Alors que je viens
de décider de ne plus sortir public de mon champ de compétences
(la gastronomie moléculaire), je m'interroge sur l'intérêt de ce
dernier pour éclairer le débat public.
Souvent, ces
derniers temps, les débats que les média ont monté en épingle
sont soit des questions de nutrition, soit des questions de
toxicologie. Or, bien que l'effet des composés des végétaux me
fascine, je ne suis pas toxicologue. Et bien que la science
nutritionnelle soit en plein essor scientifique, je ne suis pas
nutritionniste. Ma recherche personnelle porte sur les
transformation chimiques et physiques des aliments au cours de la
préparation culinaire : ce que j'essaie de bien comprendre et
ce que je prétends savoir mieux que d'autres, parce que je fais la
bibliographie et des tas d'expériences, c'est comment la structure
physique des aliments évolue quand on les cuisine, comment évolue
également la composition chimique de aliments.
Cela me permet de
répondre sans difficulté à nombre d'interlocuteurs (par exemple
des journalistes) qui m'interrogent. Par exemple, à propos de
« sucres ajoutés », je suis en mesure de dire que tout
végétal apporte trois sucres que sont le glucose, le fructose et le
saccharose. Par exemple, à propos de barbecue, je suis en mesure de
dire que la flamme dépose 2000 fois plus de benzopyrènes (que mes
amis toxicologues disent cancérogènes) qu'il n'en est admis par la
loi dans les saumons fumés du commerce. Par exemple, à propos des
alcaloïdes toxiques des pommes de terre, je suis en mesure de dire
qu'ils sont dans les trois premiers millimètres sous la surface, et
qu'ils ne sont pas modifiés lors de la cuisson.
Et ainsi de suite.
Mais vient souvent lors des interviews, le moment où les
journalistes voudraient que je dise, en plus de ce que je sais, les
conséquences toxicologiques ou nutritionnelles de ce que j'ai dit.
Et c'est là où se trouve le piège, parce que répondre me fait
sortir de mon champ de compétence. Fini ! Je les enverrai
systématiquement vers des collègues, même si cela les arrangerait
(un tournage au lieu de deux) que je réponde à leurs questions.
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