Il y a des beautés ésotériques, hélas pas accessibles à tous. Notamment à propos de calcul, de mathématiques. L'idée du wronskien, par exemple, me fascine depuis longtemps, tout comme le simple produit scalaire.
Mais aujourd'hui, c'est à propos de transfert de chaleur, ou d'évolution de concentration, que je m'émerveille. Le merveilleux physicien français Jean-Baptiste Fourier, au 18e siècle, a ainsi écrit deux équations pour décrire, d'une part, le transfert de chaleur de part et d'autre d'une paroi dont les deux faces sont maintenues à des températures constantes (pensons au mur d'une maison, dont l'intérieur est chauffé et dont l'extérieur est à la température de l'extérieur), et, d'autre part, le transfert de chaleur dans une barre dont on chauffe une extrémité. Cette second équation, pour le régime "non stationnaire", est la même que celle qui décrit l'évolution de la concentration en sirop dans un verre d'eau, à partir d'une goutte de sirop déposée au centre du verre. Dans ce second cas, on parle de la seconde équation de Fick, du nom du physicien allemand Adolph Eugen Fick... mais c'est en réalité la même que celle de Fourier.
Résoudre cette seconde équation n'est pas facile, et ce n'est pas toujours possible : on ne sait le faire que dans des cas particuliers, tel quand la chaleur varie à travers une plaque, ou autour d'une sphère, etc. Surtout, pour y parvenir, il faut manipuler l'équation en "changeant de variable" : à savoir que, dans l'équation initiale, on considère la température en fonction de la position dans l'espace et du temps. Le temps est ce que l'on nomme une variable. Mais pour être capable de résoudre l'équation, c'est-à-dire de trouver l'expression de la température en tout point de l'espace en fonction du temps, il faut ne pas chercher en fonction du temps, mais en fonction de l'inverse de la racine carrée du temps !
Comment a-t-on trouvé cela ? Rassurons les étudiants qui ne se sentiraient pas capable d'imaginer une telle transformation : ni Fourier ni Fick n'ont trouvé la chose, et il a fallu le génie de Ludwig Boltzmann pour y parvenir, après une longue recherche !
Et voici mon émerveillement : n'est-il pas extraordinaire que Boltzmann ait réussi à où deux grands scientifiques avaient échoué ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 8 juillet 2018
samedi 7 juillet 2018
Comment signer soixante dix publications scientifiques par an ?
Une revue interroge un collègue qui signe 70 publications par an, et notre homme d'expliquer que si l'on a un bon réseau, alors on a son nom sur de nombreuses publications, et l'on est bien évalué par les institutions scientifiques. Evidemment, le titre de l'article "Comment signer 70 publications par an" est fait pour choquer, preuve qu'il n'est pas décemment possible de signer 70 publications par an. D'ailleurs, le collègue n'est pas l'égal d'Albert Einstein, qui ne signait certainement pas 70 publications par an, et il n'est pas non plus l'égal de Henri Poincaré, qui publiait tant que l'Académie des sciences a introduit une règle afin qu'il n'encombre pas les Comptes rendus de l'Académie des sciences, à une époque où l'on imprimait sur du papier. Donc ces 70 publications sont indues, et je crois très néfastes que nos institutions mettent ce genre de comportements en avant.
Car il ne s'agit pas d'être bien évalué, personnellement ou collectivement, mais de faire de la bonne science, de faire avancer la connaissance ! Cela ne se fait pas au rythme ici prôné. Oui il faut publier ce que l'on découvre... mais il faut d'abord découvrir. Et cela ne se fait pas rapidement, même quand on est très actif.
Oui, aussi, on hésite toujours entre les gros articles importants, et les petits textes, montrant un résultat localisé... mais même pour de tels résultats, il ne s'agit pas de s'arrêter à un résultat de mesure : il faut aussi des interprétations solides, intelligentes, profondes, conceptuelles. Soixante dix par an ? Allons, soyons sérieux.
Car il ne s'agit pas d'être bien évalué, personnellement ou collectivement, mais de faire de la bonne science, de faire avancer la connaissance ! Cela ne se fait pas au rythme ici prôné. Oui il faut publier ce que l'on découvre... mais il faut d'abord découvrir. Et cela ne se fait pas rapidement, même quand on est très actif.
Oui, aussi, on hésite toujours entre les gros articles importants, et les petits textes, montrant un résultat localisé... mais même pour de tels résultats, il ne s'agit pas de s'arrêter à un résultat de mesure : il faut aussi des interprétations solides, intelligentes, profondes, conceptuelles. Soixante dix par an ? Allons, soyons sérieux.
La vérité en science ?
On entend parfois parler de vérité, à propos de science. On dit (parfois) que la science est la recherche de la vérité, ou que la science est le domaine de la vérité... Mais tout cela est-il bien légitime ?
La science considère des « faits », et, si je ne méconnais pas les innombrables débats à propos de ce mot (tout comme d'ailleurs à propos de vérité), il faut éviter de se contorsionner intellectuellement. C'est un fait qu'un morceau de sodium qui tombe sur de l'eau fait au minimum une grande lueur, ou au maximum une explosion ; en tout cas, il se passe quelque chose. Cela a été, cela est, et cela sera si l'on refait l'expérience dans les conditions où nous l'entendons tous : à savoir à la température ambiante, avec des masses macroscopiques que l'on n'aurait aucune peine à préciser. De même, c'est un fait que la pomme tombe de l'arbre, dans les conditions (que l'on pourrait préciser) habituelles.
Les faits ne sont ni vrais ni faux : ce sont des faits. Il n'y a pas de valeur de vérité pour les faits : un « fait faux » n'est pas un fait, tout comme un « carré rond » n'existe pas.
Et les théories ? Là, c'est encore plus simple, parce que les théories scientifiques sont toutes insuffisantes, donc fausses. De sorte que, bien entendu, elles ne sont alors pas « vraies ».
Et, en conséquence, la science ne cherche certainement pas la vérité, mais elle cherche les mécanismes des phénomènes, sous la forme de théories (idées, concepts, relations quantitatives entre des concepts) qui sont insuffisantes et dont on cherche lentement à augmenter les capacités prédictives. Souvent, on avance par petits pas, et, parfois, il y a un saut conceptuel, un changement complet de cadre descriptif, comme quand on est passé de la physique classique à la physique quantique.
Mais pas de vérité, dans tout cela !
La science considère des « faits », et, si je ne méconnais pas les innombrables débats à propos de ce mot (tout comme d'ailleurs à propos de vérité), il faut éviter de se contorsionner intellectuellement. C'est un fait qu'un morceau de sodium qui tombe sur de l'eau fait au minimum une grande lueur, ou au maximum une explosion ; en tout cas, il se passe quelque chose. Cela a été, cela est, et cela sera si l'on refait l'expérience dans les conditions où nous l'entendons tous : à savoir à la température ambiante, avec des masses macroscopiques que l'on n'aurait aucune peine à préciser. De même, c'est un fait que la pomme tombe de l'arbre, dans les conditions (que l'on pourrait préciser) habituelles.
Les faits ne sont ni vrais ni faux : ce sont des faits. Il n'y a pas de valeur de vérité pour les faits : un « fait faux » n'est pas un fait, tout comme un « carré rond » n'existe pas.
Et les théories ? Là, c'est encore plus simple, parce que les théories scientifiques sont toutes insuffisantes, donc fausses. De sorte que, bien entendu, elles ne sont alors pas « vraies ».
Et, en conséquence, la science ne cherche certainement pas la vérité, mais elle cherche les mécanismes des phénomènes, sous la forme de théories (idées, concepts, relations quantitatives entre des concepts) qui sont insuffisantes et dont on cherche lentement à augmenter les capacités prédictives. Souvent, on avance par petits pas, et, parfois, il y a un saut conceptuel, un changement complet de cadre descriptif, comme quand on est passé de la physique classique à la physique quantique.
Mais pas de vérité, dans tout cela !
vendredi 6 juillet 2018
Qu'est-ce qu'un journal de bord ?
Il y a de ces mots ou expressions que nos interlocuteurs comprennent sans comprendre, et je viens de m'assurer que mes jeunes amis ignorent ce qu'est un "journal de bord"... parce qu'ils n'ont jamais fait de bateau ! Ce n'est pas une critique que je fais... mais une obligation que je me donne de l'expliquer le plus clairement possible... parce que cela peut avoir des conséquences sur leur travail technologique ou scientifique, par exemple.
Commençons par nous remettre à l'époque pas si lointaine où l'on n'avait pas de GPS, pas de Waze, pas de Google Map. Et, plus encore, entrons sur un bateau à voiles.
Nous sommes à Benodet, et nous voulons gagner les îles Scilly (les "Sorlingues", si bien décrites par ce merveilleux livre qu'est Rôle de plaisance, de Perret). Il se peut que nous soyons dans la configuration suivante :
Pour un voillier, c'est bien ennuyeux, parce que si le vent pousse, il est donc bien impossible de "remonter au vent", sauf à "tirer des bords", c'est-à-dire faire des zigzags, comme cela :
Là, une telle route est très risquée, car comment sait-on qu'on est cent mètres plus à droite ou à gauche ? Décidément, il vaut peut-être mieux faire une route différente :
Bon, nous sommes prêts, partons dans la direction que nous avons tracée sur la carte... mais il faut savoir quand virer de bord, pour ne pas tomber dans les cailloux. Ce que l'on fait, alors, c'est que, sur le "journal de bord", on consigne l'heure de départ, et l'on utilise un appareil nommé un "loch" pour mesurer la vitesse. Puis, en utilisant le fait que la distance est égale au produit du temps par la vitesse, on calcule l'heure à laquelle on doit changer de bord.
Mais, évidemment, imaginons que le vent faiblisse, à un moment donné, il faudra absolument consider l'heure à laquelle c'est arrivé, et la vitesse que l'on fait alors, afin de suivre le déplacement du bateau sur la carte.
C'est cela, un journal de bord : un document où sont consignées toutes les indications relatives à la marche du bateau, afin d'arriver sain et sauf à bon port.
Pourquoi dois-je discuter cela ? Parce que, en recherche scientifique, on a quasiment la même question, et que tout ce que nous faisons doit être consigné. Même nos erreurs, même nos hésitations !
Je ne crois pas inutile de renvoyer mes amis vers le Diary du physicochimiste Michael Faraday :
C'est son "cahier de laboratoire", et plus d'un d'entre nous devrait prendre exemple : on voit que c'est d'une remarquable clarté. Ce qui me fait penser au cahier de laboratoire de Pierre Gilles de Gennes, qui, de même, était quasiment calligraphié. La pensée n'est pas rapide, et la seule chose qui importe est le résultat final, qui doit être parfait.
Ici, j'ai parlé de science, mais, au fond, puisque je veux que la plupart de mes jeunes amis aillent dans l'industrie, afin de mettre leurs compétences présentes et futures au service d'une augmentation de la "richesse nationale", je veux conclure en disant que je ne vois pas de raison pour laquelle cette excellence que je discute ici ne soit pas également présente dans l'industrie.
Commençons par nous remettre à l'époque pas si lointaine où l'on n'avait pas de GPS, pas de Waze, pas de Google Map. Et, plus encore, entrons sur un bateau à voiles.
Nous sommes à Benodet, et nous voulons gagner les îles Scilly (les "Sorlingues", si bien décrites par ce merveilleux livre qu'est Rôle de plaisance, de Perret). Il se peut que nous soyons dans la configuration suivante :
Mais imaginons qu'il y ait des cailloux, sur le chemins :
Bon, nous sommes prêts, partons dans la direction que nous avons tracée sur la carte... mais il faut savoir quand virer de bord, pour ne pas tomber dans les cailloux. Ce que l'on fait, alors, c'est que, sur le "journal de bord", on consigne l'heure de départ, et l'on utilise un appareil nommé un "loch" pour mesurer la vitesse. Puis, en utilisant le fait que la distance est égale au produit du temps par la vitesse, on calcule l'heure à laquelle on doit changer de bord.
Mais, évidemment, imaginons que le vent faiblisse, à un moment donné, il faudra absolument consider l'heure à laquelle c'est arrivé, et la vitesse que l'on fait alors, afin de suivre le déplacement du bateau sur la carte.
C'est cela, un journal de bord : un document où sont consignées toutes les indications relatives à la marche du bateau, afin d'arriver sain et sauf à bon port.
Pourquoi dois-je discuter cela ? Parce que, en recherche scientifique, on a quasiment la même question, et que tout ce que nous faisons doit être consigné. Même nos erreurs, même nos hésitations !
Je ne crois pas inutile de renvoyer mes amis vers le Diary du physicochimiste Michael Faraday :
C'est son "cahier de laboratoire", et plus d'un d'entre nous devrait prendre exemple : on voit que c'est d'une remarquable clarté. Ce qui me fait penser au cahier de laboratoire de Pierre Gilles de Gennes, qui, de même, était quasiment calligraphié. La pensée n'est pas rapide, et la seule chose qui importe est le résultat final, qui doit être parfait.
Ici, j'ai parlé de science, mais, au fond, puisque je veux que la plupart de mes jeunes amis aillent dans l'industrie, afin de mettre leurs compétences présentes et futures au service d'une augmentation de la "richesse nationale", je veux conclure en disant que je ne vois pas de raison pour laquelle cette excellence que je discute ici ne soit pas également présente dans l'industrie.
Inscription à :
Articles (Atom)