidit les vapeur en enroulant le tuyau dans une marmite d'eau froide, tandis que son extrémité vient déboucher dans un récipient qui recueille l'eau et l'huile essentielle. Le mécanisme qui fonde le procédé est le suivant : les molécules odorantes sont des molécules qui partent facilement dans l'air, et l'évaporation de l'eau produit en abondance de la vapeur qui emporte ces molécules, le tout étant recondensé ensuite par le dispositif de refroidissement (tout cela est détaillé dans un chapitre particulier de mon livre « Mon histoire de cuisine », juste paru aux éditions Belin). 

 

Une autre méthode, qui n'est pas, hélas, utilisée couramment par les cuisiniers, est la distillation fractionnée : cette fois, il faut adapter une colonne en verre au dessus de la casserole, et cette colonne doit être d'un type particulier, avec un gainage externe où l'on fait circuler de l'eau froide. Quand le liquide est chauffé, les divers composés évaporés montent dans la colonne jusqu'à des hauteurs qui dépendent de leur température d'évaporation (le haut de la colonne est plus froid que le bas). Par exemple, imaginons que nous chauffions de l'eau, dont la température d'évaporation est de 100 °C, et de l'éthanol, qui s'évapore à seulement 76 °C. Les vapeurs d'eau et d'éthanol monteront dans la colonne, mais les molécules d'eau se condenseront plus bas que les molécules d'éthanol. Si l'on s'y prend bien, les molécules d'éthanol pourront donc être récupérées, et séparées des molécules d'eau. 

 

Je ne vois pas pourquoi les cuisiniers ne pourraient s'équiper de systèmes de distillation, pour distiller non pas des alcools, mais des mets variés, et l'on peut imaginer des résultats merveilleux. Il y a plus de 30 ans que j'ai fait cette proposition, mais ça traîne. Pourquoi des fabricants ne feraient-ils pas des systèmes pour les cuisiniers ? Sans quoi les cuisiniers devront se rabattre sur les systèmes qu'utilisent quotidiennement les chimistes. 

 

En touts cas, gardons à l'idée que nous avons la possibilité de séparer l'eau évaporée au dessus d'une casserole de tous les merveilleux composés qui sont emportés avec elle. Et c'est ainsi que la cuisine peut encore grandir, avec des goûts inédits. PS. Une autre façon de s'y prendre consiste à chauffer les casseroles à des températures fixes, et à récupérer les vapeurs à ces différentes températures. C'est quand même bien moins pratique, mais nécessité fait parfois loi.

dimanche 19 novembre 2023

Ne créons pas de poussière dans le monde

 Le « pari de Pascal » (Pensées, 1670) est célèbre : « Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. » 

 

Ne pourrions-nous proposer, de même, de faire le pari de la bienveillance, de l'intelligence et de la culture, sans prétention ? 

 

D'une part, il y a les malfaisants, les jaloux, les méchants, les malhonnêtes, les paresseux, les autoritaires… qui nous nuiront quoi que nous fassions. 

D'autre part, il y les bienveillants et ceux qui n'ont pas d'idée a priori de nos travaux. Si nous mettons de l'intelligence dans nos productions, les individus de cette seconde catégorie, les seuls à qui il soit digne de s'adresser, nous seront redevables des pétillements que nous aurons glissés dans notre version des faits. 

Là, il faut que je demande pardon à mes amis, et que je rectifie une erreur que j'ai faite dans un de mes livres et quelques articles : ébloui par le moine Shitao, ce théoricien chinois de la peinture et de la calligraphie, je l'avais suivi quand il évoquait la « poussière du monde ». 

La poussière du monde ? Ce sont les modes, les « chiens écrasés », les potins, les agissements des grenouilles qui veulent se faire plus grosses que le bœuf (ceux qui prétendent diriger, alors qu'il n'est pas certain qu'ils se dirigent eux-mêmes : je pense aux « dirigeants » dont les enfants sont délinquants, ou s’entre-tuent pour des histoires de mœurs sordides, sans compter ceux qui affichent impudiquement leur vie publique… minable). Bref, il y aurait la « poussière du monde ». 

Toutefois, dire un mot ne fait pas exister l'objet « matériellement » ! Le manteau du père Noël n'est ni rouge ni bleu… puisque le père Noël, n'existant pas, n'a pas de manteau. La poussière du monde ? L'idée est fascinante, mais si nous nous efforçons de mettre de l'intelligence dans nos actes, pensées, discours, rien n'est anodin, rien n'est poussière. Et c'est ainsi que nos productions seront plus belles, adressées à des « amis ».

samedi 18 novembre 2023

Un bon professeur ?

 Hier, une discussion avec des étudiants à propos de ce qu'est un bon professeur. 

Je me demande si c'est manier excessivement le paradoxe de proposer que le professeurs puissent être de mauvais pédagogues à condition d'être de bons scientifiques ? 

 

Expliquons l'idée, en partant de la « montagne du savoir » que les étudiants doivent gravir, afin que, à partir du sommet, ils puissent poursuivre l'œuvre collective de production de savoir. 

C'est un fait qu'il leur est difficile -et improductif - de retracer tout le chemin qui a conduit jusqu'à ce sommet : difficile, parce qu'ils n'auraient que quelques années pour refaire des siècles ; improductif, parce que la recherche scientifique est extraordinairement « hésitante », en ce sens que, sans stratégie possible, elle doit défricher beaucoup avant de pouvoir repousser les limites du connu ; sans compter qu'elle s'est souvent fourvoyée, et que seul l'état de l'art le plus actuel est essentiel (même s'il est vrai qu'il n'est pas inutile de connaître l'histoire des sciences, au contraire). 

 

Bref, il semble clair que les étudiants doivent maîtriser les notions les plus modernes du temps où ils étudient. Et qui d'autre que ceux qui produisent le savoir le plus moderne peut avoir connaissance de ce savoir ? 

Cette idée justifie d'ailleurs la pratique universitaire de nommer professeurs ceux qui publient le plus, sans considération de leur mérite pédagogique. A l'inverse, on peut proposer que des individus soient de « bons » enseignants s'ils se tiennent au courant de la production du savoir et s'ils font l'effort de mettre les notions les plus modernes à la disposition des étudiants. 

Dans cette hypothèse, les enseignants n'auraient pas à publier de publications scientifiques, mais ils pourraient être jugés sur leur travail de « facilitation ». 

C'est souvent là l'alternative commune, mais d'autres options sont également possibles : Aristophane disait qu'« enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier ». Cette fois, peu importe que l'enseignant produise des connaissances nouvelles ou les explique bien, mais il doit surtout donner l'impulsion, contribuer à ce que les étudiants aillent d'eux-même construire leur savoir. 

Cette troisième option a plusieurs mérites, mais notamment elle montre que le manichéisme n'est pas une solution raisonnable. En outre, elle a le mérite de montrer combien il est bien difficile d'avoir des certitudes sur « la » méthode qui s'impose dans l'enseignement, et, de ce fait, combien il est difficile d'évaluer des enseignants… d'autant que la perception de la qualité des enseignants peut changer : le même professeur qui est mal évalué par les étudiants, sur le coup, peut faire l'objet d'une excellente évaluation avec quelques années de recul. 

 

Bref, j'ai bien peur d'avoir peu de certitudes à propos d'enseignement, et je propose de craindre les certitudes de ceux qui en ont, à ce propos.