vendredi 28 avril 2023

Le travail ?

Oui, le mot "travail" est un mot extraordinaire, à la fois merveilleux et terrible. 

Mais je ne veux pas "verser" dans le jeu des connotations idiosyncratiques, et je propose de revenir au "bon" sens, que je trouve le plus souvent dans le Trésor de la langue française informatisé (TLF, en ligne), avec l'étymologie : TRAVAIL1, -AUX, subst. masc. TRAVAIL2, -AILS, subst. masc. TRAVAIL, , subst. masc. Étymol. et Hist. A. 1. 1130-40 traval d'enfant « douleurs de l'accouchement » (Wace, Vie de Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 645); 2. ca 1140 « tourment » (Gaimar, L'Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 16); 3. fin xiies. « fatigue, peine supportée » (Moniage Guillaume, éd. W. Cloetta, II, 5205). B. 1. a) Ca 1130 « peine que l'on se donne, efforts » (Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, 28); 1209 (Guiot de Provins, Bible, éd. J. Orr, 2305); b) mil. xiiies. « peine que l'on se donne dans l'exercice d'un métier artisanal » [associé à painne] (G. Fagniez, Doc. rel. à l'hist. de l'industr. et du comm. en France, t. 1, p. 204 ds Gemmingen Arbeit, p. 104); 2emoit. xiiies. (Dit des Fevres ds Jongleurs et trouvères, éd. A. Jubinal, 129 ds T.-L.: De lor labor, de lor travail Vivent les fevres lëaument); 2. a) 1362-63 désigne le résultat de l'activité accomplie (Dehaisnes, Doc. [...] concernant l'hist. de l'art dans la Flandre, t. 1, p. 445 ds Gemmingen Arbeit, p. 107); b) 1676 « qualité de l'exécution d'un ouvrage » (Félibien, p. 760); 3. 1600 « activité professionnelle quotidienne nécessaire à la subsistance » (doc. ds H. Hauser, La Liberté du comm. et la liberté du travail sous Henri IV, p. 289 ds Gemmingen Arbeit, p. 109). C. Au plur. 1. 1611 désigne des actions difficiles, périlleuses, qui sont un titre de gloire pour leur auteur (J. Bertaut, Œuvres poét., p. 20); 2. 1616 « ensemble des recherches effectuées dans un domaine intellectuel donné » (A. d'Aubigné, Les Tragiques ds Œuvres, éd. E. Réaume et de Caussade, t. 4, p. 150: je veux [...] Me livrer aux travaux de la pesante histoire); 3. 1721 « activités propres à un domaine technique déterminé » (Montesquieu, Lettres persanes, p. 99: travaux des mines);1741 travaux domestiques (A.-C. Caylus, Féeries nouvelles, p. 571); 4. 1727 travaux publics (A.-M. de Ramsay, Les Voyages de Cyrus, p. 92); 5. 1768 travail forcé (Voltaire, L'Homme aux quarante écus, p. 72: Il faut effrayer le crime, oui sans doute; mais le travail forcé et la honte durable l'intimident plus que la potence); 1795 travaux forcés (Code pénal, tit. I, art. 6 d'apr. Brunot t. 9, p. 1042, note 3). D. 1. 1769 « modification interne que subit une matière, une substance » (Lemierre, La Peinture, p. 221: C'est elle [la nature] qui [...] Nuance au vaste sein de la terre en travail Le jaspe, le porphyre); 2. 1783 « action progressive exercée par un élément, un phénomène naturel » (Buffon, Hist. nat., Minéraux, t. 1, p. 152); 3. 1829 mécan. (G. Coriolis, Traité de la mécanique des corps solides..., Avertissement à la 1èreéd., p. IX ds Quem. DDL t. 41: je désigne par le nom de travail la quantité qu'on appelle assez communément puissance mécanique, quantité d'action ou effet dynamique). Déverbal de travailler*. Jusqu'au déb. du xvies. travail est souvent associé à peine (v. Gemmingen Arbeit, pp. 104-105) car le sens dominant est « fatigue, peine » qui peut avoir pour contrepartie une rétribution. Le sens de « activité professionnelle » devient très rare au xvies. pour revenir en force au xviies. sous l'infl. de travailler*. FEW t. 13, 2, p. 298, 290a; Gemmingen Arbeit, pp. 103-109.

jeudi 27 avril 2023

Mes inventions : les liebigs et les gibbs

Dans un précédent billet,  nous avons considéré une de mes anciennes inventions, que j'avais nommée des liebigs, des émulsions gélifiées. 

Toutefois, il y a gélification et gélification ;  certaines sont réversibles, dites « physiques », tandis que d'autres sont « chimiques ». 

 

Les gélifications chimiques sont des gélifications irréversibles, assurées par la formation de liaisons chimiques plus fortes que dans les gélifications physiques. 

Un type particulier résulte de la formation de liaisons chimiques particulières nommées ponts disulfures, telles qu'il s'en forme lors de la coagulation de l'oeuf. 

De ce fait,  on entrevoit aussitôt  que l'on peut obtenir une émulsion gélifiée chimiquement en émulsifiant de l'huile dans une solution qui contient des protéines capables de coaguler, telles qu'il y en a dans le blanc d'oeuf, puis en faisant coaguler les protéines. 

 

La recette est extrêmement simple : fouetter de l'huile dans du blanc d'oeuf, jusqu'à obtenir  une préparation épaisse comme une mayonnaise, mais blanche, puis cuire quelques secondes cette préparation  au four à micro-ondes, afin d'obtenir la coagulation les protéines restées à la surface des gouttes d'huile. 

Et c'est ainsi que l'on obtient  rapidement une émulsion gélifiée blanche et insipide. J'ai nommé de ce système un « gibbs ». 

Blanche et insipide : est-ce rédhibitoire ? Pas du tout :  il suffit de donner de la couleur et du goût. Pour la couleur, tous les pigments ou colorants comestibles font l'affaire :  les chlorophylles engendrant le vert, jusqu'aux caroténoïdes qui font le jaune, rouge, orange, en passant par les composés phénoliques des fleurs et fruits, qui font aussi du bleu, ou en passant par les bétalaïnes des  betteraves. 

Du goût : cela signifie de la saveur et de l'odeur. Comme il y a de l'huile dans la préparation, on conçoit facilement qu'il soit facile d'y dissoudre des composés odorants, le plus souvent solubles dans l'huile. 

Pour la saveur, les composés sont solubles dans l'eau, ce qui tombe précisément bien, puisque le blanc d'oeuf initialement utilisé est composé de 90 % d'eau. 

 

On le voit :  finalement, il n'est pas difficile de faire des  gibbs au goût merveilleux ! 

 

note : je vous recommande un blanc d'oeuf que vous sucrez, puis vous émulsionnez une huile où vous avez fait macérer des gousses de vanilles, et vous passez au four à micro-ondes dans de jolies tasses. A servir avec un élément croustillant ou croquant, tuile aux amandes ou autre.

mercredi 26 avril 2023

Les piquants, les frais

 Cette fois, nous évoquerons les questions  relatives aux sensations trigéminales : les piquants, les frais. 

 

Supposons que l'on construise un aliment de cuisine note à note, et que nous voulions donner des odeurs, des saveurs, des consistances, des piquants, des frais  et autres sensations trigéminales (parce qu'elles sont détectées par les récepteurs associés au nerf trijumeau, un nerf à trois branches qui vient de l'arrière du cerveau),  comment ferions-nous ? 

La réponse la plus évidente consiste explorer le monde naturel, et à repérer les piquants et les frais dans des ingrédients alimentaires connus, les poivres, les piments, les menthes, par exemple... 

Puis, connaissant ces composés, on  pourrait les utiliser pour les mettre  dans un plat que l'on construit. Pour l'instant, on est encore loin d'avoir fait ce travail, et le monde des composés à action trigéminale est bien mal connu. 

J'avais bien proposé -un peu naïvement- d'établir une banque d'information sur ces composés, mais j'ai fini par comprendre que ces connaissance sont un trésor de guerre de l'industrie alimentaire, qui n'est pas prête à le livrer pour rien. Il faudrait donc que des laboratoires publics s'emparent de la question, mais est-ce une grande question scientifique ? 

Puisque ce n'est pas à moi de décider, je continue la  discussion de la façon suivante : nous avons donc posé qu'il y a cette possibilité, mais il y en a une autre, qui consiste à explorer les récepteurs sensoriels, à les cartographier moléculairement, et à identifier les composés qui pourraient se lier à eux. 

La physico-chimie moderne commence  à bien apprendre  à trouver ces relations. La question n'est pas résolue, et il y a besoin de beaucoup de talents pour  améliorer les choses, mais il est également vrai que l'enjeu est considérable :  il y aura, derrière les progrès effectués,  une cascade d'applications  dans des champs très fondamentaux, notamment en physiologie. 

Car la découverte de composées à action trigéminale, permettant de stimuler certains récepteurs, permettra peut-être aussi  de détecter d'autres récepteurs, d'autres voies sensorielles... 

 

Quel dommage que je n'ai qu'une vie et que je ne puisse pas me lancer dans cette recherche !

mardi 25 avril 2023

Je viens de passer devant le 16 de la rue Claude Bernard, à Paris.

A cette adresse, il y  a un grand bâtiment en brique, qui était celui de l'Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement, AgroParisTech. A priori rien de particulier ; un bâtiment comme les autres, en brique rouge. Pourtant, à l'intérieur, que de fourmillement intellectuel il y a eu, que de beautés de l'esprit ! 

AgroParisTech, c'est l' « Agro », cette école qui, depuis plus d'un siècle, forme les élèves ingénieurs agronomes, et, plus généralement, les spécialistes des sciences et des technologies du vivant et de l'environnement. 

Le titre ne ment pas : ces élèves sont sélectionnés sur un concours difficile, et ils sont donc parmi les meilleurs. Pendant trois ans, ils suivent ici des cours donnés par des enseignants chercheurs qui, eux-mêmes,  doivent être les meilleurs. Tout y passe, de la physique, de la chimie, de la biologie, mais aussi de l'agronomie, de l'économie... 

On le voit, il y avait donc bien plus que des briques rouges, au 16 de la rue Claude Bernard,  avant que l'école ne parte s'installer à Palaiseau, mais laissez-moi vous dire aussi qu'il y a toute une histoire derrière ces murs. 

Après la guerre de 1870, alors que les engrais s'introduisaient en agriculture, augmentant les rendements, indispensables pour nourrir les populations, le chimiste Charles Adolphe Würtz, de Strasbourg, s'efforça de créer l'Institut national agronomique, qui était l'ancêtre d'AgroParisTech. 

Cette école était donc une école de chimie,  puisque la chimie était la clé des développements agricoles de l'époque. Pour autant, Würtz n'était pas un esprit obtus, et c'est un ensemble pédagogique cohérent qu'il contribua à bâtir : la chimie avait sa place,  mais elle n'était pas isolée. L'institut fut donc créé dans un triangle, au coin de la rue de l'arbalète et de la rue Claude Bernard. 

Ce triangle, auparavant, était occupé par  la faculté de pharmacie, qui avait là ses « simples », les herbes médicinales indispensables à la préparation des remèdes. 

Tout cela pour quelques briques rouges !

lundi 24 avril 2023

Bon pour la santé...

« Bon pour la santé » ? C'est soit de l'ignorance, soit de la malhonnêteté, soit de la mauvaise foi. 

L'ignorance est évidemment... la chose la mieux partagée du monde, et, pour anticiper certains des commentaires qui me sont adressés et que je publie pas quand ils sont outrés ou inutilement désobligeants (j'accepte les critiques polies, toutefois), je dirais volontiers que,  personnellement, je suis dans le lot commun, hélas. J'essaie de me soigner, mais c'est un travail de chaque instant. Bref, on est souvent ignorant, quand on dit « bon pour la santé », parce que rien n'est parfaitement bon pour la santé. Parmentier contribua à sauver la France de la famine avec les pommes de terre, mais celles-ci contiennent des glycoalcaloïdes toxiques. Tous les composés sont toxiques, à des doses variées certes, mais ils sont « toxiques ». 

Pis, on a découvert, avec les SERM, médicaments introduits ces dernières décennies contre le cancer du sein, que les composés bio-actifs pouvaient avoir une action bénéfique sur un tissu, et maléfique sur un autre, car les récepteurs sont variés, et les réactions qu'ils déclenchent n'ont aucune raison d'être toutes souhaitables ; la « panacée » est une vielle lubie. Même l'eau est toxique : que l'on pense au supplice de l'eau, ou aux chocs osmotiques auxquels sont exposés ceux qui boivent de la neige fondue. 

 

Derrière l'ignorance, il y a parfois la malhonnêteté : c'est celle d'un certain commerce prêt à tout pour nous refiler ses produits (qui, selon les cas, sont bons ou non). Et, par les temps qui courent, je vois hélas bien trop de « bon pour la santé » sur les conditionnements alimentaires ! Luttons, luttons sans relâche contre les prétentions fausses. 

 

Enfin, il y a la mauvaise foi. Dans ce cas, il y a un sourire, parfois, de l'humour. Et la mauvaise foi est bien trop complexe pour que je puisse en juger de façon fiable. Certes, il y a la mauvaise foi qui consiste  à dire froidement quelque chose de faux en sachant que c'est faux, mais la mauvaise foi est compliquée, parce que l'on peut être de mauvaise foi en disant quelque chose de juste et en sachant que c'est juste. Pensons à une réunion où l'on doit choisir des candidats : si l'on met le doigt sur une caractéristique éliminatoire d'un des candidats, c'est quelque chose de juste qui est dit... et, pourtant, c'est très hypocrite, de mauvaise foi que l'on dit cela.

dimanche 23 avril 2023

On me dit que la cuisine de synthèse n'est pas de la "vraie" cuisine.

  La "vraie" cuisine ? Qu'est ce ? 

Pour moi, la cuisine, c'est l'activité qui consiste à préparer des aliments. Une pâtisserie n'est déjà plus du légume ou de la viande, mais c'est un "vrai" aliment, non ? Je me demande si l'on ne pourrait pas réinterpréter par référence aux autres arts : que serait la "vraie" musique ? Le chant ? Pourquoi se priver de la flûte et du piano... Que serait la "vraie" peinture ? La vraie sculpture ? Jetterons nous au panier tout l'art abstrait ? Et en littérature, resterons nous aux aèdes grecs ? Et puis, j'aimerais avoir des certitudes !

samedi 22 avril 2023

Des questions, à propos de cuisine de synthèse

Des questions, il peut y en avoir de sciences ou de technologie. 

Aujourd'hui je propose que l'on s'interroge d'abord sur la nature des questions qui sont posées, sur le champ dont elles relèvent. 

 

Partons de de la  cuisine de synthèse, surnommée "cuisine note à note", cette cuisine qui, au lieu d'utiliser des fruits, des légumes, des viandes et des poissons, utilise des composés purs. 

Ce billet est une sorte d'introduction à toutes les questions que pose la cuisine note à note. 

 

Puisque les plats de cuisine note à note doivent avoir une consistance, une odeur, une saveur, une couleur, des piquants, des frais, etc., s'imposent une série de questions relatives à chacune de ces modalités. Comment construire les consistances ? Lesquelles viser ? Pourquoi ? Comment construire les  couleurs ? Lesquelles choisir ? Comment construire les saveurs ? Et là encore, lesquelles choisir et pourquoi ? Les piquants, et les frais... 

Supposons maintenant que cette cuisine note à note s'impose  quotidiennement, pour mille  raisons  primordiales, telle  une population croissante dans le monde, une crise de l'énergie, une crise de l'eau. Comment manger quotidiennement note à note. 

Oui, la nutrition  (je veux dire la science de la nutrition, et non pas son application,  pour laquelle on devrait réserver le nom de "diététique") a progressivement appris l'importance des diverses catégories de nutriments, des macronutriments, des  micronutriments, l'importance des vitamines... On se dit donc  que l'on commence à connaître le contenu de ce que l'on doit manger, mais …  est-ce  vrai ? Un être humain qui mangerait tous les jours note à note, exclusivement de la cuisine note à note, serait-il en bonne santé ? en mauvaise santé ? ou en santé améliorée par rapport à l'état actuel ? La  toxicologie  : là encore, il y a beaucoup de faire. Il y a beaucoup de découvrir...  car de nombreux composés  que nous consommons aujourd'hui dans les tissus végétaux ou animaux ont des toxicités connues, avérées, établies (pensons aux hydrocarbures aromatiques polycycliques des viandes grillées, à l'estragole de l'estragon ou du basilic, à l'acrylamide formé lors de la cuisson du pain, etc.). Souvent, les toxicités n'apparaissent pas, ou, du moins, pas considérablement, et l'on peut vraiment se demander quoi manger, pour manger "sainement". 

Il va donc falloir apprendre, progressivement, à répondre à toutes ces questions. Quel bonheur !