Discutons les questions qui fâchent, puisque j'appartiens au Parti de la Rationalité, de la Bonté et de la Droiture : les "intérêts".
Pour commencer, on observera que, selon les définitions proposées, les "intérêts" que les scientifiques peuvent avoir sont non seulement financiers, mais concernent tout aussi bien la carrière, le pouvoir, l'idéologie.
Et il y a un conflit d'intérêts, selon Best practices in nutrition science to earn and keep the public's trust, Am J Clin Nutr, 2019, 109, 225-243 quand "une situation financière ou intellectuelle peut avoir une incidence sur la capacité d'un individu à aborder une question scientifique avec un esprit ouvert".
C'est donc une question bien difficile, où l'idéologie, la position politique, fait jeu égal avec les financements.
Souvent, dans les institutions publiques, les experts doivent déclarer des intérêts pour les cinq dernières années, et pourquoi pas ? Dans mon cas, il semble facile de faire la liste... à cela près qu'une telle liste est impossible à faire.
Commençons en effet par les intérêts financiers :
1. j'ai intérêt à travailler à l'Inra, parce que c'est là que je fais de la science
2. récemment, j'ai fait une conférence dans une fédération professionnelle... et une somme a été versée à une des académies auxquelles j'appartiens, parce que, précisément, je ne voulais pas toucher d'argent de cette fédération
3. j'interviens régulièrement, gratuitement, pour une fédération professionnelle (une autre) qui m'invite à déjeuner, avec des professionnels charmants et intelligents, où nous parlons de moyens pour faire avancer la profession
4. j'interviens régulièrement, toujours gratuitement, pour une troisième institution professionnelle, qui m'a offert deux foies gras à Noël
5. une société a payé mon laboratoire pour que des collègues viennent apprendre à mes côtés ; je n'ai pas touché un centime, mais mon laboratoire oui
6. les thèses qui se font dans mon groupe sont toutes des thèses CIFRE... parce que c'est le seul moyen de permettre aux doctorants de trouver rapidement du travail dans l'industrie
7. et j'en oublie plein, de ces premiers types.
Mais les intérêts idéologiques ?
8. je suis clairement du Parti de la Raison des des Faits : je réclame que la politique se fonde sur des faits, et pas sur des mensonges, et je veux que nous fassions tout pour que nos suivants reçoivent une information juste, une formation intellectuelle de qualité...
9. je suis du Parti SIBF, qui a pour devise : "le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture"
10. mon coeur est certainement en Alsace
11... et suivants : et ainsi de suite
Pour le pouvoir, je suis plus libre : comment voudrais-je et pourrais-je diriger autrui puisque je peine à me diriger moi-même ? Mais je m'étonne toujours que d'autres aient la Prétention Immense de vouloir diriger : sont-ils tellement mieux que moi, en ce qui les concerne.
Pour le "succès académique", là encore, c'est une question simple, puisque mon ambition est de faire de la bonne science, mais pas d'être reconnu pour cela. Quand je serai dans une tombe, cela aura belle allure d'avoir des prix ou des décorations ! Et j'ai assez dit partout que tout honneur qui m'est accordé est :
1. une charge, puisqu'il faut que je commence à le mériter
2. un moyen d'avoir de l'influence en vue de développer une certaine idée du monde, conformément au Parti SIBF, évoqué plus haut.
Alors on voit que la question financière... est bien peu de choses. D'ailleurs, j'aurais tendance à poser la question à toute personne qui m'interrogerait sur mes "intérêts" (la science, la raison, la rationalité...) : et vous, quels intérêts avez-vous ? et quel intérêts avez- vous à interroger autrui ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 23 février 2019
Quand une information, une connaissance, est-elle intéressante ?
Quand une information, une connaissance, est-elle intéressante ?
Le sémiologue et écrivain Umberto Eco, s'étant demandé ce qu'est une information intéressante, avait conclu que savoir que Napoléon avait gagné telle bataille était sans intérêt, que ce qui comptait, c'est de savoir ce que signifie cette information, et dans quelles circonstances la bataille avait été gagnée. Combien y avait-il de soldat ? Combien de temps a duré la bataille ? Combien y a-t-il eu de morts ? Ce qui compte, c'est la méthode plutôt que l'objet.
Mais je reprends la question. Qu'est-ce qu'une information intéressante ? Il y a d'abord le fait que "intéressant" est un adjectif qui ne vaut rien, parce qu'une information qui me paraît intéressante ici et maintenant ne le sera peut-être plus dans quelques temps, et ailleurs. Et une information intéressante pour autrui ne le sera peut-être pas pour moi. C'est comme de parler de beau ou de bon : il y a cette naïveté platonicienne, à croire que cela existe, alors qu'Aristote à bien réfuté l'idée, proposant plutôt de parler d'informations intéressantes.
Si l'objet n'existe pas, pourquoi s'y intéresser ? D'abord, parce que l'on évite de se fourvoyer, bien sûr, mais, aussi, parce que cela conduit à des catégorisations qui peuvent être utiles, au lieu que nous soyons hébétés devant une étiquette. Par exemple, on observera que l'information qui consiste à dire que le blanc d'oeuf est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines n'a pas la même portée que la définition de l'énergie.
Mais là, je me vois embringué dans un mauvais devoir de français, et je dois bien vite revenir à des questions scientifiques. Dans notre laboratoire, nous avons une règle qui est de remplacer tout adjectif et tout adverbe par la réponse à la question "combien". Rouge : combien ? Grand : combien Intéressante ? Je vois qu'il ne faut éviter de répondre à la question que je posais et plutôt mesurer à l'aide d'un appareil qui déterminera un indice. Mais c'est indice, évidemment, devra être déterminé d'après un objectif, de sorte que nous sommes ramenés à la vieille question : de quoi s'agit-il ?
Le sémiologue et écrivain Umberto Eco, s'étant demandé ce qu'est une information intéressante, avait conclu que savoir que Napoléon avait gagné telle bataille était sans intérêt, que ce qui comptait, c'est de savoir ce que signifie cette information, et dans quelles circonstances la bataille avait été gagnée. Combien y avait-il de soldat ? Combien de temps a duré la bataille ? Combien y a-t-il eu de morts ? Ce qui compte, c'est la méthode plutôt que l'objet.
Mais je reprends la question. Qu'est-ce qu'une information intéressante ? Il y a d'abord le fait que "intéressant" est un adjectif qui ne vaut rien, parce qu'une information qui me paraît intéressante ici et maintenant ne le sera peut-être plus dans quelques temps, et ailleurs. Et une information intéressante pour autrui ne le sera peut-être pas pour moi. C'est comme de parler de beau ou de bon : il y a cette naïveté platonicienne, à croire que cela existe, alors qu'Aristote à bien réfuté l'idée, proposant plutôt de parler d'informations intéressantes.
Si l'objet n'existe pas, pourquoi s'y intéresser ? D'abord, parce que l'on évite de se fourvoyer, bien sûr, mais, aussi, parce que cela conduit à des catégorisations qui peuvent être utiles, au lieu que nous soyons hébétés devant une étiquette. Par exemple, on observera que l'information qui consiste à dire que le blanc d'oeuf est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines n'a pas la même portée que la définition de l'énergie.
Mais là, je me vois embringué dans un mauvais devoir de français, et je dois bien vite revenir à des questions scientifiques. Dans notre laboratoire, nous avons une règle qui est de remplacer tout adjectif et tout adverbe par la réponse à la question "combien". Rouge : combien ? Grand : combien Intéressante ? Je vois qu'il ne faut éviter de répondre à la question que je posais et plutôt mesurer à l'aide d'un appareil qui déterminera un indice. Mais c'est indice, évidemment, devra être déterminé d'après un objectif, de sorte que nous sommes ramenés à la vieille question : de quoi s'agit-il ?
vendredi 22 février 2019
Quelle différence entre la netteté et la pureté du style ?
Quelle différence entre la netteté et la pureté du style ?
Il y a des questions comme des torchons rouges : quand une matière nous intéresse, alors nous ne pouvons nous empêcher d'aller y voir de plus près. Et il est vrai que la question du style me passionne, car le style, la langue, c'est la pensée, et celle-ci doit être affûté pour que la science soit belle.
Quelle est la différence entre la pureté et la netteté du style ? Le risque, c'est de se hâter d'aller chercher la définition des mots "net" et "pur" dans un dictionnaire, puis de se lancer dans discussion un peu naïve, qui s'apparenterait quand même à compter les anges sur la tête d'une épingle, tant il y a de parenté entre les deux mots, et tant nous risquons d'y mettre nos idées personnelles.
Mais nous devons nous retenir. Je rappelle ici cette expérience que je fais souvent, qui consiste à tendre un stylo à quelqu'un qu'on ne connaît pas... et l'on voit immédiatement la personne prendre l'objet. Pourquoi ? Sans doute pour des raisons biologiques profondes, mais c'est la preuve que lui-même n'a pas dépassé l'animal.
Revenons donc à notre question : la première chose que je conclus, c'est que je ne dois pas y répondre. Pour autant la question est passionnante mais à condition que je sois conduit à faire quelque chose où je suis légitime. Et cela me ramène à la question du style en sciences. J'ai déjà évoqué dans un billet cette question intéressante, qui se rapproche de l'observation de Buffon selon lequel le style c'est l'homme. Oui il y a des styles différents science et l'on voit tout aussi bien du romantisme que du baroque, ce qui conduit à s'interroger évidemment sur la stratégie scientifique et ses relations avec le style. Stratégie : je renvoie à mon texte publié par la Société irlandaise de chimie, où j'expose 12 idées stratégique en sciences.
Mais je reviens maintenant à la question de la netteté et de la pureté, et je fais une relation avec mes discussions sur le style baroque, à propos duquel je me demandais comme il pouvait y avoir une beauté, alors qu'on était dans l'accumulation. Oui, de la beauté ; oui, de l'élégance... Et pour en revenir à la recherche scientifique, il y a effectivement des expériences plus limpides que d'autres, plus coulantes, plus fluides. Il y a effectivement ce travail qui s'apparente à dégager l'or de sa gangue : chercher des expérimentations, des calculs très évidents, très clairs, très purs, très nets. Il y a un immense plaisir à se livrer à cette belle science là. On dit que Gauss, le prince des mathématiciens, ne publiait ses résultats que lorsqu'il avait trouvé une démonstration parfaitement claire, parfaitement simple, parfaitement nette, parfaitement pure. Je ne sais si c'est vrai, mais je suis bien certain qu'il y a de la beauté dans certains travaux scientifiques, de l'élégance, de la pureté, de la netteté, et je vois là dans ces qualités des objectifs que nous pourrons chercher à atteindre.
Et je veux conclure avec cette observation, faite déjà souvent, qui consiste à signaler que, dans notre groupe de recherche, nous remplaçons tout adjectif ou tout adverbe par la réponse à la question "combien ?". Net ? Combien ? Pur ? Combien ?
Il y a des questions comme des torchons rouges : quand une matière nous intéresse, alors nous ne pouvons nous empêcher d'aller y voir de plus près. Et il est vrai que la question du style me passionne, car le style, la langue, c'est la pensée, et celle-ci doit être affûté pour que la science soit belle.
Quelle est la différence entre la pureté et la netteté du style ? Le risque, c'est de se hâter d'aller chercher la définition des mots "net" et "pur" dans un dictionnaire, puis de se lancer dans discussion un peu naïve, qui s'apparenterait quand même à compter les anges sur la tête d'une épingle, tant il y a de parenté entre les deux mots, et tant nous risquons d'y mettre nos idées personnelles.
Mais nous devons nous retenir. Je rappelle ici cette expérience que je fais souvent, qui consiste à tendre un stylo à quelqu'un qu'on ne connaît pas... et l'on voit immédiatement la personne prendre l'objet. Pourquoi ? Sans doute pour des raisons biologiques profondes, mais c'est la preuve que lui-même n'a pas dépassé l'animal.
Revenons donc à notre question : la première chose que je conclus, c'est que je ne dois pas y répondre. Pour autant la question est passionnante mais à condition que je sois conduit à faire quelque chose où je suis légitime. Et cela me ramène à la question du style en sciences. J'ai déjà évoqué dans un billet cette question intéressante, qui se rapproche de l'observation de Buffon selon lequel le style c'est l'homme. Oui il y a des styles différents science et l'on voit tout aussi bien du romantisme que du baroque, ce qui conduit à s'interroger évidemment sur la stratégie scientifique et ses relations avec le style. Stratégie : je renvoie à mon texte publié par la Société irlandaise de chimie, où j'expose 12 idées stratégique en sciences.
Mais je reviens maintenant à la question de la netteté et de la pureté, et je fais une relation avec mes discussions sur le style baroque, à propos duquel je me demandais comme il pouvait y avoir une beauté, alors qu'on était dans l'accumulation. Oui, de la beauté ; oui, de l'élégance... Et pour en revenir à la recherche scientifique, il y a effectivement des expériences plus limpides que d'autres, plus coulantes, plus fluides. Il y a effectivement ce travail qui s'apparente à dégager l'or de sa gangue : chercher des expérimentations, des calculs très évidents, très clairs, très purs, très nets. Il y a un immense plaisir à se livrer à cette belle science là. On dit que Gauss, le prince des mathématiciens, ne publiait ses résultats que lorsqu'il avait trouvé une démonstration parfaitement claire, parfaitement simple, parfaitement nette, parfaitement pure. Je ne sais si c'est vrai, mais je suis bien certain qu'il y a de la beauté dans certains travaux scientifiques, de l'élégance, de la pureté, de la netteté, et je vois là dans ces qualités des objectifs que nous pourrons chercher à atteindre.
Et je veux conclure avec cette observation, faite déjà souvent, qui consiste à signaler que, dans notre groupe de recherche, nous remplaçons tout adjectif ou tout adverbe par la réponse à la question "combien ?". Net ? Combien ? Pur ? Combien ?
jeudi 21 février 2019
Citer une référence en début ou en fin de paragraphe ?
Nous sommes bien d'accord : les textes scientifiques doivent être référencés. Pas une affirmation ne peut être donnée sans un renvoi vers un travail qui établit l'affirmation, ou bien sans une justification expérimentale qui établit le fait.
Restons au premier cas, du renvoi vers un autre travail qui établit l'idée que l'on écrit, sans doute en vue de composer un raisonnement qui prolonge le travail que l'on cite. Il arrive très fréquemment que plusieurs phrases qui se suivent proviennent du même texte, et deux possibilités se présentent :
- on met la référence dès la fin de la première phrase
- on attend la fin du paragraphe cité pour donner une citation qui se rapporte à tout ce paragraphe.
Que faire ?
Les débats sont fréquents, dans les laboratoires, à propos de la technique de citation à retenir, mais c'est un fait qu'un esprit scientifique habitué à chercher des justifications à tout ce qui est proposé -histoire de marcher sur un sol bien ferme- reste désemparé par la seconde méthode : à la fin de la première phrase, il ne peut s'empêcher de ne pas voir de référence, et porte cela au débit des auteurs... même s'il peut éventuellement se reprendre, et attendre un peu d'avoir ensuite une référence... dont il ne sait pas si elle s'applique aussi à la première phrase.
En revanche, tout le monde comprend facilement que, quand une référence est donnée immédiatement, elle peut aussi s'appliquer à la suite du paragraphe, surtout quand ce dernier est de la même eau.
Autrement dit, la première méthode est rationnellement plus intéressante que la seconde, et je la conseille donc absolument !
Et voici un exemple où la question se pose :
Mais ici, se pose une autre question : la référence est mauvais, parce que c'est un vendeur qui donne ses informations, et non une source officielle ;-)
Restons au premier cas, du renvoi vers un autre travail qui établit l'idée que l'on écrit, sans doute en vue de composer un raisonnement qui prolonge le travail que l'on cite. Il arrive très fréquemment que plusieurs phrases qui se suivent proviennent du même texte, et deux possibilités se présentent :
- on met la référence dès la fin de la première phrase
- on attend la fin du paragraphe cité pour donner une citation qui se rapporte à tout ce paragraphe.
Que faire ?
Les débats sont fréquents, dans les laboratoires, à propos de la technique de citation à retenir, mais c'est un fait qu'un esprit scientifique habitué à chercher des justifications à tout ce qui est proposé -histoire de marcher sur un sol bien ferme- reste désemparé par la seconde méthode : à la fin de la première phrase, il ne peut s'empêcher de ne pas voir de référence, et porte cela au débit des auteurs... même s'il peut éventuellement se reprendre, et attendre un peu d'avoir ensuite une référence... dont il ne sait pas si elle s'applique aussi à la première phrase.
En revanche, tout le monde comprend facilement que, quand une référence est donnée immédiatement, elle peut aussi s'appliquer à la suite du paragraphe, surtout quand ce dernier est de la même eau.
Autrement dit, la première méthode est rationnellement plus intéressante que la seconde, et je la conseille donc absolument !
Et voici un exemple où la question se pose :
Mais ici, se pose une autre question : la référence est mauvais, parce que c'est un vendeur qui donne ses informations, et non une source officielle ;-)
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