Partons d'un sain
principe : au vingt-et-unième siècle, les scientifiques sont
payés par les contribuables, et ils ont l'obligation de mettre à la
disposition de la communauté les résultats de leurs travaux. Ils
doivent donc publier des articles scientifiques. Mieux encore, on
comprend que leur travail sera d'autant plus efficace que leurs
publications seront plus lues : ils doivent donc privilégier
des revues où leurs publications ne passeront pas inaperçues. Et
cela quelle que soit la discipline : science de la nature, ou
science de l'humain et de la société, il faut que les publications
permettent l'avancée des sciences. Bref, c'est une bonne pratique
que de faire des choix de publications qui valorisent le plus
possible les travaux.
En quelle langue
publier ? La langue anglaise étant à ce jour la langue de la
communauté scientifique, il y a lieu de privilégier l'anglais.
Peut-on publier le même travail deux fois en anglais ?
Certainement pas, car cela impose une double charge sur la
communauté, à qui il revient d'organiser et de mettre en œuvre le
processus d'évaluation et d'édition : les auteurs qui n'ont pas été
éditeurs sous-estiment le temps d'édition, et tous ceux qui ont été
rapporteurs savent combien cela prend de temps de faire correctement
le travail. Il faut donc économiser les forces, les énergie,
l'argent de la communauté ;
Pourrait-on imaginer
de publier le même travail en français et en anglais dans deux
revues scientifiques différentes ? Pour ce qui serait du même
texte, cela n'est pas possible, car l'auteur cède à la revue qui
publie son article les droits de reproduction de ce texte ; une
fois le texte publié, il n'en est plus le propriétaire, de sorte
qu'il n'a plus la possibilité de céder les droits une seconde fois.
Et dans une revue « open », où l'auteur paye pour être
publié ? Cette fois, je me refuse à considérer ce cas, car je
déteste en réalité cette formule, dans laquelle se sont engouffrés
des sociétés d'édition assez malhonnêtes, qui deviennent juges et
parties : on comprends que, si l'auteur paye, la revue ait moins
de scrupules à lui refuser son texte. Et puis, le foisonnement des
publications fait peser une charge sur la communauté, dans la mesure
où les recherches bibliographiques sont alors compliquées. Il y a
une sorte d'irrespect des collègues à multiplier la publication
d'un texte.
Pour en revenir à
la question, d'une publication d'un même travail, en français et en
anglais, il y aurait un argument qui serait que la version anglaise
s'adresse à une communauté internationale et que la version
française touche mieux le public français. Toutefois, à cet
argument, il faut répondre que la communauté scientifique française
lit les textes en anglais, et que, quand même, ce choix fait peser
une double charge éditoriale sur les mêmes personnes, les
rapporteurs d'une bonne revue -qu'elle soit en français ou en
anglais- étant choisis internationalement.
Et puis, pourquoi
l'auteur d'un texte publié initialement en français, après
évaluation, édition, publication, ne se contenterait-il pas de
traduire le texte en anglais et de le mettre en ligre sur un site
personnel, avec une mention qui signalerait l'origine du texte
traduit ? Inversement il est parfaitement possible qu'un texte
publié en anglais soit traduit en français dans les mêmes
conditions… et toujours dans le respect des règles du droit
d'auteur, qui veulent, pour beaucoup de revues scientifiques à
l'ancienne, que l'auteur ne puisse en faire qu'un usage privé, à
savoir transmettre des tirés à part (aujourd'hui, des documents
pdf) à des collègues qui les demandent.
Reste le cas d'un
texte qui serait publié dans une langue minoritaire, et que l'auteur
voudrait publier dans une autre langue également minoritaire. Le bon
principe précédent (il faut publier aussi efficacement que
possible) montre qu'un auteur qui est dans ce cas fait deux fois un
choix malheureux : or perservare diabolicum ! Et
puis, cela impose à nouveau une double charge sur la communauté,
car je répète que les rapporteurs nationaux sont en réalités des
rapporteurs internationaux. Au nom de quel argument imposer une
double évaluation ? Je trouve que cela n'est pas respecter les
collègues, et j'invite tous mes collègues qui font un travail
d'édition scientifique à refuser de tels textes. Pour ce qui
concerne les auteurs, je propose que nous considérions commue une
bonne pratique ne pas se mettre dans cette position défavorable.
Enfin, il faut
signaler que la traduction automatique, qui nous vient de la
révolution numérique, change les choses : un texte en
n'importe quelle langue est aujourd'hui accessible. L'argument qui
consistait à dire que l'on ferait une diffusion plus efficace en
publiant en plusieurs langues ne tient plus.