Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 8 novembre 2013
Et aujourd'hui, la boule de neige roule !
C'est en anglais, toutefois : http://www.huffingtonpost.com/2013/11/07/herve-this-molecular-gastronomy_n_4234423.html
Apprendre la science ?
Vendredi 8 novembre 2013 : Comment apprendre la science ?
Apprendre la science ? La question est légitime, et on se propose de décortiquer un peu la chose.
1. La science, mais c'est quoi ?
La question est complexe, et il faudrait connaître bien la science pour répondre à la question (pardon, je fais ici état de mes insuffisances, mais ce n'est pas de la fausse modestie).
Commençons par reconnaître que ici, par "science", on entend "science quantitative" (physique, physico-chimie, biologie....). C'est évidemment un abus, car on parle de science pour désigner les savoir : au siècle passé, il y avait des livres intitulés « La science du maître d'hôtel ». Le plus possible, dans ce qui suit, je fais donc attention à la confusion possible, et je propose de considérer la question de l'apprentissage des sciences quantitatives seulement.
Apprendre la science quantitative signifie donc apprendre à effectuer une recherche scientifique (quantitative), c'est-à-dire soit (1) se poser des questions de stratégie scientifique (qu'explorer si l'on a l'objectif de faire des découvertes ?) ; soit(2) apprendre à mettre en oeuvre la méthode scientifique, décrite ailleurs [].
En réalité, l'étudiant qui m'a interrogé pensait moins à "apprendre la science" qu'à apprendre des résultats des sciences, et, plus particulièrement, à appendre des résultats de physico-chimie.
Comment savoir que la tension superficielle est la dérivée de l'enthalpie libre par rapport à l'aire ? Ou comment "apprendre" ce qu'est l'effet Marangoni ?
2. Apprendre, savoir...
Commençons par observer que, dans ces deux questions, il y a une fois le mot "savoir", et une fois le mot "apprendre". Apprendre conduit-il à savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que savoir ?
Au premier abord, il y a la notion, le phénomène, décrit par des mots : par exemple, les spins des noyaux de protons, dans un champ magnétique externe, sont soit dans l'état "haut", soit dans l'état "bas". C'est un savoir supplémentaire que de connaître la proportion de spins dans chacun des deux états. Notons d'ailleurs que ce savoir là est plus "scientifique", puisque la science quantitative va de pair avec le nombre, le calcul, lequel fait du "récit scientifique" un discours
tout à fait à part, tout à fait différent des explications du monde données par
d'autres disciplines (histoire, géographie, poésie...).
Cela étant, dire que l'on sait quelque chose est fait une déclaration très osée, car on peut savoir plus ou moins profondément, plus ou moins en détail. Par exemple, les étudiants qui viennent en stage dans notre groupe de recherche me disent "savoir peser", mais ils ne savent souvent que tarer la balance avant de poser sur celle-ci l'objet dont ils veulent déterminer la masse ; ils ignorent qu'ils doivent préalablement vérifier que la balance a été vérifiée, vérifier le centrage de la bulle dans le niveau, vérifier la balance à l'aide d'un étalon tertiaire, peser trois fois et savoir pourquoi il faut peser trois fois au minimum... Bref, qui d'entre nous peut "savoir" ? Cet exemple conduit à penser qu'il vaudrait mieux, humblement, poser la question d'apprendre plutôt que la question de savoir.
3. Connaissances et compétences
Avançons dans notre analyse en observant que la question initiale rejoint celle qu'avait posée un autre étudiant, qui réclamait des "exercices", à l'appui des cours -pourtant détaillés et, j'espère, bien faits- que je lui avais donnés.
Certes, les exercices sont "classiques", dans les cours, et l'on ménage d'ailleurs des séances de "travaux dirigés" afin d'explorer les cours à l'aide d'exercices et de problèmes. Mais sont-ils nécessaires ? Sont-ils utiles ? Ne peut-on travailler seul ? Apprendre seul ? Et comment ?
Nous voilà donc revenus à la question initiale, après avoir frôlé la discussion de la différence entre connaissance et compétence, et qui doit être clairement discutéee. Imaginons que, suivant un texte que je cherche à comprendre pas à pas, j'en viens à lire la loi d'Einstein à propos de la viscosité d'une dispersion diluée de particules solides (ce serait l'occasion de me demander pourquoi j'ai retenu que η = η0 (1 + 2.5 φ). C'est une connaissance. Puis, le livre fermé, je redémontre cette loi : c'est une compétence. Comment passer de la connaissance à la compétence ? Dans cette affaire, il y a une question de mémorisation, et une question de compréhension... et de savoir.
Mémoriser : on aurait intérêt à s'intéresser aux méthodes des universitaires, de l'Antiquité au Moyen Âge, quand, sans papier, on devait mémoriser beaucoup. Nos prédécesseurs ont mis au point des méthodes, à
commencer par celle qui consistait à se construire une "maison intérieure", que l'on parcourait par la pensée en déposant des idées dans les pièces, afin de les retirer ensuite. On doit observer que cette mémorisation ne conduit pas à la compréhension, et, donc, à la compétence. Par exemple, si je connais la loi
d'Einstein mais que j'ignore si la définition de la fraction volumique de la phase dispersée, la connaissance de la loi est inutile. Certainement un exercice me fera passer du temps sur la question, et me montrera ce que j'ai besoin de savoir pour mettre en oeuvre la connaissance : cela semble montrer que les exercices sont utiles pour transformer les connaissances en compétences.
Cela étant, suis-je un utilisateur de voiture ou un garagiste ? Dans les deux cas, ma connaissance est différente, et ma compétence doit l'être aussi. Le fait est que nombre d'amis scientifiques de ma connaissance sont des garagistes, et qu'ils ne supporteront pas de connaître la loi d'Einstein, qu'ils voudront être
capables de la retrouver par eux-mêmes, afin d'être certain d'en avoir la connaissance intime qui leur permettra d'en explorer les limites.
Certains réécrivent les cours, ou les publications, prennent des notes. D'autres se contentent de lire lentement. D'autres encore font des exercices. D'autres encore... Là, je n'ai pas vu de méthode unique... de sorte que je suis bien désemparé, pour répondre à l'étudiant qui m'interrogeait.
4. Une proposition
Et si l'on créait une "banque de méthodes", afin de les analyser, et de retenir la ou les plus efficaces ? N'hésitez pas à laisser des commentaires, et à décrire votre propre façon d' « apprendre la science ». Si, en plus, vous pouvez justifier sans mauvaise foi pourquoi cette méthode est bonne, c'est encore mieux !
Apprendre la science ? La question est légitime, et on se propose de décortiquer un peu la chose.
1. La science, mais c'est quoi ?
La question est complexe, et il faudrait connaître bien la science pour répondre à la question (pardon, je fais ici état de mes insuffisances, mais ce n'est pas de la fausse modestie).
Commençons par reconnaître que ici, par "science", on entend "science quantitative" (physique, physico-chimie, biologie....). C'est évidemment un abus, car on parle de science pour désigner les savoir : au siècle passé, il y avait des livres intitulés « La science du maître d'hôtel ». Le plus possible, dans ce qui suit, je fais donc attention à la confusion possible, et je propose de considérer la question de l'apprentissage des sciences quantitatives seulement.
Apprendre la science quantitative signifie donc apprendre à effectuer une recherche scientifique (quantitative), c'est-à-dire soit (1) se poser des questions de stratégie scientifique (qu'explorer si l'on a l'objectif de faire des découvertes ?) ; soit(2) apprendre à mettre en oeuvre la méthode scientifique, décrite ailleurs [].
En réalité, l'étudiant qui m'a interrogé pensait moins à "apprendre la science" qu'à apprendre des résultats des sciences, et, plus particulièrement, à appendre des résultats de physico-chimie.
Comment savoir que la tension superficielle est la dérivée de l'enthalpie libre par rapport à l'aire ? Ou comment "apprendre" ce qu'est l'effet Marangoni ?
2. Apprendre, savoir...
Commençons par observer que, dans ces deux questions, il y a une fois le mot "savoir", et une fois le mot "apprendre". Apprendre conduit-il à savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que savoir ?
Au premier abord, il y a la notion, le phénomène, décrit par des mots : par exemple, les spins des noyaux de protons, dans un champ magnétique externe, sont soit dans l'état "haut", soit dans l'état "bas". C'est un savoir supplémentaire que de connaître la proportion de spins dans chacun des deux états. Notons d'ailleurs que ce savoir là est plus "scientifique", puisque la science quantitative va de pair avec le nombre, le calcul, lequel fait du "récit scientifique" un discours
tout à fait à part, tout à fait différent des explications du monde données par
d'autres disciplines (histoire, géographie, poésie...).
Cela étant, dire que l'on sait quelque chose est fait une déclaration très osée, car on peut savoir plus ou moins profondément, plus ou moins en détail. Par exemple, les étudiants qui viennent en stage dans notre groupe de recherche me disent "savoir peser", mais ils ne savent souvent que tarer la balance avant de poser sur celle-ci l'objet dont ils veulent déterminer la masse ; ils ignorent qu'ils doivent préalablement vérifier que la balance a été vérifiée, vérifier le centrage de la bulle dans le niveau, vérifier la balance à l'aide d'un étalon tertiaire, peser trois fois et savoir pourquoi il faut peser trois fois au minimum... Bref, qui d'entre nous peut "savoir" ? Cet exemple conduit à penser qu'il vaudrait mieux, humblement, poser la question d'apprendre plutôt que la question de savoir.
3. Connaissances et compétences
Avançons dans notre analyse en observant que la question initiale rejoint celle qu'avait posée un autre étudiant, qui réclamait des "exercices", à l'appui des cours -pourtant détaillés et, j'espère, bien faits- que je lui avais donnés.
Certes, les exercices sont "classiques", dans les cours, et l'on ménage d'ailleurs des séances de "travaux dirigés" afin d'explorer les cours à l'aide d'exercices et de problèmes. Mais sont-ils nécessaires ? Sont-ils utiles ? Ne peut-on travailler seul ? Apprendre seul ? Et comment ?
Nous voilà donc revenus à la question initiale, après avoir frôlé la discussion de la différence entre connaissance et compétence, et qui doit être clairement discutéee. Imaginons que, suivant un texte que je cherche à comprendre pas à pas, j'en viens à lire la loi d'Einstein à propos de la viscosité d'une dispersion diluée de particules solides (ce serait l'occasion de me demander pourquoi j'ai retenu que η = η0 (1 + 2.5 φ). C'est une connaissance. Puis, le livre fermé, je redémontre cette loi : c'est une compétence. Comment passer de la connaissance à la compétence ? Dans cette affaire, il y a une question de mémorisation, et une question de compréhension... et de savoir.
Mémoriser : on aurait intérêt à s'intéresser aux méthodes des universitaires, de l'Antiquité au Moyen Âge, quand, sans papier, on devait mémoriser beaucoup. Nos prédécesseurs ont mis au point des méthodes, à
commencer par celle qui consistait à se construire une "maison intérieure", que l'on parcourait par la pensée en déposant des idées dans les pièces, afin de les retirer ensuite. On doit observer que cette mémorisation ne conduit pas à la compréhension, et, donc, à la compétence. Par exemple, si je connais la loi
d'Einstein mais que j'ignore si la définition de la fraction volumique de la phase dispersée, la connaissance de la loi est inutile. Certainement un exercice me fera passer du temps sur la question, et me montrera ce que j'ai besoin de savoir pour mettre en oeuvre la connaissance : cela semble montrer que les exercices sont utiles pour transformer les connaissances en compétences.
Cela étant, suis-je un utilisateur de voiture ou un garagiste ? Dans les deux cas, ma connaissance est différente, et ma compétence doit l'être aussi. Le fait est que nombre d'amis scientifiques de ma connaissance sont des garagistes, et qu'ils ne supporteront pas de connaître la loi d'Einstein, qu'ils voudront être
capables de la retrouver par eux-mêmes, afin d'être certain d'en avoir la connaissance intime qui leur permettra d'en explorer les limites.
Certains réécrivent les cours, ou les publications, prennent des notes. D'autres se contentent de lire lentement. D'autres encore font des exercices. D'autres encore... Là, je n'ai pas vu de méthode unique... de sorte que je suis bien désemparé, pour répondre à l'étudiant qui m'interrogeait.
4. Une proposition
Et si l'on créait une "banque de méthodes", afin de les analyser, et de retenir la ou les plus efficaces ? N'hésitez pas à laisser des commentaires, et à décrire votre propre façon d' « apprendre la science ». Si, en plus, vous pouvez justifier sans mauvaise foi pourquoi cette méthode est bonne, c'est encore mieux !
jeudi 7 novembre 2013
dimanche 3 novembre 2013
La notion d'innovation
Dans un cours de master que j'ai donné à l'Ecole des Mines, la question de l'innovation m'a été posée, et comme omnia definitio pericoloso est (toute définition est dangereuse), j'ai répondu en questionnant le mot, en disant que je n'étais pas bien certain de l'acception qu'il fallait lui donner, partagé entre la tentation de désigner ainsi la nouveauté technique et la proposition faite par d'autres de nommer ainsi l'objet qui « réussit ».
Oui, j'ai bien lu quelque part cette définition : une innovation serait une nouveauté qui réussit. Elle ne me va guère, car qu'est ce que « « réussir » ? S'imposer comme un produit marchand ? A ce compte, on reconnaîtrait au football à la télévision des vertus que je ne vois guère ! La notion de réussite me gênee considérablement, car je ne suis pas sûr de partager les critères qui sont proposés.
Oublions donc ce mercantilisme un peu bête, et cherchons mieux. Un collègue intéressant m'a dit un jour : l'innovation, c'est faire bien, faire mieux, faire autrement, faire autre chose. Pourquoi pas... mais pourquoi ?
Comme souvent, je propose de revenir au mot, à son étymologie, son histoire. Que signifie « innovation » ?
S'agirait-il de produire du nouveau ? L''utilisation du formalisme des systèmes dispersés (DSF, voir Hervé This, Formulation and new dishes, Cahiers de Formulation, vol. 16, EDP Science/Société des chimistes français, pp. 5-21. ), comme toute algèbre, conduit à l'introduction d'un nombre infini d'objets nouveaux, de sorte que, manifestement, la production de nouveauté n'a guère d'intérêt non plus. Insistons un peu, en fixant les idées par une image. Si nous produisons mécaniquement un nombre infini d'objets nouveaux, si nous les posons devant nous sur la table, la question n'est plus de produire un objet en plus ou en moins, mais plutôt de sélectionner des objets ainsi produits. Lesquels ? Cette fois, des critères (de choix) s'imposent.
En cuisine, un critère (technique) est le soin, lequel n'a rien à voir avec la nouveauté. Un autre critère est le bon, soit le beau à manger, et là encore, mille artistes différents produiront mille représentations personnelles de la Vierge à l'Enfant. Un troisième critère est le « je t'aime », et là encore, d'autres choix seront sélectionnés (bien que des recouvrements soient possibles).
Bref, la question se retourne donc vers ceux qui me la posent : quels sont vos critères ?
Mes collègues de l'Ecole des Mines, comme moi, hésitent à employer le mot d'innovation, le sachant... miné. Ils parlent de conception. Pourquoi pas, mais où s'arrête la conception ? Les parents qui conçoivent l'enfant : que font-ils ? La conception est étymologiquement la représentation par la pensée. Les parents conçoivent l'enfant en le pensant, et ce n'est qu'une conséquence que la réunion de deux semences dont l'union est fructueuse. Dans cette acception, la conception est un acte formel, qui doit faire l'objet de nos soins, et non une matérialisation qui s'apparenterait à toute la période de la grossesse, à la transformation de l'ovule fécondée en enfant. Dans cette acception là, il faudrait se préoccuper des règles formelles qui permettent au programme de s'exécuter, en supposant que l'épigénétique, c'est-à-dire l'influence de l'environnement sur le déroulement particulier du programme, n'a pas d'effet. Ce serait dommage de se priver de cette source de variabilité et... d'innovation !
vendredi 11 octobre 2013
Prochain séminaire
Chers Amis
C'est le 21 que nous pourrons
nous retrouver dans le cadre des Séminaires de gastronomie moléculaire
(à l'ESCF, 28 bis rue de l'Abbé Grégoire, 75006 Paris, de 16 à 18
heures).
Nous y testerons l'utilisation de feuilles de figuiers pour l'attendrissement putatif de daubes !
Au plaisir de vous y retrouver, si vous pouvez+voulez
Vive la physico-chimie ! (voir http://hervethis.blogspot.fr/2013/02/quest-ce-que-la-chimie-suite.html)
La gastronomie moléculaire : une discipline scientifique qui fait monter l'aliment à la tête
La
gastronomie moléculaire :
une
discipline scientifique qui fait monter l'aliment à la tête
Hervé
This
C'est un fait que notre enseignement
scientifique universitaire, ou même du Second Degré, est souvent
considéré comme abstrait par les élèves, qui voient parfois mal
l'intérêt (quel est l'intérêt de la musique ? de la
littérature ?) des « mathématiques », confondant
les mathématiques et les calculs qui sont indispensables pour
l'exercice des sciences (il y a une différence entre mathématiques
et calcul, évidemment : les mathématiques sont une exploration
des structures... mathématiques, alors que les calculs font usage
des outils forgés par les mathématiciens).
Souvent les élèves ayant un goût
pour les « sciences » (ou disant avoir un tel goût :
beaucoup ignorent ce dont il s'agit, et d'autres confondant science
- « inutile »- et technologie) se réfugient dans la
chimie ou la biologie, où ils croient que l'expérimentation
suffira, que, contrairement à ce qu'ils nomment la « physique »,
ils n'auront pas à calculer. La situation est paradoxale du début à
la fin. Comment en est-on arrivé à faire détester le calcul, alors
que le formalisme (des mathématiques, de la chimie...) a été
précisément introduit "pour soulager les opérations de
l'esprit" ? Et pour ceux qui se dirigent vers les sciences,
comment se fait-il que de nombreux étudiants veuillent éviter le
calcul, ne comprenant pas que la méthode scientifique (hélas
souvent mal nommée "méthode expérimentale"), impose le
calcul comme pierre de touche des "théories" ?
Un exemple pour rendre les choses
concrètes. Imaginons que l'on cherche à connaître les mécanismes
de la confection d'un simple bouillon de carottes. Passons sur
l'intérêt d'une telle étude (qui est considérable, mais ce serait
trop long de développer ce point), et commençons simplement par
dire que, si nous parvenons à doser les saccharides (glucose,
fructose, saccharose) présents dans le tissu végétal, nous devrons
rapporter la masse de chaque composé à la masse de matière
fraîche.
Il faut donc commencer par peser... et
apprendre à le faire. Pour peu que la balance soit précise (par
exemple à 10-5 g), on devra peser trois fois, calculer
une moyenne et un écart-type. Tiens, pourquoi ce n-1 au
dénominateur de la formule de l'écart-type, parfois, alors que la
formule "normale", celle qui est la moyenne des carrés des
écarts par rapport à la valeur moyenne, s'écrit, elle,
normalement, avec un n au
dénominateur (une moyenne sur n
individus : on divise par n)
? Et pourquoi trois pesées ?
Passons à la matière sèche, qu'il
faudra ensuite déterminer. C'est là que la question devient
passionnante, car les meilleurs des étudiants mettent à l'étuve,
et attendent que la masse se stabilise... oubliant qu'il existe des
phénomènes très lents, avec des incréments minuscules, mais des
sommes considérables (la somme des 1/k tend vers l'infini).
Moralité : pour faire une expérience aussi simple qu'une
détermination de matière sèche, il vaut mieux avoir des idées
claires sur la convergence des séries, par exemple. Dans un article
publié il y a quelques années, j'entre dans les détails relatifs à
l'usage du calcul pour une opération aussi simple que la
détermination d'une masse de matière sèche, mais, ici, je voudrais
simplement faire observer que la discipline scientifique nommée
gastronomie moléculaire a l'intérêt de faire apparaître très
rapidement des situations où le calcul s'impose. Calculs de pH,
calculs différentiels, intégrations...
Autrement dit, les étudiants sont
attirés par la « cuisine », une activité dont ils n'ont
d'ailleurs pas toujours bien évalué la nature (soit technique, soit
artistique, soit de type social), et la « science », une
activité qu'ils ne connaissent pas bien, notamment parce qu'ils ont
été trompés par l'enseignement secondaire, et ils se retrouvent en
position de vouloir explorer le champ « science et cuisine »,
ou gastronomie moléculaire. Là, ils sont dans l'obligation de
calculer... mais ils voient l'intérêt de leurs calculs.
L'aliment, du ventre, passe à la tête.
lundi 7 octobre 2013
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