Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 9 juillet 2018
Nos étudiants doivent travailler dans l'industrie !
Peut-être ai-je tort de m'exprimer à ce propos, parce que le sujet est politique, donc sujet à controverses, mais c'est en réalité une réponse à des questions que me posent des étudiants.
Beaucoup sont un peu égarés par la cacophonie sociétale, et ils ont une idée fausse du monde réel -et pas fantasmé par des média- où ils vivent. Par exemple, je me souviens d'un étudiant en stage dans notre groupe de recherche qui voulait faire de la science, parce que, disait-il, l'industrie aurait été un milieu humainement effroyable. Il faisait une double erreur : d'une part, à propos de l'industrie, et d'autre part à propos de la science.
A propos de l'industrie : je ne sais comment il avait eu cette idée fausse sur l'industrie, parce que, quand même, l'industrie, c'est 90 % pour cent au moins de notre pays, et à moins d'admettre que l'humanité est inhumaine, comment penser que toutes les sociétés, petites, moyennes ou grosses, ne soient composées que de gens terribles ? Méfions-nous des généralités, disait justement Michael Faraday)
D'autre part, à propos de science, la question était quand même de savoir s'il avait les capacités pour en faire... et cet étudiant-là était un des plus faibles qui soient jamais venus dans notre groupe. Pour mieux comprendre, d'ailleurs, j'ajoute que j'accepte TOUS les étudiants qui veulent venir apprendre, sans tri, sans sélection, et non pas parce que j'ai besoin de main d'oeuvre (je sais très bien faire ce qui m'amuse tout seul), mais surtout parce que je me sens une obligation morale depuis que la première stagiaire m'avait harcelé pour venir en stage, alors que je refusais tout le monde, et qu'elle m'avais convaincu avec l'observation : "Vous, on vous a accepté en stage".
Bref, pour en revenir à l'étudiant qui détestait l'industrie (sans la connaître), il était aussi enfantin qu'un enfant qui déteste les épinards sans les goûter, et, surtout, il n'avait ni les capacités pour faire de la science, ni les connaissances acéquates... ni la capacité de travail pour rattraper son retard. Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que ce garçon ait pu, depuis qu'il nous a quitté, devenir capable de faire de la science. En réalité, il faisait partie de ce grand nombre de personnes que la vulgarisation fascine, mais qui ressemblent aux papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes sur les bougies qui brûlent dans la nuit.
Cet exemple est le pire de ceux que j'ai rencontrés, mais il n'en demeure pas moins que beaucoup de nos stagiaires venus de l'université ne comprennent pas pourquoi ils devraient viser une carrière "industrielle", et ils veulent faire de la "recherche", sans savoir ce que recouvre ce mot, et sans en avoir la capacité, alors que la fin de leurs études approche. A ce propos de "recherche", je me suis expliqué dans un billet précédent.
D'autres étudiants confondent science, technologie et technique, ce qui, on en conviendra, ne peut guère les aider pour faire des choix... en supposant que le retard qu'ils ont pris leur permettent de le faire encore.
Et d'autres encore ne comprennent pas pourquoi les institutions scientifiques ne peuvent pas accepter tous les postulants, pourquoi tout le monde ne peut pas être fonctionnaire.
Je ne critique pas nos étudiants, mais je propose d'être de ceux qui les aident en leur disant des choses justes, pas démagogiques. C'est pour eux, et pour eux seulement, que je fais ce billet.
Je propose donc de dire, de façon très élémentaire, que ce monde où nous vivons (eux aussi !) -pensons pour l'instant à la France- est un monde où chacun utilise (je ne dis pas "consomme") des ingrédients alimentaires ou des aliments, des briques et des peintures pour se loger, des voitures, bicyclettes, trains et avions pour se transporter, des vêtements, des ordinateurs...
Cela, nous le payons avec l'argent que nous gagnons par notre travail... de production : le plus souvent, nous échangeons notre activité, notre "industrie", contre de l'argent qui paye ces biens dont nous avons besoin. D'ailleurs, je dis "des biens", mais il peut s'agir de services !
Et l'industrie alimentaire de produire des aliments qu'elle fait payer, ce qui paye ses salariés, qui achètent des ordinateurs à sociétés micro-électroniques, des voitures à des constructeurs, de l'énergie à des société idoines, des vêtements à des sociétés textiles ; et chacune de ces sociétés fait payer les biens qu'elle produit, afin de distribuer l'argent qu'elle gagne à ses salariés, qui achètent etc.
On le voit, dans cette affaire de production de biens et de services, les fonctionnaires n'ont pas leur place. Ils ne la trouvent que parce que l'état prélève des impôts, pour harmoniser le fonctionnement de la collectivité nationale. Cet argent permet de créer les routes qui servirons à tous : pour que les citoyens puissent aller travailler ou partir en vacances, pour que les transporteurs routiers puissent faire leur métier, et, plus généralement pour que les citoyens puissent circuler. Il permet de payer des fonctionnaires dans des agences de régulation du commerce, dans des institutions de contrôle de l'hygiène (afin que n'importe qui ne puisse pas empoisonner tout le monde en vendant des aliments malsains).
Je passe sur les nombreux services de l'état, pour me concentrer sur la recherche scientifique. C'est parce que l'innovation est la clé de la réussite industrielle que l'état paye des scientifiques, qui produisent de la connaissance que les ingénieurs peuvent ensuite transférer, afin d'améliorer la technique. Ce qui pose d'ailleurs une grave question pas résolue, à savoir que les petites entreprises et les artisans n'ont pas d'ingénieurs pour faire ces transferts. D'où des structures nationales pour les aider.
L'argent de l'état étant limité, le nombre de scientifiques ne peut être très grand, l'on ne peut donc embaucher que les "meilleurs". D'où des concours, qui viennent souvent bien tard, après une thèse, un ou deux séjours post-doctoraux : parfois, on n'a de poste qu'à un âge avancé... et un salaire qui est loin d'être celui d'un ingénieur dans l'industrie.
Personnellement, contribuable, je revendique que les institutions de recherche scientifique n'aient que les plus capables : ceux qui ont les "capacités" de faire de la recherche scientifique.
Quelles capacités, au fait ? Comprendre la science n'est pas suffisant : c'est bien pour un ingénieur, qui doit en faire un transfert, mais pas pour un scientifique, qui doit surtout produire de la connaissance.
D'ailleurs, il faut dire aux postulants que la science que l'on fait n'est pas celle du 18e, du 19e ou même du 20e siècle : c'est celle du 21e siècle. La connaissance de la science des siècles passés (mécanique quantique, relativité, prémisses de la biologie moléculaire...) est bien insuffisante, et il faut bien comprendre la science d'aujourd'hui pour l prolonger. Pour cela, il faut avoir un esprit ouvert, pas dogmatique, afin d'être capable de mettre en question les théories que l'on s'est donné du mal à comprendre. Certainement il faut être rigoureux, minutieux, imaginatif (pour introduire des concepts nouveaux). Certainement aussi il faut savoir calculer comme chantent les rossignols, puisque les deux pieds de la science sont l'expérience et le calcul.
Bref très peu de nos étudiants peuvent devenir scientifiques, et ceux qui le souhaitent doivent s'y prendre très tôt, et ne cesser d'apprendre. Guère de place pour la poussière du monde : les matchs de football, les "voyages", les agrégations décervelées au bistrot... Il faut aimer les équations différentielles, le calcul, les mécanismes moléculaires...
J'ajoute, pour terminer, que ne pas être scientifique n'est pas une tare ! Il n'y a pas de hiérarchie entre la production scientifique de connaissance et la production de biens : un astrophysicien n'est pas mieux qu'un constructeur de ponts, et il y a une fierté à être un bon ingénieur qui orchestre l'activité d'une équipe technique, ou à être un bon technicien qui fait une production de qualité, et, mieux, de qualité sans cesse améliorée.
Quel peut être le rôle d'un directeur scientifique ?
Nos systèmes de recherche comportent de nombreux échelons, avec les doctorants, les post-docteurs, les chargés de recherche, les directeurs de recherche, les directeurs d'unité, les directeurs de départements, les directeurs scientifiques… On comprend que les directeurs d'unité ou de département ont une fonction d'organisation, et l'on comprend, avec la distinction de chargés de recherche et de directeurs de recherche, qu'il y a des chercheurs de maturités différentes.
Mais un directeur scientifique, de quoi s'agit-il vraiment ? Bien sûr, il y a pour certaines institutions des orientations générales qu'il s'agit de définir, des priorités quand l'institution veut répondre à des questions de société. On peut aussi imaginer qu'il y a des arbitrages à faire quand les moyens sont limités : arbitrages en termes de postes, en termes de soutien à l'achat de matériel… Sans compter la gestion des conflits humains, inévitables.
Mais diriger des recherches ? Plus j'y pense, moins je me sens compétent dans les champs qui ne sont pas ceux de ma propre recherche. Qu'aurais-je à apporter à propos de travaux qui ne sont pas les miens ? Certainement de la méthode. Et peut être précisément cette idée que je ne suis pas compétent dans les travaux qui ne sont pas les miens.
Je m'étonne d'ailleurs que certains collègues puissent me donner des conseils à propos de mon travail. Je me souviens d'un très grand physicien (ce n'est pas Pierre Gilles de Gennes) qui m'écrivait chaque année, quand nous échangions des voeux, que je devrais me tourner plus vers l'étude physique de la gastronomie moléculaire que vers son exploration chimique. Mais cet homme éminemment respectable était physicien, et il ne connaissait rien à la chimie. Comment pouvait-il en juger ainsi, si péremptoirement ? D'autant que, de surcroît, il ne connaissait de la gastronomie moléculaire que ce que je lui en montrais, et s'il est vrai que les méthodes physiques ont beaucoup d'intérêt, il n'en reste pas moins que les méthodes chimiques ont un intérêt non moins grand.
Suivre les conseils d'un tel homme ? Ce ne serait pas raisonnable. Et comme je sais résister, je n'ai gardé de ses propositions qu'une interrogation : que dois-je faire pour faire au mieux ? Oui, j'ai toujours intérêt à m'interroger sur la direction à emprunter pour mener mes travaux.
Ce que je dis à mon propos vaut évidemment pour tous, et si je suis un exemple à analyser, je ne suis pas un exemple à suivre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne cesse de m'interroger et d'interroger mes amis : à propos de méthodes scientifique, à propos de stratégie scientifique, à propos…
Oui, à propos de quoi ? Dans ma pratique scientifique il y a effectivement la direction et le chemin. Les questions sont innombrables et je ne crois pas que quiconque puisse m'indiquer avec certitude celles qui me conduiront à une grande découverte. Bien sûr, on peut me conseiller plus « localement », mais comment savoir si l'exploration de l'acidification des abricots au cours de leur cuisson sera plus ou moins intéressante que l'étude de la convection des bouillons de viande ? D 'autant que c'est peut-être la façon de parcourir le chemin plutôt que le chemin lui même qui conduira à la découverte...
A lire des Lavoisier, Dumas ou Chevreul, on comprend qu'une activité soutenue doit produire des faits, et que, de ceux-ci, la recherche d'analogies peut conduire à des interprétations. Mais c'est là quelque chose de si simple qu'il n'est pas nécessaire de me le conseiller, ni de le conseiller à la plupart des scientifiques.
Finalement, quelles compétences des scientifiques ont-ils en termes de direction scientifique ? Si ce sont de bons scientifiques, ils ont manifestement bien intégré la méthode scientifique, qui, notamment, ne généralise pas hâtivement, procède de façon coordonnée, mettant en œuvre des travaux bien identifiés, ne confondant pas les sciences de la nature et leurs applications, ne suppléant pas au silence des faits, posant des questions plutôt qu'apportant des réponses.
Et cette dernière observation me fait souvenir de ma position à propos des rapporteurs ou des évaluateurs : j'ai dit ailleurs et je répète ici qu'il s'agit surtout d'avoir un regard bienveillant, mais rigoureux ; il s'agit de poser des questions sur les divers aspects des travaux afin de s'assurer que nos amis ont un regard parfaitement lucide, clair, rationnel, sur les divers choix qu'il font, de la plus petite étape tactique jusqu'à la plus grande idée stratégique.
Oui, le directeur scientifique peut être un tel évaluateur, ou, au moins, l'organisateur d'évaluations ainsi menées, mais, dans ce second cas, il n'est plus un directeur scientifique, mais un administrateur de la science, ce qui est quelque chose de bien différent. C'est donc là une conclusion : au-delà du terme « directeur scientifique, de quoi s’agit-il ? De science, ou d'administration ?
Mais un directeur scientifique, de quoi s'agit-il vraiment ? Bien sûr, il y a pour certaines institutions des orientations générales qu'il s'agit de définir, des priorités quand l'institution veut répondre à des questions de société. On peut aussi imaginer qu'il y a des arbitrages à faire quand les moyens sont limités : arbitrages en termes de postes, en termes de soutien à l'achat de matériel… Sans compter la gestion des conflits humains, inévitables.
Mais diriger des recherches ? Plus j'y pense, moins je me sens compétent dans les champs qui ne sont pas ceux de ma propre recherche. Qu'aurais-je à apporter à propos de travaux qui ne sont pas les miens ? Certainement de la méthode. Et peut être précisément cette idée que je ne suis pas compétent dans les travaux qui ne sont pas les miens.
Je m'étonne d'ailleurs que certains collègues puissent me donner des conseils à propos de mon travail. Je me souviens d'un très grand physicien (ce n'est pas Pierre Gilles de Gennes) qui m'écrivait chaque année, quand nous échangions des voeux, que je devrais me tourner plus vers l'étude physique de la gastronomie moléculaire que vers son exploration chimique. Mais cet homme éminemment respectable était physicien, et il ne connaissait rien à la chimie. Comment pouvait-il en juger ainsi, si péremptoirement ? D'autant que, de surcroît, il ne connaissait de la gastronomie moléculaire que ce que je lui en montrais, et s'il est vrai que les méthodes physiques ont beaucoup d'intérêt, il n'en reste pas moins que les méthodes chimiques ont un intérêt non moins grand.
Suivre les conseils d'un tel homme ? Ce ne serait pas raisonnable. Et comme je sais résister, je n'ai gardé de ses propositions qu'une interrogation : que dois-je faire pour faire au mieux ? Oui, j'ai toujours intérêt à m'interroger sur la direction à emprunter pour mener mes travaux.
Ce que je dis à mon propos vaut évidemment pour tous, et si je suis un exemple à analyser, je ne suis pas un exemple à suivre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne cesse de m'interroger et d'interroger mes amis : à propos de méthodes scientifique, à propos de stratégie scientifique, à propos…
Oui, à propos de quoi ? Dans ma pratique scientifique il y a effectivement la direction et le chemin. Les questions sont innombrables et je ne crois pas que quiconque puisse m'indiquer avec certitude celles qui me conduiront à une grande découverte. Bien sûr, on peut me conseiller plus « localement », mais comment savoir si l'exploration de l'acidification des abricots au cours de leur cuisson sera plus ou moins intéressante que l'étude de la convection des bouillons de viande ? D 'autant que c'est peut-être la façon de parcourir le chemin plutôt que le chemin lui même qui conduira à la découverte...
A lire des Lavoisier, Dumas ou Chevreul, on comprend qu'une activité soutenue doit produire des faits, et que, de ceux-ci, la recherche d'analogies peut conduire à des interprétations. Mais c'est là quelque chose de si simple qu'il n'est pas nécessaire de me le conseiller, ni de le conseiller à la plupart des scientifiques.
Finalement, quelles compétences des scientifiques ont-ils en termes de direction scientifique ? Si ce sont de bons scientifiques, ils ont manifestement bien intégré la méthode scientifique, qui, notamment, ne généralise pas hâtivement, procède de façon coordonnée, mettant en œuvre des travaux bien identifiés, ne confondant pas les sciences de la nature et leurs applications, ne suppléant pas au silence des faits, posant des questions plutôt qu'apportant des réponses.
Et cette dernière observation me fait souvenir de ma position à propos des rapporteurs ou des évaluateurs : j'ai dit ailleurs et je répète ici qu'il s'agit surtout d'avoir un regard bienveillant, mais rigoureux ; il s'agit de poser des questions sur les divers aspects des travaux afin de s'assurer que nos amis ont un regard parfaitement lucide, clair, rationnel, sur les divers choix qu'il font, de la plus petite étape tactique jusqu'à la plus grande idée stratégique.
Oui, le directeur scientifique peut être un tel évaluateur, ou, au moins, l'organisateur d'évaluations ainsi menées, mais, dans ce second cas, il n'est plus un directeur scientifique, mais un administrateur de la science, ce qui est quelque chose de bien différent. C'est donc là une conclusion : au-delà du terme « directeur scientifique, de quoi s’agit-il ? De science, ou d'administration ?
Une conférence à Singapour
Et voici une conférence en anglais :
Here is the video provided by NUS. The whole lecture is ~1hr 35mins. Do let us know should you have any trouble viewing it.
dimanche 8 juillet 2018
Emerveillement partagé : Ludwig Boltzmann était extraordinaire !
Il y a des beautés ésotériques, hélas pas accessibles à tous. Notamment à propos de calcul, de mathématiques. L'idée du wronskien, par exemple, me fascine depuis longtemps, tout comme le simple produit scalaire.
Mais aujourd'hui, c'est à propos de transfert de chaleur, ou d'évolution de concentration, que je m'émerveille. Le merveilleux physicien français Jean-Baptiste Fourier, au 18e siècle, a ainsi écrit deux équations pour décrire, d'une part, le transfert de chaleur de part et d'autre d'une paroi dont les deux faces sont maintenues à des températures constantes (pensons au mur d'une maison, dont l'intérieur est chauffé et dont l'extérieur est à la température de l'extérieur), et, d'autre part, le transfert de chaleur dans une barre dont on chauffe une extrémité. Cette second équation, pour le régime "non stationnaire", est la même que celle qui décrit l'évolution de la concentration en sirop dans un verre d'eau, à partir d'une goutte de sirop déposée au centre du verre. Dans ce second cas, on parle de la seconde équation de Fick, du nom du physicien allemand Adolph Eugen Fick... mais c'est en réalité la même que celle de Fourier.
Résoudre cette seconde équation n'est pas facile, et ce n'est pas toujours possible : on ne sait le faire que dans des cas particuliers, tel quand la chaleur varie à travers une plaque, ou autour d'une sphère, etc. Surtout, pour y parvenir, il faut manipuler l'équation en "changeant de variable" : à savoir que, dans l'équation initiale, on considère la température en fonction de la position dans l'espace et du temps. Le temps est ce que l'on nomme une variable. Mais pour être capable de résoudre l'équation, c'est-à-dire de trouver l'expression de la température en tout point de l'espace en fonction du temps, il faut ne pas chercher en fonction du temps, mais en fonction de l'inverse de la racine carrée du temps !
Comment a-t-on trouvé cela ? Rassurons les étudiants qui ne se sentiraient pas capable d'imaginer une telle transformation : ni Fourier ni Fick n'ont trouvé la chose, et il a fallu le génie de Ludwig Boltzmann pour y parvenir, après une longue recherche !
Et voici mon émerveillement : n'est-il pas extraordinaire que Boltzmann ait réussi à où deux grands scientifiques avaient échoué ?
Mais aujourd'hui, c'est à propos de transfert de chaleur, ou d'évolution de concentration, que je m'émerveille. Le merveilleux physicien français Jean-Baptiste Fourier, au 18e siècle, a ainsi écrit deux équations pour décrire, d'une part, le transfert de chaleur de part et d'autre d'une paroi dont les deux faces sont maintenues à des températures constantes (pensons au mur d'une maison, dont l'intérieur est chauffé et dont l'extérieur est à la température de l'extérieur), et, d'autre part, le transfert de chaleur dans une barre dont on chauffe une extrémité. Cette second équation, pour le régime "non stationnaire", est la même que celle qui décrit l'évolution de la concentration en sirop dans un verre d'eau, à partir d'une goutte de sirop déposée au centre du verre. Dans ce second cas, on parle de la seconde équation de Fick, du nom du physicien allemand Adolph Eugen Fick... mais c'est en réalité la même que celle de Fourier.
Résoudre cette seconde équation n'est pas facile, et ce n'est pas toujours possible : on ne sait le faire que dans des cas particuliers, tel quand la chaleur varie à travers une plaque, ou autour d'une sphère, etc. Surtout, pour y parvenir, il faut manipuler l'équation en "changeant de variable" : à savoir que, dans l'équation initiale, on considère la température en fonction de la position dans l'espace et du temps. Le temps est ce que l'on nomme une variable. Mais pour être capable de résoudre l'équation, c'est-à-dire de trouver l'expression de la température en tout point de l'espace en fonction du temps, il faut ne pas chercher en fonction du temps, mais en fonction de l'inverse de la racine carrée du temps !
Comment a-t-on trouvé cela ? Rassurons les étudiants qui ne se sentiraient pas capable d'imaginer une telle transformation : ni Fourier ni Fick n'ont trouvé la chose, et il a fallu le génie de Ludwig Boltzmann pour y parvenir, après une longue recherche !
Et voici mon émerveillement : n'est-il pas extraordinaire que Boltzmann ait réussi à où deux grands scientifiques avaient échoué ?
samedi 7 juillet 2018
Comment signer soixante dix publications scientifiques par an ?
Une revue interroge un collègue qui signe 70 publications par an, et notre homme d'expliquer que si l'on a un bon réseau, alors on a son nom sur de nombreuses publications, et l'on est bien évalué par les institutions scientifiques. Evidemment, le titre de l'article "Comment signer 70 publications par an" est fait pour choquer, preuve qu'il n'est pas décemment possible de signer 70 publications par an. D'ailleurs, le collègue n'est pas l'égal d'Albert Einstein, qui ne signait certainement pas 70 publications par an, et il n'est pas non plus l'égal de Henri Poincaré, qui publiait tant que l'Académie des sciences a introduit une règle afin qu'il n'encombre pas les Comptes rendus de l'Académie des sciences, à une époque où l'on imprimait sur du papier. Donc ces 70 publications sont indues, et je crois très néfastes que nos institutions mettent ce genre de comportements en avant.
Car il ne s'agit pas d'être bien évalué, personnellement ou collectivement, mais de faire de la bonne science, de faire avancer la connaissance ! Cela ne se fait pas au rythme ici prôné. Oui il faut publier ce que l'on découvre... mais il faut d'abord découvrir. Et cela ne se fait pas rapidement, même quand on est très actif.
Oui, aussi, on hésite toujours entre les gros articles importants, et les petits textes, montrant un résultat localisé... mais même pour de tels résultats, il ne s'agit pas de s'arrêter à un résultat de mesure : il faut aussi des interprétations solides, intelligentes, profondes, conceptuelles. Soixante dix par an ? Allons, soyons sérieux.
Car il ne s'agit pas d'être bien évalué, personnellement ou collectivement, mais de faire de la bonne science, de faire avancer la connaissance ! Cela ne se fait pas au rythme ici prôné. Oui il faut publier ce que l'on découvre... mais il faut d'abord découvrir. Et cela ne se fait pas rapidement, même quand on est très actif.
Oui, aussi, on hésite toujours entre les gros articles importants, et les petits textes, montrant un résultat localisé... mais même pour de tels résultats, il ne s'agit pas de s'arrêter à un résultat de mesure : il faut aussi des interprétations solides, intelligentes, profondes, conceptuelles. Soixante dix par an ? Allons, soyons sérieux.
La vérité en science ?
On entend parfois parler de vérité, à propos de science. On dit (parfois) que la science est la recherche de la vérité, ou que la science est le domaine de la vérité... Mais tout cela est-il bien légitime ?
La science considère des « faits », et, si je ne méconnais pas les innombrables débats à propos de ce mot (tout comme d'ailleurs à propos de vérité), il faut éviter de se contorsionner intellectuellement. C'est un fait qu'un morceau de sodium qui tombe sur de l'eau fait au minimum une grande lueur, ou au maximum une explosion ; en tout cas, il se passe quelque chose. Cela a été, cela est, et cela sera si l'on refait l'expérience dans les conditions où nous l'entendons tous : à savoir à la température ambiante, avec des masses macroscopiques que l'on n'aurait aucune peine à préciser. De même, c'est un fait que la pomme tombe de l'arbre, dans les conditions (que l'on pourrait préciser) habituelles.
Les faits ne sont ni vrais ni faux : ce sont des faits. Il n'y a pas de valeur de vérité pour les faits : un « fait faux » n'est pas un fait, tout comme un « carré rond » n'existe pas.
Et les théories ? Là, c'est encore plus simple, parce que les théories scientifiques sont toutes insuffisantes, donc fausses. De sorte que, bien entendu, elles ne sont alors pas « vraies ».
Et, en conséquence, la science ne cherche certainement pas la vérité, mais elle cherche les mécanismes des phénomènes, sous la forme de théories (idées, concepts, relations quantitatives entre des concepts) qui sont insuffisantes et dont on cherche lentement à augmenter les capacités prédictives. Souvent, on avance par petits pas, et, parfois, il y a un saut conceptuel, un changement complet de cadre descriptif, comme quand on est passé de la physique classique à la physique quantique.
Mais pas de vérité, dans tout cela !
La science considère des « faits », et, si je ne méconnais pas les innombrables débats à propos de ce mot (tout comme d'ailleurs à propos de vérité), il faut éviter de se contorsionner intellectuellement. C'est un fait qu'un morceau de sodium qui tombe sur de l'eau fait au minimum une grande lueur, ou au maximum une explosion ; en tout cas, il se passe quelque chose. Cela a été, cela est, et cela sera si l'on refait l'expérience dans les conditions où nous l'entendons tous : à savoir à la température ambiante, avec des masses macroscopiques que l'on n'aurait aucune peine à préciser. De même, c'est un fait que la pomme tombe de l'arbre, dans les conditions (que l'on pourrait préciser) habituelles.
Les faits ne sont ni vrais ni faux : ce sont des faits. Il n'y a pas de valeur de vérité pour les faits : un « fait faux » n'est pas un fait, tout comme un « carré rond » n'existe pas.
Et les théories ? Là, c'est encore plus simple, parce que les théories scientifiques sont toutes insuffisantes, donc fausses. De sorte que, bien entendu, elles ne sont alors pas « vraies ».
Et, en conséquence, la science ne cherche certainement pas la vérité, mais elle cherche les mécanismes des phénomènes, sous la forme de théories (idées, concepts, relations quantitatives entre des concepts) qui sont insuffisantes et dont on cherche lentement à augmenter les capacités prédictives. Souvent, on avance par petits pas, et, parfois, il y a un saut conceptuel, un changement complet de cadre descriptif, comme quand on est passé de la physique classique à la physique quantique.
Mais pas de vérité, dans tout cela !
vendredi 6 juillet 2018
Qu'est-ce qu'un journal de bord ?
Il y a de ces mots ou expressions que nos interlocuteurs comprennent sans comprendre, et je viens de m'assurer que mes jeunes amis ignorent ce qu'est un "journal de bord"... parce qu'ils n'ont jamais fait de bateau ! Ce n'est pas une critique que je fais... mais une obligation que je me donne de l'expliquer le plus clairement possible... parce que cela peut avoir des conséquences sur leur travail technologique ou scientifique, par exemple.
Commençons par nous remettre à l'époque pas si lointaine où l'on n'avait pas de GPS, pas de Waze, pas de Google Map. Et, plus encore, entrons sur un bateau à voiles.
Nous sommes à Benodet, et nous voulons gagner les îles Scilly (les "Sorlingues", si bien décrites par ce merveilleux livre qu'est Rôle de plaisance, de Perret). Il se peut que nous soyons dans la configuration suivante :
Pour un voillier, c'est bien ennuyeux, parce que si le vent pousse, il est donc bien impossible de "remonter au vent", sauf à "tirer des bords", c'est-à-dire faire des zigzags, comme cela :
Là, une telle route est très risquée, car comment sait-on qu'on est cent mètres plus à droite ou à gauche ? Décidément, il vaut peut-être mieux faire une route différente :
Bon, nous sommes prêts, partons dans la direction que nous avons tracée sur la carte... mais il faut savoir quand virer de bord, pour ne pas tomber dans les cailloux. Ce que l'on fait, alors, c'est que, sur le "journal de bord", on consigne l'heure de départ, et l'on utilise un appareil nommé un "loch" pour mesurer la vitesse. Puis, en utilisant le fait que la distance est égale au produit du temps par la vitesse, on calcule l'heure à laquelle on doit changer de bord.
Mais, évidemment, imaginons que le vent faiblisse, à un moment donné, il faudra absolument consider l'heure à laquelle c'est arrivé, et la vitesse que l'on fait alors, afin de suivre le déplacement du bateau sur la carte.
C'est cela, un journal de bord : un document où sont consignées toutes les indications relatives à la marche du bateau, afin d'arriver sain et sauf à bon port.
Pourquoi dois-je discuter cela ? Parce que, en recherche scientifique, on a quasiment la même question, et que tout ce que nous faisons doit être consigné. Même nos erreurs, même nos hésitations !
Je ne crois pas inutile de renvoyer mes amis vers le Diary du physicochimiste Michael Faraday :
C'est son "cahier de laboratoire", et plus d'un d'entre nous devrait prendre exemple : on voit que c'est d'une remarquable clarté. Ce qui me fait penser au cahier de laboratoire de Pierre Gilles de Gennes, qui, de même, était quasiment calligraphié. La pensée n'est pas rapide, et la seule chose qui importe est le résultat final, qui doit être parfait.
Ici, j'ai parlé de science, mais, au fond, puisque je veux que la plupart de mes jeunes amis aillent dans l'industrie, afin de mettre leurs compétences présentes et futures au service d'une augmentation de la "richesse nationale", je veux conclure en disant que je ne vois pas de raison pour laquelle cette excellence que je discute ici ne soit pas également présente dans l'industrie.
Commençons par nous remettre à l'époque pas si lointaine où l'on n'avait pas de GPS, pas de Waze, pas de Google Map. Et, plus encore, entrons sur un bateau à voiles.
Nous sommes à Benodet, et nous voulons gagner les îles Scilly (les "Sorlingues", si bien décrites par ce merveilleux livre qu'est Rôle de plaisance, de Perret). Il se peut que nous soyons dans la configuration suivante :
Mais imaginons qu'il y ait des cailloux, sur le chemins :
Bon, nous sommes prêts, partons dans la direction que nous avons tracée sur la carte... mais il faut savoir quand virer de bord, pour ne pas tomber dans les cailloux. Ce que l'on fait, alors, c'est que, sur le "journal de bord", on consigne l'heure de départ, et l'on utilise un appareil nommé un "loch" pour mesurer la vitesse. Puis, en utilisant le fait que la distance est égale au produit du temps par la vitesse, on calcule l'heure à laquelle on doit changer de bord.
Mais, évidemment, imaginons que le vent faiblisse, à un moment donné, il faudra absolument consider l'heure à laquelle c'est arrivé, et la vitesse que l'on fait alors, afin de suivre le déplacement du bateau sur la carte.
C'est cela, un journal de bord : un document où sont consignées toutes les indications relatives à la marche du bateau, afin d'arriver sain et sauf à bon port.
Pourquoi dois-je discuter cela ? Parce que, en recherche scientifique, on a quasiment la même question, et que tout ce que nous faisons doit être consigné. Même nos erreurs, même nos hésitations !
Je ne crois pas inutile de renvoyer mes amis vers le Diary du physicochimiste Michael Faraday :
C'est son "cahier de laboratoire", et plus d'un d'entre nous devrait prendre exemple : on voit que c'est d'une remarquable clarté. Ce qui me fait penser au cahier de laboratoire de Pierre Gilles de Gennes, qui, de même, était quasiment calligraphié. La pensée n'est pas rapide, et la seule chose qui importe est le résultat final, qui doit être parfait.
Ici, j'ai parlé de science, mais, au fond, puisque je veux que la plupart de mes jeunes amis aillent dans l'industrie, afin de mettre leurs compétences présentes et futures au service d'une augmentation de la "richesse nationale", je veux conclure en disant que je ne vois pas de raison pour laquelle cette excellence que je discute ici ne soit pas également présente dans l'industrie.
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