jeudi 16 mai 2019

La chimie "propre" ?

Ce matin, des questions, auxquelles j'apporte des réponses  :


Pourquoi faites vous de la chimie ?
 
Parce qu'il est admirable, mystérieux, extraordinaire, que le calcul décrive si précisément le fonctionnement du monde, à savoir les mécanismes des phénomènes. Parce que le mouvement des sciences de la nature est extraordinaire. Fondé sur cette hypothèse dite ainsi par Galilée : "le monde est écrit en langage mathématique".
La chimie, c'est la possibilité d'expliquer le visible par de l'invisible... que nous révèle le calcul. L'un des plus beaux exemples que je connaisse est l'article de 1871 de Van'tHoff où est dessinée la molécule du glucose... à une époque où l'on discutait l'existence des molécules ! Mais les travaux de Charles Gerhardt et Laurent sont tout aussi extraordinaires. Quant aux analyses de Lavoisier, elles sont passionnantes, tout comme celles de Thenard et Gay-Lussac, aux débuts de la chimie organique. C'était l'époque où l'on commençait à faire la différence entre analyse immédiate (un fractionnement) et analyse élémentaire. D'ailleurs, à cette même époque, Chevreul a fait un travail éblouissant. Et le travail de Louis Pasteur sur l'acide tartrique : Biot en a pleuré d'émotion.
La chimie, c'est une science, donc l'honneur de l'esprit humain. C'est aussi, de ce fait, la reconnaissance du fait que nous avons beaucoup à découvrir, avec rationalité, sur le monde, et notamment sur la vie.

Pour vous, qu'est-ce que la chimie propre ?
 
Je ne sais pas, de sorte qu'il faut que j'aille voir en ligne. Je sais que, pour la chimie "verte", il y 17 critères acceptés par l'iupac. Mais la chimie propre ? Je pense d'ailleurs qu'il y a une confusion entre la chimie (science) et ses applications, et cela n'est pas bon. Dans l'intérêt de tous, je revendique que les applications ne doivent pas se nommer chimie ! Pourquoi ne pas parler d'applications propres de la chimie ?
Et si je devais inventer la définition de chimie propre, je dirais qu'il n'y a pas d'effluents autres de l'eau... mais c'est bien trop restrictif, et sans doute idiot. Pourquoi ne pas se contenter qu'une application de la chimie est propre si elle est capable de ne rejeter aucun autre composé que l'eau ou N2, ou O2 ?


Quand en avez vous entendu parler pour la première fois ?
Avec vous pour la chimie propre, et il y a longtemps pour la chimie verte.


Est-ce possible ou pas d’envisager une chimie propre ?
J'ai donc répondu plus haut. La réponse est oui : un calcul est toujours propre, n'est-ce pas ?


La chimie peut-elle être plus ou moins propre selon le domaine (matériau, chimie orga...)?
Je crois que la question est trop générale.


Etes-vous sensible à la protection de l'environnement ?
Comment pouvez vous imaginer que quelqu'un vous réponde non ? Ou bien un grand malhonnête ?


Pensez vous que la chimie est un domaine trop polluant et qu'on devrait limiter son usage ?
La chimie est une science, et de ce fait elle n'a pas de raison d'être polluante, ou, du moins, elle ne doit pas l'être (d'autant que nous faisons de la microchimie).
Cela a des conséquences, et la première est que les TP des écoles et universités devraient porter sur des quantités de l'ordre du mg, et jamais plus !
Mais, si vous parlez des applications de la chimie, c'est une question très générale, et les questions très générales sont mauvaises parce qu'elles appellent des réponses générales, et donc intellectuellement fautives. Par exemple, que diriez vous d'une industrie qui part d'effluents de l'agriculture pour faire du bioéthanol : ce serait donc le contraire de la pollution, n'est-ce pas ?
Mais surtout, ne pas confondre chimie et applications de la chimie !


Etes-vous capable de développer des outils/procédés respectueux de l’environnement pour l’industrie chimique dans votre domaine? En existe-t-il déjà ?
Mon domaine est la gastronomie moléculaire, mais il est vrai que nous sommes amenés à faire des analyses, et là, j'ai apporté un progrès merveilleux avec la RMN quantitative in situ, qui évite les extractions, et donc les solvants ! Mieux, je n'utilise plus de solvants deutérés pour les locks.


Quel est votre parcours ? Avez vous étudier la chimie propre dans votre cursus ? Pourquoi ?
Mon parcours ? Voir doc joint;
La chimie propre : quand j'étais dans mon école, la question environnementale se posait peu.

 
Pensez vous qu'elle est un domaine d'avenir ou qu'elle n'est qu'un mythe ?
Si la notion existe, c'est certainement porteur ! En tout cas, la chimie verte existe.


Dans votre quotidien, travaillez vous dans une optique de chimie plus propre ?
Toujours, mais dans l'ordre : sécurité, qualité, traçabilité.


Connaissez vous les règles/lois en matière de rejets des déchets pour votre établissement ? Les respectez vous ?  
Bien sûr que je les connais, et bien sûr que je les respecte ! Et je m'étonne d'ailleurs des pratiques de certains collègues. Il y a un combat quotidien à mener ! 






















La pj contient ceci : 



























Hervé This est physico-chimiste à l'Inra et professeur consultant à AgroParisTech.
Il est aussi Directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, créateur et directeur scientifique de la Fondation Science & Culture alimentaire, de l'Académie des science, créateur et président du Comité pédagogique de l'Institut des Hautes Études du Goût (Université de Reims Champagne Ardennes), conseiller scientifique de la Revue Pour la Science...

Né le 5 juin 1955, il a effectué ses études au Lycée Janson de Sailly, à Paris. Après des études de physico-chimie à l'École Supérieure de Physique et de Chimie de Paris (ESPCI ParisTech, 95e promotion) et des études de lettres modernes à l'Université Paris IV, il a travaillé pendant 20 ans aux Éditions Belin et à la Revue Pour la Science, où il a été éditeur et rédacteur en chef... en même temps qu'il fondait et développait la gastronomie moléculaire, d'abord dans son laboratoire personnel, puis au Collège de France, où il avait été invité par Jean-Marie Lehn (Prix Nobel de chimie en 1987).
Simultanément il était un des collaborateurs réguliers du Panorama (France Culture), et le directeur scientifique des émissions Archimède (Arte) et Pi=3.14 (France 5). Il a été le créateur et l'animateur de séries hebdomadaires de télévision sur France 5, et de radio sur France Culture et France Inter (tous les étés, quotidiennement).
A partir de 1980, alors qu'il effectue ses recherches sur les « précisions culinaires », il fait la promotion de ce qu'il nommera en 1999 la « cuisine moléculaire », définie comme « la technique culinaire rénovée, notamment avec l'apport de techniques de laboratoire ».

En 1988, il crée la discipline scientifique nommée “gastronomie moléculaire et physique” avec Nicholas Kurti (FRS, 1908-1998, directeur du Clarendon Laboratory, inventeur de la désaimantation adiabatique nucléaire), alors professeur de physique à Oxford.

Cette discipline scientifique se définit comme la recherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des préparations culinaires.

En 1994, il imagine la « cuisine note à note » (qui sera nommée ainsi en 2004).

Après sa thèse (1995) de physico-chimie intitulée La gastronomie moléculaire et physique (jury comprenant notamment deux lauréats du Prix Nobel, Pierre Gilles de Gennes et Jean-Marie Lehn, mais aussi Pierre Potier), il a été invité à soutenir une habilitation à diriger des recherches (2000) devant – notamment - Guy Ourisson (alors président de l'Académie des sciences), Xavier Chapuisat (alors président de l'Université Paris Sud), Étienne Guyon (alors directeur de l'École normale supérieure), Alain Fuchs (aujourd'hui président du CNRS) et le chef triplement étoilé Pierre Gagnaire.

En 2000, il quitte les éditions Belin et la revue Pour la Science pour entrer à l'Inra, occupant alors à plein temps son laboratoire, au sein du Laboratoire de Chimie des Interactions Moléculaires, au Collège de France (directeur J-M. Lehn).

En 2000 également, suite à la publication du livre intitulé La casserole des enfants, le Ministre de l'Éducation nationale (Jack Lang) lui a demandé de créer et mettre en place dans les Écoles primaires de toute la France les Ateliers expérimentaux du goût. Ces programmes pédagogiques ont été prototypés dans les Académie de Paris (avec le Recteur René Blanchet, membre de l'Académie des sciences) et de la Réunion. Ils ont été introduits officiellement en 2001 dans toutes les écoles primaires françaises. La même année, le livre Traité élémentaire de cuisine a constitué la base de la rénovation des référentiels de CAP et de BEP des enseignements d'hôtellerie restauration, en relation avec l'Inspection générale. En 2004, ces programmes, et quelques autres (Dictons et plats patrimoniaux, etc.) ont été suivis des Ateliers Science & Cuisine, aujourd'hui aux programmes de Collèges et de Lycées.

2000 est l'année où il commence une collaboration avec le chef français Pierre Gagnaire : chaque mois, il publie une invention culinaire sur le site de Pierre Gagnaire, afin de démontrer que la technologie prend toute sa force quand elle est fondée sur la science.

En 2004, aussi, à la demande de Renaud Dutreil, alors Ministre des PME, H. This a été l'un des principaux créateurs de l'Institut des Hautes Études du Goût, de la Gastronomie et des Arts de la Table, avec l'Université de Reims Champagne Ardennes. Il en a été nommé Président du Comité pédagogique.

En avril 2006, alors que son laboratoire déménageait à AgroParisTech, pour cause de travaux au Collège de France, l'Académie des sciences l'a invité à créer la Fondation Science & Culture Alimentaire, dont il a été nommé Directeur scientifique. C'est l'année où il a été nommé professeur des universités.
De 2010 à 2019, il a été Secrétaire de la Section Alimentation humaine de l'Académie d'agriculture de France, où il a d'ailleurs créé la revue scientifique « Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France » (N3AF). Il en est l'éditeur, ainsi que de l' « International Journal of Molecular and Physical Gastronomy ».
H. This est également le Directeur des International Workshops on Molecular Gastronomy N. Kurti (depuis 1992), des Journées françaises de gastronomie moléculaire, de Séminaires mensuels de gastronomie moléculaire (depuis 2000) et de Cours AgroParisTech de gastronomie moléculaire (cours publics, gratuits, non diplômants, faisant état d'un travail scientifique original chaque année, assortis de la publication d'un livre). En 2008, il a présidé le Comité scientifique et le Comité d'organisation d'EuroFoodChem XIV, et a créé le Groupe français de chimie des aliments et du goût de la Société française de chimie. Il a été nommé représentant français de la Société française de chimie à la Food Chemistry Division d'EuCheMS.

H. This donne de très nombreuses conférences, en France ou à l'étranger, où il crée des laboratoires de gastronomie moléculaire dans les universités et où il promeut le développement de la cuisine note à note. Il écrit mensuellement plusieurs rubriques dans des journaux scientifiques ou professionnels, et il est l'auteur d'une quinzaine de livres  : Les secrets de la casserole, Révélations gastronomiques, La casserole des enfants, Science et gastronomie, Casseroles et éprouvettes, Traité élémentaire de cuisine, Six lettres gourmandes, Maths'6, Petits propos culinaires et savants, La cuisine, c’est de l’amour, de l’art, de la technique, Construisons un repas, De la Science aux fourneaux, La Sagesse du chimiste, Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?, Les Précisions Culinaires, Le Terroir à toutes les sauces.
Membre honoraire de plusieurs académies culinaires, membre de l'Académie d’Agriculture de France; de l'Académie de sciences, des lettres et des arts d'Alsace, membre de l'Académie royale des sciences, des arts et des lettres de Belgique, membre de l'European Academy of Science, Arts and Letters, membre de l'Académie de Stanislas, il a reçu de nombreux prix et distinctions, telle la Chaire Franqui au titre national belge (Université de Liège), le Grand Prix des Sciences de l’Aliment par l'International Association of Gastronomy et, surtout, la Bretzel d'Or (2018).
Hervé This est officier dans l'Ordre des Arts et Lettres, officier dans l'Ordre du Mérite Agricole, officier dans l'Ordre des Palmes Académiques, et chevalier dans l'Ordre de la Légion d’Honneur.

mardi 14 mai 2019

Les terrines

Les terrines ? Cela fait longtemps que je voulais faire ce billet, qui devrait éclairer des pratiques, en montrant comment la généralisation est mère de l'invention.

Commençons par considérer un morceau de viande ou de poisson cru. C'est un assemblage de "fibres musculaires", à savoir des "tuyaux" de diamètre microscopique, assemblés en faisceaux. Chaque tuyau est donc composé d'une enveloppe, et d'un contenu.




L'enveloppe : il s'agit d'un "tissu" (pensons à un mouchoir ou à une feuille de papier) fait de fibres, qui sont du "collagène", à savoir des protéines qui s'arrangent en triples hélices, ces triples hélices se disposant les unes à côté des autres. Ces protéines ne font pas coaguler à la chaleur... mais quand on cuit longtemps, on défait le tissu collagénique, et on libère ces protéines... qui, au refroidissement, peuvent faire gélifier une solution aqueuse (un bouillon, par exemple), puisque le tissu collagénique défait engendre la "gélatine".
L'intérieur : il y a essentiellement de l'eau et des protéines, dont notamment deux sortes, qui sont nommées "actines" et "myosines". Celles-ci peuvent coaguler à la chaleur, comme pour les protéines du blanc d'oeuf. 

Broyons maintenant cette chair : le broyage, quand il est soigneux, libère l'eau et les protéines, formant une "pâte". Puis, si nous chauffons cette pâte, on observe la coagulation, parce qu'il y a des protéines coagulantes. Et la masse coagulée est ce que l'on nomme un "gel", puisque, par définition, un tel système est un liquide piégé dans un solide : n'oublions pas que la viande est faite de 75 pour cent d'eau !
Et si l'on avait ajouté de la matière grasse avant la cuisson ? Tant que la quantité est raisonnable, la matière grasse est piégée dans le gel, tout comme l'eau, mais dispersée sous la forme de gouttelettes.
Et si l'on avait ajouté de la mie de pain trempée dans du lait ? La mie de pain est faite d'amidon et de protéines, de sorte que ces molécules seraient venues dans le gel.
Et si l'on avait ajouté de la crème ? La crème est une émulsion, faite d'eau, de protéines et de matière grasse : tout se serait dispersé dans la pâte initiale, et aurait été piégée dans la masse coagulée. Et de la crème fouettée  ? Des bulles se seraient ajoutées, formant une pâte foisonnée.
Et si l'on avait ajouté un alcool (un bon Armagnac, par exemple) ? Il serait venu se dissoudre dans l'eau de la  pâte. 
Et si l'on avait ajouté un blanc d’œuf battu en neige ? Comme pour la crème fouettée, cela aurait fait foisonner la pâte, en ajoutant des protéines qui auraient contribué à la coagulation.
Et si l'on avait ajouté des morceaux plus durs : noisettes, pistaches, etc. ? Elles se seraient dispersé dans la pâte, donnant du croquant à la masse coagulée.
Et si...

On le voit : les possibilités sont innombrables, et l'on peut régler à volonté la consistance finale.
Mais... au fait, pourquoi le nom de terrine ? Ce nom n'est juste que si l'on cuit dans un récipient en terre, nommé terrine. Si l'on avait cuit dans un linge nommé mousseline, on aurait obtenu une mousseline. Si l'on avait poché de petites masses, on auraient obtenu des quenelles. Si l'on avait cuire de  petites boules, on aurait obtenu des boulettes. Si l'on avait frit, on aurait eu des croquettes. Si l'on avait...

Tout est possible, toutes les formes sont possibles, tous les assaisonnements sont possibles.
Mais l'idée de base est simple : de l'eau avec des protéines appropriées peut coaguler à la chaleur !








PS. J'avais oublié : cela fait partie des "commandements" que j'indique dans "Mon histoire de cuisine"


dimanche 12 mai 2019

Fact checking


   Today, questions by a fact checker from a main US journal:

1.  You are a French?
yes, but rather Alsatian
  
2. You are a chemist?
yes (more precisely physical chemist)
   
3. You helped found and name the field of molecular gastronomy ?
I co-created this scientific discipline (rather than "field") and I co-named it "molecular and physical gastronomy", sometimes shortened into molecular gastronomy
   
4. Molecular gastronomy is the scientific study of the physical chemistry that is the foundation of all cooking?
not "the physical chemistry that is the foundation of all cooking", but instead "the mechanisms occuring during food preparation and concumption"
   
5. In 1984, you proposed taking scientific equipment from the laboratory into the kitchen to enlarge the possibilities for the chef.
Not 1984, but since 1980. But it is true that I published it first in 1995 ( Hervé This. La gastronomie moléculaire. L'Actualité chimique, 1995 (5-6), 42-46). And the name "molecular cooking", for such uses, was given by me in 1999 (in Paris, in front of French TV's, during a meeting of the Inicon FP5 project).
   
6. From a practical standpoint, you proposed this because a chef could wait 30 seconds for something using lab equipment as opposed to five minutes using kitchen utensils.
Yes

 7. One way of making foam requires a pressurized whipping-cream siphon.
It could be a simple pump !
   
8. The liquid is first poured into the canister of the siphon then charged with nitrous oxide.
or another gas
   
9. Nitrous oxide is a colorless, flavorless, odorless gas.
yes, but it is "hilarant"
   
10. A liquid with a higher percentage of fat absorbs more gas.
no
   
11. The liquid then expands.
yes
   
12. The liquid's expansion generates bubbles.
no, the gas pushed with the liquid is making bubbles trapped in the liquid
   
13.  Using a siphon allows the foam to achieve a fluffiness that cannot be achieved by manual labor.
perhaps

   
14. Beating egg whites causes its proteins to unfold and stretch out.
yes
   
15. Unfolding and stretching out the proteins allows the egg whites to trap more air.
no,  but when the air bubbles are introduced in the l iquid by the whisk, they are covered by the unfolded proteins
   
16. Beating egg whites causes them to stiffen into peaks.
yes
   
17. Nos. 1–3 describe the process of creaming meringue.
?
   
18. Meringue is a type of foam.
yes
   
19. The following are also examples of foam…
        the crema of an espresso, yes
        the halo of milk in a latte, ?
        the head of a beer, and yes
        the bubbles in Champagne.yes

samedi 11 mai 2019

Quel livre pour qui ?


Pardonnez-moi de ne jamais faire de « tome 2 », de ne pas vouloir surfer opportunistement sur la vague d'un succès, de ne pas faire de feuilletons...
Ayant de l'estime pour mes amis qui me lisent, je ne me résous pas à leur livrer des textes conçus comme des savonettes, en série ; je vois chaque livre nouveau comme un petit travail d'orfévrerie, qui touche une fibre particulière de nous-même.


► Le premier de mes livres, Les Secrets de la casserole (Editions Pour la Science), était une volonté de montrer aimablement qu'il y a lieu de se préoccuper de science, en vue de comprendre l'activité culinaire, dans sa composante technique.



Oui, un soufflé qui ne gonfle pas n'est pas un soufflé, mais un gâteau, ou une crêpe... et il y a lieu de se demander pourquoi un soufflé gonfle ou ne gonfle pas.
Sachant que la science répond à la question « comment ça marche ? », le livre est structuré par des questions, avec des réponses aussi courtes que possibles, sans concession à la rigueur scientifique. Enfin, rigueur... Le mot est mal choisi : j'aurais dû dire « justesse », « précisions », mais pas « rigueur », car la Gourmandise s'accomode mal de rigueur...



► Le deuxième livre, Révélations gastronomiques (Editions Belin), était une réponse (à ma manière) à la demande de « recettes ».




Sachant que j'ai le plus grand mépris pour des recettes données sous la forme de protocoles qui condamnent l'exécutant au rôle de machine, il s'agissait de donner des recettes... mais en explicitant le détail de chaque geste. Il y a donc des recettes, dans ce livre, mais des recettes qui font grandir, et, en réalité, le livre est plus une discussion à propos de recettes que de recettes proprement dites.

►  Le troisième livre, La casserole des enfants, aux Editions Belin, visait... les enfant que nous sommes tous, que nous le soyons vraiment ou que nous le soyons resté. J'avais en arrière-plan deux livres que je juge importants : le Tour de France par deux enfants, et les Aventures du Petit Nicolas.



Le Tour de France par deux enfants est un ancien manuel de l'Education nationale, du temps où les instituteurs étaient des hussards noirs de la République, du temps où l'Alsace et la Lorraine venaient d'être prises par les Allemands, du temps où la Révolution industrielle faisait rage. L'histoire est celle de deux enfants, orphelins de mère, qui partent de Phalsbourg à la recherche de leur père, engagé dans l'armée française. Le lieu de départ est à la limite de l'Alsace et de la Lorraine, et, en faisant ainsi le Tour de France, à la recherche de leur père, les deux enfants, deux « bons petits gars courageux », découvrent de l'histoire naturelle, de la géographie, de l'histoire, de la science, de la technologie, de la technique... Chaque épisode est une occasion de découverte, et, n'était le racisme qui fait dire à l'auteur qu'il existerait des races humaines inférieures, l'ouvrage serait à mettre entre toutes les mains. Moral, mais quel bel outil pédagogique, dans le principe !
Pour les Aventures du Petit Nicolas, c'est un petit garçon qui raconte sa vie quotidienne, avec son langage, ses mots, ses idées. Amusant, cocasse...
Et la Casserole des enfants sa été voulue comme un mélange des deux : deux enfants sont laissés seuls le soir, pendant que leurs parents sortent, et ils doivent faire la cuisine. Leurs expériences les conduisent à faire des tas de découvertes... mais aussi à remettre en question des gestes classiques. Quel bonheur quand j'ai rencontré des enfants qui avaient « vécu », vibré avec mes deux héros ! Quel bonheur quand j'ai appris qu'un groupe de professionnels des métiers de bouche avaient acquis le livre, non pas pour leurs enfants, mais pour eux-mêmes. On le voit, la jubilation de la connaissance n'a pas d'âge.



► Puis est venu le Traité élémentaire de cuisine, aux éditions Belin, qui était la mise en livre d'une « théorie du goût » que je faisais circuler, en l'augmentant régulièrement, parmi mes amis cuisiniers ou gastronomes.


















Ce livre est arrivé au moment où j'ai contribué à réformer l'enseignement culinaire des lycées hôteliers, au moment où j'ai contribué à débarrasser cet enseignement de scories qui dataient d'un siècle environ, quand on avait commencé à rationnaliser la cuisine... en oubliant que, à cette fin, il fallait des explorations chimiques et physiques des phénomènes. Des « éducateurs » avaient progressivement ajouté des intuitions fausses, qui avaient fait école, et des notions fausses telles que la « concentration » ou l'  « expansion » des viandes étaient invoquées lors des examens. On confondait mousses et émulsions, on croyait à des idées introduites au hasard de l'empirisme culinaire. Le livre fut le livre de la réforme de l'enseignement culinaire, tout comme le Traité élémentaire de chimie, d'Antoine-Laurent de Lavoisier, avait été, à la fin du XVIIIe siècle, le livre de réforme de la chimie.



► Peu après, la revue Pour la Science me proposa de réunir sous la forme d'un livre les chroniques mensuelles que je rédigeais dans la revue : « Science et gastronomie ».















Le livre, intitulé Casseroles et éprouvettes (Editions Pour la Science), fut l'occasion d'une organisation, et, surtout, d'une bonne définition de la gastronomie moléculaire, la science qui cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la préparation et de la consommation des mets.
Il est devenu un best seller, en anglais, parce que l'acteur Keanu Reeves a dit qu'il en était fan :
















►  Un de mes livres est peu connu... parce qu'il est excessivement cher. J'espère qu'aucun de mes amis ne croira que j'ai voulu m'enrichir en faisant un tel livre ! Il s'agissait d'une proposition par un éditeur de livres d'art, Jane Otmezguine, qui avait voulu faire un « objet » : le livre avait l'apparence d'un très gros livre, tiré en nombre limité, pour des collectionneurs, et il contenait des objets et des lettres écrites à mon ami Pierre Gagnaire. Six lettres gourmandes : c'était d'ailleurs le titre.



►  Puis est venu mon livre préféré, La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique (Editions Odile Jacob) : 





Le premier traité d'esthétique culinaire, à ma connaissance, dans l'histoire de la cuisine. Par « esthétique », on entend non pas l'apparence visuelle, mais le goût. En cuisine, le beau à manger, ce n'est pas le beau à voir, comme en peinture ou en sculpture, mais le bon !
Et comme un traité risquait d'être austère, je l'ai transformé en roman d'amour/policier, en l'agrémentant de « recettes » de Pierre Gagnaire. Je maintiens que ce livre, insuffisant d'un point de vue littéraire, un peu difficile (parce que l'esthétique est une branche de la philosophie), est un livre important, utile.



► Peu après, mon amie Marie-Odile Monchicourt m'interrogeais sur « ma vie, mon oeuvre »... mais peut-on imaginer que quelqu'un qui soutient que « le moi est haïssable » se laisse aller à raconter, page après page, de quelle couleur est sa brosse à dent, et autres poussières du monde ?









Cette fois,  dans Construisons un repas (Edition Odile Jacob), je décidais de tout récrire, pour gommer cet aspect personnel sans intérêt, et, plutôt, pour poursuivre la discussion esthétique, mais de façon très simple, pratique. La cuisine, en effet, c'est une construction. Une construction des matières, une construction des mets, par assemblage de matières, et une construction/enchaînement des mets en repas.
Pour rester dans l'idée de Marie-Odile Monchicourt, je me suis efforcé de tout dire très simplement. Oui, ce livre, Construisons un repas, est une sorte de manifeste du « constructivisme culinaire », mais un manifeste à l'attention de tous.



► Pendant l'écriture des deux derniers livres, nous avions des rendez-vous reguliers avec mon ami Pierre Gagnaire, face à Jacques Merles, qui était équipé d'un magnétophone. Nous discutions, séance après séance, le merveilleux traité de cuisine de Nicolas de Bonnefons, cuisinier du roi Louis XIV, et ces discussions conduisirent au livre Alchimistes aux fourneaux (Edition Flammarion).














Un « beau livre », un gros livre, avec d'extraordinaires photographies d'un photographe aussi « allumé » que Pierre Gagnaire ou que moi. Un livre où l'on trouve, de façon un peu baroque (une marque de fabrique H. This), le texte de Bonnefons, les commentaires de Pierre, mes observations, les photographies de Rip Hopkins.



►  Le mot « fourneaux », d'ailleurs, semble avoir été dans l'air, puisque la revue Pour la Science voulut publier de nouveaux textes de ma chronique Science et gastronomie, sous le titre De la science aux fourneaux :














Cette fois, le risque du tome 2 était grand ! Comment l'éviter ? Je décidais alors de construire un livre bien différent de Casseroles et éprouvettes, un livre qui doive tout à son organisation, et où les chroniques publiées dans la revue viendraient tenir leur partie dans une partition d'orchestre construite sans se fonder sur elles a priori.



► Un jeune éditeur, L'oeil Neuf,  avait alors publié un très beau livre, la Sagesse du bibliothécaire, et le succès de ce livre intelligent lui avait fait penser qu'une collection pouvait naître. Quelle belle idée que de rechercher à dégager la sagesse des métiers ! La sagesse du potier, du médecin, de l'archéologue... L'éditeur m'invita à préparer La Sagesse du chimiste.












Et je me suis beaucoup amusé à écrire un tel livre. D'abord, parce que je n'ai en réalité aucune sagesse personnelle, mais, ensuite, parce que la chimie est une science si belle qu'elle méritait une sorte d'ode !
Ce qui est également merveilleux, c'est que, lors de l'écriture de ce livre, j'ai fini par comprendre que la chimie était aujourd'hui partagée -j'espère que cela ne durera pas- entre la science et la technologie. La science : lproduction de connaissance, recherche des mécanismes des phénomènes par la méthode « scientifique ». La technologie : amélioration des techniques par l'utilisation des résultats de la science.
Et puis, ce fut l'occasion de montrer qu'il n'y aura jamais de chimie en cuisine, que l'on ne mettra pas des « produits chimiques » dans les aliments, que nos sociétés souffrent d'une sorte d' « ilchemise », pendant chimique de l'illétrisme.



► D'ailleurs, ces idées, et bien d'autres, furent utiles pour la rédaction du Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?  (Editions Quae/Belin) :





















Pour ce livre, il fallait faire bien davantage que ce qui avait été fait dans la Sagesse du chimiste. L'idée fut de présenter les quelque 150 inventions que j'avais offertes à mon ami Pierre Gagnaire, chaque mois depuis dix ans, sur son site, et d'expliquer comment, comprenant bien la différence entre science et technologie, on pouvait facilement faire autant d'inventions.
Notre monde bruit de « créativité », d' « innovation », maîtres mots de l'industrie, qui permettent à des gourous auto-proclamés de vendre des recettes, des formations... Je maintiens dans ce livre que tout est question de travail, de soin, et de méthode. Le livre est un manuel de technologie générale, tel que je rêve qu'il soit utilisé dans toutes les écoles d'ingénieurs, dans tous les instituts de technologie.




► Rapidement, est alors paru le Cours de gastronomie moléculaire N°2 : Les précisions culinaires (éditions Quae/Belin).














Je suis bien certain qu'aucun de mes amis ne me fera l'injure de penser que ce livre a été bâclé... parce que, en réalité, il réunit des précisions culinaires (dictons, adages, proverbes, tours de main...) réunis depuis le 16 mars 1980 ! Cela fait plus de 30 ans, donc, que je collectionne ces objets de culture, que je les teste, que je les discute, que j'y pense... Le Cours de gastronomie moléculaire que je donne annuellement à AgroParisTech a été une merveilleuse occasion de mettre de l'ordre dans tout cela, de chercher des méthodes pour explorer ce corpus unique dont je dispose, et que je voulais mettre à la disposition de tous. Pour autant, je ne me suis pas résolu à livrer des fleurs en vrac : j'ai voulu faire un bouquet !




► Le livre sur la cuisine note à note est arrivé après mon cours, à la demande des cuisiniers qui voulaient une sorte de cours, mais le livre est un hybride entre un manifeste et un manuel. Il est lisible par tous, et j'ai pris le plus grand soin à expliquer ce qu'est un composé.
Plus exactement, après une longue introduction très générale, et qui dit l'intérêt de la cuisine note à note, on rentre dans la partie technique, en considérant les divers aspects des plats (consistances, formes, saveurs, odeurs, sensations trigéminales…) . En fin de livre, des recettes










► En 2014, un livre de synthèse, que j'espère simple, pour tous lecteurs. Quand je parle d'un composé, j'explique ce que c'est, et il doit y avoir deux ou trois formules chimiques… expliquées dans les moindres détails. Pour autant des collègues devraient être également intéressés.
Le propos ? Je reprends la cuisine historiquement… en vue d'en tirer des idées qui permettent de faire mieux. Autrement dit, il y a du spéculatif et de l'opératif, comme on dit. Un livre assez volumineux, qui considère, en fin de livre, les évolutions que  furent la cuisine moléculaire, le constructivisme culinaire, et s'achève évidemment sur la cuisine note à note. A la charnière, 14 « commandements », qui sont détaillés, en vue de mieux  cuisiner.







►  En 2017, un roman philosophique (un traité de la joie de vivre, transformé en roman d'amour qui finit bien), doublé de recettes de cuisine analysées, le tout structuré (en apparence) par une réflexion sur le terroir et la tradition :