Dans la communauté
scientifique, il y a des positions différentes, et l'une d'elle est
particulièrement épineuse : la direction de thèses. Ici, je
propose de discuter un tout petit aspect de cette charge.
Mais commençons par
dire tout d'abord, et très énergiquement, que les doctorants ne
sont pas étudiants, mais de jeunes scientifiques. Même si la thèse
d'état ancienne, qui pouvait durer jusqu'à 15 ans, a été
remodelée, réduite à trois seulement, il n'en reste pas moins que,
de façon tout à fait réglementaire, les doctorants sont de jeunes
scientifiques. Bien sûr, ils ont le droit d'étudier, comme
n'importe qui, fut-il Michel Eugène Chevreul, président de
l'Académie des sciences, et plus que centenaire. Bien sûr, on leur
accorde une carte d'étudiant afin de leur faciliter l'existence, eu
égard à leur salaire parfois modeste. Mais ils ont les droits et
les devoirs des scientifiques, parce que ce sont de jeunes
scientifiques. Ils sont responsables de leur propre production, ce
qui justifie que leur directeur de thèse, qui n'est, lui, pas
responsable de cette production, puisse figurer dans le jury de
thèse, sans être juge et partie. Le directeur de thèse est là
pour encadrer la thèse, dès la définition du sujet, par les moyens
qu'il donne, que ces moyens soient matériels ou intellectuels, par
l'enthousiasme contagieux qu'il distribue…
Mais cette position
de direction de thèse, un peu décrite par les écoles doctorales ou
par le ministère, notamment dans des « contrats d'encadrement
de thèse », que s'engagent à accepter le directeur de thèse
et le doctorant, met les directeur de thèse dans dans une position
qui doit être intelligente. Le directeur de thèse n'est donc pas
responsable du travail effectué, mais il ne peut guère échapper à
un engagement de contribuer à aider le doctorant, matériellement et
intellectuellement. L'aide matérielle est en réalité la plus
simple à fournir : au fond, il s'agit de trouver des
équipements que l'on a souvent déjà dans le laboratoire, du temps
expérimental, des espaces de laboratoire, de bureau, des
financements pour les consommables.
Mais c'est ici la
question du soutien intellectuel qui me préoccupe, et plus
particulièrement l'exemple que le directeur de thèse est censé
donner. Bien sûr, le directeur de thèse devra montrer combien les
bonnes pratiques sont importantes, combien le recours à des méthodes
officielles ou validées s'imposent, combien les validations sont
essentielles. Mais il n'y a pas que le travail local qui compte, il y
a aussi l'ouverture au monde. La vie scientifique, c'est aussi être
capable de partager, de s'entraider, afin d'arriver plus efficacement
à agrandir le territoire du connu. Là, le réseau est essentiel, et
c'est évidemment une bonne pratique que de se constituer un grand
répertoire d'amis, c'est-à-dire de personnes qui partagent la
passion pour la recherche de la connaissance.
Le directeur de
thèse doit donc faire sortir le doctorant du laboratoire. Ce dernier
doit apprendre à questionner les experts, qu'ils le fassent par une
recherche bibliographique ou en allant dans des conférences, mais
au-delà de ces sorties très codifiées et assez rares, il y a aussi
toutes les interactions, plus faciles, qui se font par téléphone,
par whatsap, par skype… Les doctorants doivent apprendre à joindre
un futur ami par ces divers moyens, et cela passe par des règles
simples, telles que ne pas croire que l'on atteindre une personne si
on l'appelle une fois seulement ; ne pas croire qu'un
correspondant répondra à un email, alors que, surtout si c'est un
bon expert, il est harcelé par des emails ; ne pas croire qu'un
message sur un répondeur suffira à susciter un rappel, car les
scientifiques chevronnées manquent de secondes. Les doctorants
devront apprendre à laisser plusieurs message, à passer par des
secrétariats...
Bref, le directeur
doit enseigner aux doctorants à sortir du laboratoire. Beaucoup.
Cet effet centrifuge
a un avantage immense, qui est de ne pas laisser le doctorant avec
les connaissances insuffisantes du laboratoire où il fait sa
recherche. Cette bonne pratique des directeurs de thèse permet aux
doctorants de voir des techniques, des méthodes, des idées, des
théories, qu'ils n'auraient pas vues en restant au laboratoire. Et
puis, il y a l'intérêt de se constituer un réseau, de s'insérer
socialement dans le milieu scientifique.
Mais il faut de la
mesure, car un doctorant qui serait sans cesse sorti du laboratoire
n'y serait donc pas, de sorte que son travail de recherche en
pâtirait. Il y a donc un juste équilibre à trouver entre le
confinement et la dispersion, et c'est une des missions importantes
du directeur de thèse que d'être capables de jeter une regard
bienveillant sur l'activité des doctorants pour leur faire
reconnaître un éventuel déséquilibre de ce point de vue.
Évidemment cela
impose que les directeurs de recherche soient eux mêmes capables
d'analyser leur propre activité, mais… au fait, pourquoi les
directeurs de thèse ne demanderaient-ils pas à des amis d'avoir un
regards sur leur propre activité, afin de commenter cet équilibre ?
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